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14 août 2017 1 14 /08 /août /2017 09:11
119 - Blessure d'un général

Berthold von Deimling (photographie de la couverture de ses Souvenirs).

Un des clichés les plus solidement ancrés dans les esprits à propos de la première guerre mondiale est celui de généraux bornés envoyant leurs hommes à la mort depuis les châteaux leur servant de PC. C’est toutefois oublié que nombre d’entre eux sont morts au combat ou des suites de leurs blessures : ainsi, entre 1914 et 1918 ce n’est pas moins de 78 généraux britanniques, 70 généraux allemands ou 42 généraux français qui trouvèrent la mort ; sans compter tous ceux qui furent plus ou moins grièvement blessés…

Ne faisant pas encore tourner les tables, c’est donc le récit de l’un de ces généraux blessés que je vais aujourd’hui vous proposer. Nous sommes le 31 octobre 1914 et le général Berthold von Deimling (1853-1944), chef du XVe Corps, se rend chez l’un de ses deux commandants de division.

 

L’état-major de l’armée ordonna qu’on poursuive les tentatives de percée. Le lendemain matin, de bonne heure, je vais à la 30e division, pour m’entretenir avec son chef, le très distingué général Wild von Hohenborn 1, des détails de l’attaque sur Gheluvelt, et fixer les modalités d’une action commune avec le corps d’armée qui nous touche au Nord.

1 Adolf Wild von Hohenborn (1860-1925) sera ministre de la guerre de Prusse du 21 janvier 1915 au 29 octobre 1916, poste dans lequel il s’opposera régulièrement à Hindenburg.

119 - Blessure d'un général

Un canon de campagne anglais Ordnance QF de 18 livres en batterie.

A proximité du poste de combat de Hohenborn, au carrefour des routes à l’Est de Gheluvelt – on lui donna par la suite de nom de « Deilmlingseck », le coin à Deimling – je fus obligé d’abandonner mon auto, que de nombreux projectiles avaient mis hors de service. Je gagne à pied l’abri du général, et commence tout juste à m’entretenir de la situation quand, par surprise, le feu de l’artillerie ennemie s’abat sur le croisement de routes. Un des premiers shrapnells m’envoie une balle dans la hanche gauche et m’étend de tout mon long. D’Ypres, les obus balayent toute la largeur de la chaussée, qui, en quelques secondes, est complètement vide. Je me traîne péniblement dans un petit fossé qui se peuple rapidement. En bons camarades, les uns près des autres ou les uns sur les autres, nous restons un bon quart d’heure à plat ventre dans ce trou humide. De ma main, je tâte ma tunique qui dégoutte de sang. Enfin l’artillerie ennemie cherche une autre cible. Un sergent m’offre son aide et me soutient pour me conduire tout près, au poste de secours, installé dans une maison déchiquetée par les obus. La pièce est comble de blessés : on crie, on soupire autour de moi. Des râles rauques de mourants. On amène sur des civières, par la porte basse, toujours de nouveaux monceaux d’hommes ensanglantés. Un médecin-major bavarois, avec un calme inébranlable, s’acquitte de ses fonctions. Toutes les deux minutes un obus s’abat dans la ferme et fait voler les plâtres des murs et des plafonds. Dans une terreur folle des blessés poussent des cris. Le médecin me reconnaît et m’interroge du regard. « J’attendrai mon tour », dis-je à voix basse. Des yeux il me fait un signe de remerciement et continuer à tailler, à faire des piqûres, à panser, à distribuer les injures ou des paroles d’encouragement. Il est tout pénétré de sa mission : sauver tout ce que la guerre lui laisse sauver. A mon tour, il me met un pansement provisoire.

En même temps que le commandant de la brigade d’artillerie, blessé lui aussi, une auto nous amène sous une grêle de shrapnells anglais, à Werwicq, où est installé mon quartier général. Le médecin général de mon corps d’armée s’empare aimablement de ma personne, en même temps que le célèbre chirurgien, le docteur Sauerbruch. Puis on me fourre au lit. Vers midi la nouvelle m’arrive que la 30e division a pris Gheluvelt et que l’attaque de la 39e progresse vers Zillebeke.

119 - Blessure d'un général

Le Kaiser en voiture.

Tout à coup dans la rue retentissent les quatre notes d’une trompe d’auto : « Ta-ti-ta-ta ! » Mon ordonnance, qui n’a rien des manières d’une sœur infirmière, entre à grand fracas dans ma chambre et m’annonce la visite de l’empereur. Celui-ci entre en compagnie de son vieil aide de camp général, von Plessen. Il s’assied près de mon lit, s’informe de ma blessure et de l’action menée par mon corps d’armée. Puis l’empereur me parla des autres théâtres d’opérations. Je fus alors surpris de la confiance qu’il montrait en parlant de notre situation générale.

Pendant que l’empereur était encore avec moi, des aviateurs ennemis tournèrent en rond au-dessus de Werwicq et lancèrent des bombes destinées à la réserve de corps d’armée, qui se tenait à proximité immédiate de la ville.

En partant, l’empereur m’accorda, comme je le lui demandais, de garder, malgré mes blessures, le commandement de mon corps d’armée. Dix jours après, j’étais assez bien remis pour marcher, en boitant et en m’aidant d’une canne, et pour pouvoir me rendre en voiture au poste de commandement de Tenbrielen. 2

2 Général Berthold von Deimling Souvenirs de ma vie (du temps jadis aux temps nouveau) (Editions Montaigne ; Paris, 1931) pp. 213-217.

119 - Blessure d'un général

Troupes allemandes au bivouac.

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