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1 novembre 2020 7 01 /11 /novembre /2020 09:23
168 - La perte du Viribus Unitis

Le Viribus Unitis (illustration tirée de sa notice wikipedia).

Il y a 102 ans de cela disparaissait le Viribus Unitis, premier dreadnought de la marine impériale et royale austro-hongroise. Lancé le 24 juin 1911 à Trieste, il devait son nom à la devise personnelle du bon Empereur François-Joseph. Il transporta les dépouilles de l’archiduc François Ferdinand et de son épouse de Split à Trieste après leur assassinat. Affecté à la première division de cuirassés, il avait sa base dans le port de Pola (aujourd’hui Pula en Croatie) et croisa en Adriatique pendant toute la durée de la guerre.

A la fin du mois d’octobre 1918, devenu navire amiral de la flotte que commandait en chef l’amiral Horthy, il attendait en rade de Pola les ordres du bienheureux Empereur Charles Ier, au moment où la défaite de la double monarchie était devenue inévitable.

Le 28 octobre 1918, je reçus l’ordre de Sa Majesté de remettre la flotte au Conseil national des Slaves du Sud.

Cet ordre était accablant. L’avenir devant nous fût-il sombre et triste, il était quand même trop dur de faire cadeau, sans lutte, de notre flotte glorieuse et jamais vaincue. Aucun ennemi ne nous guettait, l’Adriatique était vide. Mais il ne me restait rien d’autre à faire que de recevoir le Comité des Slaves du Sud. L’entretien fut fixé le 31 octobre à neuf heures du matin, à bord de mon navire-amiral, le Viribus Unitis.

168 - La perte du Viribus Unitis

L’amiral Miklós Horthy (timbre hongrois de 1938).

Dans mon appartement officiel se réunirent le chef d’état-major de la flotte, le capitaine de frégate von Konek, les commandants de la deuxième et de la troisième division, les capitaines de ligne Lauffer et Schmidt, ainsi que le commandant de la seconde flottille de torpilleurs. Les représentants du comité national yougoslave étaient le docteur Tresitch-Pavitchitch, le docteur Yvo Cok et Wilim Bukseg, ainsi que quelques représentants du comité local de Pola, parmi lesquels se trouvait, à mon grand étonnement, le capitaine de frégate Method Koch.

L’entretien fut bref et froid. Le désir des Slaves du Sud d’amener le drapeau rouge blanc rouge et de hisser celui des Yougoslaves fut refusé par moi. Jusqu’à quatre heures et demie, l’heure à laquelle je quittai le port, mon drapeau de commandement, ainsi que le drapeau rouge blanc rouge, restèrent hissés sur mon navire.

168 - La perte du Viribus Unitis

Drapeau de la marine impériale et royale.

Le document suivant fut établi :

« Il a été pris acte de la remise, sur l’ordre de Sa Majesté Impériale et Royale, de la flotte austro-hongroise aux délégués légaux du Conseil National des Slovènes, Croates et Serbes, à Zagreb. La flotte impériale et royale, y compris son matériel et ses approvisionnements, est donc ainsi remise, sous réserve du faire-valoir du droit de propriété des Etats qui ne sont pas ceux des Slaves du Sud, ainsi que des nations qui constituaient jusqu’à maintenant la monarchie austro-hongroise au Comité National des Slovènes, Croates et Serbes, à Zagreb, – Pola, le 31 octobre 1918. »

Puis nous signâmes.

Le docteur Tresitch-Pavitchitch me demanda de transmettre aux officiers de marine à bord le désir du Comité national de continuer leur service aux conditions existantes. Mais en dehors des Croates et des Slovènes, personne ne resta à bord.

Je demandai à qui je devais remettre le commandement de la flotte. Mais mes interlocuteurs n’avaient pas pensé à ce problème. Je proposai ainsi mon capitaine de pavillon, de Vukovitch 1 ; cette proposition fut acceptée, avec des hésitations, bien que Vukovitch fût de nationalité croate.

1 Janko Vukovic de Podkapelski, né à Jezerane (Croatie) en 1871, était alors commandant du Viribus Unitis.

A quatre heures et demie sonna l’heure la plus triste de ma vie, jusqu’alors si heureuse. Lorsque je montai sur le pont du Viribus-Unitis, tout l’équipage du navire y était rassemblé. J’étais tellement ému que quelques moments passèrent avant que je pusse leur adresser un bref mot d’adieu. J’emportai avec moi le portrait que Sa Majesté François-Joseph avait donné au navire-amiral, qui portait sa devise : « Viribus Unitis », le pavillon d’honneur en soie, ainsi que le pavillon de commandement.

Au moment même où j’emportais le pavillon de commandement, on amena notre drapeau sur tous les navires, un drapeau qui jamais n’avait capitulé devant l’ennemi. Les officiers, dont beaucoup de Croates et de Slovènes, quittèrent après moi le navire.

