Napoléon III (vignette publicitaire de la série Die Grossen des Weltgeschichte de la firme de cigarette Eckstein-Halpaus).
En 1859, lorsque naquit le futur Guillaume II, la France était gouvernée par Napoléon III. Si le pays ne disposait alors pas de véritable hymne officiel, un air au titre étrangement prophétique en tenait lieu…
Croisés français d’après une gravure de Philippoteaux des environs de 1850.
Sous le titre initial de Le beau Dunois, les paroles en avait été composées vers 1807 par Alexandre de Laborde (1773-1842), figure de la société impériale, ami de Chateaubriand et intime d’Hortense de Beauharnais. Il s’agissait d’une bluette romantique, comme le goût en était largement répandu en ce début du XIXe siècle et allait continuer à faire des ravages pendants encore quelques décennies :
Partant pour la Syrie,
Le jeune et beau Dunois,
Venait prier Marie
De bénir ses exploits :
Faites, Reine immortelle,
Lui dit-il en partant,
Que j’aime la plus belle,
Et sois le plus vaillant.
Il trace sur la pierre
Le serment de l’honneur,
Et va suivre à la guerre
Le Comte son seigneur ;
Au noble vœu fidèle,
Il dit en combattant :
Amour à la plus belle,
Honneur au plus vaillant.
On lui doit la victoire.
Vraiment, dit le seigneur,
Puisque tu faits ma gloire
Je ferai ton bonheur.
De ma fille Isabelle,
Sois l’époux à l’instant,
Car elle est la plus belle,
Et toi le plus vaillant.
A l’autel de Marie,
Ils contractent tous deux
Cette union chérie
Qui seule rend heureux.
Chacun dans la chapelle
Disait en les voyant :
Amour à la plus belle,
Honneur au plus vaillant.
Hortense de Beauharnais.
Ces vers sentimentaux plurent à Hortense de Beauharnais 1 qui les mit en musique en profitant, paraît-il, d’un séjour au château de Malmaison, pendant que sa mère jouait au tric-trac ; toutefois, mon édition des mémoires de la reine Hortense étant tronquée, l’éditeur ayant jugé bon d’en ôter certains passages, je ne peux le vérifier 2.
1 Hortense Eugénie Cécile de Beauharnais (1783-1837) était la fille de Marie-Josèphe (dite Joséphine) Tascher de la Pagerie et du vicomte Alexandre de Beauharnais. Devenu belle-fille par alliance du général Buonaparte en 1796, elle épousa en 1802 Louis Buonaparte, frères de son beau-père et éphémère roi de Hollande de 1806 à 1810. De ce mariage naîtra le futur Napoléon III et d’une liaison qu’elle eut avec le général Flahaut le futur duc de Morny.
2 Puisse des tonnes de poil à gratter s’abattre sur ces éditeurs qui s’arrogent le droit de mutiler à leur gré les mémoires des défunts sans défense dont ils exploitent les écrits…
Château de Malmaison.
Salon de musique du château.
Dès sa composition, cette romance connut un grand succès, qui se poursuivit sous la Restauration, et donna lieu à nombre d’arrangements, notamment pour orgues de barbarie. En 1969, pour le bicentenaire de la naissance du général Buonaparte, Tino Rossi en a donné une version particulièrement sirupeuse (disque 33 tours Columbia CFPX 1344 3). Mais il va de soi que cette chansonnette romantique devait subir une réorchestration sévère avant de devenir une marche militaire 4.
3 Sur ce disque où se commet aussi la fanfare de la garde républicaine, on trouve encore : l’Ajaccienne, Parlez-nous de lui, Le rêve passe, la Marche du 1er consul, la Marche de la garde consulaire à la bataille de Marengo, La victoire est à nous, Schöenbrunn, Dio vi salvi regina, la Marche des bonnets à poil, l’Ordonnance des fifres et tambours, la Marche d’Austerlitz et la Marche du sacre.
4 Je n’ai malheureusement pas trouvé le nom du compositeur qui l’écrivit…
Cet hymne fut joué pour la dernière fois dans son rôle officiel au château de Wilhelshöhe, près de Cassel, le 19 mars 1871 pour le départ de Napoléon III en exil. En 1886, Camille Saint-Saens le reprit pour illustrer les fossiles dans son Carnaval des animaux.
Le château de Wilhelmshöhe.
Appendice
Cette mélodie évoquant les voyages au Levant me renvoie presque irrésistiblement à l’origine de l’expression française « travailler pour des prunes ». En effet, lors de la deuxième croisade, les troupes chrétiennes du roi Louis VII de France venues en soutien des force de l’empereur germanique Conrad III allèrent assiéger Damas (24-28 juillet 1148) mais ne purent prendre la ville, ce qui mit fin à la croisade ; leur seule action réussie fut donc de ravager les vergers de pruniers entourant la capitale syrienne, d’où notre expression…