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14 mars 2021 7 14 /03 /mars /2021 19:47
173 - Le Kaiser et le monorail

Les villes d’Elberfeld, Barmen, Cronenberg, Ronsdorf, Vohwinkel et le village de Beyenburg ne se regroupèrent pour devenir Wuppertal que le 1er août 1929. Toutefois, du fait de leur important développement urbain dans la seconde moitié du XIXe siècle, elles durent coopérer pour essayer d’améliorer leurs voies de communication. Mais un problème de taille se posait : toutes ces localités se pressaient en effet autour des rives de la rivière Wupper et la place manquait pour construire de classique lignes de chemin de fer ou de tramway.

173 - Le Kaiser et le monorail

Stèle commémorative (tirée de la notice wikipédia d’Eugen Landen).

Heureusement, Eugen Langen 1 proposa un ingénieux système de monorail qui, sur une bonne partie de son trajet, se dressait au dessus de la Wupper, et en obtint l’adjudication le 28 décembre 1894. Si les travaux s’achevèrent en 1903, sont inauguration officielle sur une partie de la ligne put cependant avoir lieu dès le 1er mars 1901.

1 Carl Eugen Langen (1833-1895) ingénieur et industriel prussien.

Toutefois, sans attendre cette inauguration, le Schwebebahn avait déjà transporté le 24 octobre 1900 le Kaiser et son épouse l’impératrice Augusta-Victoria entre les stations d’Eberfeld-Mitte et de Vohwinkel – soit une distance de 3 kilomètres.

173 - Le Kaiser et le monorail

Le wagon honoré de la présence des souverains, portant le numéro 5, a été conservé et roule encore régulièrement pour le plus grand plaisir des nostalgiques et des touristes. Il est si populaire que l’amateur désireux d’en profiter devait réserver sa place plus d’un mois à l’avance avant que l’actuelle pandémie ne vienne tout suspendre.

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19 août 2020 3 19 /08 /août /2020 09:18

En cette période étrange où tous les spectacles sont bouleversés, je vous propose de suivre le Kaiser au festival de Bayreuth tel que l’a rapporté le Figaro du 21 août 1889 sous la plume d’un mystérieux journaliste signant simplement « T » 1. L’intérêt de cet article est qu’au fil de ses lignes, en plus de la description de cette visite impériale, nous sont révélés plus ou moins clairement quelques éléments intéressants sur le Kaiser et son entourage : le snobisme et la bigoterie de l’impératrice tout d’abord qui s’expriment tant dans ses réticences vis-à-vis du programme des opéras que dans son attitude envers le troisième mariage du prince de Saxe-Meiningen ;  la volonté du prince-régent de Bavière – partagée par d’autres princes régnants dans l’empire – de rappeler au Kaiser qu’il n’est en théorie que le primus inter pares des souverains confédérés ; l’ironie de l’auteur, enfin qui apparaît par endroits à l’égard des admirateurs de Wagner en particulier comme des Allemands en général...

1 Le lecteur intéressé pourra consulter l’original sur : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k280859x.item.

164 - Bayreuth 1889

L'EMPEREUR D'ALLEMAGNE A BAYREUTH

Bayreuth, le 19 août.    

Que les habitants de Bayreuth aient considéré la visite de leur Empereur comme un événement important, et qu'étant d'une nature lente et méthodique, ils se soient mis un mois d'avance à pavoiser leurs maisons, il n'y a rien là que de très naturel. Mais ce n'est pas seulement pour les voir, ni même pour entendre les Maîtres Chanteurs et Parsifal que l'Empereur d'Allemagne, en compagnie de l'Impératrice et du prince régent de Bavière, est venu passer deux jours dans la vieille ville franconienne. Son voyage à Bayreuth a une signification plus haute : il marque la consécration définitive et officielle du caractère allemand, national et impérial, de l'art wagnérien.

On sait que Wagner, tout en partageant un peu sur la valeur intellectuelle de chacun de ses compatriotes en particulier les idées de Schopenhauer, tout en laissant voir très nettement, dans sa correspondance et dans divers passages de ses écrits théoriques, le cas tout spécial qu'il faisait de ses amis français, a cependant toujours pensé que son oeuvre répondait essentiellement aux tendances artistiques de l'esprit allemand ; et lui-même n'aurait pas été fâché, sans doute, de voir son théâtre sous la protection immédiate de l'Empereur d'Allemagne.

Malheureusement Guillaume 1er était trop vieux pour comprendre un art si nouveau. Il est pourtant venu à Bayreuth, en 1876 2, lors des premières représentations de l'Anneau du Niebelung. Il a écouté avec grand soin deux pièces de la tétralogie. Après Rheingold il a fait venir Wagner et lui a dit en forme de compliment : « Je n'aurais jamais cru que vous arriviez si loin. » A quoi le musicien répondit : « Majesté, personne ne l'aurait jamais cru. » Le lendemain; dans un entr'acte de la Walkure, il fit encore demander Wagner : mais celui-ci, énervé, fatigué, s'excusa et ne vint pas, au grand scandale des journaux allemands. Il semble que l'Empereur lui-même n'ait pas été moins fatigué, car il quitta Bayreuth sans attendre la fin du cycle.

2 Cette année fut marquée par l’achèvement du Festspiehaus et le déroulement du premier festival Wagner, lequel n’était initialement pas prévu pour être célébré tous les ans. L’empereur Guillaume y assista officiellement en compagnie de l’empereur Pierre II du Brésil – le roi Louis II de Bavière n’y faisant qu’une visite gardée secrète (probablement pour ne pas y croiser l’empereur allemand...) On trouvera des détails curieux sur les événements de ce festival dans le Journal de Cosima Wagner (Gallimard ; Paris, 1977) t. II, pp. 457-461.

Son fils, l'Empereur Frédéric, est souvent revenu à Bayreuth : mais lui aussi paraît n'avoir eu que peu d'enthousiasme pour cet art tout nouveau. Le jeune Guillaume, au contraire, a toujours été un wagnérien fervent et passionné. Je me souviens de la façon recueillie dont il écoutait, en 1886 3, Tristan et Parsifal ; je me souviens aussi que, au cours d'une réception qu'on lui faisait à la gare de Bayreuth, et comme on lui parlait de la situation critique où semblait être alors le théâtre, le jeune prince affirma que « lui régnant, le théâtre de Wagner ne périrait pas. »

3 Cette année célébrant le 10e anniversaire du festival fut surtout marquée par la mort de Franz Liszt qui était venu y assister.

164 - Bayreuth 1889

Le couple impérial au début du règne.

Depuis son avènement, Guillaume II n'a rien perdu de son ardeur artistique : mais celle-ci semble s'être compliquée de considérations d'Etat. Le jeune Empereur aurait déclaré, à plusieurs reprises, qu'il allait désormais faire abstraction de ses sentiments personnels, pour voir seulement dans l'art wagnérien le symbole du génie de son peuple et de son empire. Il n'a en tout cas négligé aucune occasion de manifester publiquement la protection qu'il accordait à cet art. La première fois qu'il est sorti en public, après ses deuils, ce fut pour se rendre à un concert donné à Berlin par le Wagner-Verein, une association wagnérienne. Il a fait de la Kaisermarsch son chant national, et c'est toujours le premier morceau qu'on lui joue, dans les villes où il arrive. Il a cherché par tous les moyens à attirer à Berlin les grands chanteurs wagnériens : il a fait engager au Théâtre de la Cour, avec des appointements relativement énormes, Mme Sucher, l'Isolde de Bayreuth 4, et le célèbre ténor Gudehus 5. Empêché par son deuil d'aller aux représentations, il a assisté, seul dans sa loge, aux répétitions générales des drames wagnériens que montait l'Opéra de Berlin. Dans son dernier voyage à Rome, l'orchestre jouant, pendant un dîner, la marche de Lohengrin, il s'est levé de table et s'en est allé dans un coin de la salle, disant que « pour entendre cette musique, il fallait se recueillir ». Enfin, il a annoncé longtemps à l'avance son intention de venir officiellement aux représentations de Bayreuth.

4 Rosa Sucher née Hasselbeck (1849-1927), soprano wagnérienne réputée.

5 Heinrich Wilhelm Gudehus (1842-1909).

164 - Bayreuth 1889

Heinrich Gudehus dans rôle de Siegfried (photographie tirée de sa notice biographique sur wikipédia.de).

Il devait y venir déjà l'année dernière. Mais Bayreuth est en Bavière, et comme l'Empereur n'avait pas encore fait visite au prince régent Luitpold 6, l'étiquette a empêché sa venue ici 7. En revanche, c'est sur sa demande expresse que des représentations ont eu lieu cette année, l'habitude étant, comme on le sait, d'espacer davantage ces fêtes artistiques.

