Banquet en l’honneur du mariage de la princesse Victoria-Louise avec le prince Ernest-Auguste de Hanovre.
A la différence de bien des hommes politiques de son temps – que l’on songe simplement à Bismarck ou à Winston Churchill – le Kaiser fut toujours un consommateur très modéré d’alcool. Dès sa jeunesse, il s’est ainsi montré d’une grande sobriété, à la différence de nombres de ses homologues étudiants de la corporation des Borusses, comme il le souligne dans ses mémoires.
Au côté sombre appartenaient les fortes beuveries et, dans ce domaine, j’ai fait alors et plus tard tout mon possible pour freiner cette mauvaise habitude ; il y a lieu d’espérer que le mouvement sportif qui gagne maintenant l’Allemagne va en faire disparaître les derniers vestiges. Je n’étais moi-même pas membre actif, mais seulement « Konkneipant » 1 et je reçus le ruban seulement lorsque je quittai l’Université. J’ai pris part aussi (comme précédemment) aux exercices d’escrime, mais non aux « mensur 2 ». 3
1 « Buveur honoraire ».
2 Duels au sabre au cours duquel les étudiants cherchaient à balafrer leur adversaire.
3 Souvenirs de ma vie (1859-1888) (Payot ; Paris, 1926) pp. 185-186.
Le Kaiser se désaltèrant au début de la guerre.
Plus tard, lorsqu’il fut monté sur le trône, le Kaiser continua de désapprouver la consommation excessive d’alcool, n’hésitant pas à blâmer de façon peu diplomatique cette habitude prêtée aux Anglais, ainsi que le rapporte miss Topham.
Je suis placée à table à l’une des extrémités, entre le gouverneur et le tuteur du prince Joachim. L’Empereur et l’Impératrice se font vis-à-vis, tandis qu’à leur droite et à leur gauche les invités, entremêlés avec les dames et les messieurs de la Cour, prennent les places libres. Un valet de pied portant la livrée impériale, qui comporte des guêtres peu seyantes, est posté derrière chaque convive ; derrière la chaise de l’Empereur se tient son « Jäger » en uniforme vert, qui pourvoit à tous ses besoins. Du vin blanc et rouge ainsi que du champagne sont servis aux convives, mais l’Empereur et l’Impératrice s’en abstiennent et ne boivent que du jus de fruit. Guillaume est un adversaire résolu de l’alcool et il prêche l’exemple.
« Vous autres Anglais, me dit-il un jour, vous buvez de ces abominables drogues : whisky, soda et tant d’autres ! Comment pouvez-vous absorber en telles quantités tous ces poisons qui ruinent la santé ? J’ai goûté une fois du whisky, c’est du feu liquide, pouah ! Ces habitudes de boire sont terribles ! »
Il me réprimandait pour nos défauts nationaux en levant le doigt et la figure sérieuse. J’essayais timidement de soutenir que nous buvions encore plus qu’il n’était nécessaire, mais que cependant les statistiques constataient que ce mal diminuait d’année en année et que nous devenions plus sobres, la preuve en était dans la diminution des crimes dus à l’ivrognerie. Mais Sa Majesté accordait plus de crédit à ses propres observations qu’aux statistiques ; il continuait à secouer la tête d’un air sceptique, me menaçant du doigt comme si j’en étais personnellement responsable. 4
4 Souvenirs de la cour du Kaiser (Delagrave ; Paris, 1915) pp. 28-29.
Et le Kaiser garda ses habitudes même après son départ pour les Pays-Bas, comme en témoigne le prince Louis-Ferdinand : « Contrairement à la plupart de ses invités, mon grand-père était un mangeur et un buveur extrêmement modéré » 5 et « Le seul luxe que l’Empereur se permettait était un demi-verre de Bourgogne scintillant » 6.
5 Le prince rebelle (André Martel ; Givors, 1954) p. 192.
6 Idem p. 193.
Inauguration du Kaiser Wilhelm Canal le 20 janvier 1895.
C’est donc avec beaucoup de surprise que j’ai découvert sur internet (https://cocktail101.org/2012/01/10/the-kaiser-and-cocktails/) un article du New York Journal prétendant rapporter des faits intervenus lors des cérémonies d’inauguration du canal de Kiel en janvier 1895. Je vous livre donc ma traduction de ce texte.
A la fin des cérémonies, l’empereur Guillaume se rendit sur les différents navires et notamment sur le bâtiment américain commandé par le commandant Evans 7. Les saluts officiels furent rendus et Bob le Côgneur invita l’empereur à un repas américain au carré des officiers. Guillaume accepta l’invitation avec un plaisir évident, et à l’heure réglementaire l’hôte et son invité impérial s’assirent avec les autres officiers et le repas commença.
7 Robley Dunglison Evans (1846-1912), surnommé Bob le Côgneur (Fighting Bob) ; avait commencé sa carrière navale lors de la guerre de sécession. Il participa ensuite à différentes démonstrations navales en Amérique du sud puis à la guerre hispano-américaine, avant de prendre le commandement de la flotte d’Asie puis de celle de l’Atlantique nord. De 1907 à 1909, il mènera la flotte américaine baptisée Grande flotte blanche (Great White Fleet) du fait de la couleur de ses coques dans son périple autour du monde. En 1902, il avait été choisi par le président Roosevelt pour accompagner le prince Henri de Prusse, frère du Kaiser, lors de son voyage aux Etats-Unis.
