Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 juin 2020 5 19 /06 /juin /2020 14:13
161 - Lutte contre la traite négrière

Marins et soldats coloniaux allemands (tiré de : http://adhemar-marine.blogspot.com/2009/06/uniformes-marins-et-coloniaux-la-fin-du_02.html).

Des événements récents ont rappelé à la mémoire collective le phénomène de l’esclavage qui, loin de se limiter à telle ou telle nation, a été depuis la plus haute antiquité le lot de toutes les sociétés. Dans le courant du XIXe siècle, les puissances européennes commencèrent par lutter contre la traite négrière puis finirent par abolir l’esclavage dans toutes leurs possessions (même si certaines formes de colonialisme pouvait être assimilé à de l’esclavage).

Ainsi, à la fin des années 1880, le jeune Gustave Steinauer (que nous avons déjà eu l’occasion de voir remplir des missions de renseignement ou de protection de Kaiser), alors affecté comme matelot dans la marine impériale, prit part à la répression de la traite négrière dans le cadre de la lutte conjointe menée par les Allemands et les Britanniques contre des rebelles arabes au large de l’Afrique orientale. C’est donc son récit, reflétant les préjugés de son époque, que je vous propose.

161 - Lutte contre la traite négrière

Carte de Zanzibar et de l’Afrique orientale allemande.

L’Afrique avait toujours été le pays de mes rêves et de ma nostalgie. Lorsque je touchai, pour la première fois, le sol africain, je me crus au septième ciel. Cette illusion dura assez longtemps mais le climat et le mal du pays ayant affirmé leurs droits, nous attendîmes avec impatience le jour du retour. Pendant trois ans, pour défendre les intérêts allemands en Afrique Orientale et Occidentale, nous avions supporté les plus grandes fatigues, une mauvaise nourriture et, exposés à la fièvre jaune et autres maladies pernicieuses, nous nous étions battus avec les nègres. Nous avions été particulièrement éprouvés au cours des derniers mois de service. L’amiral Deinhardt, notre chef suprême 1, ne nous accordait aucun repos, il exploitait le soldat jusqu’au sang. A cette époque, unis aux Anglais, nous faisions la guerre aux Arabes rebelles 2.

1 Karl August Deinhardt (1842-1892) dirigea de 1888 au début de l’année1890 le blocus de la côte d’Afrique orientale.

2 En 1888-1889, l’Allemagne alliée au Royaume-Uni combattit les populations arabes de la côte orientale de l’Afrique en guerre contre l’administration coloniale allemande dans le cadre de ce que l’on a baptisé « révolte d’Abushiri ».

161 - Lutte contre la traite négrière

Le contre-amiral Deinhardt (portrait tiré de sa notice biographique sur wikipedia.de).

Notre tâche consistait à couper le transport des vivres destinés aux Arabes 3 et à empêcher la traite des noirs. C’est dans ce but que nous bloquions la côte au sud de Zanzibar jusqu’à Madagascar. Nous avions un simple cotre dont l’équipage se composait d’un officier, de deux sous-officiers, de dix hommes et d’un interprète mulâtre. Nous quittions le navire de guerre auquel nous étions attachés ayant, à l’avant du cotre, une mitrailleuse, et tous armés de fusils et de revolvers. Nous étions souvent six semaines en route, livrés à nos propres ressources. Un soleil brûlant et des pluies torrentielles se succédaient continuellement. Pendant le jour, nous n’étions vêtus que de caleçons de bain et la nuit nous devions nous enrouler dans de chaudes couvertures.

3 Depuis le Moyen-Age les Perses s’étaient installés en Afrique orientale. En dépit des efforts de colonisation des Portugais, Zanzibar passa sous le contrôle des Omanais à partir de 1698.

Nous avions fait la chasse à de nombreux voiliers arabes et souvent des centaines de sacs de riz, d’oranges et autres marchandises passaient impitoyablement par-dessus bord. Parfois, sur ces voiliers il y avait jusqu’à cent personnes : de sombres gaillards, prêts à tout et qui n’auraient pas mieux demandé que de nous faire rôtir pour nous manger. Par bonheur, notre mitrailleuse les tenait en échec.

161 - Lutte contre la traite négrière

Equipage d’un boutre à la fin du XIXe siècle (tiré de : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01530897/document).

Dès qu’un navire arabe était en vue, on l’invitait, par quelques coups tirés à blanc, à s’arrêter ; s’il n’obéissait pas immédiatement à notre invitation, nous tirions effectivement et les éclats de bois du grand mât, les trous dans les voiles, parlaient un langage plus énergique. Quand ils avaient, enfin, en grinçant des dents, obéi à nos ordres, nous nous approchions à une dizaine de mètres et notre interprète invitait le capitaine à rassembler sur le pont d’avant toutes les personnes qui se trouvaient à bord. Ensuite, rapides comme l’éclair, nous grimpions sur le voilier, en caleçons de bain, fusil en bandoulière et le revolver au poing. Notre cotre était placé de telle façon qu’à chaque instant le pont d’avant fût sous le feu de notre mitrailleuse. Puis le capitaine devait montrer ses papiers et faire ouvrir les écoutilles. Si la cargaison comprenait de la contrebande, c’est-à-dire des vivres, nous obligions le capitaine et son équipage à la jeter, de leurs propres mains, par-dessus bord. Bien souvent, la mer était couverte à une centaine de mètres d’oranges, de bananes et d’autres fruits méridionaux. Les Arabes exécutaient nos ordres en grinçant des dents car nous étions derrière eux, revolvers au poing, prêts à faire feu. Si les regards et les malédictions pouvaient tuer, aucun de nous ne fût resté vivant.

