Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 novembre 2012 4 01 /11 /novembre /2012 11:42

 


 

 

La musique et les paroles du Deutschland über alles sont si étroitement associées à l’Allemagne que beaucoup s’imaginent qu’il servit d’hymne à l’empire allemand. Tel n’est cependant pas le cas ; aussi vais-je vous présenter aujourd’hui le véritable hymne impérial.

 

 

 1-copie-5

Paroles et musique du Heil dir im siegerkranz (carte publicitaire Liebig d’avant 1914, tirée d’une série consacrée aux hymnes nationaux).

 

Curieusement, ce chant est d’origine danoise et fut composé en 1790 sur l’air du God save the King pour célébrer le 41e anniversaire du roi Christian VII de Danemark et de Norvège par le pasteur Heinrich Harries (1762-1802), théologien de langue allemande né dans le duché de Schleswig alors possession danoise.

 

7-copie-2

Christian VII (1766-1808) d’après une lithographie du XIXe siècle.

 

Composé dès l’origine en allemand, langue du duché de Schleswig, et ne pouvant matérialiser la domination de l’un des états fédérés sur les autres au sein de l’empire allemand cet hymne dut adopté en 1871 par le nouvel état en remaniant légèrement les paroles (notamment en remplaçant systématiquement le mot « König » par le mot « Kaiser » et en germanisant tout ce qui faisait allusion au Danemark). En ne faisant allusion à aucun des états du Reich il n’était donc destiné qu’à exalter le patriotisme allemand et le respect de l’Empereur.

Ce chant est marqué par des outrances qui peuvent aujourd’hui nous paraître grotesques ou choquantes mais qui n’apparaissaient pas comme telles à l’époque. D’ailleurs il en va de même pour bien des hymnes actuels et ceux de mes lecteurs français qui pourraient s’en moquer feraient bien de relire sept fois les paroles de la Marseillaise avant de se montrer trop hilares…

Et, afin de laisser chacun libre d’en juger, voici maintenant ce chant avec la traduction qu’en donne Wikipedia.

 

49

Carte postale de propagande éditée pendant la première guerre mondiale.

 

Heil dir im Siegerkranz,

Salut à toi dans la couronne de victoire,

Herrscher des Vaterlands !

ô souverain de la patrie !

Heil, Kaiser, dir!

Salut à toi, ô Empereur !

Fühl in des Thrones Glanz

Eprouve dans la brillance du trône

die hohe Wonne ganz,

le haut délice en totalité,

Liebling des Volks zu sein !

d’être le favori du peuple !

Heil Kaiser, dir !

Salut à toi, ô Empereur !

 

 

Nicht Ross, nicht Reisige

Ni destriers, ni hommes d'armes

sichern die steile Höh,

ne sauvegardent la raide hauteur,

wo Fürsten stehn.

où les monarques sont situés.

Liebe des Vaterlands,

L’amour de la patrie,

Liebe des freien Manns

l’amour des hommes libres

gründen den Herrscherthron

fondent le trône du souverain

wie Fels im Meer.

comme un roc dans la mer

 

 

Heilige Flamme, glüh,

Flamme sacrée, brasille,

glüh und erlösche nie

brasille et ne t’éteins jamais

fürs Vaterland !

Pour la Patrie !

Wir alle stehen dann

Nous nous mettrons donc tous debout

mutig für einen Mann,

courageux pour un seul homme,

kämpfen und bluten gern

lutterons et saignerons volontiers

für Thron und Reich !

Pour le trône et l’Empire !

 

 

Handel und Wissenschaft

Le commerce et les sciences

heben mit Mut und Kraft

avec courage et force

ihr Haupt empor.

se lèvent haut.

Krieger- und Heldentat

Les actes des guerriers et des héros

finden ihr Lorbeerblatt

y trouvent leurs lauriers,

treu aufgehoben dort,

fidèlement conservés

an deinem Thron.

À ton trône.

 

 

Dauernder stets zu blühn,

Qu’au nom d’une floraison durable,

weh unsre Flagge kühn

notra pavillon flotte hardiment

auf hoher See,

en haute mer,

wie auch so stolz und hehr

autant que fier et sublimement

wirft über Land und Meer

au-dessus des pays et des mers

weithin der deutsche Aar

l’aigle allemand jette au loin

flammenden Blick !

Son regard enflammé !

 

 

Sei, Kaiser Wilhelm, hier

Sois ici, ô empereur Guillaume,

lang deines Volkes Zier,

très longtemps la parure de ton peuple,

der Menschheit Stolz !

la fierté de l’Humanité !

Fühl in des Thrones Glanz

Eprouve dans la brillance du trône

die hohe Wonne ganz,

le haut délice en totalité,

Liebling des Volkes zu sein !

D’être le favori du peuple !

Heil, Kaiser, dir !

Salut à toi, ô Empereur !

 

 

47

Carte de propagande éditée pendant la première guerre mondiale au profit de la Croix rouge allemande.

 

 

1

 

 

 

Partager cet article
Repost0
29 septembre 2012 6 29 /09 /septembre /2012 10:08

 

1-copie-55

Le SMY Hohenzollern (premier du nom) servit de yacht impérial de 1871 à 1892. Après cette date, remplacé par un bâtiment plus moderne et plus imposant, il fut rebaptisé Kaiseradler.

 

Epris de navigation, le Kaiser entreprit de 1888 à 1914 des croisières estivales en mer du Nord et en Baltique. Au cours de celles-ci, loin de l’étiquette et de la lourdeur de la vie de la cour comme des contraintes de l’existence familiale, l’empereur Guillaume II ne se sentait plus obligé de jouer son rôle de monarque inaccessible et de seigneur de la guerre tout puissant, même si les escales lui imposait parfois des rendez-vous officiels. Le comte Zedlitz-Trützschler l’explique ainsi à la date du 27 février 1904 (Douze années à la cour impériale allemande 1898-1910, p. 78) :

La passion de l’empereur pour les voyages augmente encore, ainsi que son besoin d’activité. Même si cela gêne quelquefois la marche des affaires d’une manière considérable et occasionne même des retards dans les décisions importantes, au point de vue politique, il est heureux que l’empereur soit distrait de cette façon ; cela permet d’éviter des interventions trop autocratiques, trop énergiques et trop impulsives.

Le désir de voyager ou d’entreprendre quelque chose résulte en principe du peu de satisfaction que l’empereur rencontre dans l’intimité. Les contraintes que lui impose la présence de l’impératrice et de son entourage lui donnent un sentiment de malaise. L’atmosphère de religion bigote qui y règne et l’étroitesse de leurs idées ultra-conservatrices sont pénibles à un homme dont les idées, après tout, sont larges et modernes. Il se sent oppressé chez lui et gêné et cherche inconsciemment à échapper à cette vie aussi souvent que possible.

 

Consulat général à Christiania

Sceau en papier de la légation de l’empire allemand à Christiania.

 

Afin de nous faire une idée de ce que pouvaient être ces croisières estivales, suivons le début de celle de juillet 1890, telle que l’a rapportée Philipp Elenburg dans ses lettres à l’impératrice Augusta-Victoria (Souvenirs du prince Eulenburg – croisières à bord du Hohenzollern(1889-1903), pp. 31-34). Toutefois, avant d’en arriver au récit lui-même, il convient de préciser deux points.

Tout d’abord, il convient de se rappeler que par le traité de Kiel du 14 janvier 1814, la Norvège (à l’exception du Groenland et des îles Féroé) fut détachée du Danemark pour être rattachée à la Suède dans le cadre d’une union personnelle entre ces deux pays ; concrètement, les deux états restaient souverains, mais en ayant le même roi. Sous le règne d’Oscar II, des craquements de plus en plus forts menacèrent cette union, si bien qu’en 1905 la Norvège se détacha finalement de la Suède et que le prince Christian Frederik de Danemark monta sur le trône de Norvège sous le nom de Haakon VII.

Ensuite, il ne faut pas oublier que le comte – prince à compter de 1900 – Philipp Friedrich Alexander zu Eulenburg und Hertefeld (1847-1921), snob parmi les snobs, est le modèle même du courtisan. Nous avons déjà eu l’occasion de le voir dans un article précédent donner libre court à ses préjugés sur la seconde épouse du prince Albert de Monaco (18 – Hohenzollern et Iphigénie à Bergen) ; il va médire ici de même manière sur les tribulations matrimoniales de certains membres de la famille royale suédoise ainsi que sur l’état de santé de la reine Sophie. De plus, un esprit obséquieux percera plusieurs fois dans son récit : en notant que le roi de Suède admire tant le Kaiser qu’il entre quasiment en pamoison lorsqu’il parle de lui, en insistant exagérément sur la résistance de Guillaume II au cours de la partie officielle du voyage ou en voulant faire croire que l’on doit le forcer à chanter les Rosenlieder qu’il avait mis en musique… Si bien que l’on ne peut s’empêcher de se réjouir de la mésaventure qui lui advient lors du trajet entre Christiania et Christiansand.

 

Christiania - 1

Plan de la ville de Christiania au début du XXe siècle.

 

Le 1er juillet, je reçus l’Empereur dans le port de Christiania 1, gaiement pavoisé. Le roi fut extrêmement aimable et vraiment très touché par la visite  de l’Empereur (qui lui vaudra vraisemblablement aussi certains avantages politiques 2  ). Le roi, chez qui l’on trouve un heureux mélange de vivacité latine et de sensibilité septentrionale, saisissait tout. Passant avec la rapidité de l’éclair de la plaisanterie à l’émotion, il est prudent, avisé, artiste et tendre 3. C’est une nature enthousiaste qui se trouve attirée, comme par un fluide, vers la personnalité puissante de l’Empereur. Le roi était souvent paralysé par l’émotion quand il me parlait de l’Empereur.

1 Il convient tout d’abord de ne pas confondre l’ancienne ville de Christiania, capitale de la Norvège avec le quartier hétérodoxe de Copenhague autoproclamé « ville libre de Christiania ». La ville d’Oslo avait été détruite par un incendie en 1623 ; reconstruite par le roi danois Christian IV (1577-1648) elle fut alors renommée en son honneur Christiania ; une décision du 1er janvier 1925 de son conseil municipal lui redonna finalement son ancien nom d’Oslo.

Ensuite, le comte Eulenburg avait accompagné sa famille en Suède (son épouse était la fille du comte suédois de Sandels) à la fin de juin, pour rendre visite à ses beaux-parents. De là, il revint à Christiania pour y attendre l’arrivée du Kaiser.

2 Face à la puissance russe, la Suède cherchait des appuis lui permettant de garantir sa neutralité.

3 Oscar II (1829-1907) succéda en 1872 à son frère aîné Charles XV sur les trônes de Suède et de Norvège. Amateur d’art, il était musicien, poète et écrivain ; il traduisit notamment en suédois des œuvres de Shakespeare et de Goethe et écrivit lui-même des romans historiques et nombre de poèmes dont Jules Claretie disait « Ces poésies du roi sont les poésies d’un homme vraiment homme », ce qui n’engage pas à grand chose (cité par le baron de Maricourt Oscar II intime, Librairie Félix Juven, Paris, 1906 ; p. 156). Ayant suivi une carrière d’officier de marine avant son avènement, il aimait la navigation et les voyages tout comme Guillaume II.

 

1-copie-56

Le roi Oscar II en grand uniforme.

 

1-copie-57

La reine Sophie et deux de ses petites-filles.

 

La reine 4 avait certainement fait teindre en jaune serin les plumes de toutes les autruches du Sahara pour les réunir sur la toilette qu’elle portait au dîner de gala. On a l’impression que les souffrances physiques l’ont rendue exclusive à ce point qu’elle concentre tout son intérêt sur une certaine clinique de Stockholm 5. J’aimerais mieux passer par un trou de souris que de risquer une plaisanterie devant elle. Sa dame d’honneur, qui est en même temps son amie intime, Fraülein von Eketra, est une cousine de ma femme. Elle a renoncé à l’idée de mariage afin de ne vivre que pour la reine et, à cause de cela, elle a pris un air dur et résigné ; la seconde dame d’honneur, Fraülein Bull (qui est plus jolie que son nom), a aussi un regard sévère. Si seulement l’ancienne dame d’honneur, Fraülein von Munck 6, avait eu la même maladie ! Comme princesse Bernadotte, elle vient maintenant immédiatement après les princesses royales ; le titre de « prince » de son mari n’est qu’une formule, puisque, légalement, le roi seul peut conférer un titre de noblesse et seulement jusqu’à celui de comte, lorsqu’il veut récompenser le mérite personnel. Le cas se présente actuellement pour le jeune fils du prince Bernadotte qui ne possède aucun mérite personnel (le pauvre petit rejeton royal) et ne peut s’appeler que M. Bernadotte 7.

4 Sophie de Nassau-Weilburg (1836-1913). Elle soutint ceux de ses fils qui préférèrent des unions d’inclinaison à des unions dynastiques – d’où sans doute l’hostilité que lui manifeste Eulenburg dans sa lettre – et milita vainement pour le maintien de l’union de la Suède et de la Norvège.

5 Allusion mesquine à l’état de santé de la reine ou rappel malveillant de la fondation par la souveraine d’un hôpital pour ce que l’on appelait à l’époque les « femmes repenties » ?

6 Ebba Henrietta Munck af Fulkila (1858–1946) avait épousé le 15 mars 1888 le prince Oscar Carl August Bernadotte (1859-1953), second fils du roi Oscar II. Ce mariage, força le marié à renoncer à ses droits à la couronne, ainsi qu’à ses titres scandinaves ; il fut toutefois titré comte de Visborg par son oncle, le grand-duc Adolphe de Luxembourg.

7  Ce « pauvre petit rejeton royal sans aucun mérite personnel » est le comte Carl Oscar Bernadotte (1890-1977), alors âgé de moins de deux mois…

 

1-copie-58

Le prince Oscar Bernadotte.

 

1-copie-59

La princesse Ebba Bernadotte.

 

Les mariages morganatiques ont bien leur bon côté, mais, en Suède, la loi ne les reconnaît pas.

 

7

Le palais royal à Christiania.

 

9

Carte postale stéréoscopique colorisée montrant la salle d’apparat du palais, imitant la galerie des glaces de Versailles.

 

Le grand dîner de gala eut lieu à 7 heures et 1/2. On aurait dû ouvrir les fenêtres et laisser entrer la lumière du soleil, mais, étant donné la solennité du moment, les volets étaient clos et les lustres allumés ; bientôt, les convives souffrirent d’une intolérable chaleur ; des fronts moites, la transpiration coulait. Elle coulait en particulier sur le ruban noir de l’étoile du Nord 8 que le roi m’avait conférée, sur le ruban rouge de l’Olaf 9 et le ruban vert de Wasa 10 qui se détachaient parmi tous les autres ordres. Bientôt, le superbe discours de l’Empereur me rappela à la réalité, loin de laquelle j’avais été entraîné par deux conseillers d’Etat fort ennuyeux. Le roi avait dit des choses excellentes dans un allemand impeccable, mais l’Empereur produisit, comme toujours, une impression très profonde par la simplicité de ses paroles.

8 L’Ordre de l’Etoile Polaire (aussi appelé Ordre de l’Etoile du Nord) fut fondé en 1748 par le roi Frédéric Ier de Suède. Il était destiné à récompenser les ministres, les ambassadeurs, les magistrats, les savants et les littérateurs.

9 L’Ordre royal norvégien de Saint Olaf fut fondé en 1847 par le Roi Oscar Ier de Suède et de Norvège.

10 L’Ordre royal de Vasa fut fondé en 1772 par le roi Gustave III de Suède. Il était initialement destiné aux sujets suédois s’étant illustrés dans les domaines de l’agriculture et du commerce.