6 Louis II (1845-1886) ayant été déclaré aliéné mental le 12 juin 1886 et remplacé sur le trône par son frère le prince Othon (1848-1916), lui-même interné depuis 1872, leur oncle Luitpold (1821-1912) assumait la régence du royaume.

7 Guillaume II venait juste d’accéder au trône, suite au décès de son père l’empereur Frédéric.

164 - Bayreuth 1889

Pour que sa visite eût un caractère absolument officiel, il fallait que l'Impératrice lui tînt compagnie. Or, il paraît que cette jeune princesse est d'une piété tout à fait exceptionnelle, et qu'il a été très difficile de la décider à venir entendre des pièces dont son premier prédicateur, le Dr Kœgel, lui avait démontré l'immoralité. Il y eut un compromis : l'Impératrice consentit à entendre Parsifal et les Maîtres Chanteurs, mais Tristan, pièce trop passionnée et trop fataliste, fut rayée du programme des auditions impériales.

Peut-être est-ce encore à ces scrupules pieux de l'impératrice qu'il faut attribuer le petit fait suivant. L'Empereur, on le sait, est d'une activité presque maladive. Il ne peut rester en place, a un besoin constant de mouvement, au point que ses ministres ne peuvent l'entretenir efficacement des affaires publiques qu'en prenant le train avec lui et en profitant du repos où l'oblige son séjour en wagon. Il était donc convenu que, arrivé à Bayreuth samedi matin, l'Empereur passerait quelques revues, irait aux deux représentations du samedi et du dimanche et, dès lundi matin, se rendrait à la chasse chez le duc de Meiningen, d'où il repartirait le mardi pour Strasbourg. Or, le duc de Meiningen est marié à une actrice 8, et il se trouve que,  depuis trois jours, ce prince a quitté en grande hâte son duché, pour aller faire une cure dans une ville d'eau anglaise. L'Empereur partit ce matin de Bayreuth, il va directement à Strasbourg !

8 Le prince Georges II de Saxe-Meiningen (1826-1914), veuf pour la seconde fois, avait épousé morganatiquement en troisième noce en 1873 la comédienne et pianiste Hélène Franz (1839-1923) titrée dame d’Helburg. Notons que son fils aîné, le futur prince Bernard III avait épousé en 1878 la princesse Charlotte de Prusse, sœur du Kaiser, et que l’un de ses fils cadets, Ernest, après avoir été un temps fiancé à la future impératrice Augusta-Victoria épousera à son tour morganatiquement en 1892 Katharina Jensen, fille de l’écrivain Wilhelm Jensen (1837-1911)…

Le prince régent de Bavière Luitpold est un digne vieillard, fort épris de la chasse et s'intéressant fort peu au reste des choses. Il n'aurait pas sans doute accepté si aisément le titre officiel et la fonction de protecteur du théâtre de Bayreuth, s'il n'avait craint que l'Empereur d'Allemagne se chargeât, à son, défaut, de ce protectorat. Du moins a-t-il voulu jouir de tous les privilèges que son titre lui conférait. Arrivé à Bayreuth dès vendredi soir, il a tenu à avoir sa réception à lui, avec hymnes, bouquets remis par des jeunes filles vêtues en Gretchen, etc. Il a exigé de plus que Mme Wagner 9, ses quatre filles 10 et son fils 11 lui fissent exactement l'accueil qu'ils avaient fait, autrefois, à Louis II, le précédent protecteur, mais qui était en outre le bienfaiteur et l'ami personnel de la famille.

9 Francesca Gaetana Cosima Liszt (1837-1930), fille naturelle de Liszt et seconde épouse de Richard Wagner, qui dirigea officiellement le festival de Bayreuth de 1886 jusqu’en 1908 ; elle continua toutefois d’imposer jusqu’à sa mort sa vision très conservatrice de l’œuvre de son époux.

10 A ma connaissance, Cosima Wagner n’eut que 2 filles – dont il est difficile de savoir si elles sont issues de son premier époux, Hans von Bülow, ou de Richard Wagner : Isolde (1865-1919) et Eva (1867-1942).

11 Siegfried Wagner (1869-1930) succédera à sa mère à la tête du festival en 1908.

164 - Bayreuth 1889

Itinéraire officiel d’un des trains spéciaux mis sur voie à la demande du prince-régent.

Le lendemain matin samedi, l'Empereur et l'Impératrice sont arrivés à huit heures, par un train spécial, après avoir passé la nuit en chemin de fer. Inutile de dire que la ville s'était mise en fête, que toutes les campagnes de la Franconie avaient envoyé à Bayreuth leurs paysans endimanchés, et que l'on a crié des « hoch ! » à l'infini sur tout le parcours du cortège. Les maisons étaient décorées de bannières, de guirlandes en branches de sapin, mais surtout d'innombrables couronnes accrochées aux murs, avec des rubans bleus et blancs, exactement pareilles à celles que nous avons l'habitude de déposer sur les tombeaux, A Paris, l'enterrement de Victor Hugo avait été une fête nationale ; pour la fête nationale de l'arrivée du bon Empereur, Bayreuth, comme font en général les villes allemandes, avait pris une tenue d'enterrement de grand homme.

Une fois de plus s'est réalisé le miracle qui a si puissamment contribué à faire vénérer du peuple allemand la famille de ses empereurs. Le Kaiser-Wetter, ou temps impérial – on entend que cela signifie un magnifique soleil – a remplacé de la façon la plus inattendue, le jour même de l'arrivée du souverain, un affreux temps de pluie et de vent qui durait depuis cinq jours.

De la gare au château, l'Empereur et l'Impératrice, accompagnés du prince régent, ont fait le trajet dans un grand landau découvert. L'Empereur, vêtu naturellement en uhlan bavarois, semblait fatigué et presque gêné de l'enthousiasme qu'on lui témoignait. Sans regarder, il mettait de temps à autre la main à son casque, puis se renfonçait dans sa voiture. En revanche, l'Impératrice, qui portait une robe grise des plus simples, mais dont la petite figure joufflue est vraiment charmante de simplicité et de bonté, s'ingéniait en mille façons pour montrer combien elle était touchée de ces incessants hourrahs. Il semble que l'Empereur ait résolu d'avance de borner son voyage à l'audition des drames de Wagner. II a décommandé la revue qu'on lui avait préparée. Après avoir entendu un concert organisé en son honneur par l'orchestre et les choeurs du théâtre, et formé naturellement de la Kaisermarsch que précédait un hymne composé par le chef d'orchestre Mottl 12, il est allé voir, au château de l'Ermitage, les souvenirs de la margravine, la charmante soeur du grand Frédéric 13. Après quoi il est rentré, déjeuner et n'est sorti qu'à trois heures trois quarts pour aller au théâtre. Le lendemain, il est allé entendre l'office à l'église protestante, a déjeuné, puis est allé au théâtre. Là il a fait preuve encore d'une modestie et d'une discrétion que ne doivent pas lui avoir pardonné certains spectateurs venus là exprès pour le voir. Il n'est entré que lorsque la lumière a été tout à fait baissée: avant les dernières notes de chacun des actes il est sorti de sa loge, et absolument personne ne l'a pu voir.

12 Félix Mottl (1856-1911), chef d’orchestre et compositeur autrichien.

13 Frédérique Sophie Wilhelmine de Prusse (1709-1758), fille aînée du roi Guillaume Ier, avait épousé en 1731 le margrave Frédéric de Brandebourg-Bayreuth.

Les journaux de Berlin réunissent dans une même inimitié l'Empereur et le théâtre de Bayreuth. Ils avaient annoncé récemment que M. Blauwaert 14, dans Parsifal, chanterait en français, et que l'administration pratiquait l'agio sur le prix des billets. Cette fois, ils ont dit que l'Empereur avait exigé de n'entendre ici que des acteurs allemands : M. Van Dyck 15, affirmaient-ils, va céder son rôle de Parsifal à une doublure qui, il y a quinze jours, a eu un très mince succès. L'Empereur a évité cette mesquinerie. Il a entendu M. Van Dyck, et cela ne l'a pas empêché de témoigner à Mme Wagner, dans un entr'acte, toute son admiration pour Parsifal.

14 Emile Blauwaert (1845-1891), basse belge.

15 Ernest Van Dyck (1861-1923) ténor dramatique belge.

Je ne crois pas d'ailleurs qu'il se soit ouvert à quelqu'un, d'une façon bien intime, sur les émotions qu'il a éprouvées. Il a évité d'une façon très apparente toutes les occasions de présentations, toasts, etc. Et puis il s'agissait surtout pour lui de faire savoir à son peuple qu'il prenait sous sa protection directe cet art, qui n'a peut-être rien de bien allemand sous l'aspect esthétique, mais qui est à coup sûr le point par où l'Allemagne s'impose le plus universellement à l'admiration des étrangers.

