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1 mai 2017 1 01 /05 /mai /2017 16:49
116 - Jours de Chine

Vignette allemande de propagande : « Pensez à Tsingtau ! »

Nous l’oublions souvent, mais l’Asie connut aussi de rudes combats au cours de la Première Guerre Mondiale. En effet, l’Allemagne possédait depuis 1898 le territoire de Kiautchou dont la capitale était le port de Tsingtau 1, base de l’escadre allemande du Pacifique et ville en plein développement. Dès l’annonce du risque imminent de guerre, l’amiral von Spee avait pris la mer avant que ses bâtiments ne risquent d’être bloqués à quai par une escadre britannique. Mais les Anglais n’étaient pas les seuls à chercher à s’emparer de Tsingtau, les Japonais lorgnant eux aussi sur ce territoire allemand. Leurs ambitions se concrétisèrent d’ailleurs assez rapidement, le Japon envoyant à l’Allemagne dès le 15 août 1914 un ultimatum exigeant sous huit jours le départ de tous les navires de la marine impériale des eaux chinoises et japonaises ainsi que la remise du territoire de Kiautchou aux représentants du Mikado… Comme l’on pouvait s’y attendre, l’Allemagne refusa d’obtempérer et la maigre garnison de Tsingtau se prépara au combat, en improvisant au mieux pour résister le plus longtemps possible. Je laisse maintenant l’aviateur Gunther Plüschow témoigner de ces efforts aussi ingénieux que désespérés.

1 Aujourd’hui Qingdao ; à l’époque on trouvait aussi les graphies Tsing-Tau et Tsingtao.

116 - Jours de Chine

Monument érigé en 1898 à Tsingtao en l’honneur de l’amiral Otto von Diederichs (1843-1918).

A Tsingtau, j’avais encore un second service à assurer, j’étais commandant de la station de ballons, mes concurrents plus légers que l’air.

Avant mon départ de Berlin, j’avais suivi un cours d’aéronautique qui consistait en un voyage en ballon libre et quelques exercices en ballon captif.

La station de ballons captifs de Tsingtau, encore récente, se composait au total de deux gros ballons de mille mètres cubes, d’une nacelle et de tous les accessoires nécessaires pour le gonflement et le service de ces ballons.

Un sous officier de marine qui avait fait un court stage d’instruction dans l’aéronautique et moi étions les seuls ayant quelques notions sur les ballons. Après avoir installé et organisé cette nouvelle station, nous en arrivâmes à nous occuper très consciencieusement et avec beaucoup de précautions du gonflement des ballons. Nous fûmes vraiment très fiers lorsque la première grosse saucisse, épaisse et rebondie, gît à terre, solidement amarrée. Alors, avec mon sous-officier, je coupai toutes les cordes et bientôt le monstre jaune oscilla doucement dans le ciel. Nous le ramenâmes à terre et, pour la première ascension, je grimpai seul dans la nacelle. J’ai bien failli alors commencer mon fameux voyage jusqu’en Allemagne car, lorsque je commandai : « Lâchez tout ! », on libéra maladroitement beaucoup trop de câble ; le ballon s’éleva verticalement d’un seul bond à une cinquantaine de mètres et tendit alors brusquement ce câble. Je pensai alors : « ça y est, il s’en va ! » Un choc énorme se produisit en effet et il s’en est fallu de peu que je ne sois lancé hors de la nacelle. Comme le câble était tout neuf, il tint bon, grâce à Dieu, et cela me servit de leçon. Je commençai alors graduellement l’instruction et l’exercice de mes hommes et bientôt, tout fonctionna comme si nous n’avions fait que cela toute notre vie.

116 - Jours de Chine

Manœuvre au sol d’un ballon captif d’observation (vignette publicitaire de la marque Josetti Juno).

Le gouvernement avait fondé de grandes espérances sur les ballons captifs. On comptait surtout qu’ils rendraient de grands services pour observer l’avance de l’ennemi et repérer son artillerie. Malheureusement cet espoir ne se réalisa en aucune façon et les craintes que j’avais manifestées au sujet de l’utilité de cette station de ballons se réalisèrent en tous points.

Bien que je me sois élevé en ballon jusqu’à douze cents mètres, nous n’avions pu parvenir à voir au delà des hauteurs qui se trouvaient devant nos positions fortifiées et, par suite, à observer les mouvements de l’ennemi, ni surtout à repérer les positions de son artillerie lourde.

