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23 mai 2015 6 23 /05 /mai /2015 08:15
87 - Le baptême du feu d'un carabinier

Carte postale allemande montrant les trois souverains membres de la Triplice, dont le roi Victor-Emmanuel III cachant derrière son dos un texte déchiré, avec la légende suivante : « Vous les peuples prenez note pour maintenant et plus tard, ainsi jura à la Triple Alliance le traître ».

Il y a cent ans jour pour jour l’Italie entrait dans la première guerre mondiale aux côté de l’Entente. Et pourtant, elle appartenait à la Triple Alliance avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie depuis des années ; mais, elle s’était empressée de se déclarer neutre en août 1914 puis, sans consultation du parlement, était entrée en discussion avec les Alliés. S’étant officiellement désengagée de la Triplice, elle entra officiellement en guerre le 23 mai 1915.

Parmi les mobilisés se trouvait un certain Benito Amilcare Andrea Mussolini, qui fut affecté au 11e régiment de bersagliers. Après une courte formation militaire, il rejoignit dès le 2 septembre avec son unité le Monte Nero 1 sur le front des Alpes. C’est là qu’il subit son baptême du feu.

1 Pic des Alpes juliennes culminant à 2245 mètres, près de la localité de Caporetto. Les chasseurs alpins italiens s’en étaient emparés le 16 juin 1915. Il appartient aujourd’hui à la Slovénie où il porte le nom de Krn.

87 - Le baptême du feu d'un carabinier

Une vue bucolique du Monte Nero.

Samedi, 18 septembre.

Ce matin, on nous a répartis entre les trois compagnies du bataillon. L’opération a été longue. Quelques caporaux et sergents nous ont aidés à passer le temps en nous racontant des épisodes glorieux du 11e bersagliers, pendant les premiers mois de la guerre.

Je suis désigné pour la 8e compagnie. J’ai avec moi Buscema, Morani, Tafuri. Vers le soir, nous nous mettons en mouvement pour rejoindre notre position. Au lieu de passer par la route muletière, nous escaladons, presque à pic, le coteau. Nous devons arriver jusqu’à la cote 1870. Une assez jolie altitude, comme on le voit. L’ascension nous raccourcit la route d’au moins trois heures, mais elle est fatigante, d’autant que nous n’avons pas d’alpenstock et que nous portons le sac. Les hommes des « postes de liaison » nous ont guidés. Personne n’est resté en arrière, mais quand nous sommes arrivés la nuit était déjà avancée. Avant d’atteindre notre but, nous passons près de tombes de soldats italiens. Quatre ou cinq. Je me suis baissé vers une croix de bois à peine équarri et j’ai lu :

Oscar de Lucia, sergent,

Mort le 13 septembre 1915.

87 - Le baptême du feu d'un carabinier

Timbre italien de propagande montrant un bersaglier en tenue de campagne.

Les autres croix ne portent pas de nom. Ce sont des fosses communes.

Pauvres morts, ensevelis dans ces montagnes impraticables et solitaires ! Je porte en mon cœur votre souvenir !

Nous nous sommes accroupis parmi les rochers sous les étoiles. Un officier est passé et nous a ordonné de charger nos fusils et de mettre baïonnette au canon. Personne ne doit abandonner son poste, pour quelque motif que ce soit.

A dix heures, l’action a commencé. Voilà le pan ! sec et bruyant des fusils italiens. Les fusils autrichiens jettent en hâte leur ta-poum ! Les « motocyclettes de la mort » se mettent à galoper. Leur ta-ta-ta-ta est d’une vélocité fantastique. Six cents coups à la minute. Les bombes à main déchirent l’air. Après minuit, le feu atteint une intensité infernale. Des éclairs lumineux sillonnent le ciel sans arrêt, tandis que sur toute la ligne on tire désespérément. Des averses de balles passent sur nos têtes.

‒ Couchez-vous ! couchez-vous ! nous crie-t-on.

Mais je dois me lever pour céder ma place à un blessé qui a les bras massacrés par l’explosion d’une bombe. Il me demande de l’eau, d’une voix lamentable ; mais l’ambulancier me prie de ne pas lui en donner. J’étends sur le blessé ma couverture de laine. Il fait froid. Après minuit, une formidable explosion nous met debout. Une mine autrichienne a jeté bas une partie du sommet qui est occupé par une section de la 8e compagnie. Un vaste éclair fend le ciel orageux et un fracas profond emplit la vallée. D’autres soldats légèrement blessés passent, se rendant sans aide au poste de pansement. Le feu de l’artillerie diminue. A l’approche de l’aube, il s’arrête. La première nuit de ma vie de tranchée a été pleine de mouvement et d’émotions. De bon matin, nos canons marmitent de projectiles les positions ennemies. Puis, eux aussi, les canons se taisent. Dans la vallée règne la brume. Sur la cime où nous nous trouvons, le soleil. Dans le camp, le silence lourd et plein de pensées des soldats au lendemain d’une bataille.