Qu'on ne s'imagine pas d'ailleurs que cette visite officielle aura pour effet de modifier la situation qui est faite aux étrangers, notamment aux Français. Il est impossible, si l'on n'est pas venu à Bayreuth, de comprendre à quel point la population bavaroise est pleine de prévenances pour les étrangers, combien l'administration du théâtre a pour eux d'égards, combien cette petite ville, pendant le mois des fêtes, est vraiment une terre neutre, où les préoccupations politiques ne sauraient pénétrer. Et cela ne cessera pas, aussi longtemps que le théâtre de Bayreuth, malgré tous les protectorats et toutes les protections, restera la propriété exclusive de Mme Wagner, la personne du monde la plus résolue, la plus courageuse, la plus éloignée de tout parti pris politique.

Il y aurait pour les wagnériens français un danger bien autrement fâcheux que ces visites de l'empereur d'Allemagne, si les circonstances donnaient un jour le succès à une véritable conspiration sourdement organisée contre le théâtre de Bayreuth. Les journaux de Berlin, à l'instigation de certains financiers, tâchent par tous les moyens de déposséder Mme Wagner de la direction de ce théâtre, dont elle .est seule capable de s'occuper d'une façon artistique, désintéressée, conforme aux traditions de Wagner. Il y a tout lieu d'espérer qu'il ne sortira rien de ces intrigues, malgré la consistance singulière qu'elles semblent prendre d'année en année. Mais que l'on imagine ce que serait ce théâtre entre les mains d'une Société par actions, qui se soucierait de ses bénéfices plutôt que des intérêts de l'art, et ferait du temple de Parsifal quelque chose d'intermédiaire entre l'Opéra de Paris et celui de New-York.

En terminant, une nouvelle officielle. Il n'y aura pas de représentation, quoi qu'il arrive, en 1890. Il y en aura très probablement en 1891. Et il est sûr que le programme, lors des prochaines fêtes, ne comprendra plus les Maîtres Chanteurs ni Tristan, mais Parsifal et Tannhauser, le drame préféré de Wagner, auquel Mme Wagner se promet de donner ici un éclat extraordinaire 16. En 1895, l'Anneau du Niebelung, avec ses quatre parties, reviendra sur ce théâtre où il a été créé en 1876 17. Avis aux wagnériens qui comptent vivre et garder leurs convictions jusque-là !

16 Le festival de 1891 présentera Parsifal dirigé par Hermann Levi, Tristan und Isolde et Tannhaüser par Félix Mottl.

17 En 1895 il n’y eut pas de festival et il faudra attendre 1896 pour que soit représentée la Tétralogie sous les baguettes de Félix Mottl, Hans Richter et Siegfried Wagner.

Pour finir ce billet dans l’esprit de cette époque révolue, permettez-moi de vous proposer le Richard Wagner de Carl Froelich (1913).

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7 avril 2018 6 07 /04 /avril /2018 16:38
130 - Visite du prince Guillaume à Portsmouth (2/2)

Compte tenu de son goût pour les choses de la mer, le prince Guillaume ne pouvait pas manquer, dans le grand port qu’était Portsmouth, de se rendre à bord de navires de la Royal Navy. Et c’est donc l’un des plus modernes qui y stationnait qu’il visita et dont il donna une description à son auguste grand-père.

 

De Spitfort, nous rentrâmes dans le port et atterrîmes au chantier où se trouvent en général les bateaux destinés au transport des troupes des Indes. En ce moment, il n’y avait là qu’un petit bateau-transport qui rentrait justement du Cap avec des invalides 1. Nous montâmes dans un wagon de chemin de fer, conduit par une locomotive de chantier, qui nous conduisit rapidement au grand bassin, dans lequel se trouvaient presque entièrement terminés l’Inflexible 2 et le Dreadnought 3. A bord de l’Inflexible, nous attendait le vieux monsieur M. Robinson 4 qui a construit une grande partie des cuirassés anglais maintenant à flot.

1 En 1879, la Grande-Bretagne était entrée en lutte en Afrique du sud contre les Zoulous. C’est au cours de cette guerre qu’une partie des troupes britanniques fut écrasée à la bataille d’Isandhlwana (combat où elle perdit plus d’officier que lors de la bataille de Waterloo) ; c’est aussi lors de cette campagne que fut tué le fils unique de Napoléon III qui servait sous l’uniforme anglais.

2 Cuirassé lancé en 1876 pour contrer les cuirassés italiens Duilio et Dandolo, dont l’armement surclassaient jusqu’alors celui de tous les navires de l’escadre britannique de Méditerranée ; ce fut le premier navire anglais entièrement éclairé à l’électricité et un ballast destiné à maintenir son assiette. Il participera en 1882 au bombardement d’Alexandrie, prélude à la mainmise de l’Angleterre sur l’Egypte, et sera démantelé en 1903.

3 Cuirassé lancé en 1875 et condamné en 1908. Le futur roi George V servit à son bord entre 1886 et 1888.

4 L’amiral Robert Spencer Robinson avait été de 1861 à 1871 responsable des constructions de la Royal Navy en qualité de troisième Lord de l’Amirauté.

130 - Visite du prince Guillaume à Portsmouth (2/2)

L’Inflexible en 1885 apès une refonte qui a supprimé sa mâture initiale (cliché tiré de la notice wikipedia du navire).

Le cuirassé Inflexible est actuellement le plus puissant bateau cuirassé de la flotte anglaise ; commencé le 24 février 1874, il fut lancé le 26 avril 1876. Ses principales dimensions sont les suivantes :

Longueur entre perpendiculaires 97 m. 54

Grande largeur 22 m. 87

Proportion de la longueur à la largeur 4 m. 26

Creux 7 m. 45

Tirant d’eau à l’avant 7 m. 14

Tirant d’eau à l’arrière 7 m. 75

Déplacement 11 406 tonnes

Surface de la section principale 156 mq 40

On peut nommer ce bateau le premier des « bateaux-citadelles », qui comprennent une coque complètement cachée dans l’eau jusqu’à une hauteur de i m. 96, portant un pont voûté, cuirassé, protégé contre les coups arrivant de biais. Au-dessous se trouvent la totalité des chaudières, appareils de manœuvre et machines, qui sont au nombre de quarante, dont deux électriques. Au-dessus et au milieu du pont de cette citadelle sont les deux tourelles, celle d’avant à bâbord (gauche) , celle d’arrière à tribord (droite) et qui ne sont pas dans l’axe de la quille comme sur les bateaux à tourelles ordinaires. Le dessin ci-joint en donne une vue de profil. La paroi cuirassée de la citadelle est construite comme suit :

i. Une plaque de cuirasse 305 millimètres

2. Une couche de bois de teck 275 -

3. Une plaque de cuirasse 305 -

4. Une couche de bois de teck 152 -

4. Deux tôles de fer, de chacune 25 -

A l’avant et à l’arrière de la citadelle sont deux gaillards, très hauts et très bien ventilés, dans lesquels sont logés les officiers de l’équipage. Ils sont supprimés sur les deux côtés pour gêner le moins possible le tir en avant des deux tours. De ces deux gaillards s’élèvent les grands mâts avec gréement complet, qui ne sont cependant pas directement nécessaires, et n’agissent que d’une façon gênante pour les mouvements du bateau et pour la rapidité du « branle-bas de combat », car ils doivent être complètement dégréés. A ma question à ce sujet, l’amiral Foley répondit que ces mâts étaient complètement inutiles pour un tel bateau, et qu’on les avait placés plutôt pour exercer les matelots qui devaient faire disparaître le gréement, mais que lui, ainsi que la plupart des officiers de marine, y était opposé.

Reconstitution en 3D du HMS Colossus, navire de la même conception que l’Inflexible.