 

 

 Ordre de Saint-Olaf ; 1

 

3e hussard ; 1

Bague de cigare représentant un cavalier du régiment des hussards de Zieten.

 

Le soir, l’Empereur nous reçut en petit comité et nous nous amusâmes au sujet du docteur Güssfeldt qui, dans son uniforme de hussard rouge 11, avait tellement attiré sur lui l’attention de ses voisins de table que ceux-ci s’étaient crus obligé de porter une quantité de « Skols » 12 en son honneur.

11 Régiment des Husards de Zieten (Brandebourgeois) n° 3. Le prince Frédéric-Charles de Prusse (1828-1885), éminent réactionnaire qui en fut colonel de 1878 jusqu’à sa mort, ne dut son surnom de « Prince rouge » qu’à la couleur de son uniforme. 

12 « Prosit » en norvégien…

 

1

Le village de Bygdö.

 

3

Le château d’Oskarhall.

 

Le 3 juillet, nous sortîmes en une longue file de voitures qui furent l’objet des ovations de la foule. Nous gagnâmes la presqu’île de Bygdö 13 où la mer bleue et agitée vient se briser sur les rochers, et ensuite nous longeâmes la côte par le chemin de la forêt. La route aboutissait à une cour au milieu de laquelle se trouvait une petite église ; les maisons et l’église, d’une rare perfection de lignes et très originales, étaient en bois et remontaient à une époque très ancienne. Le roi, qui est passionnément attaché aux vieux souvenirs des pays du Nord, a pourvu ces constructions de leur mobilier authentique pour le conserver et servir de modèle aux architectes. L’Empereur en fut charmé au plus haut point et son goût marqué pour le vieux style nordique y trouva un nouvel aliment. Cette visite fut suivie d’un dîner au château d’Oskarhalle 14 ; de la terrasse de celui-ci, la vue sur la forêt et sur le fiord est telle qu’on pourrait difficilement en imaginer une plus jolie. La reine assista à ce dîner. L’Empereur perdit un peu patience pendant cette longue réception et fut tout heureux quand nous pûmes enfin rentrer. Nous fîmes alors de la musique avec ardeur en petit comité dans le salon de l’Empereur. Le roi vînt et nous chantâmes à tour de rôle. C’est un musicien accompli. Malgré ses soixante ans, il a une voix encore très bien timbrée dans les intonations douces. Nous ne nous séparâmes qu’à 1 heure. L’Empereur me permit même – bien à contre-cœur – de chanter mes Rosenlieder 15 pour satisfaire le goût lyrique du roi.

13 Péninsule située à l’ouest de Christiania où furent remontés différents habitats traditionnels norvégiens. A partir de 1894 y sera créé le musée folklorique norvégien.

14 Château néo-gothique près de Christiania, bâti au bord du fjord de Frognerkilen par l’architecte danois Johan Henrik Nebelong entre 1847 et 1852, à la demande du roi Oscar Ier (1799-1859).

15 Lorsque le comte Eulenburg écrit « mes Rosenlieder », il veut naturellement parler de la musique qu’il a composé pour les poèmes de ce titre composés par la baronne Gisela Hess-Diller, née comtesse Gallenberg (petite-fille de cette comtesse Giulietta Guicciardi à qui Beethoven dédia sa Sonate au clair de lune)…

 

2

Page de garde d’une partition avec paroles des Rosenlieder.

 

Le lendemain 4 juillet, il a plu à torrents ; toutes les écluses de l’humidité scandinave étaient ouvertes, mais il fallut quand même faire la promenade à Hönefoss 16, car nous étions esclaves de notre programme.

16 Ville située à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Christiania, célèbre pour ses cascades.

 

1-copie-1

Chutes d’eaux à Hönefoss.

 

Malgré sa résistance, bien connue de Votre Majesté, l’Empereur dut se laisser fêter aux différents endroits où nous nous arrêtâmes. Le roi Oscar était inflexible : il fallait que ce fût ainsi. Partout, les dames offraient des bouquets ; partout, elles avaient arboré leurs plus jolies toilettes dont les couleurs rivalisaient avec l’arc-en-ciel et des chapeaux qu’aurait envié le Dalaï-lama 17. L’Empereur entassa les bouquets dans le wagon-salon et, plus loin, ces fleurs retournèrent de nouveau dans la foule. Ce fut un joyeux bombardement jusqu’à ce que nous rentrions au château, assez tard dans la soirée.

17 Les coiffures bariolées des Lapons peuvent, avec un peu d’imagination, évoquer les hauts bonnets des dignitaires religieux tibétains.

Le 5 juillet, jour des adieux, la pluie tomba impitoyablement. Nous dînâmes sur le Hohenzollern et Sa Majesté se rendit à bord du Kaiser 18.

18 Avant-dernier navire de guerre allemand construit en Grande-Bretagne, le S.M.S. Kaiser avait été mis sur cale en 1872 à Londres et lancé en 1874 ; il devait subir une refonte complète entre 1891 et 1897 dans le cadre de la modernisation de sa forme générale, de sa propulsion et de son armement. En 1888, il avait accueilli à son bord l’empereur Guillaume II lors de ses visites en Italie, en Grèce et en Turquie. En 1894 il sera envoyé en Extrême-Orient et participera en 1897 aux opérations qui permirent à l’Allemagne de s’emparer du territoire de Kiautschou. Rentré en Allemagne, il sera transformé en ponton en 1904 et rebaptisé Uranus, avant d’être finalement ferraillé à Hambourg en 1920.

A l’époque de la croisière d’agrément décrite par le comte Eulenburg, le navire avait conservé une allure désuète de frégate cuirassée à trois mats et son commandant était le capitaine de vaisseau Conrad von Bodenhausen (1848-1938), qui sera appelé à commander le S.M.Y. Hohenzollern d’octobre1895 à décembre 1898.

 

1-copie-2

Le SMS Kaiser tel qu’il était lors du séjour de Guillaume II à Christiania.

 

A 5 heures de l’après-midi, nous sortîmes du fiord ; une brise humide se leva peu à peu et de douces oscillations bercèrent notre sommeil ; que serions-nous devenus si elles avaient augmenté ? Il pleuvait tellement qu’à 2 h. 1/2 un véritable fleuve, perçant le toit de ma cabine, me coula sur le nez et, furieux, je dus quitter ma couchette. Dans la matinée du 6 juillet, la brise devint si forte que – grâce à l’Empereur – l’escadre mouilla à Christiansand 19. Sa Majesté, qui n’avait pas été sérieusement indisposée, était d’excellente humeur. Après avoir joui, au cours d’une promenade avec le comte Görtz 20 et Herr von Lyncker 21, de l’impression délicieuse que donne la terre ferme, Sa Majesté nous invita sur le Kaiser où nous assistâmes aux représentations vraiment très amusantes des matelots.

19 Port norvégien du comté de Vest-Adger, situé à 250 kilomètres au sud-ouest de Christiania.

20 Emil comte Görtz zu Schlitz (1851-1914), sculpteur et homme politique originaire de Hesse, faisait partie des intimes de Guillaume II.

21 Moriz von Lyncker (1853-1932), qui deviendra en 1908 chef du cabinet militaire du Kaiser. Isabelle Hull (The Entourage of Kaiser Wilhelm II, 1888-1918, Cambridge University Press, 2004 ; p. 248) le décrit peu charitablement comme « politiquement inoffensif, intellectuellement médiocre et obséquieusement attaché à Guillaume II ».

 

1-copie-3

Carte postale colorisée du port de Christiansand aux alentours de 1910.

 

Christansand est une ville gentiment située. La visite imprévue de l’escadre impériale a causé une grande agitation parmi la population. Ce soir, l’escadre doit continuer vers Bergen et je confie ces lignes à l’Irene 22 en souhaitant vivement que le séjour de Sassnitz puisse donner à Votre Majesté, ainsi qu’aux petits princes, la santé et la force dans toute sa plénitude 23.

22 Le SMS Irène, croiseur léger lancé à Stettin en 1887 et baptisé en l’honneur de la princesse Irène de Hesse-Darmsdat (épouse du prince Henri, frère du Kaiser, et sœur de la tsarine Alexandra-Feodorovna, née Alix de Hesse) ; par une heureuse coincidence (?), ce bâtiment était commandé depuis le 1er avril 1889 par le prince Henri en personne. Comme le SMS Kaiser, le SMS Irène faisait alors partie de l’escorte navale du SMY Hohenzollern.

23 Sassnitz était une ville balnéaire réputée, située sur l’île de Rügen en Baltique.

 

1-copie-4

Timbre de propagande représentant le croiseur Irène.

 

1-copie-55

 

2-copie-5

 

Médaille commémorative suédoise frappée à l'occasion de la visite du Kaiser.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
16 septembre 2012 7 16 /09 /septembre /2012 14:00

L’un de mes plus fidèles lecteurs m’ayant imprudemment confié qu’il appréciait ma manie de donner les dates de naissance et de décès des différents protagonistes dont je rapporte les faits et gestes, une idée s’est mise à germer dans mon esprit. Je commence donc aujourd’hui une série d’articles consacrés à cette chronologie pure et dure sans laquelle l’Histoire ne serait qu’un songe creux.

 

Petit à petit, sans fréquence régulière ni prétention à l’exhaustivité, j’essayerai de balayer les 82 années calendaires qui couvrent l’existence terrestre du Kaiser pour situer sa jeunesse, son règne et son exil dans le temps et, le cas échéant, amuser par certaines coïncidences de dates…

Maintenant, comme l’exige en toute rigueur le respect du calendrier, commençons par l’année 1859.

 

  1-copie-54

 

Politique

 

15 septembre - Fondation à Francfort par les libéraux Rudolf von Bennigsen, Hermann Schulze-Delitzsch, Ludwig August von Rochau et Feodor Streit du Deutsche Nationalverein, mouvement destiné à promouvoir dans les milieux populaires l’idée d’un Etat allemand dirigé par la Prusse dans le cadre de ce que l’on appela la « petite Allemagne », c’est-à-dire sans l’Autriche.

1-copie-37

Vignette de propagande de l’entre deux guerres représentant le monument dédié à Rudolf Bennigsen par la ville de Hanovre.

1-copie-38

Timbre allemand de 1983 émis pour le centenaire de la mort d’Hermann Schulze-Delitzsch.

 

26 avril/12 juillet - Guerre d’Italie (aussi baptisée « seconde guerre d’indépendance » par l’historiographie italienne) opposant l’Autriche au Piémont et à la France ; marquée par les batailles de Montebello, Palestro, Magenta et Solférino, elle va finalement aboutir à l’affaiblissement durable de l’Autriche même si cette dernière conserve en Italie la Vénétie et les citadelles de Mantoue et Peschiera.

2-copie-4

Napoléon III à Solférino ; timbre italien émis en 2011 pour le 150e anniversaire de la création du royaume d’Italie.

 

Election d’Alexandre Jean Cuza comme hospodar des principautés de Moldavie (5 janvier) et de Valachie (24 janvier), constituant la base de la moderne Roumanie où la famille de Hohenzollern ne va pas tarder à essaimer.

4-copie-2

Timbre commémoratif de cette élection émis sous le règne du regrettable couple Ceaucescu.

 

16 octobre - au sein d’une « nation divisée », échec du raid de l’abolitionniste exalté John Brown – déjà mêlé à des escarmouches sanglantes au Kansas – sur l’arsenal fédéral de Harpers Ferry en Virginie ; condamné pour trahison par l'état de Virginie, il sera pendu le 2 décembre suivant.

1-copie-39

Enveloppe commémorative de 2011 pour le 150e anniversaire de l’élévation du Kansas au rang d’état ; le portrait de Brown, inspiré d’un daguerréotype d’époque, reflète parfaitement toute l’humanité et la bonté du responsable du massacre de Pottawatomie Creek.

 

 

 

Sciences et techniques

 

24 mars - Début du percement du canal de Suez.

4-copie-3

Timbre émis par La Compagnie du canal de Suez en juillet 1869 pour le service du courrier entre Port-Saïd et Suez ; dès le 16 août suivant cette émission cessa du fait de la reprise de ce service par les postes égyptiennes.

 

27 août - Découverte de pétrole à Titusville en Pennsylvanie par Edwin Drake, date traditionnellement retenue comme début de « l’âge du pétrole ».

1-copie-53

Enveloppe premier jour des Etats-Unis imprimée en 1959 pour commémorer le centenaire de l'industrie pétrolière.

 

24 novembre - Charles Darwin publie L’Origine des espèces.

1-copie-40

Enveloppe premier jour émise en 1982 pour commémorer le centenaire de la mort de Charles Darwin.

 

24 novembre - Lancement à Toulon de la Gloire, premier cuirassé de haute mer de l’histoire.

1-copie-41

Vignette publicitaire n° 12 de la série Floating Fortresses de la firme américaine de tabac Allen & Ginters éditée en 2011.

 

 

 

Arts


Giuseppe Verdi compose Un ballo in maschera.

3-copie-19

Timbre italien de 1951 émis à l’occasion du 50e anniversaire de la mort de Verdi.

 

 

 

Naissances

 

27 janvier - Prince Friedrich Wilhelm Viktor Albrecht de Prusse, qui deviendra l’empereur Guillaume II.

7-copie-9

La princesse royale Frédéric de Prusse et son fils nouveau né (sans sa célèbre moustache...)

 

11 janvier – George Nataniel Curzon, vice-roi des Indes de 1899 à 1905 et secrétaire au Foreign Office de 1919 à 1924.

1-copie-42

Timbres des territoires antarctiques britanniques à l’effigie de Lord Curzon émis en 1980 à l’occasion du 150e anniversaire de la Royal Geographical Society.

 

9 juin - Sir Frederick Charles Doveton Sturdee, vainqueur de l’escadre de l’amiral von Spee aux Falklands le 8 décembre 1914.

1-copie-43

Vignette anglaise de propagande datant de la première guerre mondiale.

 

4 août – Knud Pedersen (plus connu sous son nom de plume de Knut Hamsun) prix Nobel de littérature en 1920 qui finira sa vie interné à cause de ses sympathies coupables pour le caporal bohémien et sa bande.

1-copie-44

Timbre norvégien de 2009 émis à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance.

 

3 septembre - Jean Jaurès, leader socialiste qui tentera d’empêcher le déclenchement de la première guerre mondiale.

1-copie-45

Timbre français émis en 1936 à l’occasion du 22e anniversaire de sa mort (à moins qu’il ne s’agisse simplement de propagande pour le front populaire ?)

 

9 octobre - Alfred Dreyfus, soupçonné d’espionnage au profit de l’empire allemand.

1-copie-46

Timbre israélien de 1994 émis pour le centenaire du début de "l’Affaire".

 

22 mai - Arthur Conan Doyle dont le héros Sherlock Holmes n'enquêta jamais sur l’affaire Dreyfus.

1-copie-47

Timbre monégasque de 2009, émis à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance.

 

18 octobre - Henri Bergson, prix Nobel de littérature en 1927 et académicien français qui fit beaucoup pour la cause du rire…

1-copie-48

Timbre français de 1959 émis à l’occasion du 100e anniversaire de sa naissance.

 

 

 

Décès

 

16 avril - Alexis de Tocqueville, académicien français et penseur libéral.

1-copie-49

Timbre français de 2005 émis à l’occasion du 200e anniversaire de sa naissance.