87 - Le baptême du feu d'un carabinier

Le carabinier Mussolini (au centre) avec des camarades de combat.

[…]

19 septembre.

Après la distribution de café, rassemblement. Le major Cassola, commandant du bataillon, nous adresse un discours de bienvenue et d’encouragement. Des paroles affectueuses et touchantes. Non loin du poste de secours, d’où nous parle le major, se trouve un blessé, avec une jambe brisée par un éclat de bombe. Visage serein. Profil délicat. Il demande une gorgée de café. Une cigarette. Puis, on l’emporte. Echange de coups de feu isolés entre les sentinelles. Nouveau rassemblement. C’est le capitaine de la compagnie, Vestrini, qui vient nous saluer. Il a la tête entourée de bandages. Cette nuit, tandis que, debout, fièrement et courageusement, il dirigeait le combat, une balle ennemie l’a frappé au visage. Par bonheur, ce n’est rien de grave. Il nous dit :

‒ Le commandant du bataillon vous a destinés à ma compagnie. Depuis deux jours vous appartenez à un régiment héroïque qui, sur ces cimes rocheuses, a accompli des actions mémorables. Ces terres, qui furent et sont nôtres, nous les avons conquises. Non sans les arroser de sang. Cette nuit encore, une maudite mine autrichienne a enseveli un grand nombre de mes bersagliers, mais les ennemis l’ont chèrement payé. Nos mitrailleuses, ainsi que vous vous en êtes rendu compte, ne sont pas restées inactives. Vous êtes ici occupés à remplir le plus sacré et le plus rude des devoirs qu’un citoyen puisse avoir à remplir envers la patrie. Mais je compte sur vous. Vous êtes des hommes déjà trempés par les luttes de l’existence. Quand vous serez amalgamés aux anciens et entraînés avec eux, vous serez animés du même enthousiasme et de la même volonté de vaincre. Vous trouverez en moi non seulement un chef, mais un père, mais un frère. Chaque fois que je pourrai vous être agréable, je le serai. Ayez confiance en moi. Mes meilleurs vœux !

Le capitaine a fini. Ses paroles, franches et émues, sont descendues jusqu’au fond de nos cœurs. C’est un homme qui inspire une grande confiance et une grande sympathie. Un lieutenant fait un pas en avant et s’écrie :

‒ Bersagliers de la huitième compagnie, un hourra pour le capitaine Vestrini !

‒ Hourra ! Hourra ! Hourra ! répétons-nous à grands cris.

Les brancardiers sont maintenant occupés à ramasser les cadavres des soldats tombés la nuit dernière. Six, jusqu’à présent. On les dépose sur les bords de la route muletière, en attendant qu’ils soient identifiés et ensevelis. Il y a parmi eux un magnifique gars des Abbruzes dont j’avais fait la connaissance hier. Il a la tête enveloppée dans un morceau de tente. Les morts sont couverts. On ne voit que les mains rigides, noircies par la boue des tranchées. Les anciens passent sans regarder.

87 - Le baptême du feu d'un carabinier

Sentinelle italienne sur le front des Alpes.

J’ai noté – avec plaisir, avec joie, – qu’entre officiers et soldats règne la plus cordiale camaraderie.

La vie de risques incessants lie les âmes. Plus que des chefs, les officiers m’apparaissent comme des frères. C’est beau. Tout le formalisme disciplinaire de la caserne est aboli. L’uniforme aussi est presque supprimé. Il est défendu, même dans les abris de porter le béret en forme de fez. Disparu, le panache traditionnel au chapeau. A la place, se sont des casques en laine, que les soldats parent artistiquement d’une petite étoile. On peut parler avec un officier, sans être obligé de se figer au garde à vous. C’est difficile, en montagne, de se tenir au garde à vous… 2

2 Benito Mussolini Mon journal de guerre (Editions du cavalier ; Paris) pp. 29-29.

87 - Le baptême du feu d'un carabinier

Au cours de ce conflit, le futur dictateur qui n’était alors qu’un journaliste interventionniste ayant rompu en 1914 avec le socialisme pacifiste, fit son devoir très honorablement. Il saura plus tard mettre en scène habilement cette période de sa vie pour se faire connaître et monter les marches du pouvoir.

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Le carabinier Mussolini sur le front (photographie parue dans Il Secolo Illustrato du 26 décembre 1930).

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