Dans chaque tourelle, l’Inflexible contient deux canons de 81 tonnes (16 pouces), placés parallèlement l’un près de l’autre. Le diamètre intérieur des tourelles est de 8 m. 53, le diamètre extérieur de 10 m. 51. Le bord inférieur des sabords des canons est à 3 m. 66 au-dessus de la ligne de flottaison en charge, et 3 m. 36 au dessus de la ligne de flottaison de combat ; les axes des canons à 4 m. 41 au-dessus de la ligne de flottaison en charge. Les pièces sont également des canons Armstrong chargés par la bouche, posés sur une glissière qui repose elle-même sur un grand levier, ce dernier, ainsi que les boucliers de la pièce, est en relation avec des machines hydrauliques. Dès que le coup est tiré (sous un angle quelconque), la pièce roule en arrière sur la glissière qui est abaissée par le levier placé en-dessous, et prend aussitôt l’angle de dépression (11°) nécessaire au chargement, c’est-à-dire que la bouche s’incline de 11°  vers le bas, exactement en face d’une ouverture correspondante également munie de rainures, qui est pratiquée dans le pont. Le dessin ci-joint fera comprendre cela. Aussitôt l’un des écouvillons suspendus au plafond du pont principal inférieur est introduit hydrauliquement par le bas dans l’orifice de chargement du canon. Au moyen d’un levier à main, très simple, le chargeur commande l’écouvillon hydraulique et le fait mouvoir plusieurs fois dans le tube, de haut en bas. Comme l’écouvillon est creux, on peut l’utiliser aussi pour le lavage de la pièce. A l’avant de l’écouvillon est disposé de disque en métal portant une broche : sitôt que la tête de l’écouvillon – qui est en rotation – arrive à la bouche, la broche est repoussée sur le côté par le contact avec cette dernière et un jet d’eau d’une assez grande force chasse l’écouvillon en avant dans le tube et ne s’arrête que lorsque l’écouvillon est entièrement sorti et que la broche est retombée en place. Toutefois, cette invention très simple et très ingénieuse a aussi son désavantage. Dès que l’écouvillon est retiré, toute l’eau qui a été injectée dans le tube s’écoule et tombe sur ceux qui sont au-dessous, ou tout au moins autour d’eux, de sorte qu’en un combat de longue durée le séjour des chargeurs doit être quelque peu humide. Si l’on se rappelle que quatre canons doivent travailler continuellement, l’atmosphère du pont inférieur doit, à la longue, devenir très humide par suite de ces cascades continues. Ensuite se pose encore une autre question soulevée par l’amiral Foley. Par suite des fréquents lavages, le tube du canon ne va-t-il pas devenir tellement lisse que, sous l’inclinaison nécessaire, le colossal projectile ne pourra pas être arrêté à l’intérieur et que sitôt que l’écouvillon sera ressorti, il ressortira aussi ? C’est une question sérieuse que seul l’avenir peut résoudre.

Sitôt que le canon est chargé, le tube est de nouveau soulevé hydrauliquement, reprend sa position, est de nouveau poussé en avant par la pression hydraulique, tandis que le levier soulève du bas la glissière qui repose sur lui et que le canon roule en avant. Les quatre canons du bateau peuvent ainsi tirer dans toutes les directions de l’horizon, sauf en arrière, dans ce sens peuvent seulement tirer deux canons en même temps.

Reconstition 3D des tourelles du HMS Colossus.

De l’Inflexible, nous nous rendîmes à bord du Dreadnought qui est à peu près le même bateau, ou qui, pour mieux dire, tient le milieu entre la Devastation 5 et l’Inflexible. Il est plus petit comme dimensions et ne contient que deux canons de 38 tonnes dans chaque tour. A part cela, les dispositions sont les mêmes que sur l’Inflexible. Les tourelles peuvent être également actionnées par la vapeur et les canons qu’elles contiennent ont chacun leur glissière indépendante. Chacun de ces bateaux porte des torpilles que l’on peut lancer sur les côtés, sous l’eau et aussi au-dessus de l’eau. Le Dreadnought laissait en général une impression plus agréable et plus confortable que l’Inflexible ; surtout les logements des officiers et de l’amiral étaient très hauts, clairs, spacieux et agréables. Le Dreadnought est entièrement prêt à prendre la mer et va prochainement entreprendre un voyage. Nous sommes encore allés aux nouveaux grands bassins, qui sont creusés par des détenus et sont de dimensions colossales. On compte qu’ils seront achevés dans sept ou huit ans.

5 Cuirassé lancé en 1871 et condamné en 1908. Il fut choisi comme symbole illustrant les boites d’allumettes de la marque England’s Glory.

130 - Visite du prince Guillaume à Portsmouth (2/2)

Le HMS Dreadnought  ; à la différence de l’Inflexible, ses tourelles se situaient aux deux extrémités du pont.

Jetons encore un coup d’œil sur les pages qui précèdent, et surtout sur l’élément artillerie et nous allons trouver, à ce que je pense, que le système de chargement par la bouche exige un grand nombre de machines très compliquées – quoique très belles – qui demandent à leur tour beaucoup de place. Elles naturellement complètement supprimées avec le système de chargement par la culasse et la place qu’elles occupent peut être utilisée autrement. L’armée et la marine paraissent être complètement unies pour demander que soit introduit ce dernier système. Il est entendu que l’introduction du chargement par la culasse va exiger une transformation totale de tous les éléments existants tant en personnel qu’en matériel et que ce sera une tâche gigantesque dont la réalisation appartient à l’avenir et dont l’introduction va demander bien des années.

Signé : Guillaume, prince de Prusse

A Sa Majesté l’empereur et roi. 6

6 Guillaume II Souvenirs de ma vie (Payot ; Paris, 1926) pp. 424-428.

Cette description ne se contente pas de témoigner de l’intérêt du futur Kaiser pour la marine ; elle nous donne une image vivante d’un de ces étranges bâtiments qui ont précédés les cuirassés « classiques », avec leurs formes et leurs conceptions techniques rapidement surannées.

130 - Visite du prince Guillaume à Portsmouth (2/2)
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6 mars 2018 2 06 /03 /mars /2018 18:50
129 - Visite du prince Guillaume à Portsmouth (1/2)

En 1880, le prince Guillaume de Prusse se rendit en visite au Royaume-Uni. Au cours de celle-ci, le futur souverain eut l’occasion de visiter la base navale de Portsmouth, visite qu’il rapporta par écrit dans les jours qui suivirent à son grand-père Guillaume 1er. On ne manquera pas de remarquer l’intérêt du prince pour les sujets techniques, la clarté de ses explications – même sans les schémas qui accompagnait sa lettre – et son goût du progrès.

Présentation des forts du Solent auxquels appartenait le Spitford.

Le 12 novembre au matin, je me rendis avec le prince Edouard de Weimar 1, commandant en chef des troupes de Portsmouth, au « Spitford », à l’aide d’un petit vapeur. Le nom de « Spit » vient d’un long banc de sable qui s’étend de biais devant l’entrée du port et sur l’extrémité extérieure duquel est bâti le fort en question. C’est le plus petit des quatre forts qui sont loin dans la mer, et qui, sous la forme d’un quadrilatère irrégulier, ferment, vers l’est, l’espace qui s’étend entre l’île de Wight et Portsmouth. Leur position approximative est indiquée sur le plan ci-joint. Les forts peuvent se porter mutuellement secours de tous côtés, et sont en liaison par leurs ailes avec de très fortes batteries terriennes. Le chenal pour tous les vaisseaux qui se dirigent sur le port, passe, comme il est représenté sur le plan, – par conséquent, de la façon la plus efficace, sous leurs feux croisés, – environ à soixante pas devant le Spitfort.

1 Guillaume Auguste Edouard de Saxe-Weimar-Eusebach (1823-1902) a fait toute sa carrière dans l’armée britannique, participant notamment à la guerre de Crimée, et finissant avec le grade de field marshal. De 1878 à 1884 il fut commandant du Southern District qui regroupait tout le sud-ouest de l’Angleterre.

Comme les trois autres, le Spitfort est de forme ronde, construit en solides blocs de granit ; et, du côté de la mer – vers l’est – il est encore fortement cuirassé. Les canons sont placés circulairement dans un local situé à une certaine hauteur, casematé à l’épreuve des bombes, et qui est très clair, et très ventilé. Le Spitfort contient en tout seize pièces qui sont toutes des canons Armstrong 2 se chargeant par la bouche, montés sur affûts avec freins à glycérine et qui tirent par des meurtrières. Du côté de la terre tirent sept pièces de 9 tonnes, et du côté de la mer neuf pièces de 38 tonnes, ces dernières devant correspondre à peu près à nos canons de côte de 28 centimètres. J’ai fait exercer devant moi l’une de ces dernières.

2 Canons initialement développé à partir de 1855 par William George Armstrong se caractérisant par un tube forgé contenant l’âme rayé de la pièce avec des frettes de fer venant le renforcer.