 

6 mai - Alexander von Humbolt, modèle de l’érudit et explorateur allemand.

1-copie-50

Timbre allemand de 1959 émis pour le centenaire de sa mort.

 

11 juin - Prince Klemens Wenzel Nepomuk Lothar von Metternich, figure tutélaire de la Réaction.

1-copie-51

Vignette publicitaire n° 143 de la 5e série Die Grossen der Weltgeschichte de la fabrique de cigarette Eckstein-Halpaus de Dresde.

 

 

"Pipole"

 

En cette même année, le kronprinz Frédéric et son épouse rendirent visite à l’école des cadets de Wahlstatt où le jeune Paul von Beneckendorff und von Hindenburg (1847-1934) poursuivait sa scolarité.

1-copie-52

Le cadet Hindenburg durant sa scolarité à Wahlstatt.

 

 

 

Que ceux qui me connaissent et pourraient légitimement me suspecter de fumisterie en me lançant dans cette assez simple rubrique chronologique soient confondus de honte pour leur malveillance : un autre article devrait être publié d’ici 15 jours sur une visite du Kaiser en Norvège au mois de juillet 1890…

Partager cet article
Repost0
15 août 2012 3 15 /08 /août /2012 09:30

 

 

1898-10-29 ; 1

Carte postale commémorative du pèlerinage impérial ; dans la partie droite, ont été rajoutés avec un tampon encreur deux versets du psaume 122 :

2. Nos pieds s’arrêtent dans tes portes, Jérusalem !

9. A cause de la maison de l’Eternel, notre Dieu, je fais des vœux pour ton bonheur.

 

A l’automne 1898, l’empereur Guillaume II entreprit un pèlerinage en Terre Sainte qui fit beaucoup jaser. En effet, le Kaiser n’avait pas manqué d’y inclure toute la pompe et le décorum qu’il jugeait nécessaires à une visite d’Etat, poussant le souci du détail jusqu’à soigneusement définir un uniforme spécifique pour une contrée aussi exotique… De plus ce déplacement dans l’empire ottoman, « l’homme malade de l’Europe » selon le mot du tsar Nicolas Ier, ne pouvait qu’alarmer les chancelleries de toutes les puissances.

 

  3-copie-18

Carte stéréoscopique montrant la brèche percée dans la muraille de Jérusalem près de la porte de Jaffa pour permettre l’entrée du cortège impérial.

 

Mais la personnalité complexe du Kaiser lui permettait de tenir à la fois son rôle de chef d’état soucieux de la défense les intérêts politique et économique de son pays et celui de pèlerin fervent. Ainsi, même un témoin et observateur très critique de ce voyage comme Pierre Mille 1 reconnaît-il :

Une seule fois, le pèlerin est apparu très nettement chez lui. C’était sur le mont des Oliviers, après sa visite un peu légère au Saint-Sépulcre 2. Sur cette colline de roches et d’éboulis, où les angoisses de l’humaine faiblesse amollirent jusqu’aux larmes la divinité de Jésus, au-dessus des jardins de Gethsémani, dont le nom seul fait trembler l’âme, et qui sont pleins de fleurs rieuses, on a vu l’empereur d’Allemagne se prosterner contre terre, et l’impératrice chanter un cantique. Un pasteur, en plein air, prononça une instruction courte et simple ; et, comme la sainteté des souvenirs n’était pas ici étouffée par des vêtements de pierre, des lampes d’or et des tapis turcs, ceux qui ont vu cela ont eu un moment d’émotion, le seul, je crois, depuis le commencement de ce voyage 3.

1 Pierre Mille (1864-1941), juriste de formation, très intéressé par les questions coloniales, suivit le pèlerinage impérial en qualité de correspondant du Journal des débats.

2 Voir plus bas les motifs qui ont pu inspirer à Guillaume II si peu de considération pour cette vénérable basilique.

3 Cité par Hussein I. El-Mudarris et Olivier Salmon in Voyage en Orient de Guillaume II en 1898 (Dar Al-Mudarris & Ray Publishing ; Alep ; 2010) p. 178.

 

1898-10-29 ; 7

Entrée triomphale dans Jérusalem le 29 octobre 1898.

 

Décrivant cette même cérémonie sur le mont des Oliviers, Etienne Lamy 4 note :

Ces hommes et ces femmes avaient tout à l’heure l’aspect tout ensemble important et subalterne qu’on prend auprès de tous les princes : maintenant cet acte religieux, cette affirmation de foi ennoblissait ces visages. Et cette cour élevée au-dessus de ses adorations accoutumées pour un homme, cet homme même faisant trêve à son propre culte, rendant à Dieu les hommages que d’ordinaire il reçoit, et fléchissant aux yeux de tous le genou devant le maître invisible, tout cela était imposant. Le secret de la grandeur, si vainement cherché hier 5 avait été trouvé aujourd’hui par Guillaume II, et la poésie de cet acte religieux qui planait encore sur lui, tandis qu’à la tête de son cortège silencieux et dans la nuit tombante, il redescendait vers Jérusalem 6.

4 Etienne-Marie-Victor Lamy (1845-1919), député républicain du Jura de 1871 à 1881 ; après des déboires électoraux, il s’était reconvertit dans le journalisme. Il suivit le pèlerinage impérial pour la Revue des deux mondes.

5 Pour l’entrée solennelle dans Jérusalem.

6 Cité par Hussein I. El-Mudarris et Olivier Salmon in Voyage en Orient de Guillaume II en 1898 p. 256.

 

Plus objectivement, Jules Arren donne une juste synthèse de ce pèlerinage douze ans après les faits (Guillaume II ce qu’il dit ce qu’il pense, pp. 45-46) :

Le désir naturel et sincère chez un croyant de voir les lieux saints, le goût des exhibitions théâtrales, la conception mystique de sa mission divine, le désir de développer l’influence allemande en Orient, les précautions pour apparaître comme protecteur du christianisme et comme ami de l’Islam, sans mécontenter jamais ni catholiques, ni protestants, ni musulmans, se montrent tour à tour de la manière la plus curieuse.

 

1898-10-29 ; 10

Guillaume II au Saint-Sépulcre.

 

Pour en rester au seul témoignage d’une foi réelle, arrêtons-nous sur une lettre écrite de Damas au tsar Nicolas II le 9 novembre 1898, décrivant les sentiments impériaux et royaux lors de la visite de Jérusalem (Correspondance entre Guillaume II et Nicolas II ; pp. 50-53).

 

         Très cher Nikki 7,

Ton aimable télégramme envoyé à Jérusalem prouve que tu suis avec intérêt mon voyage, ce qui m’incite, en le terminant, à t’envoyer quelques lignes pour te donner mes impressions. Elles sont si diverses qu’il m’est difficile de les mettre en ordre.

7 Ces royaux cousins avaient pris l’habitude de s’appeler par des diminutifs. Ainsi le Kaiser donnait familièrement au tsar du « Nikki » pendant que le tsar lui rendait du « Willy ».

 

1898-10-29 ; 8

Le cortège impérial dans les rues pavoisées de la vieille ville de Jérusalem.

 

Jérusalem a naturellement fixé notre attention tout d’abord, à cause des multiples endroits où se retrouve le souvenir de notre Sauveur. La pensée que son regard se posait sur ces mêmes collines, que son pied foulait cette même terre, émeut le cœur et l’oblige à battre plus fort et plus ardemment. Mais je dois avouer sincèrement que parmi les choses vues ici et se rapportant à la foi chrétienne, toutes sont loin de faire naître ces sentiments. Un grand nombre de confessions et de sectes diverses de notre commune religion chrétienne ont construit ici beaucoup trop d’églises, de monastères, de chapelles, etc., sur les « lieux saints traditionnels » comme on les appelle. Une certaine rivalité s’est créée, une lutte à qui édifiera les clochers les plus hauts, les églises les plus belles, qui ne conviennent pas du tout aux lieux où ces monuments sont élevés. En vérité, on peut croire à une exposition de modèles d’églises ! Le fait a influencé aussi le clergé des différents temples, les prêtres se plaisent à intriguer et à ourdir des combinaisons politiques, excitant la haine au lieu de l’amour et provoquant dans les églises des querelles et des conflits qui remplacent le chant des psaumes et la bonne entente de naguère. Mais ce qui est pis encore, ils ont créé l’adoration des pierres et des arbres qui est défendue par le second des dix commandements et qui, chez eux, remplace l’adoration de la Divinité. Un Français m’a dit : « Il s’agit de l’adoration de la pierre dans les lieux prétendus saints, mais dont il est impossible de garantir la Sainteté. Quant à la divinité, elle n’y est pour rien. » Ces paroles sont absolument vraies, bien que fort pénibles pour nos sentiments chrétiens. Il est naturel que cette idolâtrie – excuse cette expression – provoque chez les musulmans le mépris le plus grand à l’égard des chrétiens. Lorsque je quittais les lieux saints, j’éprouvais une honte profonde devant les musulmans et vivais la conscience que si je n’avais appartenu à aucune religion en arrivant à Jérusalem, je me serais certainement fait mahométan 8 ! La religion, telle qu’on la comprend à Jérusalem ne contribuera à convertir aucun musulman, n’aidera à pousser aucun arbre ni à creuser aucun nouveau puits. Je crains que, souvent, le clergé, à Jérusalem, ne se serve de la religion pour voiler les intrigues et les machinations politiques. Certes pareil état de chose est peu conforme à nos désirs et fait beaucoup de mal au christianisme, car les musulmans l’ont depuis longtemps remarqué, et leurs rapports avec nous se sont établis d’après les impressions qu’ils en ont ressenties. Je reviens chez moi avec un sentiment de déception intense et la conviction profonde que le tombeau de notre Sauveur ne se trouve certainement pas sous l’église de la tombe du Seigneur 9. Celle-ci, par son extérieur et son ornementation, perd beaucoup quand on la compare à la mosquée d’Omar qui, dans sa grandeur simple, inspire la vénération 10.

8 A l’époque, il se trouva des esprits assez malveillants pour prétendre que Guillaume II s’était même converti à l’Islam…

9 A partir du XIXe siècle, quelques chercheurs remirent en cause l’identification traditionnelle du Saint-Sépulcre avec le tombeau du Christ. Parmi eux, le plus connu est sans doute le général Charles Gordon (1833-1885) qui lui préféra le Jardin de la Tombe situé près de la porte de Jaffa ; c’est peut-être à ce dernier lieu (fréquenté encore aujourd’hui par des pèlerins protestants) que pense l’impérial archéologue amateur.

10 Tout d’abord, Guillaume II commet ici une confusion fréquente chez les touristes entre la mosquée d’Omar (en fait située près du Saint-Sépulcre) et le Dôme du Rocher. De plus, il convient de préciser que la situation du Saint-Sépulcre, enclavé dans un groupe de bâtiments anciens, ne peut se comparer à celle du Dôme se détachant solitaire au milieu de l’esplanade du Temple.

 

1898-10-29 ; 12

Guillaume II sortant du Dôme du Rocher.

 

Tout visiteur qui aura posé le pied en Terre Sainte ne peut que souscrire à ces mots de l’empereur Guillaume, tant pour ce qui est de l’esprit chicanier des clergés en place qui donne plus souvent l’impression d’agir en forces d’occupation des lieux saints plutôt qu’en humble serviteurs de Dieu que pour la multiplication des lieux de culte, culminant avec une éruption d’églises italiennes dans l’entre deux guerres ; encore, le Kaiser eut-il la chance de se voir épargner la contemplation de l’effarante église en forme de soucoupe volante construite en 1990 par I. Avette au-dessus de la maison de saint Pierre à Capharnaüm…

 

19-copie-4

Gourbi « sanctifié » offrant un bel exemple de cette idolâtrie des pierres dénoncée par Guillaume II…

 

Toutefois, en dépit de la sympathie suscitée par ces états d’âme – et qu’un pèlerin contemporain ne peut s’empêcher de partager – il nous faut reconnaître que notre contempteur casqué de saint-sulpicerie se trouvait justement à Jérusalem pour… assister à la consécration de l’Eglise du Rédempteur (Erlöserkirche) le 31 octobre, jour anniversaire de la Réformation. Aussi, tout comme nous avons tenu pour sincères les plaintes de Guillaume II quand à la multiplication des lieux de culte, nous devons constater ici que son souci d’affirmer l’influence allemande en Orient a eu raison de ses scrupules religieux et que l’homme s’est vite effacé devant le monarque ; mais l’homme a néanmoins pu apparaître sous la couronne et c’est déjà beaucoup pour un chef d’état.

 

7-copie-8

Eglise du Rédempteur ; on aperçoit derrière elle le Dôme du Rocher puis, sur le Mont des Oliviers, le clocher de 65 mètres de l’hôpital Augusta-Victoria.

 

Comme pendant à cette église luthérienne (la seule de la vieille ville de Jérusalem), soucieux de faire oublier le Kulturkampf bismarckien et cherchant à contester le monopole française en matière de protection des Chrétiens d’Orient, le Kaiser profita de son séjour hiérosolymitain pour acheter 120.000 marks un terrain sur la colline de Sion pour le compte de l’Association allemande de la Terre Sainte (Deutscher Verein vom Heiligen Lande), dans le but d’y faire édifier la basilique catholique de la Dormition – aussi connue sous le nom de Sainte-Marie de Sion. Œuvre d’Heinrich Renard (1868-1929) inspirée de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle et ornée intérieurement des blasons des grandes villes du Reich, la première pierre en fut posée le 7 octobre 1900 et l’église sera consacrée le 10 avril 1910.

 

9-copie-4

Carte postale colorisée de la basilique de la Dormition où l’on n’a pas manqué de faire figurer le drapeau allemand.

 

Le 31 octobre 1898, le terrain à peine acheté, le Kaiser s’empressa de télégraphier au pape Léon XIII :

Je suis heureux de pouvoir porter à la connaissance de Votre Sainteté que grâce à l’entremise bienveillante de Sa Majesté le Sultan 11 qui n’a pas hésité à me donner cette preuve d’amitié personnelle, j’ai pu acquérir à Jérusalem le terrain dit « Dormition de la Sainte Vierge ». J’ai décidé de mettre le territoire consacré par tant de pieux souvenirs à la disposition de mes sujets catholiques et notamment de l’Association allemande catholique de la Terre Sainte. Il a été doux pour mon cœur de prouver par cette circonstance combien me sont chers les intérêts religieux des catholiques que la Divine Providence m’a confiés. Je prie Votre Sainteté d’agréer l’assurance de mon sincère attachement 12.

11 Abdul Hamid II (1842-1918), 34e sultan ottoman de 1876 à 1909.

12 Cité par Hussein I. El-Mudarris et Olivier Salmon in Voyage en Orient de Guillaume II en 1898 p. 95.

 

1-copie-36

Gioacchino Pecci (1810-1903) avait été élu pape le 20 février 1878 sous le nom de Léon XIII (carte publicitaire 34/500 de la 1ère série des Célébrités contemporaines).

 

En 1922, Guillaume II précisa ses intentions quant à la basilique de la Dormition, tout en reprenant ses griefs contre le clergé local (The Kaiser’s Memoirs, pp. 215-117) :

J’ai été capable d’apporter de la joie dans le cœur de mes sujets catholiques lorsque j’ai offert aux catholiques allemands de là-bas un terrain connu sous le nom de « Dormition », que j’avais acheté au Sultan en 1898 à la suite de mon séjour à Jérusalem. Le digne et pieux père Peter Schmitz, représentant de la société catholique à Jérusalem, m’exprima sur place les remerciements sincères des catholiques allemands en termes éloquents lors de la cérémonie de prise de possession.

