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6 mai 2023 6 06 /05 /mai /2023 21:02
216 - Dans l'Allemagne de 1915

Au début de l’année 1915, le cinéaste américain Wilbur Durborough 1 convainquit un groupe d’investisseurs de financer son voyage en Allemagne afin d’y filmer la guerre. Accompagné par Irving Ries 2, autre cinéaste américain qu’il présente comme son « assistant cameraman », il obtint les autorisations nécessaires des autorités du Reich et réussit notamment à suivre l’offensive allemande conduisant à la conquête de presque toute la Pologne ainsi qu’au dégagement de la Galicie austo-hongroise.

1 Wilbur Henry Durborough (1882-1946) après un début de carrière dans le journalisme devint en 1913 photographe pour la Newspaper Enterprise association (NEA) couvrant l’année suivante l’occupation de la ville de Veracruz, opération militaire spéciale destinée à protéger les intérêts américains au cours de la lutte entre chefs révolutionnaires mexicains ; c’est d’ailleurs là qu’il apprit à se servir d’une caméra. Après le premier conflit mondial, il travailla dans les relations publiques et fonda sa propre agence photographique.

2 Irving G. Ries (1890-1963) fut acteur du temps du cinéma muet puis se reconvertit à l’époque du parlant dans la conception et la réalisation d’effets spéciaux ; en 1957, il fut nominé à l’oscar de cette catégorie pour sa participation au cultissime film Planète interdite.

Un excellent documentaire diffusé par Arte dans la série « mystères d’archives » (6saison, 2019) de Serge Viallet relate la façon dont cette œuvre fut réalisée et décrypte les trucs utilisés par Wilbur Durborough pour faire croire à ses spectateurs qu’il avait suivi les troupes au plus près des combats, ainsi que son goût de se mettre en scène au long de ses images. En conclusion il présente aussi les moyens utilisés par Durborough pour faire la publicité de son film à son retour aux Etats-Unis et le triste sort qui lui fut réservé lorsque ce pays finit par entrer dans le conflit…

En complément aux pertinentes analyses d’images présentées dans ce documentaire, on me permettra d’ajouter les quelques précisions qui suivent :

0’20’’ :       les cavaliers qui passent sont des cuirassiers

1’30’’ :       signe de la pénurie de matériel après neuf mois de guerre, ce soldat porte un casque ersatz dont le cuir bouilli de la coiffe a été remplacé par du feutre

5’30’’ :       de gauche à droite le prince Auguste-Guillaume de Prusse, la princesse Alexandra-Victoria de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg, le kronprinz Frédéric-Guillaume de Prusse, la kronprinzessin Cécilie de Mecklembourg-Schwerin, le prince Eitel-Frédéric de Prusse, la princesse Sophie-Charlotte d’Oldenbourg

5’52’’ :       en plus de ses prestigieux liens familiaux Maximilien de Bade fut le dernier – et le plus court – chancelier de l’empire allemand (3 octobre au 9 novembre 1918) ; c’est dans cette fonction qu’il annonça par anticipation l’abdication du Kaiser, ce que ce dernier ne lui pardonna jamais

De gauche à droite, le jeune Christian-Günther Bernstorff (fils du comte Johann Heinrich von Bernstorff, ambassadeur d’Allemagne aux Etats-Unis de 1908 à 1917), le prince Max de Bade et le prince Heinrich de Reuss branche cadette ; on remarquera que pour l’occasion Wilbur Durborough a troqué sa casquette pour une élégant canotier

8’04’’ :       à gauche du personnage central, un zouave à la tenue distinctive

11’35 :        Ortelsburg est aujourd’hui située en Pologne, dans la voïvodie de Varmie-Mazurie et s’appelle Szczytno (bon courage à qui voudra tenter de prononcer ce nom…)

13’59’’ :     le général Limbrecht von Schlieffen (1852-1935) membre de l’état-major d’Hindenbourg

17’54’’ :     la première crainte est en fait de voir augmenter le nombre des soldats inaptes au combat du fait de la maladie ; les craintes pour la population allemande lors des retours de permissionnaires n’est que très secondaire

18’15’’ :     rappelons qu’à l’époque la Pologne n’existe plus et qu’elle est alors partagée entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la Russie ; depuis le traité de Vienne Varsovie est russe

20’25 :           Posen, aujourd’hui Poznań en Pologne, était prussienne depuis le traité de Vienne

20’28’’ :         ces soldats portant schako sont des chasseurs à pied

216 - Dans l'Allemagne de 1915

Wilbur Durborough debout au centre avec des correspondants de presse à l’hôtel Adlon à Berlin (cliché tiré de : https://shootingthegreatwar.blogspot.com/2015/09/durborough-war-film-premiere-set-for.html).

Ainsi donc, avec l’entrée en guerre des Etats-Unis en avril 1917 le film de Wilbur Durborough fut retiré des écrans et sombra peu à peu dans l’oubli. Après presque un siècle d’obscurité, il connut une renaissance inattendue en 2015 lorsque la Bibliothèque du Congrès, s’appuyant sur les recherches des historiens James W. Castellan, Cooper C. Graham et Ron van Ropperen, entreprit de le restaurer. C’est aujourd’hui le seul exemple connu d’un documentaire américain conservé dans son intégralité sur les débuts de la première guerre mondiale. Après la savante présentation qui en a été donnée par la série « mystères d’archives », je vous propose donc de le visionner entièrement. Attention toutefois :

- les images montrant le Kaiser partant passer en revue les fameux hussards « à tête de mort » ont en fait été tournées en 1913 par d’autres que Wilbur Durborough et Irving Ries à l’occasion du mariage de la fille du souverain, la princesse Victoria-Louise, avec le prince Ernest-Auguste de Brunswick, tout comme celles montrant l’impératrice Augusta-Victoria et sa fille...

- la plupart des images montrant fantassins et artilleurs se préparant au combat ont été tournées sur un terrain de manœuvre et non sur le champ de bataille comme le laissent entendre les cartels de présentation ;

- à 1 heure 31 du début du film on voit des artilleurs autrichiens mettant en batterie un mortier Skoda de 305 mm modèle 1911, destiné à écraser les forts les mieux défendus, comme ils le firent contre les forts de Liège dès le début du conflit.

Le lecteur américanophone 3 pourra se reporter au lien suivant afin de visionner ce film avec les commentateurs de deux des historiens l’ayant redécouvert.

3 Personne ne saurait être parfait, même parmi mes chers et fidèles lecteurs (avec mes compliments à mes excellents amis Caroline et Bertrand B-L…)

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7 mars 2023 2 07 /03 /mars /2023 18:10
215 - Les combinaisons du Figaro

L’actualité nous rappelle à quel point la préparation et l’équipement des troupes ainsi que la constitution de stock de matériel adapté sont nécessaires en cas de guerre. C’est curieusement une évidence que l’on redécouvre à chaque conflit. Ainsi en fut-il déjà en 1914, comme en témoigne René Chambre 1, alors aviateur dans la M.S. 12, première escadrille de chasse française.

1 René Michel Jules Joseph Chambe (1889-1983) jeune lieutenant de cavalerie a rejoint l’aviation en décembre 1914. Après la guerre il y poursuivra sa carrière et créera en 1936 le service historique de l’armée de l’air avant de devenir ministre de l’information du général Giraud à Alger puis chef de cabinet de ce dernier lorsque celui-ci coprésidera avec le général De Gaulle le Comité Français de Libération Nationale et enfin, après avoir participé au débarquement en Provence, chef de cabinet du général de Lattre de Tassigny, commandant de la Ire armée. Le lecteur intéressé par cet officier pourra se connecter au site : https://generalrenechambe.com/.

215 - Les combinaisons du Figaro

René Chambe (portrait tiré de l’ouvrage dont la couverture ouvre ce billet).