C’est ainsi que tout service régulier cessa à la flotte. Les postes les plus importants restaient vacants. La lumière électrique s’éteignit. Il n’y avait plus de garde à l’entrée du port.

C’est ainsi qu’il arriva que, le lendemain matin, deux officiers italiens réussirent à entrer dans le port à l’aide d’un instrument récemment découvert, pour attacher une mine sous-marine à retardement au Viribus-Unitis. Lorsqu’ils tentèrent de gagner la côte à la nage, un sous-officier les aperçut, les fit ramener. Arrivés à bord, ils demandèrent, pleins d’excitation, à parler au commandant, auquel ils annoncèrent que la mine allait exploser dans quelques minutes 2. Le commandant de la flotte, le capitaine de ligne de Vukovitch, ordonna aussitôt l’abandon du navire. Lui-même se rendit à la passerelle de commandement et sombra après l’explosion, avec le navire-amiral. Honneur à sa mémoire.

2 Raffaelle Rosetti (1881-1951) officier de marine diplomé en mécanique navale de l’Ecole polytechnique de Milan avait mis au point une « torpille humaine » baptisée Mignatta (sangsue) et manœuvrée par deux hommes pour s’introduire discrètement dans des ports ennemis et poser des mines ventouses sur les coques des navires qui s’y trouvaient. Dans la nuit du 30 octobre au 1er novembre 1918, en compagnie de Raffaelle Paolucci s’est lui qui entra dans le port de Pola et cibla le Viribus Unitis avant d’être capturé.

168 - La perte du Viribus Unitis

La fin du Viribus Unitis (illustration tirée de https://www.naval-encyclopedia.com/ww1/austro-hungary/Tegetthoff-class-battleships).

Quelques officiers et sous-officiers qui ne purent quitter le navire à temps se sauvèrent à la nage, en abandonnant tous leurs biens. Ils me rejoignirent dans ma villa, et c’est par eux que j’appris que notre navire-amiral n’avait pas survécu à son changement de destinée. Je leur fis cadeau d’uniformes et de vêtements civils. Puis je fermai ma maison, où j’avais vécu tant de jours heureux, où mes enfants étaient nés, et lui fis un éternel adieu. Je laissai derrière moi tous les meubles, toute l’argenterie, les tapis et les tableaux. 3

3 Mémoires de l’amiral Horthy régent de Hongrie (Librairie Hachette ; Paris, 1954) pp. 84-86.

168 - La perte du Viribus Unitis

Pièce autrichienne frappée en 2006.

On notera avec intérêt la différence de ton entre le début et la fin du récit de notre narrateur. A son commencement, on ressent son désarroi et sa tristesse quant à la perte de sa flotte et sa remise à un comité national autoproclamé des slaves du sud dont un des membres, horresco referens, se trouvait être un officier de la marine impériale et royale. A la fin l’amiral Horthy ne se préoccupe que du sort des marins du Viribus Unitis, sans beaucoup se préoccuper de la perte du navire (comportement étonnant pour un marin) ; il est vrai qu’au moment de son naufrage ce n’était plus qu’un bâtiment appartenant à des gens qui pour lui ne constituait qu’un groupe de rebelles…

La disparition du Viribus Unitis 4 dont le nom symbolisait l’union des états de la double monarchie (indivisibiliter ac inseparabiliter) constituait aussi un symbole évident de l’éclatement de celle-ci en nombre d’états rivaux, éclatement dont les multiples modifications de frontières dans les Balkans depuis 1918, culminant dans les conflits en ex-Yougoslavie, constituent de navrantes séquelles…

4 Les italiens récupérèrent comme trophée une partie de sa proue ; elle est aujourd’hui exposée dans l’arsenal de Venise et arbore le pavillon de la marine austro-hongroise.

168 - La perte du Viribus Unitis

Le lecteur passionné de modélisme pourra trouver sous la marque Trumpeter une maquette du Viribus Unitis au 1/350.

168 - La perte du Viribus Unitis
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commentaires

S
Chaque cuirassé de la classe Tegetthoff possédait à l'avant trois ancres, une à babord et deux à tribord. Les trois ancres du Viribus Unitis et du Tegetthoff se trouvent en Italie (Venise, Rome et La Spezia). A chaque fois elles sont exposées par deux (Viribus Unitis et Tegetthoff). une ancre du Prinz Eugen est présentée à Saint-Raphaël. Restent donc à trouver les cinq autres ancres.
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P
Les ancres du Szent Istvan se trouvent avec l'épave du navire au large de l'île croate de Premuda. Les deux ancres manquantes du Prinz Eugen se trouvent sans doute elle aussi au fond de l'eau, au large de Porquerolles où le navire a été coulé en 1922 par les cuirassés Bretagne et France.

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