Lorsque je m’entretins avec lui tant des futurs travaux de construction que du choix des desservants qui l’occuperaient, ce vieil expert de Jérusalem me conseilla de ne retenir aucun des ordres monastiques présents sur place, parce que tous étaient plus ou moins impliqué dans les intrigues et les querelles à propos des « loci sacri » (lieux saints). A mon retour, une délégation allemande des chevaliers de Malte, conduite par le comte Praschma 13, se présenta à moi pour m’exprimer sa gratitude. Le plan de l’église, dessiné par un architecte très talentueux de Cologne et parfaitement adapté au style local, me fut soumis. Après l’achèvement de l’église je décidai que les moines bénédictins de Beuron 14 prendraient possession de la « Dormition » ; ils le firent en 1906, et s’installèrent aussi au monastère élevé près de la nouvelle église Sainte-Marie.

13 Friedrich von Praschma (1833-1909), chevalier de Malte, membre de la chambre des seigneurs de Prusse et du Reichstag, était un des fondateurs du parti du Centre. Il fut président des journées catholiques allemandes de 1876 à 1900.

14 L’abbaye de Beuron, fondée en 1863 dans le pays de Bade, s’associa en novembre 1872 à l’abbaye de Maredsous en Belgique pour devenir l’une des 21 congrégations bénédictines.

 

21-copie-3

Souvenir de l’origine allemande de la basilique de la Dormition : le Graf Zeppelin survole l’édifice aux alentours de 1930.

 

Enfin, le rassemblement de nombreux pèlerins dans un lieu aussi reculé que la Jérusalem ottomane ne pouvant se concevoir sans l’édification d’un lieu d’accueil germanophone, le Kaiser lança donc une souscription pour la construction d’un édifice adapté à cette fonction. Celui-ci, baptisé hôpital Augusta-Victoria, en l’honneur de l’Impératrice, fut achevé en 1907 puis complété en 1910 par l’église luthérienne de l’Ascension. En récompense de leur participation, les donateurs méritants se virent gratifiés d’une décoration créée spécialement : la Croix du Mont des Oliviers (Ölberg Kreuz) 15

15 Cet Ordre ne fut conféré qu’à 181 personnes.

 

15-copie-4

Hôpital Augusta-Victoria.

 

Preussen Orden olbergkreuz

Croix du Mont des Oliviers, l’attache du ruban porte le monogramme de l’impératrice Augusta-Victoria (illustration extraite du site : http://semon.fr/LES%20%20DECORATIONS.htm).

 

 

 

Consulat à Jérusalem

 

 

 

De nouveau, un grand merci à Franck Sudon pour ses traductions et ses recherches.

 

 


Partager cet article
Repost0
6 juillet 2012 5 06 /07 /juillet /2012 21:10

 

 

 

3-copie-15

Carte postale dédicacée de Manfred von Richtofen en uniforme de uhlan – les aviateurs n’ayant alors pas d’uniforme spécifique portaient la tenue de leur arme d’origine. On distingue à son col la croix « Pour le Mérite » et sur sa poitrine le macaron de pilote sous la Croix de fer (dont il porte le ruban à la boutonnière).

 

Plus le premier conflit mondial trainait en longueur en sombrant dans la routine des massacres de masse, plus la propagande de tous les belligérants cherchait des héros dont les vertus chevaleresques pouvaient être mises en valeur dans le but de soutenir le moral des combattants et des populations. Les aviateurs, jeunes gens pilotant des mécaniques de pointe, répondaient pleinement à cet objectif en donnant de la guerre l’image d’un sport de gentlemen. Ainsi naquit le mythe des as. Lee Kennett remarque d’ailleurs dans La première guerre aérienne (Economica ; Paris, 2005), p. 164 :

Les allemands furent probablement les premiers à attirer l’attention du public sur l’aviateur, et le Kaiser lui-même joua un rôle important ; les décorations, les lettres personnelles, et les portraits dédicacés qu’il adressait aux jeunes officiers aviateurs ayant le rang de lieutenant ou de capitaine, furent largement commentés par les journaux.

 

3-copie-16

Le Kaiser en visite dans une unité d’aviation ; le premier personnage à gauche au premier plan est l’as Werner Voss (1897-1917) qui était crédité de 48 victoires au moment de sa mort.

 

Du côté des puissances centrales, le plus grand de tous ces as fut sans conteste Manfred von Richthofen, dont la renommée était telle que Guillaume II en personne exprima à la fin du mois d’avril 1917 le désir de le voir. Je laisse maintenant la plume au rittmeister qui a su rapporter avec beaucoup de verve dans son argot d’aviateur la rencontre qui s’ensuivit (Le corsaire rouge, Payot, 1932 ; pp. 112-116 1).

1 Ce passage est explicitement présenté comme issus de « papiers laissés par Richthofen », ce qui explique peut-être certaines erreurs dans le texte.

Le 1er mai 1917, je pris congé de mon escadrille et me rendis au Grand Quartier Général par la voie des airs. J’étais installé à l’arrière comme Franz 2. Cologne fut notre premier arrêt. C’était la première fois que j’allais chez moi en permission depuis que j’ai été décoré de l’ordre « Pour le Mérite » 3 et que je me suis fait un nom. Aussi étais-je très gêné d’être le point de mire de tout ce monde. En descendant à Cologne, je vis la foule qui regardait notre machine avec une stupéfaction mêlée de respect, mais je m’aperçus bientôt que ces regards admiratifs s’adressaient à moi, et m’y habituai.

2 Dans l’aviation allemande, le pilote était traditionnellement surnommé « Emil » et l’observateur « Franz ».

3 Manfred von Richthofen avait été promu le 12 janvier 1917 à la suite de sa 16e victoire.

Au bout d’une heure d’arrêt, nous repartîmes pour Kreuznach 4. Là, tous les aviateurs attachés au général commandant les forces aériennes, le Kogen 5 me firent une chaleureuse ovation. Je les connaissais presque tous du B.A.O. et du B.A.N. 6, et fus présenté à tout le monde. On m’offrit des fleurs et je fus accueilli par des hourras frénétiques. J’eus l’impression que là-haut, dans la grande fabrique de ferblanterie, on prenait part à l’existence et aux succès de chacun, et qu’on n’était pas considéré comme de simple numéro.

4 Bad Kreuznach, cité thermale et vinicole du Palatinat. A partir de janvier 1917, nombre de bâtiments y furent réquisitionnés pour servir de quartier général impérial ; le 19 décembre de la même année, le Kaiser y recevra le général ottoman Mustapha Kemal.

5 Abréviation familière pour Kommandirande General. Depuis octobre 1916 le général Ernst von Hoeppner (1860-1922) commandait le tout nouveau Luftstreikräfte.

6 Les Brieftauben Abteilung étaient des unités de bombardement regroupant 6 escadrilles et directement rattachés à l’OHL (Haut commandement de l’armée) ; il en existait 2 : Brieftauben Abteilung Ostende (BAO) et Brieftauben Abteilung Metz (BAM et non BAN). Manfred von Richthofen avait servi dans chacun d’eux.

 

18-copie-1

Bague de cigare à l’effigie du maréchal Hindenburg.

 

Le lendemain, je devais me présenter à Hindenburg et à Ludendorff.

Pendant ses heures de réception, Hindenburg était ordinairement assailli par une foule de civils et de gens en uniforme, de sorte que je ne pus lui parler que fort peu.

Ayant dû attendre une heure dans l’antichambre de Ludendorff, j’eus l’occasion d’observer combien cet homme était occupé. Il y avait dans cette pièce une quantité de personnages importants et haut placés. A côté de Ballin 7, un officier de l’état-major général avec un gros paquet de documents ; puis le ministre des Affaires étrangères Bethmann 8 s’était fait annoncer, et Helfferich 9 venait de partir. Une quantité de généraux attendaient une audience, et je venais après.

7 Albert Ballin (1857-1918), directeur de la compagnie transatlantique Hambourg-America (HAPAG).

8 Theobald von Bethmann-Holweig (1856-1921) était en fait chancelier d’Empire depuis la 14 juillet 1909 ; c’est Arthur Zimmermann (1864-1940) qui occupait alors le poste de secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères.

9 Karl Theodor Helfferich (1872-1924) était secrétaire d’Etat à l’Intérieur.

 

34

Timbre de propagande avec le portrait du Kaiser entouré par ceux de Bethmann-Hollweg et d’Helfferich.

 

Au bout d’une heure, l’adjudant de service me fit signe et m’introduisit. Ludendorff se leva et me donna la main, il ne me dit pas : « Comment allez-vous ? vous êtes gros et gras ! » mais me désigna un siège et me demanda : « Comment marche à présent l’aviation près d’Arras ? » Je commençai à lui parler et m’embarquai dans une conversation sans intérêt militaire bien important. Il me coupa simplement la parole et se mit à causer des questions dont je venais de lui faire mention. Je remarquai aussitôt qu’il se plaçait au point de vue général. Lorsqu’il eut appris ce qu’il voulait savoir du fonctionnement de l’aviation de notre principal front de combat d’Arras, il me congédia rapidement. J’en étais bien content, car je me sentais mal à l’aise devant cet homme si sérieux, si compétent et si positif.

 

7-copie-6

Bague de cigare à l’effigie du général Luddendorff.

 

Le soir du 2 mai, Hindenburg était invité pour une fête au Kogen. Ludendorff fit une apparition. J’étais à droite de Hindenburg ; à table il fit un discours en mon honneur, et ce qu’il disait me flattait. Dans le courant de la conversation, il me demanda, de son air bienveillant et paisible qui donne confiance : « Dites-moi, Richthofen, avez-vous aussi été cadet ? » Je lui racontai que j’avais commencé ma carrière militaire à la 2compagnie à Wahlstatt, à la chambrée 6, et le vieux général répondit : « Moi aussi j’ai commencé à jouer au soldat à la chambrée 6, et je lui ai envoyé mon portrait en souvenir. »

 

1-copie-31

 

Ecole des cadets de Wahlstatt

Bâtiments et cachet de papier de l’école des cadets de Wahlstatt.

 

A midi, le jour suivant, j’étais chez l’empereur. Tout s’est passé comme je me le figurais. Je ne pense pas que je saurais tenir le rôle d’aide de camp, et pourtant le comte Dohna s’en tire, bien que je l’imagine très semblable à moi.

L’empereur s’entretint, après déjeuner, environ une demi-heure avec moi. La conversation ne porta que sur un point, les canons contre-avions.

 

3-copie-17

Guillaume II en conversation avec Manfred von Richtofen, la tête bandée après sa blessure à la tête de juillet 1917.

 

Le soir j’étais de nouveau invité chez Hindenburg. Il y avait autour de la table huit chevaliers de l’ordre « Pour le Mérite ». Je n’en verrais sans doute plus jamais autant réunis, à moins que la guerre ne dure assez longtemps et que cet ordre soit abaissé au rang de la E.K. II 10.

10 Eiseners Kreuz (Croix de fer) de deuxième classe. Ayant été distribuée à plusieurs millions d’exemplaires depuis le début de la guerre, cette décoration avait perdu une partie de son prestige.

L’après-midi du lendemain je me trouvai chez l’impératrice. J’éprouvais la même impression qu’auprès de Hindenburg ; j’avais devant moi une aimable vieille dame, qui me faisait l’effet d’être une vieille tante, ou ma propre grand’mère, et auprès de laquelle on oublierait facilement qu’elle est impératrice.

Le 10 juin, je me rendis auprès du Kogen.

 

1-copie-32

Le roi Ferdinand Ier de Bulgarie (de face en uniforme allemand) et l’empereur Guillaume (en uniforme bulgare) au Grand Quartier Général.

 

Le même jour, le roi des Bulgares 11 était au Quartier Général, et j’eus l’occasion de lui être présenté pendant une visite à l’empereur. C’est un homme très grand, d’aspect imposant, avec un nez d’aigle fortement busqué, et un visage très intelligent. Tout ce qu’il dit est intéressant. Il s’entretint longuement avec moi, me questionnant sur les combats aériens, et je dois dire que j’ai été étonné de voir, jusqu’à quel point il était au courant des choses de mon métier. J’ai rarement trouvé auprès des officiers de l’active, lorsqu’ils n’étaient pas aviateurs, une connaissance aussi approfondie de tout ce qui touche à l’aviation. Je ne crois pas qu’il s’était préparé à cette conversation, ou qu’on l’ait documenté peu de temps auparavant, mais je suppose, au contraire, qu’en tout il a une vue claire des choses.

11 Ferdinand Ier (1861-1948) prince puis roi de Bulgarie. Le 3 octobre 1918, il dut abdiquer en faveur de son fils aîné Boris III.

 

5-copie-9

Ferdinand Ier et son fils aîné Boris (1894-1942) en visite sur le front.

 

Son second fils 12 me plut, il semblait presque un enfant, n’avait certes pas plus de dix-sept à dix-huit ans. Il s’intéressait aux machines et paraissait connaître l’Albatros D III 13. C’est le père qui m’a fait la meilleure impression de toute la famille.

12 Cyrille, prince de Preslav (1895-1945). A l'époque de cette rencontre, il avait 22 ans.

13 Chasseur monoplace entré en service en décembre 1916, son plan d’aile inférieur trop fragile avait tendance à se rompre en vol. Manfred von Richthofen avait connu cette mésaventure le 24 janvier 1917 : « Pendant ce dernier combat, à 300 mètres de hauteur, une de mes ailes s’est brisée ; par un miracle extraordinaire, j’atteignis la terre sans aucun mal » (lettre à sa mère, 27 janvier 1917).

 

1-copie-33

L’albatros D III de Manfred von Richthofen.

 

La table de l’empereur était servie comme d’habitude dans deux salons. Placé entre le grand maréchal de la Cour 14 à ma droite, et le prince de Pless, je remerciai le prince de son invitation pour la chasse à l’aurochs, et m’entretins presque continuellement avec lui. Il me dit qu’il destinait son fils aîné 15 à l’aviation, ce que je considérais comme une résolution particulièrement grave, étant donné les dangers du métier.

14 Georg comte von Kanitz (1842-1922).

15 Hans Heinrich XVII von Hochberg (1900-1984), fils d’Hans Heinrich XV et de sa première épouse Mary Theresa Olivia Cornwallis-West, plus connue sous le nom de Daisy de Pless.

 

7-copie-7

A défaut d’auroch, Manfred von Richthofen lors d’une chasse à l’élan en Prusse orientale.

 

Lyncker père 16, le chef du cabinet militaire, a été tout à fait aimable avec moi. Son fils 17 lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Chaque geste, chaque trait du visage est pareil à celui de son père. Je ne l’ai connu que peu de temps, il était pour moi le modèle du soldat, vrai fils de son père.

Après le repas, le Bulgare s’entretint avec celui-ci, avec celui-là, et aussi avec le fils Falkenhayn. Il ne faisait pas mystère de ses opinions politiques. Plus tard, j’eus l’occasion de parler avec Bethmann, qui était invité comme nous. Le lendemain on me remit, de la part de Sa Majesté le roi des Bulgares, la croix de la Bravoure de première classe.

16 Général Moritz von Lyncker (1853-1932), il était devenu chef du cabinet militaire à la suite du trépas soudain du général Hülsen-Haeseler, dont nous avons rapporté les circonstances tragiques dans un précédent article (16 – Soirée tragique à Donaueschingen).

17 Bodo von Lyncker, né en 1894, avait suivi sa formation de pilote en même temps que Manfred von Richtofen. Il avait été abattu au-dessus de Gjewgjelü en Macédoine le 18 février 1917.

