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10 novembre 2021 3 10 /11 /novembre /2021 22:07
185 - Guillaume II et la France

Le baron Beyens (portrait tiré de sa notice biographique sur wikipedia).

Le baron Beyens 1 fut nommé ambassadeur de Belgique à Berlin en 1912. Il y fut un observateur avisé de la vie politique allemande et, en dépit d’une animosité rétrospective contre le Kaiser du fait de la guerre, il brossa un remarquable portrait de l’évolution de ce dernier envers la France. 2

1 Eugène Beyens (1855-1934) avait été nommé ambassadeur à Téhéran en 1896 puis à Bucarest en 1898 avant de devenir Ministre de la Maison du Roi Albert Ier au début de l’année 1910 ; c’est le départ à la retraite du comte Greindl qui le fit nommer en Allemagne.

2 Baron Beyens L’Allemagne avant la guerre – les causes et les responsabilités (Librairie nationale d’art et d’histoire G. van Oest et Cie, éditeurs ; Bruxelles et Paris, 1915) pp. 21-24.

 

La France a toujours été aux yeux de Guillaume II l’adversaire principal. La pensée de se réconcilier avec elle a hanté cependant, à diverses occasions, son cerveau romanesque, mais sans qu’il songeât un seul instant à lui restituer ou à neutraliser l’Alsace-Lorraine, questions résolues définitivement par les victoires de 1870 et le traité de Francfort, sans qu’il admît même de lui complaire en accordant une constitution plus libérale aux provinces conquises 3. Le vœu de quelques Français, partisans d’un rapprochement franco-allemand, de voir l’Alsace-Lorraine jouir d’une autonomie complète à l’instar d’un Etat confédéré, de la Bavière ou de la Saxe, était qualifié à Berlin d’ingérence insupportable dans les affaires intérieures de l’Empire.

3 Il s’agissait effectivement là de la principale entrave à un rapprochement entre les deux pays, la France n’ayant jamais accepté cette clause du traité de Francfort qu’elle avait pourtant signé et oubliant encore que l’Alsace n’était précédemment devenue française que par droit de conquête officialisé par le traité de Ryswick (1697)...

185 - Guillaume II et la France

Sceau en papier du Statthalter d’Alsace-Lorraine.

Mais l’Empereur a cru de bonne foi, à plusieurs reprises, qu’il pourrait améliorer les relations entre les deux pays, diminuer la tension entre Paris et Berlin 4, frayer même la voie à de bons rapports à venir, en traitant avec une distinction flatteuse des Français et des Françaises, célébrités parlementaires, artistiques et mondaines, qui visitaient l’Allemagne 5. Ce sont ces intentions individuelles agrémentées de sourires et de politesse à l’adresse du gouvernement républicain ou de personnages en évidence, qu’il considérait comme des avances. Ses conversations avec Coquelin 6 et Mlle Garnier 7 ont amusé les Parisiens qui le remerciaient par un comte rendu de journal aimablement troussé et se croyaient quittes envers lui. Les gracieusetés impériales ont-elles été suivies d’une nouvelle orientation de la politique allemande plus favorable à la France ? Il n’en fut jamais question. Des offres de collaboration ou d’association dans des entreprises économiques, intéressant les ressortissants des deux pays au Maroc, furent faites, sans aucun succès d’ailleurs, après l’accord de 1909 8 ; mais il ne faudrait pas les attribuer au bon vouloir de Guillaume II pour des voisins qu’en réalité il détestait. C’est par sa séduction qu’il prétendait les conquérir ; en quoi sa vanité l’abusait, bien qu’à certains moments et sur sa réputation de pacifiste, sa personne n’ait pas été impopulaire à Paris.

4 Voir mes billets http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/article-18-104248139.html et http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/article-43-avances-a-felix-faure-119051860.html.

5 Voir par exemple le récit fait par Jules Simon de son voyage à Berlin en 1890 à l’occasion de la conférence internationale sur le travail in Quatre portraits (Calmann-Lévy ; Paris, 1896) pp. 227-288 – cet ouvrage est librement accessible sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1165687m/f1.item.

6 Benoît Constant Coquelin (1841-1909), dit Coquelin aîné, acteur de la Comédie française pour qui le Kaiser professait une grande admiration (voir : http://www.regietheatrale.com/index/index/thematiques/Francine-Delacroix/Constant-Coquelin-par-Francine-Delacroix.html).

7 Marie Garnier, chanteuse lyrique.

8 La crise de Tanger de 1905 s’était achevée avec la conférence internationale d’Algésiras en 1906, laquelle avait été suivie par un certain nombre d’accords bilatéraux.

185 - Guillaume II et la France

Il était revenu depuis quelque temps de ces accès de bienveillance, après en avoir constaté l’inutilité, et il accentuait au contraire, à l’égard des voyageurs français qui lui étaient présentés, ses manières hautaines et cassantes dans les derniers mois avant la guerre 9. Il a dit alors devant moi, en février 1914, un soir de bal à la Cour, dans une conversation à laquelle prit part mon compatriote et ami, le baron Lambert 10, cette phrase plus pittoresque que conforme à la vérité, qu’il aimait à répéter, car il s’en était déjà servi avec d’autres diplomates : « Souvent j’ai tendu la main à la France : elle ne m’a répondu que par des coups de pied ! » Son amertume se répandit ensuite contre la presse parisienne, qui attaquait l’Allemagne journellement et sans mesure. Il finit sur un ton grave par déclarer avec cette mimique expressive qui donnait tant de poids à ses paroles, « qu’on devait prendre garde, à Paris, parce qu’il ne serait pas toujours là ! » 11 Or, lorsqu’il discourait ainsi, la guerre était déjà résolue dans son esprit, comme on le verra plus loin 12. Que signifiait donc ce langage ? Etait-ce, de sa part, comédie, duplicité ? Fallait-il y voir plutôt le souci d’accumuler des griefs, pour justifier ses actes futurs ?