On ne peut pas dire que la France ait été surprise par la déclaration de guerre de 1914, elle s’y attendait et s’y préparait depuis des années. Elle apparaissait alors comme la première puissance militaire du monde. Seule, l’Allemagne serait en état de lui disputer ce titre. Mais dans la préparation de leurs armées, l’une comme l’autre, auraient des lacunes à se reprocher, dues à des erreurs d’appréciation, ou à un manque évident d’imagination. Personne n’allait prévoir avec clairvoyance la forme que devraient prendre les hostilités, encore moins leur durée.

La guerre éclaterait l’été, à la belle saison (sur ce point tout le monde était d’accord) et n’excéderait pas quelques semaines. L’effroyable force de destruction (déjà) des engins modernes ne permettrait certainement pas à l’homme de subsister longtemps sur le champ de bataille. L’un des deux camps – le plus éprouvé – serait fatalement amené à déposer les armes dans un délai très court. Il était impensable que les hostilités pussent se prolonger au-delà de l’automne. Sur ce second point l’Histoire devait se charger de donner la réplique aux augures.

L’été avait passé et, à son tour, l’automne ; l’hiver était venu. L’armée française (comme l’armée allemande) s’était laissé surprendre par les grands froids, sans que rien eût été préparé pour l’en préserver. Pas d’équipements spéciaux, pas de vêtements chauds, pas de vareuses molletonnées, pas de tricots de laine, pas même de gants fourrés, rien. Il avait fallu tout improviser pour doter les combattants du strict indispensable. Un effort énorme avait été entrepris en faveur des fantassins transformés en taupes misérables, dans leurs tranchées emplies de boue, de neige et de glace. Ils montaient la garde nuit et jour sans pouvoir ni s’abriter, ni se chauffer. Il était légitime que ce fût sur eux, avant tous autres, que s’exerçât la vigilance du commandement et que se penchât la tendre pitié de l’opinion publique.

Les peaux de moutons, les passe-montagnes, les bottes matelassées et les mitaines avaient fait leur apparition. Les combattants du sol étaient maintenant à peu près correctement pourvus.

215 - Les combinaisons du Figaro

Une vision un peu moins optimiste (et sans doute bien plus réaliste) que celle de René Chambe sur l’équipement d’hiver des poilus.

Pour les aviateurs, personne n’y avait pensé. Rien de plus naturel. Malgré l’admiration qu’on leur portait, on se représentait mal leur existence. On ignorait tout des conditions dans lesquelles les équipages avaient à remplir leurs missions. On savait qu’ils étaient bien logés près de leurs terrains, dans des villas et parfois des châteaux, qu’ils étaient bien nourris, qu’ils mangeaient dans des assiettes, avec des serviettes, comme en temps de paix, qu’ils couchaient dans de vrais lits, qu’ils portaient de ces belles bottes lacées et de ces beaux képis noirs, ou bleu-de-ciel, qu’avaient popularisés les gravures de la Vie Parisienne 2 3, mais on ne savait pas qu’en vol ils étaient dénué de tout, qu’ils affrontaient tous les jours à 2.000 mètres ou 3.000 mètres d’altitude des froids mortels de – 30 à – 40°. L’ère des avions fermés, des cockpits, n’était pas née, elle ne s’ouvrirait que dans un quart de siècle. Pour le moment, les aviateurs tenaient l’air des heures durant sur leurs frêles ailes de libellules, immobiles dans des fuselages invraisemblables, ouverts à tous les vents, faits d’une simple toile tendue sur quelques bouts de bois. L’hiver venu, on ne leur avait rien distribué. Ils ne possédaient toujours que leur veste de cuir, si enviée cependant des autres armes, la même qui leur servait l’été. Pas de survêtements chauds, pas de bottes fourrées. Les plus débrouillards s’étaient procuré, de-ci de-là, quelques peaux de bique et se les prêtaient entre eux. La future combinaison de l’aviateur, hermétiquement close, était encore dans les limbes. Personne ne l’avait dessinée. Les aviateurs souffraient cruellement.

2 Magazine illustré fondé en 1863 ; pendant la guerre il fut surtout célèbre pour avoir publié nombre d’annonces de marraines de guerre. C’est dans ses colonnes que Colette publia ses premières nouvelles.

3 On reconnaît bien là ce fond de jalousie qui, sous le couvert du vocable d’Egalité, se tapit au fond de notre subconscient national et fait préférer l’abaissement de tous à l’élévation de certains…

215 - Les combinaisons du Figaro

L’image populaire de l’aviateur français au début du conflit (carte postale d’époque tirée de l’excellent site : http://bleuhorizon.canalblog.com/archives/2007/02/24/4117538.html).

Or un jour le journal Le Figaro, informé de cette situation, s’était avisé d’y remédier par une campagne bien menée. Il avait alerté l’opinion. Les meilleures plumes de ses rédacteurs avaient décrit avec des détails de circonstance ce que pouvaient représenter ces vols de guerre par des températures que nul ne soupçonnait, dans le tourbillon glacé des hélices. Les mains gelées, les visages gelés, les pieds gelés ne se comptaient plus dans les escadrilles. Certains pilotes en étaient venus à voler avec des chaussons de laine et des galoches de bois, comme en portent les paysans dans les étables.

Le Figaro avait ouvert ses colonnes à une souscription, en espèce et en nature, pour suppléer à la carence de l’Intendance militaire (elle avait tant à faire !) et doter sans retard les aviateurs de vêtements chauds. La population parisienne avait, à son habitude, réagi avec tout son cœur. De nombreux dons, la plupart anonymes, avaient été déposés au guichet du grand quotidien. Pelisses d’hommes, manteaux de fourrure de femmes, certains de très haut prix, étoles et manchons, astrakans, chinchillas, skunks, visons et même zibelines avaient été ainsi livrés au ciseau du couturier, pour devenir doublures de combinaisons d’aviateurs. Cette fois, la combinaison de vol était née, créée par un tailleur militaire de la capitale, peut-être bien Bidal ? Il n’y avait pas eu de quoi fournir encore tous les équipages, mais en quelques jours Le Figaro avait été en mesure de procéder à une première distribution exclusivement réservée aux escadrilles engagées sur le front. Le commandement, informé, avait lui-même averti par voie officielle les chefs de formation et les avait autorisés à déléguer à Paris un représentant, pour recevoir du Figaro un contingent de deux manteaux, ou de deux combinaisons fourrées, au choix.

Celles-ci marquaient un progrès considérable qui avait enchanté les aviateurs. D’une seule pièce, serrées au cou, aux poignets et aux chevilles, de forte toiles, de cuir, ou de moleskine à l’extérieur, de fourrure (parfois la plus rare et la plus riche) à l’intérieur, elles ne présentaient aucune ouverture qui ne pût être étroitement fermée.

Plus encore qu’à la satisfaction de pouvoir combattre sans avoir à supporter de terribles froids, l’aviation avait été sensible à celle de constater un tel mouvement d’affection de la population française à son égard.

215 - Les combinaisons du Figaro

Le lieutenant de Bernis 4 avait envoyé au Figaro, comme étant, avec ses cheveux poivre et sel, le plus sérieux, et par son domicile d’avant-guerre, le plus parisien d’entre nous, Méseguich 5 prendre livraison du lot attribué à la M.S.12.

4 Pons Raymond Guillaume Jules de Pierre de Bernis (1880-1945) était alors commandant de l’escadrille M.S.12.

5 Calixte Léon René Mesguich (1874-1917) diplômé en architecture – il fera les plans de la villa algéroise de la reine exilée Ranavalona III de Madagascar –, passionné par le vol avant même le début du conflit il rejoint l’aviation dès le 24 août 1914 et la M.S.12 le 12 février 1915 ; il disparaîtra en mer aux commandes de son hydravion. Sa biographie complète peut être consultée sur : https://p7.storage.canalblog.com/71/03/702570/126884639.pdf.

215 - Les combinaisons du Figaro

Portrait de René Mesguich (tiré de : https://gw.geneanet.org/smesguich?lang=fr&n=mesguich&oc=0&p=calixte+leon+rene).