Le premier délice servi fut un cocktail américain que l’empereur huma et agita avec une lueur de joie dans les yeux.
« Excellent » s’exclama-t-il pour marquer son contentement à Bob le Côgneur. « Un « kochtael » dites-vous ? Délicieux ! Humph 8 ! » Le diner allait commencer.
8 Ne sachant pas comment traduire l’onomatopée « Humph » en français, j’ai donc gardé l’original…
Peu après l’empereur poussa du coude un lieutenant assis à côté de lui et, se penchant vers lui, lui murmura quelque chose en se cachant avec la main.
« Ce n’est pas possible » répondit le lieutenant, « le commandant ne le permettra pas, il respecte trop la tradition ».
« Mais il devrait le faire » chuchota l’empereur en connaissance de cause.
Guillaume retourna l’idée dans son esprit et se décida enfin à prendre le taureau par les cornes.
« Commandant Evans, » s’exclama-t-il tout à coup au milieu du repas, « j’ai une proposition à vous faire. Une proposition dont je ne doute pas qu’elle soit acceptable pour nous tous. »
« Votre Majesté » répondit Bob le Côgneur « quel est votre désir ? Nous l’écoutons respectueusement. »
« Je propose » reprit Guillaume, en tordant nerveusement ses moustaches « que nous buvions un autre de ces cocktails américains avant de poursuivre de délicieux repas ».
« Impossible, Sire, » répondit poliment le commandant Evans « les usages américains ne permettent d’en boire qu’un par repas. Mille pardons, mais je dois respecter la coutume. A votre santé, avec du vin… »
Guillaume accepta la loi d’airain de son hôte et les verres de fin furent remplis de nouveau.
(…)
Plus tard dans la soirée, le commandant Evans permit à ses invités de retourner encore une fois aux séduisant cocktails américains et ce ne fut qu’au petit jour que l’empereur de tous les Allemands monta à bord de son propre canot pour retourner à bord du yacht impérial.
Plus tard dans la journée, à la tombée du jour, le capitaine Evans fût dûment informé – alors qu’il s’était déjà mis au lit – que le canot personnel de l’empereur se mettait à couple et que l’empereur lui présentait ses respects et demandait un autre « kochtael ». Bob le Côgneur s’habilla en hâte, monta sur le pont, retira sa casquette et fit un bref salut. Le Kaiser était manifestement en bonne forme après ses fréquentes dégustations du grand « remontant » américain.
« Commandant, » dit l’empereur en faisant un mégaphone de ses mains, « vous autres Américains commencent avec la plus grande rapidité, mais je pense que nous autres Allemands tenons mieux la distance. »
Sur quoi Sa Majesté est de nouveau monté à bord et bien d’autres cocktails américains furent offerts par Bob le Côgneur.
L’empereur est resté debout toute la nuit.
Carte postale commémorant la visite du prince Henri aux Etats-Unis.
L’anecdote paraît suspecte si l’on veut bien faire crédit aux témoignages cités plus haut. De plus, c’est le prince Henri de Prusse, frère cadet du Kaiser, qui lors de sa visite de 1902 aux Etats-Unis fut « honoré » d’un cocktail à son nom par l’hôtel Waldorf Astoria :
1,5 oz 9 de gin
1,5 oz de vermouth sec
un trait de liqueur de menthe
un trait d’orange amère
1 rondelle de citron
9 Mesure américaine correspondant à 29,5 ml.
La sobriété impériale (du moins en matière de boisson…) était d’ailleurs suffisamment connue de ses loyaux sujets allemands pour qu’une société de tempérance allemande se réclame de son patronage pendant la première guerre mondiale.
« La nation qui s’en tient à la quantité minimale d’alcool remporte la victoire ! »
Kaiser Guillaume II (21 nov. 1910)
A mon glorieux empereur, qui pour nous fut toujours un exemple,
j’apporte volontairement et avec enthousiasme une offrande,
par amour pour lui dont le but suprême est notre bien,
je renonce à l’alcool mortifère.
Je ne veux plus boire une goutte, j’en fais aujourd’hui le serment
jusqu’à ce que la Paix fasse son entrée au son sacré des cloches,
jusqu’à ce que les célébrations de la victoire emplissent villages et villes,
jusqu’à ce que moi-même je rende la fiche de rappel.
Et ce que j’ai promis : mon nom s’en porte garant face au monde.
Où serait un Allemand qui aurait l’ignominie de ne pas tenir sa parole ?
à renvoyer seulement en cas de cessation de l’abstinence à
Association allemande des femmes abstinentes, c. V.
Dresden A., 22 rue de Leipzig
Sauf communication d’une autre adresse.
Cuvée spéciale pour le 300e anniversaire du royaume de Prusse…
Une nouvelle fois, je me dois de remercier Franck Sudon pour ses traductions.