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21 décembre 2020 1 21 /12 /décembre /2020 09:33
169 - Bon baiser du Kaiser

Tout a commencé en 2003 avec la parution d’un récit écrit par Alan Judd 1 chez Harper Perennial (ISBN 0-00-712447-3) évoquant de façon romancée le séjour et la mort du Kaiser à Doorn pendant l’occupation des Pays-Bas par les nazis 2. L’intrigue tourne autour de la présence à Doorn d’un agent anglais chargé de proposer à l’empereur déchu un transfert vers la Grande-Bretagne et des liens qui se créent entre ce dernier et l’untersturmführer (sous-lieutenant) Martin Krebbs, commandant du détachement SS chargé d’assurer la garde de l’ancien souverain. De façon plus anecdotique, il imagine une visite de l’infâme Himmler et de sa maîtresse Hedwig Potthast à l’empereur – visite qui n’eut bien évidemment jamais lieu dans la réalité, le Kaiser ayant toujours refusé de recevoir les dignitaires nazis après leur arrivée au pouvoir (voir http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2013/11/53-un-entretien-avec-guillaume-ii-en-septembre-1938.html).

1 Nom de plume d’Alan Edwin Petty (né en 1946) ancien officier et diplomate britannique reconverti dans l’analyse de sécurité et l’écriture…

2 Cet ouvrage n’a malheureusement jamais été traduit en français ; j’assume donc l’entière responsabilité des erreurs qui pourraient apparaître dans l’extrait que j’en donne plus bas.

Le livre nous dresse quelques belles descriptions de l’empereur exilé en ses ultimes années, de sa psychologie, de ses souvenirs et de ses contradictions, alors que le pays qui lui avait donné asile était occupé par ces Allemands qui ne lui obéissaient plus.

169 - Bon baiser du Kaiser

Le Kaiser s’entretenant avec des soldats allemands peu de temps avant sa mort.

Le Kaiser débitait des rondins. Dans l’air de l’été ses coups se répercutaient en écho parmi les arbres, à travers le parc et les jardins et jusque dans le château de Doorn, où les membres de la maison pouvaient l’entendre. Tant qu’ils l’entendaient, ils pouvaient se rendre compte que tout allait bien pour leur Kaiser ce matin. Ils pouvaient se détendre, pensait-il, et être heureux ou occupés à leur tâche, ce qui revenait au même.

Ses coups étaient réguliers mais plus espacés qu’autrefois. A quatre-vingts ans, c’était une réussite que de débiter un rondin complet – et même de le voir faire – et de le faire sans aide quotidiennement. Presque chaque jour depuis son exil en 1918, il avait débité ou scié du bois. Au début il s’était imaginé que ces rondins étaient ses ennemis, les lâches qui l’avaient trahi et l’avaient forcé à fuir afin qu’ils puissent s’emparer du pouvoir à leur profit. Petit à petit, il avait cessé de penser à ce tas de cochons mais avait continué à bûcheronner parce que cela le faisait se sentir mieux, en satisfaisant son goût de l’action. Vingt mille arbres étaient tombés au cours des onze premières années de son exil ; c’était quelque chose. Depuis lors, douze ans s’étaient encore écoulés pendant lesquels il n’avait pas tenu de compte aussi méticuleux ; pas vraiment vingt mille, peut-être, mais encore un bon nombre. Son record était de 2590 arbres en une semaine – la semaine de Noël 3 – après qu’il ait quitté Amerongen, un autre château hollandais, pour Doorn 4. Qu’est-ce que l’anglais Gladstone 5, un autre tombeur d’arbres âgé, aurait dit de cela ? Cela lui aurait imposé le silence, ainsi qu’à sa tribu [...]

3 Le Kaiser offrait ce bois aux indigents de Doorn pour leur chauffage à l’occasion des fêtes de Noël.

4 L’empereur en exil avait d’abord résidé chez le comte Bentinck au château d’Amerongen (voir http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2018/11/137-aux-pays-bas.html) avant de s’installer en mai 1920 au château de Doorn qu’il venait acheter.

5 William Ewart Gladstone (1809-1898), politicien britannique, d’abord conservateur avant de devenir libéral, fut 4 fois chancelier de l’échiquier et 4 fois premier ministre du Royaume-Uni.

Bismarck aurait eu à redire à ce propos, évidemment. C’était un amoureux des arbres qui avait l’habitude de planter un arbre pour chacun de ceux que Gladstone avait abattu et de le lui écrire, pour s’en vanter. Mais maintenant, lui, Guillaume II, avait fait mieux que ces deux là, parce qu’il en avait abattu plus et en avait planté plus que chacun d’eux.

Bismarck avait toujours quelque chose à redire sur tout, c’était son problème. C’est pourquoi il avait été à propos de s’en débarrasser il y avait tant d’années, de débarquer le pilote, comme on l’avait dit. Quand même, ce fut alors juste. Peut-être ne prendrait-il pas aujourd’hui la même décision. Mais cela s’était passé autrefois, lorsque tout était différent. Quand vous êtes jeune, vous ne pouvez vous rendre compte à quel point alors et aujourd’hui peuvent être différents, car vous n’avez vécu que le présent et vous croyez qu’il durera toujours. Vous ne comprenez pas que cet alors – avec vous – se transformera en aujourd’hui. Et quand vous comprenez à quel point alors est devenu aujourd’hui, et à quel point ils sont différents, c’est comme si un couperet tombait. Cela vous isole de tous ces jeunes gens qui, quoi qu’ils pensent, qu’ils savent ou qu’ils comprennent, ne peuvent concevoir la vie comme on le faisait alors. 6

6 The Kaiser’s Last Kiss pp. 1-2.

169 - Bon baiser du Kaiser

En 2016, ce court livre a été adapté par le réalisateur britannique David Leveaux pour le cinématographe, sous le titre de The Exception (Trahisons dans sa version française). Si la trame de fond de l’histoire reste la même, quelques modifications ont évidemment été apportées au récit d’Alan Judd (ainsi, l’untersturmführer Martin Krebbs du récit est transmuté en capitaine Stefan Brandt de la Wehrmacht dans le film, sans doute pour éviter de rendre sympathique un officier SS).

Dans ce film qui est sorti avec discrétion et fut reçu avec bienveillance (même Mediapart lui consacra une bonne critique 7) je me permettrai d’accorder une mention spéciale au jeu d’acteur de Christophe Plummer – qui avait déjà donné un formidable duc de Wellington dans le Waterloo de Sergueï Bondartchouk. Il donne une remarquable profondeur à son interprétation du vieux Kaiser (à qui il ressemble d’ailleurs physiquement de façon étonnante), faisant ressentir les regrets, les contradictions et les préjugés du souverain déchu, tout en laissant percer ses qualités humaines sous le vernis d’un comportement parfois égocentrique ou même enfantin…

7 Voir : https://blogs.mediapart.fr/cedric-lepine/blog/130318/nostalgie-d-un-empereur-dechu-le-kaiser-guillaume-ii-en-1940

169 - Bon baiser du Kaiser
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