Cela aurait pourtant été d’une importance capitale pour la défense de Tsingtau.

Pour faire comprendre la situation délicate dans laquelle nous nous trouvions à Tsingtau, quelques explications sont nécessaires.

116 - Jours de Chine
116 - Jours de Chine

Maquette de Tsingtau au moment du siège donnant une bonne idée du relief de la péninsule (photographie tirée du site https://www.dawn.com/news/1142752).

Tout le territoire de Kiautchou consiste en une étroite langue de terrain, à l’extrémité de laquelle se trouve la ville de Tsingtau. Entourée de trois côtés par la mer, la ville est bordée au nord-est par une chaîne de collines en demi-cercle, les monts Moltke, Bismarck et Iltis, qui va, elle aussi, de la mer à la mer. Notre position principale de résistance était placée sur ces montagnes ; et, au pied de la chaîne, dans la partie nord-est, se trouvaient nos cinq ouvrages d’infanterie protégés par des fils de fer barbelés. Au-delà, s’étendait une large vallée traversée en partie par le fleuve Haïpo ; puis, se présentant également de demi-cercle de la mer à la mer, la série de collines dangereuses pour nous de Kuschan, de Waldersee et du Prince Henri, ces dernières d’une structure si sauvagement romantique qu’elles semblaient directement tombées de la lune. Derrière ces hauteurs aboutissait une large vallée au-delà de laquelle les masses rocheuses et escarpées du Lau-Hou Schan, du Tung-Liu-Schui et du Lauschan s’élevaient vers le ciel.

Comme il nous importait avant tout de savoir ce qui se passait au-delà de la zone neutre et qu’à partir du 27 septembre nous fûmes complètement enfermés derrière les barbelés, comme il fallait voir aussi où l’ennemi installait son artillerie de siège et que nous avions dû depuis longtemps renoncer pour cela aux espérances que nous avions mises dans notre ballon captif, il ne nous restait, pour atteindre notre but, que des renseignements occasionnels et brefs et… mon avion ! 2

2 L’aviateur de Tsingtau (Payot ; Paris, 1931) pp. 40-41.

116 - Jours de Chine

Carte postale allemande de propagande.

Le blocus du territoire par la 2e escadre japonaise commença le 27 août et d’importantes forces nippones, appuyées par un contingent britannique symbolique, entamèrent le siège de Tsingtau le 2 septembre. A partir de cette date, la ville, isolée du monde, était réduite à ses maigres moyens pour résister.

 

Le 5 septembre, dans la matinée, par un temps maussade, alors que le ciel était couvert de nuage très bas, nous entendîmes tout à coup le bourdonnement d’un moteur ; je sortis de la maison en courant pour voir ce que c’était : un biplan gigantesque se montrait au milieu des nuages, juste au-dessus de nos têtes. Je restai muet de stupeur, et comme fasciné, je contemplai le fantôme. Bientôt cependant les premières bombes explosèrent et je remarquai de gros disques rouges sous les ailes de l’avion. 3

3 Dès le début du siège, les Japonais disposaient du transport d’avions Wakamiya, transportant 4 hydravions Maurice Farman MF.11. De ce fait, le Japon est le premier pays au monde à avoir lancé une opération aéronavale dans un conflit.

C’était donc un Japonais !

Je dois avouer que cela me parut singulier de voir un collègue ennemi si près au-dessus de ma tête. Cela promettait des distractions pour l’avenir !

L’apparition de l’aviateur ennemi avait été pour Tsingtau une surprise particulièrement désagréable. Personne n’avait songé que les Japonais pourraient aussi avoir des avions.

Dans le cours du siège, les Japonais eurent en tout huit appareils dont quatre grands hydravions biplans que je leur ai sincèrement enviés.

En effet, pendant les semaines qui suivirent, quand ces merveilleux hydravions japonais tout neufs, gigantesques, décrivaient dans les airs des cercles autour de la ville, combien de fois ne les ai-je pas contemplés avec envie !

116 - Jours de Chine

Mise à l’eau par le Wakamiya d’un hydravion Farman (cliché tiré du site http://www.1250scale.com/1250Wakamiya.htm).

Il faut reconnaître que les Japonais volaient très bien et avec un « cran » extraordinaire.

