Au début de l’année 1915, le cinéaste américain Wilbur Durborough 1 convainquit un groupe d’investisseurs de financer son voyage en Allemagne afin d’y filmer la guerre. Accompagné par Irving Ries 2, autre cinéaste américain qu’il présente comme son « assistant cameraman », il obtint les autorisations nécessaires des autorités du Reich et réussit notamment à suivre l’offensive allemande conduisant à la conquête de presque toute la Pologne ainsi qu’au dégagement de la Galicie austo-hongroise.
1 Wilbur Henry Durborough (1882-1946) après un début de carrière dans le journalisme devint en 1913 photographe pour la Newspaper Enterprise association (NEA) couvrant l’année suivante l’occupation de la ville de Veracruz, opération militaire spéciale destinée à protéger les intérêts américains au cours de la lutte entre chefs révolutionnaires mexicains ; c’est d’ailleurs là qu’il apprit à se servir d’une caméra. Après le premier conflit mondial, il travailla dans les relations publiques et fonda sa propre agence photographique.
2 Irving G. Ries (1890-1963) fut acteur du temps du cinéma muet puis se reconvertit à l’époque du parlant dans la conception et la réalisation d’effets spéciaux ; en 1957, il fut nominé à l’oscar de cette catégorie pour sa participation au cultissime film Planète interdite.
Un excellent documentaire diffusé par Arte dans la série « mystères d’archives » (6e saison, 2019) de Serge Viallet relate la façon dont cette œuvre fut réalisée et décrypte les trucs utilisés par Wilbur Durborough pour faire croire à ses spectateurs qu’il avait suivi les troupes au plus près des combats, ainsi que son goût de se mettre en scène au long de ses images. En conclusion il présente aussi les moyens utilisés par Durborough pour faire la publicité de son film à son retour aux Etats-Unis et le triste sort qui lui fut réservé lorsque ce pays finit par entrer dans le conflit…
En complément aux pertinentes analyses d’images présentées dans ce documentaire, on me permettra d’ajouter les quelques précisions qui suivent :
0’20’’ : les cavaliers qui passent sont des cuirassiers
1’30’’ : signe de la pénurie de matériel après neuf mois de guerre, ce soldat porte un casque ersatz dont le cuir bouilli de la coiffe a été remplacé par du feutre
5’30’’ : de gauche à droite le prince Auguste-Guillaume de Prusse, la princesse Alexandra-Victoria de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg, le kronprinz Frédéric-Guillaume de Prusse, la kronprinzessin Cécilie de Mecklembourg-Schwerin, le prince Eitel-Frédéric de Prusse, la princesse Sophie-Charlotte d’Oldenbourg
5’52’’ : en plus de ses prestigieux liens familiaux Maximilien de Bade fut le dernier – et le plus court – chancelier de l’empire allemand (3 octobre au 9 novembre 1918) ; c’est dans cette fonction qu’il annonça par anticipation l’abdication du Kaiser, ce que ce dernier ne lui pardonna jamais
De gauche à droite, le jeune Christian-Günther Bernstorff (fils du comte Johann Heinrich von Bernstorff, ambassadeur d’Allemagne aux Etats-Unis de 1908 à 1917), le prince Max de Bade et le prince Heinrich de Reuss branche cadette ; on remarquera que pour l’occasion Wilbur Durborough a troqué sa casquette pour une élégant canotier
8’04’’ : à gauche du personnage central, un zouave à la tenue distinctive
11’35 : Ortelsburg est aujourd’hui située en Pologne, dans la voïvodie de Varmie-Mazurie et s’appelle Szczytno (bon courage à qui voudra tenter de prononcer ce nom…)
13’59’’ : le général Limbrecht von Schlieffen (1852-1935) membre de l’état-major d’Hindenbourg
17’54’’ : la première crainte est en fait de voir augmenter le nombre des soldats inaptes au combat du fait de la maladie ; les craintes pour la population allemande lors des retours de permissionnaires n’est que très secondaire
18’15’’ : rappelons qu’à l’époque la Pologne n’existe plus et qu’elle est alors partagée entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la Russie ; depuis le traité de Vienne Varsovie est russe
20’25 : Posen, aujourd’hui Poznań en Pologne, était prussienne depuis le traité de Vienne
20’28’’ : ces soldats portant schako sont des chasseurs à pied
Wilbur Durborough debout au centre avec des correspondants de presse à l’hôtel Adlon à Berlin (cliché tiré de : https://shootingthegreatwar.blogspot.com/2015/09/durborough-war-film-premiere-set-for.html).
Ainsi donc, avec l’entrée en guerre des Etats-Unis en avril 1917 le film de Wilbur Durborough fut retiré des écrans et sombra peu à peu dans l’oubli. Après presque un siècle d’obscurité, il connut une renaissance inattendue en 2015 lorsque la Bibliothèque du Congrès, s’appuyant sur les recherches des historiens James W. Castellan, Cooper C. Graham et Ron van Ropperen, entreprit de le restaurer. C’est aujourd’hui le seul exemple connu d’un documentaire américain conservé dans son intégralité sur les débuts de la première guerre mondiale. Après la savante présentation qui en a été donnée par la série « mystères d’archives », je vous propose donc de le visionner entièrement. Attention toutefois :
- les images montrant le Kaiser partant passer en revue les fameux hussards « à tête de mort » ont en fait été tournées en 1913 par d’autres que Wilbur Durborough et Irving Ries à l’occasion du mariage de la fille du souverain, la princesse Victoria-Louise, avec le prince Ernest-Auguste de Brunswick, tout comme celles montrant l’impératrice Augusta-Victoria et sa fille...
- la plupart des images montrant fantassins et artilleurs se préparant au combat ont été tournées sur un terrain de manœuvre et non sur le champ de bataille comme le laissent entendre les cartels de présentation ;
- à 1 heure 31 du début du film on voit des artilleurs autrichiens mettant en batterie un mortier Skoda de 305 mm modèle 1911, destiné à écraser les forts les mieux défendus, comme ils le firent contre les forts de Liège dès le début du conflit.
Le lecteur américanophone 3 pourra se reporter au lien suivant afin de visionner ce film avec les commentateurs de deux des historiens l’ayant redécouvert.
3 Personne ne saurait être parfait, même parmi mes chers et fidèles lecteurs (avec mes compliments à mes excellents amis Caroline et Bertrand B-L…)
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On the Firing Line with the Germans
Two World War I film scholars and two Library of Congress preservationists described how this film was rediscovered and restored by the Library of Congress. The entire film was then shown with ...
https://www.c-span.org/video/?426067-2/on-firing-line-germans