Quarante-huit heures plus tard, Méseguich était revenu sous les lazzis d’usage de toute l’escadrille envieuse, porteur de deux de ces merveilleuses combinaisons ultra modernes.

Il avait les yeux encore pleins d’étoiles, éblouis de tout ce qu’ils avaient vu.

– Mon vieux, y en avait haut comme ça, jusqu’aux fenêtres, qui attendaient ! Je connaissais justement un des rédacteurs préposés à la distribution. Ils savaient plus qu’en faire là-bas. On n’aurait jamais cru ! de ces manteaux de femme d’un bath ! De la zibeline parfumée à l’origan 6 tant que tu en aurais voulu !

6 En plus de ses propriétés aromatiques, l’origan est aussi antiseptique et fongicide.

– Pourquoi n’en as-tu pas rapporté ? avait interrogé Navarre 7, la lèvre gourmande.

7 Jean Navarre (1895-1919) sera un des as français de la première guerre mondiale avec 12 victoires aériennes homologuées.

– Non, des fois, tu charries ! On aurait tous eu l’air de gonzesses 8. Tu te vois descendu en combat aérien par un boche, en manteau de zibeline ?

8 Toutes mes excuses à la femme Rousseau et à ses coreligionnaires écumantes pour ces propos sexistes, mais le respect de la vérité historique, comme du témoignage de René Chambre, m’obligent à les retranscrire…

Les rires avaient éclaté et Méseguich avait été absous. L’escadrille s’était enrichie de ces dons généreux, fort appréciés de tous. Un ordre avait été établi, pour que chaque membre du personnel navigant de la M.S.12 en bénéficiât à son tour. 9

9 René Chambre Au temps des carabines (Flammarion ; Paris, 1955) pp. 109-112.

215 - Les combinaisons du Figaro

Dans son numéro du 20 août 1915, le Figaro confirmait en sa page 3 le succès de son initiative, tout en donnant les chiffres de ses distributions :

Un certain nombre d'aviateurs permissionnaires sont venus nous demander, ces jours-ci, des nouvelles de certaines “combinaisons fourrées ” distribuées par le Figaro l'hiver dernier, et qui eurent une fort bonne presse, comme on dit, dans le monde des spécialistes. Et les permissionnaires qui ne connaissaient que de réputation les “combinaisons” du Figaro nous posaient la question attendue: “Est-ce qu'il en reste? ”

Hélas! Non. Pour le moment, il n'en reste pas: un don important, spécialement réservé aux aviateurs, nous a permis de commander en quelques semaines et de distribuer, au fur et à mesure des livraisons, 351 combinaisons, 364 paires de bottes et 352 paires de gants fourrés ; à quoi divers dons en nature et en espèces nous ont permis d'ajouter 14 paletots fourrés, 50 passe-montagnes fourrés, 50 cols de fourrure et 2 manchons. Tout cela a disparu... comme dans un nuage, et pour l'instant notre stock de fourrures est épuisé.

215 - Les combinaisons du Figaro

Manteau de fourrure d’aviateur (cliché tiré  de : http://bleuhorizon.canalblog.com/archives/2007/02/24/4117538.html).

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5 mars 2023 7 05 /03 /mars /2023 19:19
214 - Année 1886

En 1885 le futur Guillaume II avait 27 ans.

Politique

7 janvier : le général Boulanger devient ministre de la Guerre en France

214 - Année 1886

6 avril : traité entre l’Allemagne et le Royaume-Uni délimitant leurs zones d’influence dans le Pacifique

214 - Année 1886

Timbre allemand de 1897

14 avril : publication de La France juive d’Edouard Drumont qui va marquer l’entrée de l’antisémitisme comme thème dans la vie politique française

4 mai : massacre de Haymarket Square de Chicago, évènement mythique de l’histoire de la « journée internationale des travailleurs »

214 - Année 1886

Timbre nord coréen de 1984

22 juin : loi scélérate interdisant la présence en France des chefs des familles ayant régné en France ainsi qu’à leurs descendants par ordre de primogéniture (elle ne sera abrogée que le 2 juin 1950)

7 septembre : Alexandre Ier de Bulgarie est contraint d’abdiquer

214 - Année 1886

29 octobre et 1er novembre : arrangement entre l’Allemagne et le Royaume-Uni pour le partage de l’Afrique orientale

214 - Année 1886

Timbre allemand de 1896

Sciences et techniques

29 janvier : l’allemand Carl Benz dépose le brevet de sa première automobile

214 - Année 1886

8 mars : les allemands Gottlieb Daimler et Wilhelm Maybach adaptent un moteur à explosion sur une voiture hippomobile, créant ainsi la première automobile à quatre roues

214 - Année 1886

13 novembre : le physicien allemand Heinrich Hertz démontre l’existence des ondes électromagnétiques

214 - Année 1886

Timbre allemand de 1994

Arts

Publication de Par-delà le bien et le mal de Friedrich Nietzsche

214 - Année 1886

Timbre guinéen de 1998

Publication des Illuminations d’Arthur Rimbaud

214 - Année 1886

Timbre français de 1951

9 mars : Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns

214 - Année 1886

Timbre français de 1952

Naissances

25 janvier : Wilhelm Furtwängler, chef d’orchestre allemand

214 - Année 1886

Timbre allemand de 1955

11 mars : Edward Rydz-Smigly, futur commandant en chef de l’armée polonaise au début de la seconde guerre mondiale

214 - Année 1886

Timbre polonais de 1937

3 octobre : Alain Fournier, écrivain français et symbole de la jeunesse fauchée par la guerre

214 - Année 1886

16 octobre : David Grün, qui sous le nom de David Ben Gourion sera le 1er chef de l’état d’Israël

214 - Année 1886

Timbre israélien de 1986

Décès

13 juin : Louis II de Bavière

214 - Année 1886

Timbre allemand de 1986

31 juillet : Franz Liszt, compositeur hongrois

214 - Année 1886

Timbre autrichien de 2011

22 octobre : Karl Lüderitz, commerçant ayant fondé la première ville coloniale allemande en Afrique du sud-ouest

214 - Année 1886

Timbre du sud-ouest africain de 1983

18 novembre : Chester A. Arthur, ancien président de Etats-Unis

214 - Année 1886
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15 février 2023 3 15 /02 /février /2023 15:52
213 - Visite à Pola

En 1917, le Kaiser se rendit plusieurs fois en Autriche-Hongrie pour conférer avec les responsables de la Double monarchie. Lors d’un de ces déplacements, sans doute poussé par son goût pour la mer, il visita le port de Pola 1 et en profita pour se rendre à bord de l’un des sous-marins de la marine impériale et royale. C’est le bâtiment du commandant Georg von Trapp 2, tout juste rentré de croisière, qui accueillit l’auguste visiteur.

1 Pola (aujourd’hui Pula en Croatie) était alors le principal port de la marine austro-hongroise.

2 Georg Ludwig von Trapp (1880-1947), chevalier de l’Ordre militaire de Marie-Thérèse, chevalier de l’Ordre impérial de Léopold, chevalier de la 2classe de l’Ordre de la Couronne de fer, affichait un palmarès impressionnant auquel étaient notamment attachés le croiseur cuirassé français Léon Gambetta (27 avril 1915) et le sous-marin italien Néréide (5 août 1915). Quasi ruiné après la crise de 1929 la famille se lança dans la chanson ; son histoire inspira un premier film en 1959 intitulé The sound of Music – La mélodie du bonheur en VF – puis un second sous le même titre en 1965 dans lequel Christopher Plummer (que nous avons déjà vu incarner un Guillaume II criant de vérité sur : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2020/12/169-bon-baiser-du-kaiser.html) interprète le rôle du commandant von Trapp. Opposée aux nazis la famille quitta l’Autriche après l’anschluss et finit par s’installer aux Etats-Unis.