 

1-copie-34

Croix bulgare de la  Bravoure.

 

Le vieux prince de Pless 18 est une belle apparition, d’une stature élégante, bref un beau vieillard. Ses yeux brillent comme ceux d’un vieux chasseur, et, à cheval, il a grande allure. Il a toujours un charmant sourire sur les lèvres, n’a rien de hautain, bref, il fait la conquête de tout le monde. L’empereur le tient en grande estime. Ce qui m’a produit une impression particulière, c’est que cet homme de soixante-seize ans soit monté en avion avec Fritz Falkenhayn 19 pour un vol d’une heure et demie à travers la contrée. Il en était si enthousiasmé qu’en descendant il mit vingt marks dans la main de chaque mécanicien, et serait reparti sur-le-champ. C’est d’autant plus extraordinaire qu’on rencontre une masse d’hommes plus jeunes, chevaliers sans peur et sans reproche, qui ne se décideront jamais à grimper dans un appareil.

18 Hans Heinrich XV von Hochberg (1861-1938), 3e prince de Pless, était alors aide-de-camp du Kaiser. Lors de cette rencontre, le « vieux » prince avait en fait cinquante-six ans, et non soixante-seize comme il est écrit ; exagération de l’auteur ou erreur d’Ed. Sifferlen, traducteur aux éditions Payot ?

19 Fritz von Falkenhayn (1890-1973), fils du général Eric von Falkenhayn chef d’état-major de l’armée allemande de septembre 1914 à août 1916.

 

20 marks ; 2r

Reproduction d’une pièce de 20 marks-or. L’original, d’un diamètre de 22,5 millimètres pesait 7,965 grammes au titre de 900/1000.

 

Je causai encore avec la plupart des aides de camp présents, sans excepter Dohna, qui jusqu’à son troisième voyage sur la Möwe, continua son service d’aide de camp de l’empereur 20.

20 Nikolaus zu Dohna-Schlodien (1879-1956). Officier de marine, il servit pendant la première guerre mondiale sur le SMS Seeadler sous le commandement du légendaire lieutenant-capitaine von Luckner puis commanda le fameux croiseur auxiliaire SMS Möwe (ci-devant cargo bananier Pungo de l’Afrikanissche Fruchtkompanie) ; à son retour de campagnes au début de l’année 1917, il fut nommé en récompense de ses exploits aide-de-camp du Kaiser.

Je lui demandais si son poste lui convenait. Il sourit finement, et ce petit homme effacé me fit, au milieu de tous les autres, la meilleure impression ; visiblement, il n’était pas un courtisan, mais un soldat.

 

1-copie-35

Le comte zu Dohna.


Le comte Frankenberg 21, lui aussi, me plaisait infiniment, lorsque son visage de courtisan redevenait humain. Il me dit quelques paroles remarquables : « Rappelez-vous qu’autour de vous il y a des hommes, et rien que des hommes, avec une mentalité tout simplement humaine, du premier au dernier ». Ce qu’il me dit là me parut vrai.

21 Hans-Heydan von Frankenberg und Ludwigsdorf (1869-1946).

Le reste de la soirée se passa debout, car l’empereur ne s’assied jamais, ce qui rend sa société pénible aux vieux messieurs comme Hindenburg et Ludendorff, lorsqu’ils sont invités chez lui.

 

26

Soirée « debout » au Grand Quartier Général. Au premier plan, le Kaiser s’entretient avec Luddendorf, au second plan, Hindenburg est en conversation avec le Kronprinz ; derrière eux, adossé au chambranle, se tient le général von Lyncker.

 

A peine un an plus tard, Manfred von Richthofen était abattu dans des conditions qui sont encore aujourd’hui discutées. Tout comme son exceptionnel tableau de chasse (80 victoires homologuées), cette disparition prématurée à l’âge de 25 ans fit beaucoup pour la légende de ce moderne Achille qui préféra lui aussi une gloire précoce à une longue vie.

 

Corgi

Manfred von Richthofen (figurine de la marque britannique Corgi).

 


Partager cet article
Repost0
5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 09:18

 

Il y a soixante et onze ans disparaissait le Kaiser. En ce jour de deuil, afin de ne pas sombrer dans une trop grande tristesse, je vous propose d’en rester à la simple nostalgie avec la plus célèbre photographie de l'Empereur, prise dans les temps heureux d’avant le désastreux été 1914.

 

1-copie-29

 

Ce cliché de famille a été pris à Cobourg (capitale du duché de Saxe-Cobourg-Gotha) le 19 avril 1894, à l’occasion des fiançailles du tsarévitch Nicolas (qui deviendra le tsar Nicolas II dès le 1er novembre suivant) avec la princesse Alice de Hesse. Il s’agit d’un de ces portraits de groupe typique, pris en extérieur pour bénéficier de la lumière naturelle ; chacun des participants prend la pose, installé sur un tapis et une peau d’ours sans doute sortis pour l’occasion de la pièce ornée de trophées de chasse que l’on aperçoit à l’arrière-plan.
Le souvenir de cette brillante journée resta suffisamment vivace dans l’esprit du Kaiser pour qu’il puisse écrire de Cobourg à Nicolas II deux ans plus tard (Correspondance entre Guillaume II et Nicolas II 1894-1914, Plon, 1924 ; pp. 27-28) :

Très cher Nikki,
Nous avons eu ici un mariage très joyeux 1 et les figures de beaucoup de mes hôtes me reportaient à deux ans en arrière, lorsque j’eus le bonheur de t’aider à devenir le maître de cet ange véritable et charmant, ta femme. D’autres se sont souvenus aussi du mois d’avril 1894 ; aussi avons-nous voulu t’envoyer une dépêche. J’ose penser que je ne t’ai rien dit ni prononcé alors dont tu n’aies fait ensuite l’expérience dans ta vie conjugale. Que la bénédiction divine soit sur vous deux, surtout le mois prochain quand tu seras couronné à la face du monde enthousiasmé 2.

1 Le 20 avril 1896, la princesse Alexandra de Saxe-Coburg-Gotha (1878-1942), fille du duc Alfred Ier, avait épousé le prince Charles-Ernest de Hohenlohe-Langenburg (1863-1950).
2 Nicolas II devait être couronné à Moscou le 26 mai 1896.

 

1-copie-30

 

2-copie-3

 

Couverture de l’Almanach de Gotha de 1900 et pages consacrées à la maison de Saxe-Cobourg-Gotha.

 

Comme toutes les photographies de mariage, celle-ci nécessite de présenter les invités en précisant les liens qui les unissent.

   A) Agenouillées sur le tapis au premier rang

 1) la princesse Béatrice de Saxe-Cobourg-Gotha (1884-1966), fille du duc Alfred Ier *

   * Le duc est présenté le dernier de cette liste. 

2) la princesse Theodora de Meiningen (1879-1945), fille du duc Bernard III de Saxe-Meiningen et de la princesse Charlotte de Prusse, sœur du Kaiser

  B) Assis au second rang

3) l’empereur Guillaume II (1859-1941)

4) la reine Victoria du Royaume-Uni (1819-1901)

5) l’impératrice Frédéric (1840-1901), née Victoria du Royaume-Uni, fille aînée de la reine Victoria et mère du Kaiser

   C) Debout au troisième rang

6) le tsarévitch Nicolas (1868-1918)

7) la princesse Alix de Hesse (1872-1918), fille du grand-duc Louis IV de Hesse et de la princesse Alice du Royaume-Uni, seconde fille de la reine Victoria

8) la princesse Louis de Battenberg, née Victoria de Hesse (1863-1950), sœur de la fiancée

9) la princesse Henri de Prusse, née Irène de Hesse (1866-1953), sœur de la fiancée et belle-soeur du Kaiser

10) la grande-duchesse Wladimir de Russie, née Marie de Mecklembourg-Schwerin (1854-1920)

11) la duchesse Marie de Saxe-Cobourg-Gotha (1875-1938), fille du duc Alfred Ier, qui avait épousé en 1893 Ferdinand de Hohenzollern-Sigmaringen prince héritier de Roumanie

D) Debout au quatrième rang

12) le prince héritier Alfred de Saxe-Cobourg-Gotha (1874-1899), fils du duc Alfred Ier

13) la princesse Henri de Battenberg, née Béatrice du Royaume-Uni (1857-1944), fille cadette de la reine Victoria

14) la princesse Alexandra de Saxe-Cobourg (1878-1942), fille du duc Alfred Ier

15) la princesse héritière Charlotte de Meiningen, née princesse de Prusse (1860-1919), fille de l’empereur Frédéric III et sœur du Kaiser, qui avait épousé en 1878 le duc Bernard III de Saxe-Meiningen

16) la duchesse de Connaught, née princesse Louise-Margarete de Prusse (1860-1917)

17) le duc Arthur de Connaught (1850-1942), 3e fils de la reine Victoria

E) Debout au cinquième rang

18) le prince de Galles, futur Edouard VII (1841-1910)

19) le prince Henri de Battenberg (1858-1896)

20) la princesse Philippe de Saxe-Cobourg-Gotha, née Marie de Hohenzollern-Sigmaringen (1845-1912), avait épousé en 1862 le prince Philippe de Saxe-Cobourg-Gotha

21) le grand-duc Serge Alexandrovitch de Russie (1857-1905), oncle du fiancé

22) le prince héritier de Roumanie (1865-1927), futur Ferdinand Ier

23) le grand-duc Wladimir Alexandrovitch de Russie (1847-1909), oncle du fiancé

F) Debout au dernier rang

24) le prince Louis de Battenberg (1858-1896)

25) le grand-duc Paul Alexandrovitch de Russie (1860-1919), oncle du fiancé

26) le prince Philippe de Saxe-Cobourg- Gotha (1837-1905), fils du roi Léopold Ier de Belgique et frère du roi Léopold II

27) le comte Albert de Mensdorff-Pouilly, attaché d’ambassade autrichien à Londres – du fait du mariage morganatique de son parent le comte Emmanuel de Mensdorff-Pouilly (1777-1852) avec la princesse Sophie de Saxe-Cobourg-Saalfeld (1777-1835), tante de la reine Victoria, c’était un ami de la famille royale anglaise

28) la princesse héritière de Roumanie, né Marie de Saxe-Cobourg-Gotha (1875-1938), fille du duc Alfred Ier

29) la grande-duchesse Serge de Russie, née Elisabeth de Hesse (1864-1918), sœur aînée de la fiancée

30) le duc Alfred Ierde Saxe-Cobourg-Gotha (1844-1900), second fils de la reine Victoria, dont on remarquera la ressemblance avec son frère le prince de Galles 3

3 En 1893, le duc Ernest II de Saxe-Cobourg-Gotha mourut sans héritier. Son trône aurait dû revenir au Prince de Galles, fils de son frère cadet le prince Albert. Le futur Edouard VII ne tenant pas à monter sur ce trône étranger, laissa sa place à son frère.

 

Sur cette photographie où la hiérarchie est respectée avec des chaises pour les seuls personnages impériaux (la reine Victoria impératrice des Indes, l’impératrice douairière d’Allemagne, le Kaiser), presque tous les invités en tenue militaire portent l’uniforme allemand même lorsqu’ils sont étrangers (prince de Galles, prince héritier de Roumanie, duc de Connaught) ; seul le prince Henri de Battenberg fait exception à cette règle avec sa tenue de service anglaise. Hors les trois principaux souverains, les participants sont mêlés même s’ils peuvent aisément être séparés en deux groupes principaux :

– les rares parents du fiancé (grand-duc Wladimir et son épouse, grand-duc Serge et son épouse et grand-duc Paul) ;
– les nombreux parents de la fiancée, groupés autour de la matriarche Victoria, veuve du prince consort Albert de Saxe-Cobourg-Gotha.

   478px-Wappen Sachsen Coburg Gotha
Grandes armes des ducs de Saxe-Cobourg-Gotha ; gravure de Hugo Gerhard Ströhl (1851-1919).

 

Ce grand nombre de parents de la fiancée et la diversité de leurs origines (Allemagne, Grande-Bretagne, Roumanie) illustrent à merveille la « colonisation » au XIXe siècle des trônes européens par des petits princes allemands.
La famille la plus active en ce domaine fut la maison de Saxe-Cobourg-Gotha avec :

- Léopold (1790-1865), proclamé roi des Belges en 1831 et aïeul des actuels souverains belges ;
- Albert (1819-1861) qui épousa en 1840 la reine Victoria 4 ; de ce mariage sont issus les actuels souverains britanniques 5 ainsi que les membres de la famille impériale allemande grâce au mariage en 1858 de la fille aîné du couple, la princesse Victoria Adélaïde Marie Louise (1840-1901), avec le kronprinz Frédéric de Prusse, futur empereur allemand et père de Guillaume II ;

4 Le dernier souverain anglais issu d’une famille britannique est la reine Anne Stuart (1665-1714), fille de Jacques II. A sa mort, Georges Ier (1660-1727), prince électeur de Hanovre, lui succéda.
5 Depuis Edouard VII jusqu’à sa gracieuse majesté la reine Elisabeth II, la dynastie britannique est donc celle des Saxe-Cobourg-Gotha, même si le 17 juillet 1917 elle troqua son nom trop allemand contre celui plus insulaire de Windsor.

- Ferdinand (1861-1948), prince puis roi de Bulgarie, dont l’actuel descendant, Siméon (éphémère roi de Bulgarie de 1943 à 1946), est retourné dans son pays après la chute du rideau de fer pour s’y faire élire premier ministre.
 

De même pour les Hohenzollern Sigmaringen, branche cadette de la maison des Rois de Prusse et Empereurs allemands avec :

- Charles (1839-1914), prince puis roi de Roumanie.

Enfin, même une branche morganatique de la maison de Hesse comme les Battenberg réussit à se glisser dans l’ombre des souverains britanniques en mariant l’un de ses membres à la fille cadette de la reine Victoria et un autre à l’une de ses petites-filles. Tout comme ses royaux cousins de Buckingham, la famille Battenberg prit le nom de Montbatten (traduction littérale en anglais de son nom allemand) en 1917 ; le prince Louis abandonna même ses titres allemands pour devenir marquis de Milford-Haven.

Suivant le même chemin, la famille de Teck (branche morganatique de la maison de Wurtemberg) mariera à son tour l’une de ses filles au futur roi Georges V du Royaume-Uni.

 

Ces liens entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne du nord remontaient aux débuts de la Réforme, lorsque les princes ayant adhéré aux nouvelles croyances s’allièrent face au Saint-Empire catholique. L’avènement de Georges Ier de Hanovre comme roi d’Angleterre en 1714 en vertu de l’Act of Settlement de 1701 qui interdisait le retour d’un roi catholique, illustre bien cette situation.
Accessoirement, ce rassemblement du « Gotha » montre la consanguinité entre les familles régnante de Grande-Bretagne, d’Allemagne, de Russie et d’Europe, en soulignant toute l’absurdité du premier conflit mondial. Il rappelle aussi, en filigrane, l’hémophilie que la reine Victoria transmit aux familles royales d’Espagne, de Hesse et de Russie…
Dans cette rencontre entre cousins, ultime rassemblement des vainqueurs de Napoléon, seuls manquent les Habsbourgs d’Autriche, dont le strict attachement au catholicisme empêchait toute union avec un conjoint qui n’aurait pas professé leur religion et qui refusaient la conversion de ses filles pour aller épouser des princes étrangers ; malgré tout, la présence du comte Albert de Mensdorff-Pouilly est là pour rappeler cette ancienne union des tenants de la Sainte Alliance.