C’est une chance qu’ils n’aient pas été aussi adroits pour lancer leurs bombes, car cela aurait été mauvais pour nous.

Les bombes d’avion japonaises, de construction récente, étaient assez grosses et avaient une force d’éclatement énorme.

Les hydravions avaient le gros avantage de pouvoir amerrir très loin sans risquer d’être dérangés par nous et sans tenir comte de la direction du vent. Ils avaient devant eux autant d’espace qu’ils pouvaient en désirer. Lorsqu’en toute sécurité ils avaient atteint leurs trois mille mètres, ils arrivaient au-dessus de nous et se moquaient de nos shrapnells et de nos mitrailleuses.

Le hangar de mon avion était un des principaux buts du bombardement ennemi.

Cela devint bientôt si dangereux pour mon avion qu’un certain soir, je le déménageai et je résolus de tromper mes collègues ennemis.

Mon véritable hangar se trouvait à l’extrémité nord du terrain ; on pouvait très facilement le voir d’en haut et, bien entendu, les Japonais l’avaient repéré. J’édifiai alors en cachette, à l’autre extrémité du terrain, un nouveau hangar que j’appuyai à un contrefort de la montagne ; je le camouflai avec de la terre et de l’herbe, de telle sorte que, d’en haut, il était impossible de rien distinguer. Puis, avec beaucoup de ruse, nous construisîmes un faux avion en employant des planches, de la toile à voile et du fer-blanc ; vu d’en haut, cela ressemblait à s’y méprendre à mon Taube. Ainsi, le tour était joué et les aviateurs ennemis pouvaient revenir.

Un jour, les portes de mon ancien hangar étaient ouvertes et mon faux avion visiblement installé devant, sur une belle herbe verte. Un autre jour, les portes étaient fermées et l’on ne voyait rien. Ou bien encore, cet avion se trouvait à un autre endroit de la prairie où il se détachait particulièrement bien et cela continua ainsi. Les aviateurs ennemis arrivaient ; ils lançaient bombes sur bombes et s’efforçaient d’atteindre cet oiseau innocent.

Nous, au contraire, pendant ce temps-là, nous étions installés avec notre véritable avion de l’autre côté du terrain, bien protégés par la toiture et nous nous tenions les côtes à force de rire en voyant les bombes poursuivre leur pauvre victime.

Un certain jour où, de nouveau, pas mal de bombes étaient tombées, je ramassai un bel éclat ; j’en confectionnai une carte de visite sur laquelle j’écrivis : « Toutes mes meilleures salutations aux collègues ennemis. Pourquoi lancez-vous des choses si dures ? Vous pourriez nous crever les yeux. Cela ne se fait vraiment pas ! »

J’emportai ce message à une sortie suivante et je le laissai tomber sur la base des hydravions japonais. 4

4 Le Wakamiya, après avoir heurté une mine le 30 septembre, fut contraint de se retirer pour être réparé pendant une semaine. Au cours de cette période, ses hydravions furent débarqués et une base aéronavale improvisée fut installée dans le petit port de Shazikou situé de l’autre côté de la baie de Tsingtau.

C’était l’annonce de ma prochaine visite.

116 - Jours de Chine

L’artillerie lourde japonaise devant Tsingtau (photographie extraite d’un journal de l’époque).

Sur ces entrefaites, un homme du dépôt d’artillerie avait confectionné des bombes à mon intention. Elles étaient superbes : des boîtes de fer-blanc de deux kilos sur lesquelles on pouvait lire : « Sietas, Planbeck and Co, excellent café de Java, » remplies de dynamite, de clous de sabots et de morceaux de fer. La partie inférieure était munie d’une pointe de plomb, la partir supérieure d’un détonateur constitué par une petite pièce de fer pointue qui, au moindre choc, frappait la capsule d’une cartouche et faisait ainsi exploser la bombe. Ces objets me paraissaient assez peu rassurants ; je les traitais comme des personnes très susceptibles et j’étais toujours enchanté une fois que je m’en étais débarrassé. Une fois, j’ai atteint un torpilleur, mais la bombe n’éclata pas ; plusieurs fois, j’ai été sur le point de toucher un transport ; une autre fois, d’après les nouvelles japonaises, j’aurais lancé une bombe au milieu d’une colonne et envoyé ainsi une trentaine de jaunes chez Hadès.