Il faut dix hommes environ pour le service. D’abord on suspendit obliquement devant la partie inférieure de la meurtrière un châssis en fer, que doit figurer approximativement le dessin ci-joint, et qui doit supporter l’écouvillon pendant le chargement et le nettoyage. Ensuite, on alla chercher l’écouvillon de 35 à 40 pieds de longueur 3 suspendu à la voûte et on le donna à deux hommes placés dans la meurtrière devant la bouche. L’écouvillon fut suspendu alors pendant quelques instants de presque toute sa longueur à l’extérieur de la meurtrière pendant qu’il était introduit. Alors les deux hommes assis dans la meurtrière poussèrent l’écouvillon dans la pièce, assistés des hommes placés à gauche qui tiraient sur un câble, probablement métallique, fixé à l’extrémité du manche de l’écouvillon. Ensuite l’écouvillon fut retiré, resta quelques secondes suspendu au châssis à l’extérieur de la meurtrière et ramené à l’intérieur. Là-dessus, deux gros rouleaux de flanelle, qui avaient la forme exacte de la charge réelle de poudre, furent donnés aux hommes de la meurtrière qui les introduisirent. Ces rouleaux furent refoulés dans la chambre à poudre à l’aide d’une perche presque aussi longue que l’écouvillon, exactement par le même procédé (chargement). Le projectile fut introduit de la même manière, et conduit jusqu’à la charge. La seule difficulté provoquant un ralentissement fut celle de soulever le projectile jusqu’à la bouche. Il fut amené sur un petit chariot, analogue au dessin ci-joint ; dans les entailles du projectile fut accroché un palan dont le brin de traction fut attaché à un petit treuil placé à l’angle extérieur gauche de l’affût, et il fallut la force de tous les hommes placés à gauche de la pièce pour faire contrepoids, tandis que l’un d’eux cherchait à diriger le câble de moyenne grosseur au moyen du treuil ou de crochets, ce qui échoua plusieurs fois. Enfin, le projectile arriva à la hauteur de la bouche et, entre les parois de la meurtrière, fut soigneusement introduit dans la bouche de la pièce – avec la pointe en avant – et refoulé jusqu’à ce qu’on l’entendit toucher les rouleaux. Après que la perche fut éloignée et que les deux hommes eussent sauté hors de la meurtrière, le chargement fut terminé. Alors le commandant de pièce monta sur une petite estrade derrière la pièce et prit une direction à l’aide d’une roue dentée placée au-dessous de l’affût qui engrenait avec une crémaillère demi-circulaire scellée dans le sol, pendant que, de chaque côté de l’affût, deux homme agissaient sur des manivelles. Là-dessus le commandant de la pièce détermina exactement son but, et la pièce fut ainsi prête pour le tir. Le chargement avait duré trois minutes, la visée et la mise en position une minute. Après que la pièce eut été préparée pour le tir, furent glissés de chaque côté, devant la meurtrière, d’épais rideaux en chanvre tressé de 2 pouces d’épaisseur, de sorte que, seule, la bouche avancée de la pièce restait libre. Ces rideaux s’appellent des mantelets et doivent empêcher le retour de la fumée après le coup de feu. La pièce fut avancée tandis qu’elle était un peu soulevée par derrière à l’aide d’une pression hydraulique et ensuite on la laissa descendre en avant sur le bâti incliné disposé à cet effet. La pièce était ramenée en arrière par son propre recul, freinée déjà en remontant le bâti, mais principalement par la résistance offerte par la glycérine à un piston placé sous le canon.

3 De 10,66 à 12,19 mètres (si tant est que les chiffres après la virgule aient le moindre sens dans ce type d’approximation…)

Description en 3D des différentes pièces constituant un canon Armstrong ; le modèle représenté ici est à chargement par la culasse).

Un canon Armstrong du même type que ceux de Spitford installé à Alum Bay sur l’île de Wight ; à 0’57’’ on aperçoit entre les entretoises de l’affût le cylindre du frein de recul contenant le liquide à base de glycérine.

Canon Armstrong installé à East Tilbury dans l’Essex, montrant comment ces pièces étaient installées dans les fortifications ; on pourra remarquer les mantelets de chanvre.

Démonstration de tir à blanc d’un canon Armstrong de la Middle North Battery de Simon’s Town (province du Cap, Afrique du Sud).

Il faut dix hommes environ pour le service. D’abord on suspendit obliquement devant la partie inférieure de la meurtrière un châssis en fer, que doit figurer approximativement le dessin ci-joint, et qui doit supporter l’écouvillon pendant le chargement et le nettoyage. Ensuite, on alla chercher l’écouvillon de 35 à 40 pieds de longueur 3 suspendu à la voûte et on le donna à deux hommes placés dans la meurtrière devant la bouche. L’écouvillon fut suspendu alors pendant quelques instants de presque toute sa longueur à l’extérieur de la meurtrière pendant qu’il était introduit. Alors les deux hommes assis dans la meurtrière poussèrent l’écouvillon dans la pièce, assistés des hommes placés à gauche qui tiraient sur un câble, probablement métallique, fixé à l’extrémité du manche de l’écouvillon. Ensuite l’écouvillon fut retiré, resta quelques secondes suspendu au châssis à l’extérieur de la meurtrière et ramené à l’intérieur. Là-dessus, deux gros rouleaux de flanelle, qui avaient la forme exacte de la charge réelle de poudre, furent donnés aux hommes de la meurtrière qui les introduisirent. Ces rouleaux furent refoulés dans la chambre à poudre à l’aide d’une perche presque aussi longue que l’écouvillon, exactement par le même procédé (chargement). Le projectile fut introduit de la même manière, et conduit jusqu’à la charge. La seule difficulté provoquant un ralentissement fut celle de soulever le projectile jusqu’à la bouche. Il fut amené sur un petit chariot, analogue au dessin ci-joint ; dans les entailles du projectile fut accroché un palan dont le brin de traction fut attaché à un petit treuil placé à l’angle extérieur gauche de l’affût, et il fallut la force de tous les hommes placés à gauche de la pièce pour faire contrepoids, tandis que l’un d’eux cherchait à diriger le câble de moyenne grosseur au moyen du treuil ou de crochets, ce qui échoua plusieurs fois. Enfin, le projectile arriva à la hauteur de la bouche et, entre les parois de la meurtrière, fut soigneusement introduit dans la bouche de la pièce – avec la pointe en avant – et refoulé jusqu’à ce qu’on l’entendit toucher les rouleaux. Après que la perche fut éloignée et que les deux hommes eussent sauté hors de la meurtrière, le chargement fut terminé. Alors le commandant de pièce monta sur une petite estrade derrière la pièce et prit une direction à l’aide d’une roue dentée placée au-dessous de l’affût qui engrenait avec une crémaillère demi-circulaire scellée dans le sol, pendant que, de chaque côté de l’affût, deux homme agissaient sur des manivelles. Là-dessus le commandant de la pièce détermina exactement son but, et la pièce fut ainsi prête pour le tir. Le chargement avait duré trois minutes, la visée et la mise en position une minute. Après que la pièce eut été préparée pour le tir, furent glissés de chaque côté, devant la meurtrière, d’épais rideaux en chanvre tressé de 2 pouces d’épaisseur, de sorte que, seule, la bouche avancée de la pièce restait libre. Ces rideaux s’appellent des mantelets et doivent empêcher le retour de la fumée après le coup de feu. La pièce fut avancée tandis qu’elle était un peu soulevée par derrière à l’aide d’une pression hydraulique et ensuite on la laissa descendre en avant sur le bâti incliné disposé à cet effet. La pièce était ramenée en arrière par son propre recul, freinée déjà en remontant le bâti, mais principalement par la résistance offerte par la glycérine à un piston placé sous le canon.

3 De 10,66 à 12,19 mètres (si tant est que les chiffres après la virgule aient le moindre sens dans ce type d’approximation…)

Le déchargement présenta à peu près le même tableau que le chargement, sauf que les deux hommes de la meurtrière durent s’arc-bouter avec les pieds contre la gueule du canon et être presque littéralement couchés sur le dos pour pouvoir retirer le projectile extrêmement lourd. Je montai alors sur le toit. Au centre du toit voûté, incliné dans tous les sens en forme de glacis, courait circulairement un balcon en fer, protégé jusqu’à hauteur de la poitrine. Sur ce balcon doivent se tenir le commandant du fort ainsi que plusieurs officiers et, en regardant par-dessus la balustrade, ils dirigent le feu des pièces placées au-dessous d’eux. A cet effet sont disposés sur la muraille, aux divers principaux postes, des porte-voix en relation directe avec la pièce correspondante, c’est-à-dire avec son commandant. Sur le toit sont tracées en peinture à l’huile, en différentes couleurs, des lignes droites qui correspondent exactement avec la ligne de visée de la pièce située au-dessous ; ces lignes sont exactement disposées dans la direction des buts principaux qui ont déjà été prévus. Le dessin ci-joint les reproduit approximativement.