 2-copie-2
Le Kaiser dans sa jeunesse, lors d’un voyage en Ecosse chez sa grand-mère la reine Victoria.

 

 

 

Cet article paraît pour le premier anniversaire de ce blog. Puissent tous ceux qui viennent le consulter – et parfois même y déposer des commentaires – recevoir l’expression de mes remerciements amicaux.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
2 juin 2012 6 02 /06 /juin /2012 07:10

2-copie-1

 

Epinglette commémorative du couronnement de la Reine.

 

Aujourd’hui, Sa Très Gracieuse Majesté Élisabeth II, par la grâce de Dieu reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires, chef du Commonwealth et cousine lointaine du kaiser Guillaume II 1 célèbre son jubilé de diamant.

1 Tous deux ont en effet la reine Victoria pour aïeule ; de plus, pendant les quinze premières années de sa vie la Reine fut la contemporaine du Kaiser, même s’ils n’eurent jamais l’occasion de se rencontrer du fait de la regrettable brouille intervenue entre les deux branches de leur commune famille le 4 août 1914…

 

1-copie-28

 

 

Joyeux anniversaire, Votre Majesté !

 


IMG 0173

Figurine de la marque Britain représentant la Reine sur son cheval Burmese.

 

 


Partager cet article
Repost0
27 avril 2012 5 27 /04 /avril /2012 13:09

Après la guerre de 1870 et la perte de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine, les relations entre la France et l'Allemagne ne pouvaient être que compliquées. Des tentatives de rapprochements se firent discrètement de part et d'autre, mais aucun des deux camps n'était disposé à faire les sacrifices nécessaires pour arriver à une véritable entente. Dans des lettres à l'impératrice Augusta-Victoria, écrites à bord du yacht impérial Hohenzollern lors de la croisière d'été 1899, Philippe Eulenburg rapporte un bel exemple de diplomatie des petits pas en la matière (Souvenirs du prince Eulenburg, croisières à bord du Hohenzollern 1889-1903 ; Payot, 1934 ; pp. 254-259).

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Le yacht impérial Hohenzollern avec, en supplément, le pavillon personnel du Kaiser.

4 juillet 1899

Pendant le dîner, nous entrâmes dans le Karmsund et, à Kopervik, nous prîmes le vieux pilote Nordhus qui conduit pour la neuvième fois le Hohenzollern à travers les écueils norvégiens. Nos deux nouveaux compagnons de voyage, Klinkowström et Mackensen, se précipitaient d’un bord à l’autre pour ne rien perdre de la côte norvégienne.

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Carte postale colorisée du port de Bergen au début du XXe siècle.

A notre entrée dans le port de Bergen, nous fûmes salués par le bateau-école Gneisenau 1 et par le bateau-école français Iphigénie 2.

1 Frégate à propulsion mixte à trois mâts de 75 mètres de long lancée le 4 septembre 1879. D'un modèle complètement dépassé, elle fut choisie pour devenir navire école des aspirants-officiers. Elle coula dans le port de Malaga le 16 décembre 1900 en tuant 40 personnes dont son commandant.

2 Frégate à propulsion mixte à trois mâts de 73 mètres de long lancée à Brest le 8 septembre 1881. Elle aussi d'un modèle complètement dépassé, elle fut choisie pour devenir école d'application des aspirants pour 16 promotions de jeunes officiers. En 1899, elle effectuait sa dernière croisière comme navire école ; elle fut remplacée dans ce rôle en 1900 par le Duguay-Trouin (ex Tonkin) et fut condamnée en 1901 avant d'être démolie quatre ans plus tard. L'actuel simulateur de navigation de l'Ecole Navale française a été baptisé Iphigénie en son honneur.

Dès que nous fûmes à l’ancre, les commandants se présentèrent ainsi que le consul Mohr et notre impresario norvégien Aslagsen.

En dehors des bateaux de guerre, la Princesse Alice 3 se trouvait également dans le port, avec le prince de Monaco. Sa Majesté alla lui faire une visite et l’invita à dîner.

3 Deuxième navire de ce nom (le premier avait d'abord été baptisé Hirondelle, avant d'être rebaptisé après le second mariage du prince), il s'agissait d'un yacht de 73 mètres lancé par les chantiers Laird à Birkenhead près de Liverpool le 27 novembre 1897 et était destiné aux recherches océanographiques du prince Albert Ier de Monaco ; il l'utilisa entre 1898 et 1910 avant de se faire construire un troisième bateau, l'Hirondelle II.

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Le prince Albert Ier de Monaco et son yacht Princesse Alice II.

Le commandant français Manceron fut également prié à dîner. C’est un homme passablement ennuyeux qui cache son embarras sous une façon de parler doctorale. Il n’avait reçu aucune instruction de son gouvernement au cas d’une rencontre avec l’Empereur d’Allemagne et paraissait écrasé sous le fardeau de sa propre responsabilité.

Après le dîner, la fanfare joua des morceaux qui doivent être suffisamment connue de Votre Majesté. On en ajouta trois autres que le prince de Monaco a découverts à la Bibliothèque Nationale de Paris. Ils sont vraiment intéressants ; composés par Lulli – donc du temps de Louis XIV. (Ils ne sont malheureusement pas pour cela plus doux que les autres.)

Nous restâmes sur le pont jusque vers minuit, par une température assez fraîche. Une conversation entre l’Empereur, le prince de Monaco et moi dura deux bonnes heures ; les autres invités commençaient à désespérer. L’excellent punch qu’on nous servit à la fin et qui nous retint ensemble jusque vers 1 heure, ne parvint pas à les rassurer complètement ; quelques bonnes plaisanteries de Salzmann n’eurent pas plus de succès.

6 juillet 1899

Journée très intéressante, mais aussi assez pénible.

Le Hohenzollern fit du charbon. (Ah ! si nous étions sur l’Iduna 4 !) A cause de cela, l’Empereur quitta le Hohenzollern à 10 heures pour aller travailler sur le Gneisenau. Le capitaine avait mis sa cabine à la disposition de Sa Majesté.

4 Voilier américain acheté par le Kaiser et offert à son épouse.

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

A droite, la frégate école Gneisenau (1879-1900) ; à gauche, le croiseur cuirassé Gneisenau (1906-1914), coulé lors de l'écrasement de l'escadre du vice-amiral von Spee par le contre-amiral Sturdee aux Falklands.

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Visite de l'empereur Guillaume II à bord du Gneisenau (28 juin 1899).

A 11 heures, Senden et Kessel arrivèrent en uniforme, car le moment solennel de la visite du bateau-école français approchait. L’agitation causée sur le bateau français par cette visite était énorme. Tout avait été lavé et nettoyé pour charmer les regards du célèbre Empereur Guillaume. (Je crois que ce nettoyage a été très utile au bateau et à son équipage. Nous avions l’impression que ce n’est pas toujours aussi propre là-bas que chez nous.) Mais les hommes ont l’air excellents ; se sont surtout des Bretons, de beaux hommes, d’un certain âge. Les officiers paraissaient plutôt appartenir à la classe moyenne. Le commandant en second est le portrait de Nelson. L’aumônier, avec son grand chapeau, n’a pas un aspect suffisamment religieux pour inspirer la confiance. Les Cadets avaient très bonne allure dans leurs uniformes bien ajustés.

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

L'Iphigénie en rade de Brest.

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Photographie du roulis sur l'Iphigénie. On remarquera l'aumônier, sans son "grand chapeau", dans un position peu religieuse...

L’Empereur passa une revue, tendit la main à tous les officiers et visita en détail le navire, qui est une ancienne frégate. Un très long entretien eut lieu dans le salon du commandant ; puis, nous retournâmes sur le Gneisenau, tandis que les salves passaient juste au-dessus de nos têtes, si bien que je pensais que tout allait crouler. Dans ces moments-là, j’en arrive à me demander si je ne préfère pas les fanfares. Du Gneisenau, j’ai envoyé le télégramme suivant à Berlin, au Ministère des Affaires Etrangères : «Sa Majesté, accompagnée de l’amiral baron Senden, du général von Kessel et du soussigné, vient de visiter le bateau-école français Iphigénie. La réception a été très sympathique. Les officiers avaient fait dire par le prince de Monaco qu’ils craignaient que le maintien un peu froid, naturel au commandant, ne soit mal interprété. Sa Majesté a envoyé au Président un télégramme que je joins. Demain soir, les officiers et 67 cadets sont invités sur le Hohenzollern pour assister à une fête avec les cadets allemands. Le commandant de l’Iphigénie a demandé la permission de hisser le pavillon de l’Empereur, ce qui lui a été accordé bien volontiers. C’est la première fois depuis la fondation de l’Empire allemand que l’étendard de l’Empereur a flotté au grand mât d’un bateau de guerre français. Sa Majesté espère que cette journée lui a fait faire encore un pas vers le rapprochement des deux pays.»

Ensuite l’Empereur, après mûre réflexion, envoya au Président Loubet un télégramme en français rédigé par mes soins et dont voici la teneur et le soir même arrivait la réponse que je joins également.

«Au Président de la République Française, Paris. J’ai eu le plaisir de voir sur le croiseur-école Iphigénie les jeunes marins français, dont la tenue militaire et sympathique, digne de leur noble patrie, m’a fait une vive impression. Mon cœur de marin et de camarade se réjouit de l’accueil gracieux qui m’a été fait par le commandant et les officiers de l’équipage. Je me félicite, Monsieur le Président, de cette heureuse circonstance qui m’a permis de rencontrer l’Iphigénie et vos aimables compatriotes.

Guillaume.»   

Réponse :

«A Sa Majesté Guillaume II, Empereur d’Allemagne, Roi de Prusse, Bergen. Je suis bien touché du télégramme que Votre Majesté Impériale vient de m’adresser à la suite de sa visite à bord du croiseur-école Iphigénie. Je tiens à la remercier de l’honneur qu’Elle a fait à nos marins et des termes dans lesquels Elle a bien voulu me marquer l’impression que cette visite lui a laissée.

Emile Loubet.»          

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Emile Loubet (1838-1929) fut président de la république française du 18 février 1899 au 18 février 1906 (carte publicitaire 7/500 de la première série des Célébrités contemporaines).

Ces premières relations officielles de l’Empereur avec les Français ont, sans aucun doute, une signification importante et peuvent jouer un rôle considérable dans le futur développement de la politique allemande.

 

Malheureusement pour la diplomatie allemande, il n’en était rien. Abel Combarieu (1856-1944), alors secrétaire général à la présidence de la république française, exprime l’accueil soupçonneux réservé par la France au message impérial :

Il y a là des compliments et comme une effusion qui passent un peu la mesure de la courtoisie. Le Président estimait qu’il n’y avait pas lieu, afin d’éviter des commentaires hasardeux, de communiquer ce télégramme à la presse. Il l’a lu au Conseil des ministres qui l’a prié, au contraire, de le publier, par la raison qu’il paraîtra certainement dans la presse d’outre-Rhin (d’outre-Vosges, hélas !) 5

5 Abel Combarieu Sept ans à l’Elysée avec le président Loubet (Hachette ; Paris, 1932) pp. 30-31.

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Abel Combarieu (carte publicitaire 320/500 de la première série des Célébrités contemporaines).

Revenons maintenant au récit de Philippe Eulenbourg.

A 1 h. 1/4, l’Empereur se rendit, pour déjeuner, avec une partie de sa suite, chez le consul Mohr ; la villa, par ce beau temps, était vraiment splendide.

L’Empereur prit congé vers 4 heures.

Une fois à bord, l’Empereur s’installa sur la nouvelle galerie du pont qui est charmante. Je lui ai lu de vieux souvenirs historiques que j’ai extraits de vieux papiers de famille, trouvés dans les archives de Liebenberg, que j’ai rassemblés et publiés. Sa Majesté accueillit avec sa vivacité habituelle tous ces récits qui ont tant de rapports avec l’histoire de notre pays et celle de la Cour, tandis que le bon prince Albert, qui se trouvait là, jugeait ces choses lointaines et tout simplement oiseuses.

Cette lecture continua jusque vers 8 heures. L’Empereur se rendit alors, avec une partie de sa suite, sur la Princesse Alice, où le prince nous offrit un excellent dîner.

Le prince fut extrêmement aimable, malgré sa réserve habituelle, et je dois avouer que je ne peux vraiment pas lui reprocher autre chose que d’avoir épousé la fille de Rébecca Heine, lui, prince de Monaco. A minuit, nous rentrâmes à bord du Hohenzollern.

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Marie Alice Heine (1858-1925), veuve du duc de Richelieu, avait épousé le 30 octobre 1889 le prince Albert Ier de Monaco dont le mariage avec Mary-Victoria Hamilton avait été annulé en 1880. Ayant fini par se lasser des croisières de son époux princier, ils se sépareront le 30 mai 1902.

7 juillet 1899

Anniversaire du cher prince Fritz 6, pour lequel j’exprime à Votre Majesté et au prince tous mes meilleurs vœux de bonheur.

6 Eitel-Frédéric de Prusse (1883-1942), second fils du Kaiser.

Le temps était frais et brumeux ; pourtant, pendant la promenade que Sa Majesté a faite avec le prince Holstein, Hülsen, Salzmann et moi, le soleil a fini par triompher. Nous avons suivi un joli parcours dans le nouveau quartier de Bergen, construit au cours des dix dernières années.

Nous rentrâmes à 1 heure pour le déjeuner, après lequel l’Empereur se reposa. Je descendis en ville, afin d’acheter un souvenir d’anniversaire pour l’un de mes enfants et je revins juste à temps pour me joindre à une grande promenade en bande. Après une heure de marche, l’Empereur s’assit sur un rocher ; nous nous installâmes autour de lui pour jouir en même temps d’une agréable conversation et de la vue merveilleuse sur la mer et sur la côte. En face de nous, on distinguait le Hohenzollern tout blanc. On voyait aussi, dans les cordages du bateau français, le linge des cadets qu’ils désiraient sans doute avoir propre pour la réception de ce soir, à bord du Hohenzollern.

A 6 h. 3/4, dîner ; Albert Holstein porta un toast à la santé du cher prince Fritz. Le temps s’était levé, de sorte que le Hohenzollern resplendissait de tout son éclat lorsque les hôtes arrivèrent. Un superbe tapis rouge ornait le pont où l’on avait installé les tables de la salle à manger. Les cadets du Gneisenau étaient arrivés d’abord, avec leurs officiers, environ une quarantaine, qui se mirent en rangs. «Qui de vous parle français ?» demanda l’Empereur ; dix s’avancèrent alors, mais les autres prétendirent qu’ils n’iraient pas loin avec leur science. Puis, les bateaux français arrivèrent : les officiers gravirent d’abord la passerelle avec un air sérieux et important ; ils furent aimablement reçus par Sa Majesté, puis arrivèrent les quarante cadets qui se placèrent en face des nôtres. L’Empereur les salua très aimablement et leur dit qu’ils n’avaient plus qu’à faire connaissance avec leurs camarades allemands. Les deux groupes se dirigèrent l’un vers l’autre et alors commencèrent les présentations réciproques, les poignées de main, des salutations à n’en plus finir, jusqu’à ce qu’on offrît des sandwichs au caviar, aux sardines, au fromage, ainsi que de la bière blonde et des cigares. Ce fut un vrai succès. Votre Majesté pourra s’en rendre compte si je lui dis que 1.500 sandwichs et 115 litres de bière furent engloutis. Ensuite, on circula sur tout le bateau. L’Empereur avait même ouvert sa cabine. Toute cette jeunesse était très gaie et en confiance et je dois avouer qu’une réception semblable, l’an dernier, entre les cadets allemands et les cadets anglais, a été loin d’avoir ce caractère de cordialité.