Dans une autre occasion, je fus particulièrement furieux : j’étais parti de grand matin reconnaître le camp de nos chers voisins et je me proposais d’ajouter mon excellent café de Java à leur petit déjeuner. La bombe tomba, d’après les rapports anglais, sur la tente qui leur servait de cuisine comme sur un tremplin, si bien qu’elle rebondit sans éclater.

Bientôt, j’abandonnai le plaisir des bombardements ; étant seul j’avais bien assez à faire. Les résultats ne compensaient pas le temps ainsi perdu à lancer des bombes. 5

5 L’aviateur de Tsingtau pp. 59-62.

116 - Jours de Chine

Barbelés et position défensive allemande à Tsingtau.

Par sa vaillance, la petite garnison de Tsingtau fit la fierté de l’Allemagne. Si bien qu’elle reçut par radio un message de félicitation du Kaiser destiné autant à la féliciter qu’à maintenir son moral alors qu’elle était engagée dans un combat sans issue.

Le 27 octobre fut pour nous un jour de joie. Nous reçûmes de Sa Majesté l’Empereur le télégramme suivant :

« Avec moi, tout le peuple allemand a les yeux fixés avec fierté sur les héros de Tsingtau qui, fidèles à la parole de leur Gouverneur, remplissent leur devoir. Soyez tous assurés de ma reconnaissance ! »

à Tsingtau, cela fit battre tous les cœurs. Notre grand chef n’oubliait pas son fidèle petit détachement d’Extrême-Orient.

Chacun se promit de nouveau en lui-même de combattre, de remplir son devoir jusqu’au bout pour que l’Empereur pût être content de lui. 6

6 L’aviateur de Tsingtau p. 72.

116 - Jours de Chine

Une pièce d’artillerie du fort Iltis mise hors de combat par les tirs japonais.

Mais l’héroïsme ne fait pas tout et le vieil adage militaire qui veut que Dieu soit pour les grands bataillons contre les petits s’est encore vérifié dans ce coin de Chine : la dernière ligne de défense ayant été percée, Alfred Meyer-Waldeck, gouverneur du territoire, capitula le 7 novembre 1914.

La courte présence allemande en Chine a cependant laissé quelques souvenirs. Ainsi, les spectateurs des épreuves nautiques des jeux olympiques d’été de 2008 ont pu se rendre compte qu’un certain nombre de bâtiments édifiés à l’époque de la concession, avec leur style si caractéristique, existent toujours. De plus un autre symbole germanique produit sur place continue d’avoir beaucoup de succès…

116 - Jours de Chine
116 - Jours de Chine

Photographie récente de l’un des canons allemands ayant défendu Tsingtau (extraite du site http://www.japantimes.co.jp/news/2014/11/09/asia-pacific/politics-diplomacy-asia-pacific/echoes-of-wwi-battle-in-china-resonate-over-japan-ties/#.WP4trcakLIU).

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S
Le chant de Tsingtau <br /> <br /> D' Edgar Steiger né le 13. novembre 1858 à Egelshofen/Suisse - mort le 23./24. octobre 1919 à Munich/RFA<br /> <br /> Personne ne les avait appelés,<br /> Mais tous étaient là.<br /> Même pour ceux qui ont fait de tels miracles,<br /> Cela ressemblait à un rêve ce qui s'est passé la-bas !<br /> <br /> Une Allemagne unie loin à l’est.<br /> Il a dû mourir,<br /> à son poste, cet homme du commun,<br /> Comme sur la Vistule et le Rhin !<br /> <br /> Allez, lâches voleurs !<br /> Il nous faut crever l’oeil bridé qui observe.<br /> Ici, pleuvront les durs coups allemands,<br /> Tant que l'un de nous sera encore debout.<br /> <br /> Ce que le sang allemand a fondé sur le globe,<br /> Qu’il soit d'abord nourri de ce sang allemand,<br /> Avant qu'une meute de chiens jaunes<br /> A notre table, se sente à l'aise !<br /> <br /> Peut-être que cela te viendra à l'esprit, bien que caché.<br /> Une fois que le dernier d'entre nous tombera,<br /> Avec des voleurs mongols entraînés.<br /> On ne conquiert pas un monde.<br /> <br /> Je sais que sans rougir.<br /> Vous vous monterez sur nos cadavres,<br /> Vous qui n’avez pu nous tuer,<br /> Que parce que nous vous l'avons auparavant enseigné !
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