213 - Visite à Pola

Le commandant Georg von Trapp (photographie tirée de : https://www.reddit.com/r/HistoryPorn/comments/bdjg14/baron_georg_von_trapp_whose_life_was_later/).

L’U14 3 va recevoir une nouvelle batterie. Il fait route sur Pola.

3 Sous-marin français de la classe Brumaire lancé en 1909 et alors baptisé Curie ; coulé par les Autrichiens en décembre 1914 lors d’une tentative d’attaque du port de Pola. il est renfloué et remis en servie en septembre 1915 par la marine impériale et royale. Il sera rendu à la France en 1919 avant d’être définitivement désarmé en 1928 et ferraillé l’année suivante. Georg von Trapp le commandera du 14 octobre 1915 au 13 janvier 1918.

Une vedette automobile vient à sa rencontre, accoste : le sous-marin se placera près de l’île des Oliviers à côté des docks. L’empereur Guillaume l’inspectera à huit heures du matin !

Une heure suffira à mettre le bateau en état, à faire disparaître les traces du long voyage, à se préparer à la visite impériale. Une large passerelle relie le bâtiment au quai sur lequel se groupent déjà des invités.

213 - Visite à Pola

L’U14 (photographie tirée de sa notice wikipédia en anglais).

L’empereur paraît à l’heure dite 4. Brefs saluts. D’un geste, il refuse toute suite et monte à bord, seul. Le commandant 5 lui fait son rapport.

4 On ne peut manquer de se rappeler la vieille maxime prêtée à Louis XVIII : « La ponctualité est la politesse des rois ». Aujourd’hui que nous sommes en république nos dirigeants l’ont bien oubliée…

5 Dans ses mémoires Georg von Trapp parle toujours de lui à la 3e personne.

Le premier mot de Sa Majesté est pour le canon 6. Puis elle pose quelques questions, s’enquiert des succès de l’U14.

6 Les Autrichiens avaient installé un canon de 88 mm sur le bâtiment pour lui permettre d’attaquer les navires de commerce non escortés sans avoir besoin d’entamer son stock, forcément limité, de torpilles.

Enfin Elle passe devant l’équipage rangé à l’arrière sur tribord.

– Quelles nationalités avez-vous ici ?

– Presque toutes celles de la monarchie, Sire : Allemands, Hongrois, Italiens, Roumains, Slaves, Polonais… mais tous doivent parler allemand dans le service.

– Une nouvelle preuve du rôle essentiel joué par la langue allemande en Autriche !

Le commandant n’a pas encore trouvé de réponse. 7

7 Georg von Trapp Amenez les couleurs ! (Editions de la nouvelle revue critique ; Paris, 1936) p. 221.

213 - Visite à Pola

L’empereur Guillaume II en uniforme autrichien et l’empereur Charles Ier en uniforme allemand.

On pourrait s’étonner, avec le commandant von Trapp, de l’ultime remarque impériale aussi faut-il revenir au contexte de l’époque. En effet, depuis le mois de mars 1917 l’empereur Charles Ier, conscient des faiblesses de l’Autriche-Hongrie tentait de nouer des liens avec les Alliés par le biais des princes Sixte et Xavier de Bourbon Parme, frères de l’impératrice Zita, alors officiers dans l’armée belge, pour mettre un terme au conflit. Même si elles avaient été menées dans le plus grand secret à l’initiative du souverain, le comte Czernin 8 informa l’Allemagne de ces ouvertures. On comprend donc mieux la réponse du Kaiser, irrité par les démarches de l’empereur Charles, rappelant de façon détournée la prédominance allemande dans l’alliance des deux empires à un commandant von Trapp bien éloigné de toutes ces considérations politiques…

8 Ottokar Czernin (1872-1932) avait été nommé ministre des Affaires étrangères le 22 décembre 1916 ; bien que lui aussi partisan d’une paix rapide afin de sauvegarder l’existence même de la Double monarchie, son initiative ne contribua en fait qu’à rendre intenable la situation de Charles Ier.

Nota : les images montrant la reconstitution de l’embarquement du couple impérial à bord du navire anglais devant le conduire en exil ont en fait étaient tournées sur le SMS Leitha, ancien monitor fluvial de la marine austro-hongroise aujourd’hui restauré à Budapest.

Que l’on me permette de critiquer l’une des conclusions de ce film, en faisant remarquer que l’on n’a pas plus de chance d’éviter d’avoir des dirigeants sans envergure par l’élection que par l’hérédité (et nul besoin pour cela de remonter jusqu’à l’ineffable président Deschanel)…

Gott erhalte Karl den Kaiser !

213 - Visite à Pola
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9 février 2023 4 09 /02 /février /2023 18:39
212 - In memoriam Branca Veselinovic

Portrait de Branca Veselinovic tiré de sa notice wikipédia.

Pour être tout à fait franc, je ne connaissais pas du tout Branca Veselinovic jusqu’à ce jour, où son décès a été annoncé à l’âge vénérable de 104 ans. Elle était en effet née dans la ville d’Altbetsche (aujourd’hui Becej en Serbie) appartenant alors à l’empire austro-hongrois le 16 septembre 1918 ; de ce fait, c’était une des dernières sujettes vivantes du bienheureux empereur Charles Ier et c’est donc à ce titre que je lui rends hommage aujourd’hui.

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27 janvier 2023 5 27 /01 /janvier /2023 08:50
211 - Anniversaire

Nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire du Kaiser. Afin de commémorer cet heureux événement, je vous propose deux textes de ses parents évoquant son douzième anniversaire et permettant d’anticiper sur les relations de plus en plus difficiles qui finiront pas s’installer entre eux.

 

Le premier a été écrit dans son journal par son père, le Kronprinz Frédéric, alors en France avec les troupes allemandes qui, le 18 janvier précédent, avaient proclamé dans la galerie des glaces du château de Versailles la naissance de l’empire allemand 1. Ses voeux de concorde familiale ne seront malheureusement pas exaucés, les relations entre le prince et ses parents se détériorant avec le temps, notamment parce que ces derniers ne purent supporter que celui-ci s’éloigne de leurs propres idées et cherche – assez maladroitement d’ailleurs – à affirmer son indépendance.

1 Voir : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2021/01/170-un-anniversaire-oublie.html.

 

27 janvier 1871 2

C’est aujourd’hui l’anniversaire de mon fils Guillaume. Puisse-t-il devenir un homme fort, droit, fidèle, épris de vérité et de beauté, un véritable Allemand, qui saura un jour conduire sans préjugé notre grande patrie en suivant la voie tracée par son père et son grand-père 3. Il y a, Dieu merci, entre lui et nous des rapports simples, naturels et empreints d’affection, que nous nous efforçons de conserver pour qu’il trouve toujours en ses parents ses meilleurs et ses plus sincères amis. Il est angoissant de penser aux espérances qui, dès maintenant, sont accumulées sur la tête de cet enfant, et aux lourdes responsabilités que nous assumons vis-à-vis de la patrie en dirigeant son éducation. Que Dieu nous aide à le préserver contre tout ce qui est bas, mesquin et trivial, et à le préparer, par nos bons conseils, aux graves devoirs qu’il aura à remplir. 4

2 Nous sommes exactement à la veille de la signature de la convention d’armistice par Jules Favre pour la France et Bismarck pour le tout jeune empire allemand.