Tandis que nous prenions le thé avec le prince de Monaco et les deux officiers les plus anciens de l’Iphigénie, l’Empereur remit au commandant le Grand Cordon de l’Aigle rouge, que Senden lui passa autour du cou ; je murmurai alors à l’oreille du pauvre homme, aussi effrayé que flatté, que le Gouvernement français avait donné son assentiment pour la remise de cette décoration. «Ah ! monsieur, s’écria-t-il soulagé, vous me donnez là une excellente nouvelle».

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Plaque et médaille de grand-croix de l'Ordre de l'Aigle Rouge (photogaphie de Robert Prummel pour nl.wikipedia sous licence GFDL)

La musique ne pouvait pas manquer dans une telle solennité et elle se couvrit de gloire. A minuit, cette fête peu banale et significative était terminée. Les Français étaient enthousiasmés et je regrette seulement de ne pouvoir lire les lettres qu’ils écriront chez eux. «L’Empereur est un homme très chic», me disait l’an dernier le professeur Richard. La plupart des cadets pourraient bien en avoir écrit autant, eux chez qui le chic tien une si grande place.

8 juillet 1899

L’Empereur était sur le pont dès 8 heures pour assister à l’appareillage du Hohenzollern et recevoir l’hommage des bateaux qui restaient en rade. Il faisait un beau temps clair et nous avons continué notre voyage par mer calme, à travers les îles, en direction du Nord.

18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen

Le Kaiser sur la passerelle de commandement du Hohenzollern. On remarque assis sagement derrière lui deux de ses bassets.

Cette timide tentative de rapprochement resta malheureusement sans suite, le septennat d'Emile Loubet étant surtout marqué par le renforcement de l'alliance franco-russe et par la signature en 1904 d'accords bilatéraux entre la France et l'Angleterre qui débouchèrent sur la constitution de la Triple-Entente. Elle n'en demeure pas moins un bel exemple de ce que les Chinois appellent la "diplomatie du panda" et dont la meilleure illustration fut l'invitation par la Chine de pongistes américains en 1971 en prélude à la reprise des relations diplomatiques entre ces deux pays.

Afin de compléter le récit un rien snob du prince Eulenburg, j'ai voulu consulter le livre de bord de l'Iphigénie au Service Historique de la Défense ; malheureusement, je n'ai pu le trouver ni à Vincennes ni à Brest, ce qui nous prive d'une version française de cette brève rencontre. Quel dommage que même textuellement le rapprochement franco-allemand n'ait pu avoir lieu...

 

 

Un grand merci au très vénérable (mais sans aucun point) Jean Gérald pour m'avoir soufflé l'idée de cet article.

Partager cet article
Repost0
30 mars 2012 5 30 /03 /mars /2012 13:57

 

 

 

 

 

Le 15 juillet 1905, le magazine Je sais tout a rapporté l’arrestation d’Arsène Lupin sur le transatlantique Provence. C’était la première fois que la presse révélait l’existence de cet individu dont Maurice Leblanc se fit le biographe… De cette date jusqu’en mai 1909, il publia régulièrement dans le même magazine, sous forme de feuilletons, l’apologie des délits de celui qui devint dans l’imagination populaire le prototype du gentleman cambrioleur et, en écrivain conscient des réalités économiques, il regroupa ensuite ces épisodes dans trois volumes : Arsène Lupin, gentleman cambrioleur (Pierre Lafitte, 1907), Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (1908) et L’Aiguille creuse (1909). A chaque fois, des modifications étaient intervenues entre le récit fait en feuilleton et celui publié en volumes séparés.
De mars à mai 1910, Maurice Leblanc donna dans le quotidien Le Journal le récit des nouvelles tribulations de son personnage sous le titre énigmatique 813, puis le fit éditer chez Lafitte dès le mois suivant. Remanié en 1917 pour tenir compte des préjugés du temps de guerre, il se compose de deux parties : La double vie d’Arsène Lupin et Les trois crimes d’Arsène Lupin. Cet ouvrage, le plus long de la série, est aussi le plus noir, marqué par un climat lourd de menaces, ponctué d’assassinats et de combinaisons de haute politique; c’est aussi dans cet ouvrage que le Kaiser entre en scène. Bien qu'écrit par un Français qui n'a pas oublié les provinces perdues, l'Empereur est présenté dans cette oeuvre de façon très neutre, sous les traits d'un souverain volontaire et sûr de lui, à la fois homme de parole et homme d'action.
Comme il ne s’agit pas ici d’effectuer un abrégé de ces aventures insolites ni d’en révéler les rebondissements, je me contenterai de donner un résumé des faits principaux, en m’attardant sur les seuls épisodes où apparaît Guillaume II.

 

1-copie-18

Reproduction de la jaquette de l’édition originale, publiée à l’initiative de l’association 813 (association des amis de la littérature policière).

 

L’intrigue commence dans l’appartement 415 du Palace Hôtel à Paris, où le richissime Rudolf Kesselbach est séquestré dans sa suite par Arsène Lupin et ses complices. Le lendemain, il est retrouvé assassiné au même endroit. Tout semble donc indiquer le sieur Lupin comme coupable ;  mais monsieur Lenormand, chef de la Sûreté, est convaincu du contraire.
Dans La double vie d’Arsène Lupin, Lenormand et ses hommes vont donc tout faire pour l’innocenter et pour protéger Dolorès, la veuve de feu Kesselbach, contre les manigances d’un ennemi machiavélique. En parallèle, Lupin agit de la même manière mais finit par être arrêté au dernier chapitre du livre (§ VII La Redingote Olive).

1-copie-20Exemple de cellule à la prison de la Santé : ici Maxime Réal del Sarte passa 9 mois en 1909 pour avoir giflé le professeur Thalamas au motif qu’il avait insulté Jeanne d’Arc.

 

Les trois crimes d’Arsène Lupin s’ouvre à la prison de la Santé, où Lupin est incarcéré. C’est là qu’il apprend l’existence de papiers compromettants, remis en 1898 par Bismarck sur son lit de mort à son vieil ami le grand-duc Hermann III de Deux-Ponts-Veldenz, prince de Berncastel, comte de Fistingen, seigneur de Wiesbaden et autres lieux 1.

1 Ami lecteur féru de noblesse, inutile de te plonger dans l’Almanach de Gotha pour y chercher trace de cet Hermann III… La principauté de Palatinat-Deux-Ponts, possession de la branche de Birkenfeld de la maison de Bavière depuis 1731 (date de l’extinction de la branche de Zemmern-Veldenz des ducs de Deux-Ponts), a disparu en fait lors de l’occupation de son territoire par les troupes carmagnoles en 1792 ; de plus, son dernier souverain, le prince Charles Théodore, mourut sans héritier légitime en 1799. Son territoire, annexé en grande partie au département français du Mont-Tonnerre après le traité de Lunéville (1801), revint au royaume de Bavière par le traité de Vienne (1814).

 

545px-Armoiries comtes palatins de Deux-Ponts.svg
Armoiries des comtes palatins de Deux-Ponts (réalisées par Odejea pour Wikipedia selon les termes de la GNU Free Documentation Licence), dont je ne résiste pas au plaisir de vous livrer le blasonnement : "parti en I écartelé en 1 et 4 de sable, au lion d'or, armé, lampassé et couronné de gueules (qui est du comté palatin du Rhin) et en 2 et 3 fuselé en bandes d'azur et d'argent (qui est de Bavière), sur le tout d'argent au lion d'azur armé lampassé et couronné d'or (qui est de Veldenz), en II coupé de deux parti de trois, en 1 d'or au lion de sable armé et lampassé de gueules (qui est de Juliers), en 2 de geules, à l'écusson d'argent, aux rais d'escaboucle d'or, brochantes sur le tout (qui est de Clèves), en 3 d'argent au lion de gueules, la queue fourchée passée en sautoir, armé, lampassé et couronné d'or (qui est de Berg), en 4 d'or, à la fasce échiquetée d'argent et de gueules de trois tires (qui est de la Marck), en 5 d'argent, à trois chevrons de gueules (qui est de Ravensberg) et en 6 d'argent à la fasce de sable".

 

Parmi ces pièces encombrantes, sont explicitement mentionnées des lettres du Kronprinz Guillaume à Bismarck au court des trois mois de règne de son père l’empereur Frédéric III, des photographies des lettres privées de ce dernier et de son épouse à la reine Victoria, le texte d’un traité avec la France et l’Angleterre, des documents plus obscurs repérés sous les rubriques succinctes : « Alsace-Lorraine… Colonies… Limitation navale ». Ce bref sommaire contient deux parties bien distinctes, qui laissent bien deviner le caractère délicat de leur contenu :

– les correspondances de Frédéric III, de son épouse et de son fils qui, lorsque l’on se souvient des relations tendues existant entre eux (et délibérément aigries par Bismarck) relèvent de faits déjà soupçonnés par le public de 1910 ;
– des pièces diplomatiques portant sur les points politiques les plus sensibles du moment (l’Allemagne face à l’entente cordiale, les provinces perdues par la France après 1870, les intérêts coloniaux opposés des puissances européennes ou la rivalité navale anglo-allemande).

C’est peu de temps après avoir eu la révélation de l’existence de ces documents qu’Arsène Lupin reçoit dans sa cellule la visite d’un mystérieux personnage (§ III La grande combinaison de Lupin) :


La serrure grinça. Dans sa rage il n’avait pas entendu le bruit des pas dans le couloir, et voilà tout à coup qu’un rayon de lumière pénétrait dans sa cellule et que la porte s’ouvrait.
Trois hommes entrèrent.
Lupin n’eut pas un instant de surprise.
Le miracle inouï s’accomplissait, et cela lui parut immédiatement naturel, normal, en accord parfait avec la vérité et la justice.
Mais un flot d’orgueil l’inonda. À cette minute vraiment, il eut la sensation nette de sa force et de son intelligence.
— Je dois allumer l’électricité ? dit un des trois hommes, en qui Lupin reconnut le directeur de la prison.
— Non, répondit le plus grand de ses compagnons avec un accent étranger Cette lanterne suffit.
— Je dois partir ?
— Faites selon votre devoir, monsieur, déclara le même individu.
— D’après les instructions que m’a données le Préfet de police, je dois me conformer entièrement à vos désirs.
— En ce cas, monsieur, il est préférable que vous vous retiriez.
M. Borély s’en alla, laissant la porte entrouverte, et resta dehors, à portée de la voix.
Le visiteur s’entretint un moment avec celui qui n’avait pas encore parlé, et Lupin tâchait vainement de distinguer dans l’ombre leurs physionomies. Il ne voyait que des silhouettes noires, vêtues d’amples manteaux d’automobilistes et coiffées de casquettes aux pans rabattus.
— Vous êtes bien Arsène Lupin ? dit l’homme, en lui projetant en pleine face la lumière de la lanterne.
Il sourit.
— Oui, je suis le nommé Arsène Lupin, actuellement détenu à la Santé, cellule 14, deuxième division.
— C’est bien vous, continua le visiteur, qui avez publié, dans le Grand Journal, une série de notes plus ou moins fantaisistes, où il est question de soi-disant lettres…
Lupin l’interrompit :
— Pardon, monsieur, mais avant de continuer cet entretien, dont le but, entre nous, ne m’apparaît pas bien clairement, je vous serais très reconnaissant de me dire à qui j’ai l’honneur de parler.
— Absolument inutile, répliqua l’étranger.
— Absolument indispensable, affirma Lupin.
— Pourquoi ?
— Pour des raisons de politesse, monsieur. Vous savez mon nom, je ne sais pas le vôtre ; il y a là un manque de correction que je ne puis souffrir.
L’étranger s’impatienta.
— Le fait seul que le directeur de cette prison nous ait introduits, prouve…
— Que M. Borély ignore les convenances, dit Lupin. M. Borély devait nous présenter l’un à l’autre. Nous sommes ici de pair, monsieur. Il n’y a pas un supérieur et un subalterne, un prisonnier et un visiteur qui condescend à le voir. Il y a deux hommes, et l’un de ces hommes a sur la tête un chapeau qu’il ne devrait pas avoir.
— Ah ! ça, mais…
— Prenez la leçon comme il vous plaira, monsieur, dit Lupin.
L’étranger s’approcha et voulut parler.
— Le chapeau d’abord, reprit Lupin, le chapeau…
— Vous m’écoutez !
— Non.
— Si.
— Non.
Les choses s’envenimaient stupidement. Celui des deux étrangers qui s’était tû, posa sa main sur l’épaule de son compagnon et il lui dit en allemand :
— Laisse-moi faire.
— Comment ! Il est entendu…
— Tais-toi et va-t-en.
— Que je vous laisse seul !
— Oui.
— Mais la porte ?
— Tu la fermeras et tu t’éloigneras…
— Mais cet homme… vous le connaissez… Arsène Lupin…
— Va-t-en.
L’autre sortit en maugréant.
— Tire donc la porte, cria le second visiteur… Mieux que cela… Tout à fait… Bien…
Alors il se retourna, prit la lanterne et l’éleva peu à peu.
— Dois-je vous dire qui je suis ? demanda-t-il.
— Non, répondit Lupin.
— Et pourquoi ?
— Parce que je le sais.
— Ah !
— Vous êtes celui que j’attendais.
— Moi !
— Oui, Sire.

 

1-copie-19Au sommet de la colline, le château de Veldenz, où ont été cachés les documents recherchés par le Kaiser.

 

Libéré à la demande du souverain après cet entretien, Arsène Lupin est alors conduit au château de Veldenz 2 par le comte Waldemar, ami proche de l’empereur 3, pour retrouver les fameux documents. Pendant toutes les recherches, le Kaiser lui-même est installé au château pour superviser l’affaire.

2 Le château de Veldenz, dans le land de Rhénanie-Palatinat, est mentionné pour la première fois en 1156. Cédé aux comtes de Deux-Ponts en 1444, à l’extinction de la maison des comtes de Veldenz, il est détruit en 1681 et partiellement restauré au 19e siècle. Aujourd’hui, le château peut se visiter chaque premier samedi des mois d’avril à novembre.
3 Par la description qui en est donnée comme par son comportement, ce comte Waldemar ressemble bigrement au comte Hülsen-Haeseler, dont nous avons rappelé la mort tragique dans le précédent article…

Après de nombreuses péripéties, Arsène Lupin qui a quitté Veldenz libre finira par mettre la main sur les pièces originales et pourra enfin les remettre personnellement à Guillaume II sur le Monte Tiberio de Capri, en profitant d’une des croisières de l’Empereur en Méditerranée.

 

3-copie-13Le Saut-de-Tibère à Capri.