129 - Visite du prince Guillaume à Portsmouth (1/2)

Le Spitford modernisé peu avant la première guerre mondiale.

Lorsque l’on jette un coup d’œil d’ensemble sur la description ci-dessus, on doit certainement se dire, à ce que je crois, que malgré tous les avantages que doit avoir le chargement par la gueule (pour celui qui a été éduqué et exercé), il montre de si fortes défectuosités que l’on doit peut-être le considérer comme non pratique. Si, par exemple, au moment du chargement, au moment où l’écouvillon est suspendu à l’extérieur, un obus ou un de ses gros éclats atteint la meurtrière, non seulement les deux hommes qui y sont assis sont tués, mais encore, selon toute probabilité, l’écouvillon est également détruit, de sorte que l’usage de la pièce est rendu impossible pendant plusieurs minutes. Ou si, au moment où le projectile est soulevé par le palan jusqu’à la bouche, un éclat de bombe vient rompre l’un des câbles, le projectile tombera, les deux hommes seront mis hors de combat, et, dans le cas où le projectile serait un obus, il explosera sur le sol en répandant la mort et la destruction autour de lui.

Tous les officiers d’artillerie qui m’accompagnaient et auxquels je demandai de me dire, sur leur conscience, s’ils étaient ou non partisans du chargement par la culasse, me répondirent qu’ils en étaient partisans.

Les autres forts maritimes autour de nous étaient plus grands que le Spitfort ; ils sont entièrement cuirassés et possèdent, en deux étages, de trente à cinquante canons. 4

4 Guillaume II Souvenirs de ma vie (Payot ; Paris, 1926) pp. 420-424.

Achevé en 1878, le fort fut utilisé par l’armée jusqu’en 1962 et finalement cédé par le Ministère britannique de la défense (MoD) en 1982. Depuis 2012 il est transformé en hôtel de luxe avec spa.

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21 octobre 2017 6 21 /10 /octobre /2017 17:38
121 - Dernière visite à l'ambassade de France

La Pariser Platz de Berlin sur laquelle se trouvait l’ambassade de France.

Nous avons déjà eu l’occasion de parler des timides tentatives faites par le Kaiser pour se rapprocher de la France. Hélas celles-ci n’aboutirent jamais et dès 1912 il était persuadé que ce pays voulait la guerre. Aussi ne manqua-t-il pas de jouer un tour à sa façon à l’ambassadeur Jules Cambon en poste à Berlin depuis 1907.

 

L’empereur affecte un certain détachement des événements. Sa pensée paraît encore indécise. Il ne prononce aucune parole tranchante. Son attitude est courtoise à l’égard des Français. Il dîne dans diverses ambassades. D’abord, chez ses alliés : à l’ambassade d’Autriche et à l’ambassade d’Italie.

Le 19 mars, il accepte l’invitation de M. Cambon et franchit, pour la dernière fois, les portes de l’ambassade de France.

Il est d’usage, lorsque le kaiser se rend dans une ambassade étrangère, que les hauts dignitaires allemands invités à l’accompagner, arrivent quelques minutes avant le souverain, et se rangent avec le personnel de l’ambassade pour le recevoir. Ce soir-là, le dîner est pour 8 heures. A 7 h. 50, sans que le palais nous eût informés par téléphone du départ de l’automobile impériale, Guillaume II arrive subitement sous le porche de l’ambassade. M. Cambon n’a que le temps de descendre quatre à quatre avec son personnel pour empêcher que l’empereur ne se trouve seule en face du portier (d’ailleurs très galonné) dans le grand hall d’entrée. Guillaume II grimpe les marches du grand escalier d’honneur, plus lestement encore que nous ne les avions descendues, dans l’espoir de trouver les salons vides. Mais les dames de l’ambassade, accourues en hâte, sont à leur place. Seuls les ministres et les grands seigneurs allemands font défaut. L’empereur, ravi du bon tour qu’il leur a joué, s’amuse de leur déconvenue, lorsqu’ils arrivent quelques minutes plus tard.

121 - Dernière visite à l'ambassade de France

Jules Cambon avant sa nomination comme ambassadeur à Berlin.

Le dîner est impeccable. L’empereur a Mme Cambon à sa droite et ma femme à sa gauche. Il est de très bonne humeur. Comme il ne peut pas se servir de la main gauche, il emploie une fourchette spéciale dont un côté tranchant lui permet de couper les viandes 1. Au dessert, un majordome de la cour, qui se tient en permanence derrière son siège, lui présente une assiette de pommes crues imbibées d’une liqueur dont j’ignore la composition. Quelqu’un lui a dit, il y a bien des années, que la pomme, par des vertus particulières, assurait une longue vie ; depuis ce jour, il fait de ce fruit une grande consommation.

1 On se souvient que depuis sa naissance le Kaiser avait un bras gauche sans force et plus court que le droit.

Après le dîner on donne la comédie. Trois artistes du Théâtre-Français, Mlle Jeanne Provost 2, Mlle Lucie Guéneau 3 et M. Burguet 4, jouent Un Caprice, de Musset, et disent des poèsies. L’empereur déploie auprès de ses hôtes français et des artistes, le charme qui a si souvent conquis même ses ennemis. Il prend un plaisir particulier à causer avec M. Francis Charmes 5, de l’Académie française, et avec le professeur Vidal 6, de l’Académie de médecine. Il ne quitte l’ambassade qu’après minuit bien sonné. 7

2 Jeanne Provost (1887-1980).

3 En 1912, Lucie Guéneau et Jeanne Prévost étaient en tournée à Berlin.

4 Charles Léon Lévy (1872-1957), allias Charles Burguet, est un acteur, producteur, scénariste et réalisateur français.

5 Marie François (1848-1916), allias Francis Charmes, avait été élu à l’Académie française en 1908 au siège de Marcellin Berthelot ; a sa mort s’est Jules Cambon qui lui succédera.

6 Fernand Georges Isidore Widal (1862-1929), chirurgien et bastériologiste, avait été élu à l’Académie de médecine en 1906.

7 Amiral de Faramond Souvenirs d’un attaché militaire en Allemagne et en Autriche (Librairie Plon ; Paris, 1932) pp. 76-78.

121 - Dernière visite à l'ambassade de France

Le professeur Widal (photo extraire de sa notice sur Wikipedia).

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8 avril 2017 6 08 /04 /avril /2017 09:09
115 - Douceur de la retraite

Je me suis aperçu que depuis le début de ce blog je n’ai jamais vraiment entraîné mes chers et patients lecteurs aux Pays-Bas pour y rencontrer le Kaiser en exil. Nous allons donc le découvrir loin de son personnage de souverain absolu et de seigneur de la guerre jouant le rôle simple de gentilhomme campagnard. En marge, on ne pourra manquer de comparer l’apaisement de l’ancien souverain allemand à l’agitations aussi vaine qu’exaspérante de monsieur de Buonaparte à Sainte-Hélène…

Commençons par les souvenirs du prince Louis-Ferdinand, petit-fils du Kaiser qui en 1933 fit un séjour de convalescence prolongé au Pays-Bas :

 

Mon grand-père menait une vie méthodique suivant une stricte routine quotidienne qui n’était modifiée qu’en de rares occasions. J’ai entendu dire qu’il suivait une routine rigide identique pendant ses trente années de règne. C’était le secret de son excellente forme physique presque jusqu’au dernier jour.

Mon grand-père me considérait comme un malade dont il était personnellement responsable de la guérison. A son avis, ma santé avait été minée par mes efforts et par les fatigues subies à l’usine automobile, comme ouvrier 1. Il lui fallait aussi me désintoxiquer d’une légère forme d’alcoolisme contracté au pays de la prohibition.

1 Pendant son séjour aux Etats-Unis, le prince Louis-Ferdinand avait effectué une période de travail comme ouvrier dans les usines Ford.

L’Empereur se levait régulièrement à sept heures pour une promenade d’une demi-heure dans son immense jardin-parc. Puis il donnait à manger aux canards sauvages, du haut du pont de la Maison de Doorn, qui était entourée d’eau comme beaucoup de vieux châteaux et manoirs en Hollande. Il soignait ces petites bêtes et allait les voir tous les matins vers midi et le soir un peu avant le dîner, quel que fût le temps. A l’un des bouts du pont étaient installés plusieurs instruments météorologiques. Avant de traverser le pont, l’Empereur ne manquait jamais de consulter ces appareils. La météorologie était l’un de ses passe-temps favoris, et plusieurs bureaux d’études du temps en Allemagne et à l’étranger lui envoyaient régulièrement leurs cartes et leurs rapports.