3 Compte tenu des nombreuses frictions pour des raisons politiques entre le Kronprinz Frédéric et son père, ce souhait laisse songeur…

4 Cité par sir Frederick Ponsonby Lettres de l’impératrice Frédéric (Bernard Grasset ; Paris, 1931) pp. 96-97.

211 - Anniversaire

Le second texte est une lettre écrite par la Kronprinzessin à sa mère, la reine Victoria, le 28 janvier 1871. On ne peut que s’alarmer sur les réserves qu’elle émet sur les qualités de son fils aîné – réserves qui ne feront que s’amplifier avec le temps – ainsi que de sur la phrase finale plutôt déplacée sous la plume d’une future impératrice allemande et reine de Prusse s’adressant à celle qui est avant tout une souveraine étrangère…

 

Merci mille fois de vos bons souhaits pour le 25 et pour l’anniversaire de Willie 5. Il était ravi de vos cadeaux. Je lui avais réservé une surprise, ainsi qu’aux autres enfants, en leur permettant d’aller au théâtre et de voir un panorama, ce qui les a beaucoup amusés. Tout le monde est à bout et souhaite passionnément la paix 6 […]

5 Surnom familier du prince Guillaume.

6 La princesse n’avait pas encore été informée de la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne.

Vous serez enchantée de Guillaume, j’en suis sûre, quand vous le verrez ; il a des manières aimables et douces, comme Bertie 7, et il est parfois très séduisant. Ce n’est pas un garçon doué de qualités très brillantes ni d’une grande force de caractère, mais il pourra, j’en suis convaincue, faire un homme utile. Il a un excellent précepteur qui ne néglige rien pour développer son esprit et son corps 8. Je surveille moi-même son éducation dans les moindres détails, car Fritz 9 n’a jamais eu le temps de s’occuper des enfants. Les années qui viennent vont être particulièrement importantes pour sa formation, car c’est maintenant qu’il va cesser d’être un enfant pour devenir un homme. Je me réjouis de pouvoir vous affirmer qu’entre lui et moi se sont formés des liens de confiance et d’amour, que rien, j’en suis convaincue, ne pourra jamais détruire. Il a une très bonne santé et ce serait un beau garçon s’il n’avait pas à souffrir de son infirmité. Celle-ci le rend timide et maladroit, car il sent qu’il dépend des autres pour sa vie matérielle. Cela rend son éducation très difficile et ne va pas sans agir sur son caractère. Pour moi, c’est une source de chagrins continuels. Il a très peu de son père et de sa famille prussienne… 10

7 Surnom familier du prince de Galles, futur roi Edouard VII du Royaume-Uni.

8 Georg Ernst Hinzpeter (1827-1907) ; nous l’avons déjà rencontré dans deux de nos billets : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2015/04/85-l-empereur-guillaume-ii-une-esquisse-dessinee-d-apres-nature.html et http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2014/10/76-le-service-a-the-d-holopherne.html.

9 Surnom familier du Kronprinz Frédéric.

10 Sir Frederick Ponsonby Lettres de l’impératrice Frédéric pp. 97-99.

211 - Anniversaire
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11 janvier 2023 3 11 /01 /janvier /2023 15:41

On vient d’annoncer le décès à 82 ans de Sa Majesté Constantin II roi des Hellènes, chassé de son pays à la suite du coup d’état des colonels de 1967. Il était l’arrière petit-fils du Kaiser par sa mère la reine Frederika de Hanovre (épouse du roi des Hellènes Paul Ier) elle-même fille de la princesse Victoria Louise de Prusse, fille cadette de Guillaume II. Constantin II était le frère de la reine Sophie, épouse de Sa Majesté très catholique le roi d’Espagne émérite don Juan Carlos Ier.

210 - In memoriam Constantin II

Photographie tirée de la notice wikipédia du défunt souverain.

210 - In memoriam Constantin II
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2 janvier 2023 1 02 /01 /janvier /2023 11:36
209 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (3/3)

Dans les jours qui suivirent l’escale du SMS Hela, l’incertitude sur le possible débarquement du prince Henri se poursuivait donc. Et le samedi 10 août 1901 La dépêche de Brest continua d’entretenir le suspense, même si des indices pouvaient laisser penser que le frère du Kaiser ne passerait sans doute pas par la ville.

Ainsi que nous le laissions pressentir hier, le prince Henri n’est pas venu à Brest, soit que l’Hela n’ait pu rejoindre l’escadre allemande à temps, soit que le prince Henri ait voulu s’acquitter jusqu’au bout de la mission qui lui avait été confiée.

On sait que l’Hela, venu dans notre port pour faire du charbon, quitta Brest avant-hier, vers trois heures de l’après midi, pour se mettre à la recherche de l’escadre allemande et ramener le prince Henri à Brest, où l’attendait un train spécial pour le conduire à Paris, d’où il aurait pu rapidement gagner l’Allemagne.

On s’attendait donc à ce que l’Hela revînt dans la nuit, ou tout au moins hier matin, et à cet effet, tous les sémaphores de la côte avaient reçu l’ordre de veiller jour et nuit, de manière à guetter le passage de l’Hela.

A la préfecture, à la gare, à la police, on se tenait sur le qui vive.

Un grand nombre d’étrangers étaient même accourus à Brest, se répandant un peu partout dans les hôtels.

Vers huit heures du matin, une série de coups de canon, tirés à intervalles réguliers, firent croire au retour de l’Hela.

Un grand nombre de nos concitoyens se précipitèrent au port de commerce, sur le cours d’Ajot 1 et sur le boulevard de la Marine. Leur curiosité fut déçu : il s’agissait tout simplement de tirs en rade, tirs qui ont continué toute la journée.

1 Vaste promenade aménagée à la fin du XVIIIe siècle surplombant le port de commerce de Brest.

209 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (3/3)

Certains marins prétendaient qu’il ne serait pas impossible que le prince débarquât dans l’après-midi.

L’Hela, disaient-ils, qui n’avait rendez-vous avec l’escadre qu’hier vendredi, vers midi, à l’entrée de la Manche, a peut-être été obligé de descendre beaucoup au sud pour rencontrer cette force navale.

En effet, par suite de son départ précipité, l’Hela se trouvait avoir une avance considérable sur les flottes allemandes.

Interviewé par nous, hier matin, M. Frank, attaché d’ambassade, se montrait surpris que l’Hela ne fût pas encore de retour.

« Peut-être – nous disait-il – l’aviso n’a pu trouver de suite l’escadre, ou bien l’Hela, le meilleur coursier de la flotte, ayant pris à bord le prince Henri, a-t-il accéléré sa marche, de manière à pouvoir arriver dans la nuit ou aujourd’hui à Wilhelmshaven. »

Le même avis prédominait à la préfecture, où le commandant de Bredo, – auquel l’attaché servait d’interprète – déclarait jeudi, lors de sa visite, que le prince était très réservé, qu’il ne disait pas grand-chose à son entourage, et qu’il était fort probable qu’en apprenant la mort de sa mère, le frère de l’empereur d’Allemagne s’embarquerait sur l’Hela. Grâce à sa vitesse, l’aviso arriverait à temps pour les obsèques.

Nous ne savons si ces précisions se sont réalisées. Toujours est-il qu’aucun bateau allemand ne s’est présenté sur notre rade, hier.

Les deux wagons salons 1502 et 1503, que la compagnie de l’Ouest avait expédié en prévision du débarquement du grand amiral de la flotte prussienne 2, ont été accrochés, hier soir, au train 142, quittant Brest à 7 h. 35 pour Paris.

2 Depuis 1871 il n’y avait plus de Marine prussienne mais une Marine impériale allemande. En août 1901 le prince Henri était vice-amiral ; il devra attendre le 4 septembre 1909 pour être élevé à la dignité de grand amiral.

L’un de ces salons a été mis à la disposition de M. Frank, attaché d’ambassade, qui, d’ailleurs, était allé passer sa journée à Morgat 3.

3 Port de pêche situé dans la presqu’île de Crozon devenu station balnéaire sous l’impulsion d’Armand Peugeot.

M. Crimail, sous-chef du mouvement à la compagnie des chemins de fer de l’Ouest, considérant également sa mission comme terminée, a repris le chemin de la capitale.

209 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (3/3)

Dans son numéro du dimanche 11 août 1901 La dépêche de Brest ne consacrait plus qu’un bref paragraphe aux événements liés à l’éventuelle venu du prince Henri.