 

– À cheval, dit l’Empereur.
Il se reprit :
— À âne plutôt, fit-il en voyant le magnifique baudet qu’on lui amenait. Waldemar, es-tu sûr que cet animal soit docile ?
— J’en réponds comme de moi-même, Sire, affirma le comte.
— En ce cas, je suis tranquille, dit l’Empereur en riant.
Et, se retournant vers son escorte d’officiers :
— Messieurs, à cheval.
Il y avait là, sur la place principale du village de Capri, toute une foule que contenaient des carabiniers italiens, et, au milieu, tous les ânes du pays réquisitionnés pour faire visiter à l’Empereur l’île merveilleuse.
— Waldemar, dit l’Empereur, en prenant la tête de la caravane, nous commençons par quoi ?
— Par la villa de Tibère, Sire.
On passa sous une porte, puis on suivit un chemin mal pavé qui s’élève peu à peu sur le promontoire oriental de l’île.
L’Empereur était de mauvaise humeur et se moquait du colossal comte de Waldemar dont les pieds touchaient terre, de chaque côté du malheureux âne qu’il écrasait.
Au bout de trois quarts d’heure, on arriva d’abord au Saut-de-Tibère, rocher prodigieux, haut de trois cents mètres, d’où le tyran précipitait ses victimes à la mer.
L’Empereur descendit, s’approcha de la balustrade, et jeta un coup d’œil sur le gouffre. Puis il voulut marcher à pied jusqu’aux ruines de la villa de Tibère, où il se promena parmi les salles et les corridors écroulés.
Il s’arrêta un instant.
La vue était magnifique sur la pointe de Sorrente et sur toute l’île de Capri. Le bleu ardent de la mer dessinait la courbe admirable du golfe, et les odeurs fraîches se mêlaient au parfum des citronniers.
— Sire, dit Waldemar, c’est encore plus beau, de la petite chapelle de l’ermite, qui est au sommet.
— Allons-y.
Mais l’ermite descendait lui-même, le long d’un sentier abrupt. C’était un vieillard, à la marche hésitante, au dos voûté. Il portait le registre où les voyageurs inscrivaient d’ordinaire leurs impressions.
Il installa ce registre sur un banc de pierre.
— Que dois-je écrire ? dit l’Empereur.
— Votre nom, Sire, et la date de votre passage et ce qu’il vous plaira.

L’Empereur prit la plume que lui tendait l’ermite et se baissa.

 

1-copie-21

Le Monte Tiberio et son ermite.

 

Des aventures aussi rocambolesques ne pouvaient pas manquer d’être adaptées en BD. Deux versions, fidèles au texte de Maurice Leblanc mais différentes par le style ont été éditées.
La première, en 3 tomes, est l’œuvre de Marie-Madelaine Bourdin (surtout connu des amateurs du genre pour sa série Titounet et Titounette). Publiée en deux tomes en 1977 dans la collection Les grands succès de la bande dessinée chez Prifo, elle se présente sous une forme archaïsante avec des vignettes en noir et blanc surmontant des cases de texte. Brossés à grands traits, les dessins se veulent néanmoins réalistes et le Kaiser y est facilement reconnaissable.

7-copie-5

La première rencontre du Kaiser et d'Arsène Lupin (t. II, p. 79).

 

La seconde version est due à André-Paul Duchâteau (scénariste de la série Ric Hochet) et à Jacques Géron. Sortie en deux tomes, elle paraît en 1990 et 1991 chez Claude Lefrancq Editeur (CLE). D’une facture classique, elle respecte les codes de la ligne claire ; toutefois, le Kaiser y est représenté sous des traits qui ne sont manifestement pas les siens.

8

Le Kaiser et Arsène Lupin lors des recherches au château de Veldenz (t. II, p. 25) ; notons l'aspect particulièrement ridicule du casque à pointe impérial...

 

Après les images fixes, passons aux images animées…
Alexandre Astruc et Roland Laudenbach on tourné en 1980 pour Antenne 2 un téléfilm en 6 épisodes intitulé Arsène Lupin joue et perd, qui est une adaptation fidèle de l’œuvre de Maurice Leblanc. Malheureusement, l’acteur Anton Diffring (1918-1989) qui tient le rôle du Kaiser ne lui ressemble en rien et se contente d’y jouer ce rôle caricatural d’allemand froid dont il se fit une spécialité tout au long de sa carrière. Ce téléfilm est aussi diffusé en 2 DVD :

 

3-copie-12

 

4

 

En 1957, Jacques Becker a réalisé Les aventures d’Arsène Lupin - très librement adaptées des ouvrages de Maurice Leblanc - film dans lequel Guillaume II tient une place importante et le Haut-Koenigsbourg remplace le château de Veldenz. Alors qu’il s’était réservé le rôle du Kronprinz, le réalisateur à donné le rôle du Kaiser à l’acteur allemand Otto Eduard Hasse (1903-1978) qui, tant pour le physique que pour la personnalité affiche une ressemblance stupéfiante – même sans substance illicite – avec le souverain… Ce film est actuellement distribué en DVD par la société Gaumont.

 

5-copie-8

Jacquette du DVD Gaumont.

 

6

 

73 
En haut, dernière page d'un livret publicitaire pour la version allemande du film ; en bas l’Empereur peu avant la première guerre mondiale.

 

Et pour finir, un court extrait du film de Jacques Becker dans lequel E. O. Hasse fait un passage rapide devant un garde du corps jouant les hallebardiers de service...

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 14:04

Dans un précédent article, j’ai déjà mentionné le triste scandale du Daily Telegraph. Même si je reviendrai plus tard de façon détaillée sur cette affaire, il me faut aujourd’hui en résumer les grandes lignes. Le 28 octobre 1908, le Daily Telegraph avait publié un article contenant des propos sur la politique internationale tenus par le Kaiser lors d’un séjour en Angleterre quelques mois plus tôt. Ces remarques, parfois à la limite de l’indiscrétion, faillirent causer une crise diplomatique internationale. De plus, certaines réflexions de Sa Majesté allant à l’encontre des a priori des milieux dirigeants allemands il en résulta une crise politique dans l'Empire (avec hourvari au Reichstag pendant plusieurs semaines) et Guillaume II sombra alors dans une profonde dépression, comme en témoigne le comte Robert Zedlitz-Trützschler (Douze années à la cour impériale allemande, p. 204) à la date du 26 novembre 1908 : Déjà à Donaueschingen, au cours de la chasse, l’empereur eut une violente crise de larmes après une conversation avec le prince Fürstenberg. Cela fit sur nous tous une impression pénible de penser que, durant ces jours-là, l’empereur parla de ce qui lui tenait le plus à cœur avec le prince Fürstenberg, pourtant à moitié un étranger 1, alors qu’il avait autour de lui d’anciens conseillers fidèles et pleins de mérite.

1 Le prince Maximilien Egon II, né à Prague, était à la fois membre de la chambre haute du parlement autrichien et de la chambre des seigneurs de Prusse.

 

1-copie-17Château des princes de Fürstemberg à Donaueschingen.

 

C’est aussi lors de ce séjour à Donaueschingen que se déroula un incident tragique mentionné rapidement par Guillaume II dans ses mémoires (The Kaiser’s Memoirs , The Naval & Military Press Ltd, 2005, p. 119 2) :

2 Une nouvelle fois je dois confesser ma totale ignorance de la langue de Goethe et mon obligation de passer par des traductions en anglais pour accéder aux textes qui ne sont pas directement accessibles en français. Je suis donc bien conscient que selon la vielle formule « tradutore, traditore », je commets donc là une infidélité sur une trahison…

 

Tout au long de cette affaire [DU DAILY TELEGRAPH], je ressentis une grande angoisse mentale, qui fut aggravée par la mort soudaine sous mes yeux de l’ami intime de ma jeunesse, le comte Hülsen-Haeseler 3, chef du Cabinet militaire.

 3 Dietrich, comte Hülsen-Haeseler (1852-1908) ; aide-de-camp du Kaiser en 1889, attaché militaire à Venne en 1894, chef du Cabinet militaire depuis 1901. 


La princesse Victoria-Louise n’est pas beaucoup plus explicite (The Kaiser’s Daughter, p. 36) :

1908 fit souffler sur mon père et sur notre famille un vent fatal qui devait avoir des conséquences à long terme. Dans les notes rédigées par ma mère dans le journal de ma vie 4, elle écrivit : « En novembre de cette année survinrent pour son père de très nombreuses difficultés et de sérieuses répercussions politiques. Tout d’abord l’un de ses meilleurs amis, le Comte Hülsen, mourut tout à fait soudainement pendant une chasse à Donaueschingen. J’allai à Baden-Baden, trouvai mon mari très déprimé et nous rentrâmes tous les deux à Potsdam. Souffrant de surmenage et assaillit par de nombreux conflits intérieurs à cette époque, il tomba malade.

4 L’impératrice avait pris l’habitude de tenir un journal particulier de la vie quotidienne de chacun de ses sept enfants.

 

Une nouvelle fois, c’est le comte Robert Zedlitz-Trützschler qui nous donne un récit précis de ce curieux trépas, mentionné à la fois par l’Empereur, l’Impératrice et leur fille sans plus de détail (Douze années à la cour impériale allemande, p. 225-227) :

8 février 1909 […]
Comme cela peut m’intéresser plus tard, je vais brièvement noter comment se termina notre séjour à Donaueschingen en novembre de l’année dernière. Comme de coutume, nous avions chassé le renard ce jour-là. La chasse avait été organisée d’une façon admirable : veneurs, sonneurs de cors et rabatteurs étaient parfaitement à la hauteur.

 

13-copie-6Photomontage, avec le Kaiser en compagnie du prince Maximilien Egon II (1863-1941) et de la princesse, née comtesse Irma von Schöborn-Buchheim (1867-1948).

 

A huit heures du soir, nous eûmes le dîner habituel. Les dames en grande toilette : la princesse Fürstenberg, la princesse Hohenlohe et d’autres ornées de parures éclatantes, les messieurs en fracs verts et noirs, avec des escarpins noirs, et aussi certains en fracs rouges, car il y avait eu une chasse à courre dans le voisinage (Auguste Bismark). Ensuite, tous les invités se réunirent dans le grand hall du château, formant un groupe d’une élégance exceptionnelle. Sur le premier palier de l’escalier d’honneur, un orchestre jouait. Soudain apparut le comte Hülsen-Haeseler, vêtu en ballerine, et il se mit à danser. Cela lui arrivait de temps en temps et il le faisait avec infiniment de grâce. Pour les spectateurs, la beauté de l’exhibition se trouvait corsée par le fait de voir le chef du cabinet militaire exécuter une danse chorégraphique dans un costume féminin.
Peu après, le comte se retira dans une pièce donnant sur la galerie qui conduit au salon de la princesse pour reprendre haleine un instant. Me trouvant à quelques pas de là, j’entendis tout à coup le bruit d’une lourde chute. Je me hâtai dans la galerie et je vis le comte gisant à terre, étendu de tout son long et la tête dans l’embrasure de la fenêtre. D’autres personnes parurent tout de suite après moi, nous nous empressâmes autour du comte et, m’étant immédiatement rendu compte que le cas était très sérieux, je cherchai des yeux le médecin. Dans la salle, l’empereur était toujours appuyé à la cheminée et s’entretenait avec Valentini 5 sans se douter de rien. Je lui annonçai que le comte était tombé et se trouvait sans connaissance, que cela paraissait grave et que j’allais chercher le docteur Niedner, médecin de la cour. L’empereur se rendit aussitôt auprès du comte Hülsen. Je dégringolais l’escalier jusqu’à la chambre du médecin. Celui-ci avait déjà été appelé par l’aide de camp von Senden. Il fit l’impossible pour ranimer le comte, et cela durant une heure et quart. L’empereur se tenait debout à côté de lui et la princesse Fürstenberg sanglotait dans un fauteuil. Un autre médecin arriva de la ville voisine pour seconder le docteur Niedner. Détail lugubre, pendant qu’ils se dépensaient en vain, l’orchestre continuait à jouer.

  5 Rudolf von Valentini (1855-1925), chef du Cabinet civil.

 

A onze heures, les médecins annoncèrent qu’il n’y avait plus d’espoir. L’avis des deux praticiens fut que le comte avait le cœur en mauvais état depuis longtemps, il avait déjà eu une syncope alarmante alors qu’il était encore en service (à Metz) et l’effort de la danse avait provoqué une crise cardiaque fatale.

 

41Il n’existe bien évidemment aucune photographie du comte Hülsen-Haeseler dans la tenue avec laquelle il trouva la mort… Aussi devons-nous nous contenter de cette carte postale sur laquelle l’Empereur et le comte (juste derrière le Kaiser) sont sur le pont du torpilleur Sleipner.

 

Le corps fut alors transporté dans la grande salle des banquets du premier étage, où le service funèbre serait célébré le lendemain matin. Toutes les dispositions nécessaires à cet effet furent prises pendant la nuit. L’empereur se montra profondément ému et me dit vers minuit qu’il abandonnait le voyage à Kiel, prévu pour le lendemain, afin d’assister au service, mais qu’il irait, comme prévu, à Baden-Baden le surlendemain pour y rencontrer l’impératrice. Durant la nuit, on prévint encore la comtesse Hülsen (par téléphone et par télégraphe) et l’on prit toute une série d’arrangements qui nous absorbèrent encore pendant longtemps. L’empereur resta tout le temps avec nous, s’asseyant de temps à autre à une table pour rédiger des télégrammes ; ainsi, il me donna par exemple le télégramme pour l’impératrice, dans lequel il disait qu’il avait perdu son « meilleur ami ». Il eut ensuite un long entretien avec le pasteur, qui avait été appelé pour célébrer la cérémonie mortuaire du lendemain, et il lui exposa les détails sur lesquels devait porter l’oraison funèbre. Tout à coup, je vis que l’empereur se baissait, puis me faisait énergiquement signe d’approcher, tandis que je ne voyais subitement plus le pasteur, et, quand je m’approchai après un nouveau signe de l’empereur, je trouvai le pasteur étendu sans mouvement devant Sa Majesté. Cette longue station debout, après un réveil en sursaut, avait provoqué une syncope. Je vis tout de suite que ce n’était pas grave, fis apporter du cognac et le pasteur revint bientôt à lui. Il fut alors décidé de supprimer l’oraison funèbre et de s’en tenir à une brève cérémonie.

 

On imagine bien que la mort en tutu d’un officier général proche de l’Empereur peu après l’affaire Eulenburg ne pouvait que prêter le flanc à des insinuations aussi grivoises que malveillantes. D’autant qu’en sa qualité de chef du Cabinet militaire, le comte Hülsen-Haeseler s’était alors efforcé d’étouffer un scandale dans lequel étaient impliqués plusieurs officiers.
Toutefois, plutôt que de prêter au comte des pratiques alors réprouvées (et judiciairement condamnées), il est plus vraisemblable de voir dans cette étonnante exhibition le désir de changer les idées d’un souverain en pleine dépression en jouant sur son sens de l’humour potache. Si bien que Jules Arren, observateur attentif des paroles et des actes du Kaiser, commente ainsi l’événement en 1910 (Guillaume II ce qu’il dit ce qu’il pense, p. 307) :

L’empereur est à la chasse chez le prince de Furstenberg, à Donaueschingen. Il assiste à une représentation d’artistes dans le genre de ceux du Chat noir 6, et ce divertissement pendant les « jours sombres » de la monarchie est vivement commenté.

6 Célèbre cabaret de Montmartre à l’humour souvent… gaulois.

 

Cabinet militaire de l'empereur
Cachet en papier du Cabinet Militaire de Sa Majesté l’Empereur et Roi.

 

 


Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de kaiser-wilhelm-ii
  • : Ce blog est destiné à présenter des documents liés à l'empereur Guillaume II (et non Guillaume 2 comme le veulent certains idéologues qui prennent les gens pour des sots) et à son époque. "Je travaille pour des gens qui sont plus intelligents que sérieux" Paul Féval
  • Contact

Important

Sauf mention explicite, les articles sont illustrés par des pièces de ma collection.

La reproduction, même partielle du contenu de ce blog n'est pas autorisée.

Pour toute demande, n'hésitez pas à me contacter par l'onglet "qui va bien" dans la rubrique ci-dessus.

 

Recherche