9 Ici encore, je me permettrai de renvoyer le lecteur à mon billet http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2017/10/121-derniere-visite-a-l-ambassade-de-france.html

10 Léon Lambert (1851-1919), financier belge d’origine juive avait été le banquier du roi Léopold II ; il avait épousé Zoé de Rothschild, fille du baron Gustave de Rothschild, en 1882 et s’était vu concéder la noblesse héréditaire avec le titre de baron en 1896.

11 Cette phrase prend toute sa saveur si l’in se souvient que son potentiel successeur, le Kronprinz Frédéric-Guillaume, était considéré comme l’homme du parti militariste et des pangermanistes.

12 S’il est certain qu’à cette époque Guillaume II pensait la guerre avec la France comme inévitable, rien ne prouve qu’il était déjà convaincu de son déclenchement imminent ni, a fortiori, qu’il l’avait déjà décidée (voir Christopher Clark Les somnambules : été 1914, comment l’Europe a marché vers la guerre ; Paris, Flammarion 1913).

Puisqu’il se faisait remettre régulièrement les coupures des organes nationalistes où son gouvernement était malmené, que n’en lisait-il la contrepartie : les diatribes quotidiennes des journaux de son pays contre la France et le président Poincaré, visé particulièrement par la presse pangermaniste 13 ? Certainement, cette guerre de plume était dangereuse autant que déplorable dans l’intérêt de la paix, mais elle était menée des deux côtés dans le ton et le style propres à chacune des deux races. Il suffirait, pour se faire une idée de la mauvaise foi, de la morgue et de l’insolence de certains publicistes allemands, de relire quelques-uns des articles dont le Dr Th. Schiemann 14, qui eut son heure de popularité et de faveur à la cour de Berlin, régalait chaque mercredi matin, dans sa revue politique de la semaine, les lecteurs francophobes et russophobes de la Gazette de la Croix 15.

13 L’élection à la présidence de la république du rigide lorrain Raymond Poincaré après Armand Fallières, méridional débonnaire, en février 1913 fut interprétée dans le Reich comme un signe de la volonté française de prendre sa revanche sur l’Allemagne.

14 Theodor Schiemann (1847-1921) historien, archiviste et universitaire pangermaniste

15 La Neue Preussische Zeitung (plus connu sous le diminutif de Kreuzzeitung du fait de la croix de fer qui ornait son titre) avait été fondée en 1849 par Otto von Bismarck et quelques autres politiciens conservateurs. Au début du XXe siècle elle professait des idées très réactionnaires et antisémites. Le 29 août 1937 les nazis annoncèrent qu’ils en avaient pris la direction et elle cessa de paraître le 31 janvier 1939.

185 - Guillaume II et la France

Au lendemain d’Agadir 16, la guerre avec la France avait pris tout à fait dans l’esprit de Guillaume II l’aspect d’une nécessité inéluctable. Le 5 et le 6 novembre 1913, le roi des Belges fut son hôte à Potsdam, en revenant de Lunebourg où il avait fait une visite de courtoisie et d’usage au régiment de dragons dont il était le chef honoraire. Pendant ce séjour, l’Empereur annonça au roi Albert que la guerre avec la France était à ses yeux « inévitable et prochaine ». Quelle raison donnait-il de cette conviction pessimiste qui impressionna d’autant plus son royal visiteur que la croyance aux sentiments pacifiques de l’Empereur allemand n’était pas encore altérée en Belgique ? C’est que la France voulait elle-même la guerre et qu’elle s’armait rapidement dans cette intention, comme l’indiquait le vote de la loi sur le service militaire de trois ans 17.

16 En 1911, le sultan Moulay Abdelhafid menacé par une révolte demanda l’aide militaire de la France qui s’empressa de la lui accorder. Le Kaiser, considérant que cette intervention violait les clauses des accords d’Algésiras envoya en rade d’Agadir la canonnière Panther pour défendre les intérêts allemands au Maroc, déclenchant ainsi une confrontation directe avec la France qui ne sera réglée qu’en 1912 par le traité de Fès.

17 Le gouvernement français, inquiet de la différence démographique entre la France et l’Allemagne, avait réussi non sans oppositions politiques internes a faire adopter le 7 août 1913 une loi qui portait la durée du service militaire de 2 à 3 ans, faisant ainsi passer les effectifs de l’armée française de 480000 à 750000 hommes. Vu de l’autre côté de la ligne bleue des Vosges, cette mesure fut prise pour une volonté française de préparer une guerre de revanche contre l’Allemagne (Voir l’article de Gerd Krumeich dans l’ouvrage collectif Les armes de la Grande guerre ; éditions Pierre de Taillac, Paris 2018).

185 - Guillaume II et la France

Le Kaiser et le général Pau lors de manœuvres impériales avant guerre.

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