M. Schlœzer 4, ministre plénipotentiaire, chargé d’affaires d’Allemagne à Paris, en l’absence de l’ambassadeur, le prince Radolin, actuellement à Cronberg, a exprimé à M. Delcassé, ministre des affaires étrangères, ses remerciements pour les prévenances des autorités maritimes de Brest à l’égard des officiers de l’aviso Hela et pour les mesures qui avaient été prises au cas où, dans les circonstances créées par la mort de l’impératrice Frédéric, le prince Henri de Prusse aurait débarqué à Brest.

4 Karl von Schlözer (1854-1916) fut en poste à Paris de 1899 à 1902.

Enfin, dans son numéro du lundi 12 août 1901, La dépêche de Brest publiait ce court entrefilet relégué dans ses dernières pages intérieures :

Brunsbuettel 5, 11 août.

Le vaisseau amiral de la 1re division de la première escadre le Kaiser Wilhelm der Grosse 6 est passé ce matin, à 9 h. ½, devant Brunsbuettel, se rendant à Kiel et ayant à bord le prince Henri de Prusse, chef de l’escadre.

5 Brunsbüttel, ville située sur l’embouchure de l’Elbe, à l’entrée du canal de Kiel.

6 Cuirassé pré-Dreadnought lancé en 1899.

209 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (3/3)

Photographie tirée de la notice wikipédia en allemand de ce navire.

La messe était donc dite, le prince ne viendrait pas. Toutefois, cette déception pour le port de Brest, « force de la France au bout de la France » selon Jules Michelet (historien contestable mais excellent écrivain) 6, n’avait pas fait que des malheureux. En effet, pendant plusieurs jours elle avait attiré curieux et touristes en ville, pour le plus grand bonheur des cabaretiers, restaurateurs et hôteliers. De plus, en reconnaissance de sa courtoisie à l’égard des officiels allemands, le Kaiser fit remettre au contre-amiral de Barbeyrac la plaque de commandeur de l’ordre de l’aigle rouge de Prusse 7. Enfin, la presse avait pu, pendant plusieurs jours, tirer des plans sur la comète et faire ses choux gras des bruits de coursives pour vendre du papier…

6 Revue des Deux Mondes t. III (1833), p. 194.

7 Ordre initialement fondé en 1705 par Georges Guillaume margrave de Brandebourg-Bayreuth et plusieurs fois remanié jusqu’à sa transformation en ordre royal en 1792 par le roi Frédéric-Guillaume II de Prusse ; par ordre de préséance, il s’agissait de la seconde décoration du royaume. Le Kaiser avait déjà remis cette même décoration au commandant de l’Iphigénie, Henri-Louis Manceron, qui l’avait reçu à son bord en rade de Bergen en 1899 (voir : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/article-18-104248139.html).

209 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (3/3)

Image tirée de : http://ecole.nav.traditions.free.fr/officiers_debarbeyrac_henri.htm, avec l’aimable autorisation de son responsable.

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16 décembre 2022 5 16 /12 /décembre /2022 16:00
208 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (2/3)

Nous en étions restés à l’information selon laquelle le prince Henri de Prusse devait prendre terre à Brest. La Dépêche de Brest du vendredi 9 août 1901 détailla donc longuement l’arrivée d’un bâtiment allemand en rade et ce qui s’ensuivit, soulignant avec soulagement qu’aucune manifestation hostile n’eut lieu envers les officiels allemands.

 

L’aviso de la marine de guerre l’Hela, attendu dans notre port hier matin, est arrivé à l’heure dite ; mais le prince Henri n’était pas à bord, comme d’aucuns auraient pu le penser.

Le sémaphore du cap Saint-Mathieu 1 avait signalé son passage à 6 h. 30 ; une heure après, le navire apparaissait à l’horizon, et à huit heures précises, après avoir mis son pavillon en berne à l’avant et à l’arrière 2, il prenait son corps-mort, avec assez de difficulté, à quelques encablures du château.

1 Cap marquant l’entrée du goulet menant à la rade de Brest.

2 Du fait du décès de l’impératrice Frédéric.

La manœuvre fut en effet assez longue.

A 8 h. 10 exactement, l’Hela saluait la terre française de 2 coups de canon, salut qui lui fut presque aussitôt rendu coup pour coup par la Batterie du Parc-au-Duc 3.

3 Batterie située au pied du château de Brest, arasée lors des travaux de reconstruction de Brest après la seconde guerre mondiale.

208 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (2/3)

A ce moment, nous apercevons, s’avançant assez rapidement, la chaloupe l’Aulne, des mouvements du port, venant apporter à bord la correspondance, les journaux et les colis de toutes sortes destinés au prince Henri, aux officiers et aux équipages de l’escadre.

Il faut croire que cette correspondance est volumineuse, car la chaloupe contient de nombreux sacs.

MM. Crimail, sous-chef du mouvement 4, Aubé, notre nouveau chef de gare, et Moerdès, commissaire spécial 5, ont pris place à bord de cette embarcation avec plusieurs employés des postes et télégraphes, chargés de la livraison de ce précieux chargement.

4 Sans doute le même que le Cremail, « chef du mouvement à la direction de la Compagnie de l’Ouest à Paris », de l’article du Petit Journal ; je n’ai malheureusement pas pu déterminer laquelle de ces deux graphies est la bonne ni quelle était sa fonction exacte.

5 Chrétien François Bernard Moerdès (1856-?) commissaire de la police des chemins de fer, organisme créée en 1848 et ancêtre des renseignements généraux.

Déjà l’Eclipse, la Fourmi et le Saint-Yves ont entouré l’Hela et commencent à opérer, à l’aide de grues, le transbordement des 120 tonnes de charbon qui lui sont destinées.

Cette opération va demander cinq à six heures au plus de travail.

Du Borda 6 se détache un stationnaire venant faire l’arraisonnement de l’aviso.

6 Vaisseau lancé en 1864 sous le nom d’Intrépide, transformé en 1890 en navire école pour l’Ecole navale et rebaptisé Borda à cette occasion.

208 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (2/3)

Le Borda en rade de Brest.

Le lieutenant de vaisseau qui est à bord indique à un officier de l’Hela, qui s’avance à la coupée, les formalités qu’il va avoir à remplir, en même temps que les visites à faire.

Puis une chaloupe se rend à la Santé.

Pendant ce temps nous prenons une courte interview du commandant en second, qui nous accueille très gracieusement.

Cet officier nous dit que non seulement le prince Henri ignore le décès de S. M. l’impératrice Frédéric, mais qu’eux-mêmes n’ont appris l’événement qu’en arrivant sur notre rade 7.

7 Rappelons qu’en 1901 les communications maritimes par radio n’en étaient qu’au stade des expériences et que les navires en mer dépendaient de la rencontre d’autres bâtiments ou d’escales dans des ports pour recevoir des informations.

Il nous explique que l’Hela a quitté Cadix le 4 courant avec l’escadre et qu’étant chargé de prendre à Brest le courrier – ainsi que nous l’avions annoncé – il a devancé cette force navale, qu’il doit rejoindre jeudi, dans la matinée, à l’entrée de la Manche.

« Nous comptons, dit-il, quitter Brest ce soir à six heures, à moins cependant, rectifie-t-il, qu’en présence du deuil de la mère du prince, le commandant ne juge à propos d’avancer de quelques heures le moment de notre départ. »

M. Crimail, MM. Aubé et Moerdès montent à bord à leur tour.

Ils sont reçus par M. de Bredow 8, capitaine de corvette, qui leur confirme, point sur point, les renseignements qui venaient de nous être donnés.

8 Joachim von Bredow (1858-1914) ; il commandera le Hela de mai à septembre 1902.

La chaloupe qui s’était rendue à la Santé revient avec M. Frank, attaché de l’ambassade allemande, qui attendait au port de commerce l’arrivée de l’Hela.

L’opération de la livraison des dépêches est assez longue ; une fois terminée, les employés des postes prennent le courrier de l’Hela, et les passagers de l’Aulne regagnent leur embarcation, qui les ramène au pont Gueydon 9 vers 9 H. ½.

