En ce jour anniversaire de la naissance du Kaiser, découvrons les souvenirs que deux de ses anciens sujets ont gardé des célébrations qui accompagnaient ce jour remarquable. Le premier de ceux-ci est le futur amiral Dönitz, alors élève à Iéna (où son père était directeur pour l’entreprise Zeiss) ; on ne s’étonnera pas qu’il y traite exclusivement de l’aspect militaire de cette solennité.
L’usine Zeiss à Iéna (illustration tirée de l’article « usine Carl Zeiss » de Wikipédia).
Dans la rue voisine de la nôtre, sur le Sonnenberg, la Sedanstrasse, demeurait le commandant du bataillon d’Iéna du 94e régiment d’infanterie. C’était un major 1 aux cheveux blancs comme neige et à la moustache toute noire ; sa femme était Américaine, circonstance suffisamment extraordinaire pour susciter notre intérêt de gamins. Le Major avait fait la campagne de Chine, après le soulèvement des Boxers. A l’occasion de l’anniversaire du Kaiser, il y avait toujours une prise d’armes de ce bataillon ; une fois, elle se déroula sur la vieille place du marché d’Iéna, afin de bien faire profiter toute la population du centre de la ville de ce défilé militaire. Je me trouvais, en tant qu’enfant, parmi les spectateurs et j’ai encore devant les yeux la scène où, après la revue, le Major, que je connaissais, rassembla ses officiers et leur adressa quelques mots. Je n’avais, à ce moment, qu’un seul désir, dans mon esprit d’enfant, c’était de devenir un jour l’un de ces officiers qui se trouvaient rassemblés en cercle devant moi. Naturellement, j’obéirais à mon commandant tout aussi gentiment que le faisaient apparemment ceux-ci. Ce vœu d’enfant me paraissait alors quasi inaccessible. 2
1 Grade équivalent à celui de commandant dans l’armée française.
2 Ma vie mouvementée (Julliard ; Paris, 1969) p. 19.
La frontière près de Jungmünsterol.
Le second témoignage nous vient d’Elisa Rossignol, née en 1907 dans une famille d’origine française du Reichsland d’Elsass-Lothringen et nous décrit les festivités dans le petit village frontalier de Jungmünsterol (Montreux-Jeune) où, si la gourmandise était largement partagée, les sentiments n’étaient pas forcément les mêmes selon que les résidents y étaient déjà implantés avant le traité de Francfort ou s’étaient installés après celui-ci…
Le 27 janvier était l’anniversaire du Kaiser. En présence de Monsieur le Maire et de Monsieur le Curé, nous chantions :
Ders Kaiser ist ein lieber Mann.
Er wohnet in Berlin
Und wär es nicht so eit von hier
So sing ich heut noch him.
(« L’empereur est un homme charmant.
Il habite à Berlin
Et si ce n’était pas si loin d’ici
Je m’y rendrais aujourd’hui même. »)
Le maître commentait l’événement, érigé en fête nationale, pendant que nous lorgnions, dans une grande panière, les Kaiserwecken, petits pains au lait sucrés, spécialement confectionnés pour ce jour. A la fin de la cérémonie les « officiels », maire et curé, nous les distribuaient. Puis nous étions en congé.
De retour chez eux, les petits Allemands fêtaient « l’homme charmant » en famille par un repas plantureux. Chez nous, c’était la plus grande indifférence et le train-train de tous les jours. C’est cela surtout qui nous donnait le sentiment d’appartenir à un autre monde que ces camarades-là. 3
3 Elisa Rossignol Une enfance en Alsace (1907-1918) (France Loisirs ; Paris, 1993) p. 77.
Kaiserwecken (image tirée de : https://de.wikipedia.org/wiki/Kaisersemmel).
Appendice
Le 20 décembre dernier la maison de vente Coutau-Bégarie proposait aux enchères de l’hôtel Drouot un vase de la manufacture royale de Berlin (Königlische Porzellan-Manufaktur). Cette œuvre, ornée sur chacune de ses faces de vues du château de Babelsberg, appartenait à une paire que le prince Frédéric de Prusse offrit au médecin de son épouse la princesse Victoria du Royaume-Uni à l’occasion de la naissance de son fils aîné, le futur Kaiser Guillaume II.
Un grand merci à Franck Sudon qui m’a signalé cette vente à l’hôtel Drouot.