Un peu après huit heures et demie toute la maisonnée, y compris les membres de la famille et l’état-major de la Maison, se rassemblait dans le hall d’entrée. A huit heures quarante-cinq l’Empereur descendait l’escalier de ses appartements privés. Après avoir salué la « congrégation », il montait sur un lutrin proche de la bibliothèque. En semaine, il lisait quelque psaume ou autres versets de la Bible suivis du « Notre Père ». La courte cérémonie s’achevait en invoquant la bénédiction divine sur tous les présents. Le dimanche, si un pasteur n’était pas accessible, mon grand-père lisait souvent un sermon qui lui avait été remis par son ami, ancien pasteur de la Cour, Doehring (Ce fut Doehring qui nous maria, Kira 2 et moi, dans ce même hall où on grand-père commençait sa journée en priant le Créateur et en Lui demandant aide et bénédiction 3).

2 Le prince Louis-Ferdinand épousera en 1938 la grande-duchesse Kira Kirillovna de Russie (1904-1967).

3 Ce sera également le pasteur Doehring qui prononcera le sermon lors de l’enterrement du Kaiser.

115 - Douceur de la retraite

Le mariage religieux du prince Louis-Ferdinand à Doorn.

La manière simple et sans apprêt dont l’Empereur dirigeait ces cérémonies impressionnait profondément ceux qui en étaient témoins. Les visiteurs allemands de toutes classes, des étrangers qui comprenaient tout juste bonjour ou bonsoir, y étaient invités.

L’esprit religieux de mon grand-père était profond et sincère. C’était un protestant convaincu mais nullement intolérant. Il aimait discuter des problèmes religieux. Le fameux théologien allemand, le professeur Adolf von Harnack 4, qui était considéré comme un religieux libéral et violemment attaqué par beaucoup de ses collègues plus orthodoxes, était tenu en haute estime par l’Empereur qui n’imposait jamais à quiconque ses propres convictions religieuses, pas même aux membres de sa famille.

Après le culte matinal, mon grand-père remontait dans ses appartements pour le petit-déjeuner. Le « malade » avait ordre de ne point assister aux actions de grâce pour le moment et de prendre son petit déjeuner dans son appartement. A neuf heures et demie, je retrouvai mon grand-père devant la maison pour une promenade en voiture d’une vingtaine de minutes, vers les bois d’un ami, le comte Goddard Bentinck, près d’Amerongen 5.

4 Adolf von Harnack (1851-1930) docteur en théologie, droit et médecine, était considéré en Allemagne comme le plus grand théologien et historien de l’Eglise de son temps. Il appartenait à une famille marquée par l’anti-nazisme.

5 Le comte Bentinck avait accueilli le Kaiser aux Pays-Bas en 1918, en dépit de ses propres sympathies pour le camp des Alliés, et l’avait logé dans son château d’Amerongen jusqu’à l’achat du château de Doorn par l’exilé.

Notre principal travail consistait à éclaircir les broussailles. Mon grand-père travaillait avec son bras droit, qui était très fort, utilisant une petite hachette ou une scie.

Pendant mon séjour, en tant que seul invité appartenant à la famille, je m’asseyais toujours à côté de mon grand-père sur la banquette arrière. Après être descendu de la voiture, il me remerciait toujours pour ma coopération et mon aide efficace. Puis nous nous quittions, nous saluant cérémonieusement. C’était un petit jeu entre nous.

Suivant les saisons de l’année, les expéditions dans les bois étaient remplacées par des travaux dans le jardin. Mon grand-père était très fier d’avoir créé un magnifique jardin de roses dans le pays des tulipes.

Jusqu’à l’heure du déjeuner, mon grand-père étudiait la presse du jour. Son fidèle officier Ilsemann 6 qui l’avait suivi dans son exil, lui communiquait un aperçu général des quotidiens hollandais, allemands, américains, français et anglais. Tous les événements importants étaient cerclés de rouge sur les journaux. Si mon grand-père les trouvait dignes d’intérêt, il les lisait à ses auditeurs d’après-dîner, dans la bibliothèque. Beaucoup de journaux, les étrangers surtout, étaient étudiés de la première à la dernière page.

6 Sigurd von Ilsemann (1884-1952) était aide camp du Kaiser depuis le début de l’année 1918 et le restera jusqu’à la mort du souverain.

115 - Douceur de la retraite

Le Kaiser à son bureau.

Pendant que mon grand-père se plongeait dans son examen de la presse, je retournais habituellement dans ma chambre. J’y trouvais toujours un petit en-cas d’avant-midi comprenant quelques sandwiches et une petite carafe de porto – le contenu de deux verres. C’était autorisé par mon hôte. Un spécialiste de l’estomac de Bad Kissingen 7 était de service comme médecin auprès de mon grand-père à cette époque. Il avait conseillé à mon aïeul de me faire manger un peu presque toutes les heures. Il affirmait aussi que le porto devait avoir un bon effet sur les fonctions digestives de l’estomac.

7 Ville bavaroise et station thermale réputée où se rencontraient avant guerre nombre de têtes couronnées.

A une heure précise, le chambellan de la cour annonçait que le déjeuner était servi. Les portes de la salle à manger étaient ouvertes par des mains invisibles et tout le monde entrait, les dames toujours les premières. La salle à manger se trouvait en face de l’entrée du hall et possédait trois larges fenêtres donnant sur le jardin. L’Empereur occupait toujours le même siège, le dos à la porte, afin de jouir de la vue du jardin. Quand ma grand-mère était présente, elle s’asseyait en face de lui.

Les convives réunissaient en général, outre l’Empereur, le médecin de la cour, le chambellan, et les aides de camp. Ces fonctionnaires étaient tous des hommes d’âge qui étaient les invités de l’Empereur pendant leur séjour volontaire, avec leurs déplacements payés. Leur « travail » n’était pas un sacrifice. En fait, ils jouissaient pratiquement de vacances payées.

Contrairement à la plupart de ses invités, mon grand-père était un mangeur et un buveur extrêmement modéré. Les menus des deux repas comportaient habituellement un ou deux plats seulement, mais ils étaient préparés délicieusement. Dans sa jeunesse, l’Empereur avait été un mangeur rapide. Pendant son règne, les repas ne duraient pas plus de vingt minutes. Les convives qui prenaient leur temps avaient à peine le temps de toucher à leur assiette avant qu’elle fut remplacée.

A ce point de vue, mon cas était sans espoir. Mais comme il me considérait comme son malade, même après que ma santé fût tout à fait rétablie, j’avais la permission de manger selon ma propre vitesse. Non seulement mon hôte impérial m’attendait patiemment, mais il m’encourageait à me resservir une fois ou deux.

« Il faut que vous redeveniez fort si vous voulez retourner dans cette horrible usine Ford » avait-il coutume de me dire. Les parents et relations en visite qui n’étaient pas au courant de mon arrangement spécial me regardaient avec stupeur et désapprobation quand ils remarquaient que l’Empereur était contraint d’attendre à table à cause de moi.

Pendant cette période, j’étais toujours placé entre mon grand-père et le docteur, « pour des raisons de supervision », comme disait ce dernier. C’était le devoir du docteur de veiller à ce que le malade ne bût pas davantage que les deux verres de vin qui lui étaient autorisés. Le seul luxe que l’Empereur se permettait était un demi-verre de Bourgogne scintillant.

La conversation à table était toujours très animée. Bien qu’il fût un brillant causeur, mon grand-père savait être un excellent auditeur. Avec les invités étrangers de pays latins, il parlait français presque aussi couramment que l’anglais, qu’il préférait de beaucoup.

Après le déjeuner, le « poste » favori de mon grand-père était l’appui d’une fenêtre de la bibliothèque, d’où il dominait des massifs de rhododendrons au milieu desquels se dressait une petite statue de ma grand-mère.

115 - Douceur de la retraite

Le Kaiser en compagnie d’invités.

C’était devenu une coutume de demander à l’invité d’honneur de bavarder environ un quart d’heures avec on grand-père pendant cet après-déjeuner. Puis l’Empereur se retirait dans ses appartements, après avoir salué chacun des assistants. Il croyait fermement – tout comme Winston Churchill – en la valeur d’une longue sieste tranquille d’environ deux heures pour laquelle il se déshabillait et se mettait au lit. A ceux qui riaient de cette habitude il remarquait :

« Si vous faisiez un somme comme je le fais, vous ne ronfleriez pas tant dans la soirée pendant que j’essaye de vous lire quelque chose. »

Mon grand-père se réservait la période entre le déjeuner et dîner, ou la consacrait aux membres de sa famille présents. Le thé était servi à cinq heures. Pendant l’absence de ma grand-mère, il se le faisait toujours servir dans son bureau.