9 Ce pont flottant installé en 1856 à l’initiative de l’amiral Gueydon, alors préfet maritime de Brest, fut le premier pont à relier le centre ville au quartier de Recouvrance ; plusieurs fois modernisé ou remplacé, il existe toujours à l’intérieur de l’arsenal. Au début du XXe siècle, il était aussi bien utilisé par la population civile que par les militaires.

208 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (2/3)

Le pont Gueydon, vu depuis le centre ville (cliché tiré de : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:102J_093_087_Le_pont_flottant_Gueydon_et_le_pont_National.jpg).

Quant à nous, nous rentrons au port de commerce en compagnie du pilote Malgorn 10, du Conquet, qui prend place à nos côtés.

10 Peut-être le premier-maître pilote Lucien Malgorn (1855-1914), médaillé militaire en 1890 et chevalier de la Légion d’Honneur en 1896.

Chemin faisant, il nous apprend que l’Hela l’a pris vers quatre heures ce matin, à neuf milles environ dans le sud-ouest des Pierres-Noires 11.

11 Chaussée rocheuse située au large du Conquet sur laquelle se dresse un phare.

« L’Hela, nous dit-il, qui ressemble beaucoup à nos contre torpilleurs, ayant à peu près la même forme que le Dunois ou La Hire 12, quoiqu’un peu plus grand, jauge 2.000 tonnes environ, comprend 180 hommes d’équipage et peut atteindre une vitesse de 20 nœuds.

12 Navires construits sur des plans identiques par l’arsenal de Cherbourg et lancés respectivement en 1897 et en 1898.

« Lorsque je suis monté à bord, il marchait à une vitesse de 16 nœuds, mais le commandant ne voulant point arriver avant huit heures, il a du donner l’ordre de ralentir cette vitesse, de sorte que nous ne filions plus que 12 nœuds. »

Et le brave pilote nous confirme que sur l’Hela on ignorait absolument la mort de l’impératrice d’Allemagne.

Après un entretien de quelques instants ensemble, M. de Bredow, commandant de la corvette, en grand uniforme, accompagné de l’attaché d’ambassade portant des vêtements de deuil, a quitté le bord pour se rendre à la préfecture.

Lorsque ces messieurs ont pénétré dans la cour de l’hôtel, la sentinelle a porté les armes, le commandant a salué de la main.

Ils ont été reçus par M. le contre-amiral de Barbeyrac, remplissant, en l’absence de M. de Courthille 13, les fonctions de préfet par intérim.

13 Charles Félix Edgard de Courthille (1840-1903), avait été nommé préfet maritime de Brest au mois de janvier.

L’entrevue a été des plus officielles. Il est évident qu’il ne pouvait s’agir que d’une visite de simple courtoisie.

Le commandant de l’Hela et M. Franck, conduits par un gendarme de la préfecture, se sont ensuite rendus à la place de la majorité générale, puis ils ont regagné leur canonnière au port de commerce.

208 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (2/3)

Vers 11 h. ½, M. le contre-amiral de Barbeyrac, accompagné de M. le lieutenant de vaisseau Martin, son aide de camp, s’est rendu à bord de l’Hela, qui a fait les saluts réglementaires.

Un peu plus tard, l’amiral Melchior 14 se rendait, à son tour, à bord du vaisseau allemand, qui levait l’ancre à 15 h. 5 exactement.

14 Jules Bernard François Melchior (1844-1908) était alors major général de la Marine du 2e arrondissement maritime à Brest.

L’annonce du débarquement du prince Henri dans notre port avait attiré au port de commerce, au pont Gueydon, sur le boulevard de la Marine et rue de Siam de nombreux curieux.

Quelques personnes ont pris l’attaché d’ambassade pour le frère de l’empereur, et le bruit a couru, pendant quelques heures, que le contre-amiral de la flotte allemande était dans nos murs.

Inutile d’ajouter que nos concitoyens sont demeurés très corrects.

Aucun incident ne s’est produit sur le passage de l’ambassadeur et du commandant de l’Hela lors de leurs différentes visites.

A l’heure qu’il est, on ne sait pas encore si le prince Henri profitera du train spécial mis à sa disposition pour rejoindre au plus vite la cour de la Prusse.

On ne pourra être fixé à cet égard que ce matin.

En prévision de cette éventualité, M. Frank, attaché d’ambassade, et M. Crimail, ont prolongé leur séjour à Brest.

S’il faut en croire certains bruits, le commandant aurait déclaré, au cours de ses visites, qu’il ne pensait pas que le prince abandonnât son escadre, désirant la conduire lui-même en Allemagne.

« Au moment de quitter Cadix, dimanche dernier, ajoutait M. de Bredow, commandant le Hela, bien qu’avisé de l’état désespéré de l’impératrice, le contre amiral de la flotte allemande n’en est pas moins resté à son poste. »

On a donc de fortes raisons de penser que le prince poursuivra sa route à la tête de la force navale qu’il commande.

L’attaché d’ambassade s’est rendu à la gare dans la soirée, vers dix heures, où il a longtemps conféré avec M. Mazières, sous-chef, en vue des dispositions à prendre pour le cas où il serait informé de l’arrivée du prince.

M. Frank est ensuite rentré à l’hôtel Continental. Il a demandé que, dans le cas où une dépêche arriverait pour lui, on veuille bien l’éveiller, quelle que soit l’heure.

208 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (2/3)

A défaut du récit de l’arrivée du prince Henri dans le port, le rédacteur du journal, qui avait dû réserver de larges colonnes à cet événement, les fit combler par de nombreux détails sur l’escale somme toute plutôt banale de l’Héla. Toutefois, malgré les augures a priori défavorables, l’incertitude se poursuivait : le prince finirait-il par venir à Brest…

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19 novembre 2022 6 19 /11 /novembre /2022 07:55
207 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (1/3)

Le prince Henri de Prusse 1 était le frère cadet du Kaiser. Entré très jeune dans la Marine 2, il fut nommé en 1897 à la tête de la IIdivision de l’escadre de croiseurs destinée à prendre possession de la concession de Kiaou-Tchéou, placée sous l’autorité directe de la Marine allemande et non de l’administration coloniale. Il restera quelques temps dans ce territoire en qualité de commandant de l’escadre d’Extrême-Orient (Ostasiengeschwader) et participera, dans le cadre de « l’alliance de huit nations » 3, à la pacification de l’empire chinois.

1 Albert Guillaume Henri de Prusse (1862-1929) ; voir la vidéo – malheureusement en anglais –  à la fin de ce billet.

2 Voir : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2019/03/141-premiere-nuit-a-bord-d-un-navire-de-guerre-allemand.html.

3 Coalition de circonstance entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, les Etats-Unis, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et la Russie destinée à réprimer la révolte des Boxers et, plus particulièrement, à libérer le quartier des légations à Pékin.

C’est après son retour en Europe, alors qu’il commandait une escadre navigant dans l’Atlantique, que l’on apprit sur le continent l’annonce de la mort de sa mère, l’impératrice Frédéric 4. En France, le bruit se répandit alors qu’afin de ne pas perdre de temps, il se détournerait peut-être vers le port de Brest à bord du SMS Hela 5 afin de prendre un train pour l’Allemagne. Toutefois, dans le contexte des relations franco-allemandes compliquées depuis 1870, on pouvait craindre lors de son débarquement des manifestations d’hostilité à son encontre. Aussi peut-on lire en première page de La dépêche de Brest du jeudi 8 août 1901 6 un article destiné autant à calmer les éventuels manifestants qu’à rappeler certains gestes de bonne volonté du Kaiser envers la France.

4 Victoria Adélaïde Marie Louise du Royaume-Uni (1840-1901), fille aînée de la reine Victoria, avait épousé en 1858 le Kronprinz Frédéric de Prusse (1831-1888) futur empereur allemand Frédéric III.

5 Croiseur léger lancé en 1895, armé de quatre canons de 88 mm et de trois tubes lance-torpilles ; il sera coulé le 13 septembre 1914 par un sous-marin britannique lors de la bataille de Heligoland.