161 - Lutte contre la traite négrière

Vignette publicitaire montrant l’interception d’un boutre par le croiseur Schwalbe.

Une de nos principales tâches au cours du blocus était de faire prisonniers les marchands d’esclaves. A cette époque ce commerce florissait encore d’une façon extraordinaire. Les Arabes attaquaient à l’improviste certaines tribus noires, enlevaient les hommes, les emmenaient sur leurs voiliers et les conduisaient en Arabie.

Nous n’avions eu qu’une seule fois la chance de nous emparer d’un de ces marchands, mais les circonstances au cours desquelles nous le fîmes captif étaient d’une telle cruauté que j’y songe aujourd’hui encore avec horreur.

Nous étions à la poursuite d’un voilier de moyenne grandeur qui ne laissa tomber les voiles que lorsque notre quatrième coup eût brisé le grand mât. Nous grimpâmes à bord où le capitaine et ses compagnons nous reçurent avec une amabilité simiesque. La perquisition ne donna aucun résultat, il n’y avait pas de contrebande et ses papiers étaient en ordre. Comme nous allions quitter le voilier, le pilote de notre cotre nous fit remarquer que deux chaînes sortaient de l’écoutille arrière.

Cette fripouille avait tout simplement enchaîné dix-huit nègres et les avait jetés par-dessus bord pour que nous ne puissions les découvrir. Après de multiples efforts nous réussîmes à en rappeler onze à la vie, les autres étaient déjà morts.

161 - Lutte contre la traite négrière

Nous étions dans une telle fureur que nous fusillâmes ceux des Arabes qui voulaient nous résister et que nous lançâmes leurs cadavres à la mer. Le capitaine et son équipage furent mis aux fers et conduits à Zanzibar où le voilier fut confisqué. 4

4 Gustave Steinhauer Le détective du Kaiser (Editions Montaigne, 1933) pp. 7-10.

L’esprit de notre époque s’étant principalement focalisé sur le trafic triangulaire des esclaves, on ne m’en voudra pas de rappeler ce que fut la traite négrière arabo-musulmane, contre laquelle lutta, entre autres, la marine impériale allemande (et accessoirement de la difficulté d’en parler sereinement).

Enfin, en guise de conclusion, je me permettrai de rapporter ici l’avis d’une de nos grandes consciences contemporaines sur cette traite – lequel illustre parfaitement les navrante dérives qu’entraîne le mélange douteux entre Histoire et Politique 5 – tout en m’interrogeant sur une idéologie qui laisserait imaginer que les fautes des parents puissent retomber sur la tête de leurs enfants pendant on ne sait combien de générations …

5 La fidélité de cette citation ayant parfois été contestée, je renvoie le lecteur à l’article de l’Express qui l’a rapportée (l’intéressée n’ayant jamais, à ma connaissance, protesté contre cet article ou la réalité de la déclaration qui lui est prêtée) : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/encore-aujourd-hui_482221.html?xtmc=taubira&xtcr=3 : https://www.lexpress.fr/actualite/societe/encore-aujourd-hui_482221.html?xtmc=taubira&xtcr=3.

161 - Lutte contre la traite négrière

Montage tiré de : https://twitter.com/publicsenat/status/860593698794590210.

Partager cet article
Repost0

commentaires

P
Bonsoir Patrick, Merci pour cette "source primaire" historique ????<br /> Si je pouvais faire du "what if", comme dise les anglo-saxons, plutôt que de mettre à la mer les cargaisons précieuses de nourriture tropicale, emprisonné les capitaines et chefs, et laisser la cargaison aux "forçats" des trafics d'êtres humains ? Et lorsque que cette vaillante équipe de marins allemands a dû quitter la zone, armer (avec des Maxim) et entraîner les nations Africaines victimes des trafics d'êtres humains ? C'est facile à dire, plus d'un siècle après, et le proverbial "si Paris pouvait être mis en bouteille" ????<br /> Merci pour ces lectures enrichissantes ! <br /> Patrick (D)
Répondre
P
Bonjour Patrick,<br /> Heureux de te lire après cette période de crise sanitaire.<br /> Un point reste mystérieux dans le récit de Gustav Steinhauer : que sont devennus les esclaves sauvés par les marins allemands ? Le récit ne donne aucune précision à ce sujet, mais il est probable qu'ils n'ont pas été poliment reconduits dans leurs lieux d'origine, mais bien plutôt débarqués en Afrique orientale allemande à charge pour eux d'y gagner leur vie.<br /> Les puissances européennes se réservaient la lutte contre la traite parce qu'il n'était pas question de laisser imaginer aux populations locales qu'elles pourraient s'armer et se défendre par elles-mêmes : le risque était trop grand pour des colonisateurs.<br /> Amicalement.

Présentation

  • : Le blog de kaiser-wilhelm-ii
  • : Ce blog est destiné à présenter des documents liés à l'empereur Guillaume II (et non Guillaume 2 comme le veulent certains idéologues qui prennent les gens pour des sots) et à son époque. "Je travaille pour des gens qui sont plus intelligents que sérieux" Paul Féval
  • Contact

Important

Sauf mention explicite, les articles sont illustrés par des pièces de ma collection.

La reproduction, même partielle du contenu de ce blog n'est pas autorisée.

Pour toute demande, n'hésitez pas à me contacter par l'onglet "qui va bien" dans la rubrique ci-dessus.

 

Recherche