6 La dépêche de Brest et de l’Ouest, quotidien édité à Brest puis à Morlaix de 1886 à 1944 ; après la libération il sera remplacé par Le télégramme de Brest et de l’Ouest.

207 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (1/3)

Le croiseur Hela (photographie tirée de sa notice wikipedia).

Un navire de guerre allemand, l’aviso Hela, mouillera aujourd’hui dans notre port de guerre. Que ce navire amène ou n’amène pas le prince Henri de Prusse, contre-amiral de la flotte allemande, sa venue à Brest ne saurait, à aucun point de vue, être considérée comme une démonstration d’un caractère spécial et particulier : il s’agit tout simplement d’un de ces cas fortuits, d’une de ces coïncidences auxquels les marins ne peuvent se soustraire.

Déjà, l’année dernière, un navire allemand avait jeté l’ancre à Brest. Il y avait été reçu avec la courtoisie la plus irréprochable et personne n’avait trouvé extraordinaires les visites échangées, à ce moment, entre l’état-major de ce navire et les autorités maritimes françaises.

Il en sera de même aujourd’hui, et il serait absolument oiseux de conseiller à notre population si raisonnable, si sage et si patriotique aussi, de s’abstenir de toute manifestation déplacée. Les Allemands qui viennent chez nous doivent toujours rapporter chez eux cette impression que la France n’a rien oublié, mais qu’elle a horreur des provocations stériles et des héroïsmes de café-concert.

Si le prince Henri de Prusse, frère de l’empereur d’Allemagne, met le pied sur notre sol, ce sera pour parvenir plus tôt auprès du cercueil de sa mère, l’impératrice Frédéric, dont il ignorait encore le décès au départ de Cadix des escadres allemandes. L’hospitalité française sera rigoureusement correcte pour ce fils éploré, rien de plus mais rien de moins.

207 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (1/3)

Aussi bien cette visite rappelle-t-elle, encore une fois, l’attention sur l’état actuel des relations entre la France et l’Allemagne, après trente ans écoulés depuis les jours maudits de la grande guerre 7.

7 A cette époque le qualificatif de « grande guerre » désignait évidemment la guerre de 1870…

Vainement ont été faites des tentatives de rapprochement. Vainement la diplomatie, la littérature, la science, la musique elle-même, par l’introduction sur nos scènes des chefs-d’œuvres de Wagner, ont-elles essayé de rapprocher les deux nations. Chaque fois qu’une de ces tentatives a semblé devoir réussir, il a suffi d’un mot, d’un souvenir, d’un simple geste vers les Vosges pour que tout échouât.

Et l’on peut bien dire que, jusqu’à présent, un rapprochement complet est tenu pour impossible.

Il faut rendre cette justice à l’empereur Guillaume II qu’il comprend à merveille cette religion du souvenir à laquelle les Français sont restés fidèles depuis trente ans, malgré l’appât des avantages matériels qu’une réconciliation leur eut offert. Quand, à Bergen, au mois de juillet 1899, Guillaume II demanda à visiter l’Iphigénie 8, école d’application des aspirants de la marine française, il conserva vis-à-vis de nos officiers une attitude énigmatique. Il n’exigea point, comme on l’avait faussement annoncé, que les aspirants exécutassent des manœuvres en sa présence – ce qui eût été inconvenant. « Bien au contraire, m’écrivait alors un officier qui avait assisté à l’entrevue, l’empereur, désireux sans doute d’amoindrir l’amertume que nous devions avoir a hisser pendant sa visite du 6 juillet le pavillon impérial (et ce en vertu des règlements) a tenu, le 5, en arrivant à Bergen, à hisser le premier, au mât de misaine de tous ses navires, y compris le Hohenzollern, le pavillon français, ce qui était contraire à tous les règlements : il tenait ainsi à faire le premier pas en s’affichant. »

8 Voir : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/article-18-104248139.html.

207 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (1/3)

Le Hohenzollern en Norvège.

Le même officier, revenu à Brest, me disait quelques jours après :

– Je rapporte de Bergen cette impression nette que l’empereur a un désir intense de rapprochement, mais quelle est son idée, quels sont ses vœux ? Il n’a pas eu une allusion à la politique, ni extérieure, ni intérieure, ni à son désir de voir la France, désir réel je crois…

Et, forcément, il en sera ainsi longtemps encore. La solution pacifique du terrible problème semble s’éloigner de plus en plus. Et tant qu’elle ne sera pas trouvée, la France et l’Allemagne pourront bien se saluer du chapeau :

Il leur serait pénible de se serrer la main !

En vue de faciliter l’éventuel trajet vers le Reich du prince Henri, des dispositions furent prises tant par l’administration française que par l’ambassade d’Allemagne à Paris. Ainsi, dans son numéro du jeudi 8 août 1901 Le petit journal 9, qui avait un correspondant à Brest, notait :

9 Quotidien parisien conservateur publié de 1866 à 1944 ; en ce début du XXsiècle c’est le plus grand journal français.

Deux wagons-salons de la Compagnie de l’Ouest 10, les nos 1502 et 1503, sont arrivés ce matin, ici, avec le train no 19, venant de Paris ; ils sont conduits par M. Cremail, chef du mouvement à la direction de la Compagnie de l’Ouest à Paris, accompagné d’un inspecteur de Rennes.

10 La Compagnie des chemins de Fer de l’Ouest desservait les lignes de Bretagne et de Normandie ; déficitaire elle sera nationalisée en 1909 et intégrera alors l’Administration des chemins de fer de l’Etat.

207 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (1/3)

Schéma de la voiture salon 1502 (tirée de la page : http://roland.arzul.pagesperso-orange.fr/materiel/voitures/voitures_ouest_salons.htm).

Ces deux wagons-salons, reliés entre eux par un soufflet qui les met en communication, sont destinés au prince Henri de Prusse, commandant l’escadre allemande, qu’on s’attend à voir débarquer aujourd’hui à Brest, pour se rendre le plus rapidement possible à Kronberg 11 où, ainsi que l’a dit le Petit Journal, est morte sa mère, l’impératrice Frédéric.

11 L’impératrice était décédée au château de Kronberg im Taunus en Hesse où elle s’était retirée après la mort de son époux.

A onze heures, M. Cremail, accompagné de l’inspecteur de Rennes, s’est rendu à la préfecture maritime où il a eu une longue entrevue avec le contre-amiral de Barbeyrac Saint-Maurice, préfet maritime par intérim 12.

12 Henri Félix Sidonie Xabert de Cantobre de Barbeyrac Saint-Maurice (1842-1913) assura cet intérim de janvier à septembre 1901.

Plusieurs colis postaux urgents sont, d’autre part, arrivés ce matin en gare de Brest à l’adresse du prince Henri.

[…]

M. Frank, attaché à l’ambassade d’Allemagne à Paris, est arrivé aujourd’hui par l’express, à l’effet de recevoir le prince Henri de Prusse.

Dans l’après-midi il s’est rendu à la préfecture maritime où il a eu un long entretien avec le contre-amiral de Barbeyrac Saint-Maurice.

Cet après-midi, il est arrivé ici plusieurs télégrammes et lettres à l’adresse du prince Henri Radziwill, aide de camp du prince Henri de Prusse.

Le Hela est attendu demain matin sur notre rade, entre huit et neufs heures.

207 - Le prince Henri de Prusse à Brest ? (1/3)

Reconstitution de l’ancienne préfecture maritime de Brest sur la rue de Siam (image tirée de : http://www.wiki-brest.net/index.php/Ancienne_Pr%C3%A9fecture_Maritime_Brest).

Tout était donc prêt pour accueillir correctement le prince et faciliter son retour en Allemagne. Seules deux question restaient encore posées : quand précisément le Hela arriverait-il à Brest et le prince serait-il à son bord ? C’est ce que nous découvrirons dans les prochains billets de ce blog…

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