Pendant ces trois mois, je fus son seul hôte pour le thé. J’aimais particulièrement ces moments où je pouvais observer son fin profil d’un coin de la pièce. Seul le bruit de la table à thé que l’on apportait lui faisait lever les yeux au-dessus des cercles de ses lunettes qu’il portait pour écrire et pour lire.

Pendant les mois d’été, l’Empereur faisait souvent une promenade dans le village après le thé. Il quittait toujours sa propriété par une porte de côté qu’il ouvrait lui-même avec sa propre clef. Puis il traversait le jardin des roses et gagnait la grande route qui reliait Doorn à Utrecht et Arnhem. Presque tout le monde, piétons et cyclistes, saluait grand-père.

Il répondait toujours d’une façon pleine de noblesse, ôtant son chapeau de paille avec un grand geste. De temps à autre, des voitures portant des plaques minéralogiques allemandes ou étrangères s’arrêtaient, et leurs occupants acclamaient le promeneur solitaire. A une distance discrète, des surveillants de police en civil suivaient mon grand-père.

Pendant les mois d’hiver, l’Empereur restait à la maison, se consacrant surtout à ses études d’archéologie et autres sujets scientifiques. Il donnait aussi beaucoup de son temps aux problèmes de sa famille. Bien qu’il n’intervint pas en général, il insistait pour être tenu au courant de tout ce qui concernait la famille, sur laquelle il exerçait une influence orale inestimable. Sur un seul point il n’acceptait aucune sottise. Je veux dire, le mariage. 8

8 Le prince rebelle (André Martel ; Givors, 1954) pp. 189-194.

115 - Douceur de la retraite

L’infante Eulalie dans sa jeunesse (peinture de Giovanni Boldini, tirée de la notice biographique de la princesse sur Wikipedia en espagnol).

L’infante Eulalie, sœur du roi Alphonse XII d’Espagne, qui avait sympathisé avec le Kaiser lors du Jubilée de la reine Victoria en 1887, confirme le caractère paisible et rangée de la vie du souverain en exil :

 

En 1930, j’avais fait un court séjour chez l’archiduchesse Christine, princesse de Salm, en Westphalie ; en la quittant je traversai la frontière hollandaise pour me rendre à La Haye. J’arrivai dans la capitale, à la nuit tombée, et je descendis à l’hôtel.

Le lendemain matin, de très bonne heure, on me réveilla ; l’officier d’ordonnance du kaiser était là, il m’apportait une lettre de Guillaume qui m’invitait à déjeuner chez lui. Nous ne nous étions pas vus depuis vingt-cinq ans. Il s’était passé bien des choses depuis mon dernier séjour à Berlin et la carte d’Europe s’était transformée. Guillaume II n’était plus le « Grand Seigneur de la Guerre », il n’avait plus sa moustache conquérante, il ne revêtait plus de somptueux uniformes, autour de lui ne gravitait plus une cour splendide. Je me trouvai en présence d’un vieillard au port élégant et à la toilette sobre. Affable toujours, les yeux moins durs qu’autrefois, il avait conservé cette allure de grand seigneur qu’il avait toujours eue et que les révolutions n’altèrent pas. Mon passage à Doorn fut très agréable. C’est une petite demeure bourgeoise, sans prétention, entourée d’eau, comme tout bon paysage hollandais, et aux jardins fleuris. La domesticité est peu nombreuse. Le charme des habitants fait tout l’attrait de la résidence actuelle de Guillaume II. J’ai déjà dit que Guillaume est un mystique. Il le prouve dans sa vie obscure d’exilé. Convaincu que son époque et ses actes appartiennent à l’histoire, il ne juge pas, il n’essaie pas de se justifier, encore bien moins de discuter. L’unique sujet de conversation qui soit prohibé à Doorn, c’est la politique. Je l’avais compris avant d’arriver, en causant avec l’officier d’ordonnance venu pour me chercher. Pas un mot sur le passé, sur cette période trop proche pour être déjà de l’histoire. Le kaiser ne veut être, en ses dernières années, qu’un fleuriste insigne. Il cultive des roses éblouissantes et des tulipes veloutées. Dans son jardin poussent des pavots gigantesques et des violettes embaumées, et rien d’autre ne le préoccupe. Il met son ultime fierté à embellir le monde.

Cet homme à qui l’on a prêté le dessein d’asservir l’Europe, vit modestement. A son service, il a un domestique, une femme de chambre, un cuisinier et un chauffeur. Sa maison se compose uniquement d’un officier d’ordonnance et d’une dame d’honneur pour la princesse Herminie, sa seconde femme. Un médecin complète ce petit cercle ; il est choisi et renouvelé chaque mois par l’Académie de médecine de Berlin qui envoie toujours pour cet office un des meilleurs praticiens de la capitale.

Les uniformes ont disparu ainsi que les livrées galonnées et les costumes somptueux. Les domestiques de Guillaume portent une modeste livrée rouge et noire. Le seul luxe du petit château réside dans les livres et les vins, deux choses dont le kaiser est amateur. Il lit beaucoup, mais il a toujours eu l’habitude de boire très peu.

Les premières années de son exil furent pénibles, car le gouvernement hollandais ne l’autorisait pas à sortir d’un rayon de cinquante kilomètres autour de sa résidence. Aujourd’hui on ne lui fixe pas de limites et son automobile peut circuler dans toute la Hollande.

Les exilés jouissent d’une grande popularité dans leur voisinage.

Après le repas nous causâmes.

– Ma vie politique, me dit Guillaume, est une page écrite dans un livre clos. Je n’interviens en rien dans les affaires de mon pays. Personne ne pourra dire que d’ici j’ai tramé un complot, ni qu’une seule parole est sortie de chez moi qui soit susceptible de faire naître un conflit en Allemagne. Depuis longtemps, on ne voit plus mon nom dans les journaux que mêlé à ceux des fleuristes. Aujourd’hui même, ajouta-t-il avec une satisfaction et une fierté visibles, j’ai obtenu un nouveau prix pour mes tulipes. 9

9 Mémoires de S.A.R. l’infante Eulalie (Plon ; Paris, 1935) pp. 61-63.

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4 octobre 2014 6 04 /10 /octobre /2014 11:15
76 - Le service à thé d'Holopherne

Vue aérienne du centre historique de Gouda ; on notera l’hôtel de ville sur la place centrale et l’église Saint-Jean juste en dessous de lui.

A l’été 1874, le jeune prince Guillaume, alors âgé de 15 ans et préparant sa confirmation, passait des vacances à Scheweningen, aux Pays-Bas, en compagnie de son frère le prince Henri et de leur précepteur Georg Hinzpeter. Afin de profiter au mieux de ce séjour, les augustes touristes visitèrent musées et édifices religieux.

76 - Le service à thé d'Holopherne

L’église Saint-Jean de Gouda.

Au cours de l’une de ces promenades, le prince Guillaume put découvrir l’église Saint-Jean de Gouda (en néerlandais Sint Janskerk ou encore Grote Kerk 1, c’est-à-dire Grande Eglise), la plus grande des Pays-Bas, réputée pour ses magnifiques vitraux réalisés entre 1530 et 1603. A cette occasion, il sut faire preuve d’une imagination qui, si elle ne milite pas en faveur de ses connaissances artistiques, n’en dénote pas moins une curiosité toujours en éveil.

1 En n’oubliant pas de le prononcer avec cet accent batave si particulier…

76 - Le service à thé d'Holopherne

Intérieur de l’église Saint-Jean.

Mais laissons maintenant la parole à l’empereur exilé dans ces mêmes Pays-Bas et écoutons le se remémorer près d’un demi siècle plus tard ses souvenirs de jeunesse.

Nos visites d’églises nous conduisirent une fois à Gouda, où nous admirâmes les fenêtres garnies de beaux vitraux. L’un d’eux représentait Judith et Holopherne au moment où l’héroïne juive sort de la salle en emportant la tête du général de Nabuchodonosor 2 ; le corps sans tête d’Holopherne reposait sur un lit magnifique orné de rideaux de soie 3. Mais mon sentiment historique du style fut choqué à l’extrême lorsque, auprès du lit, je remarquai une élégante table de nuit portant un service à thé chinois. Ma question, – les gens de ce temps-là buvaient-ils donc déjà du thé, – mit le pauvre Hinzpeter dans la plus grande perplexité. Il en fut de même de ma deuxième question : comment Holopherne, qui habitait cependant une simple tente, avait-il pu arriver à prendre dans son train militaire un si magnifique service  à thé sans qu’il soit brisé. Peut-être avait-il un chameau à thé spécial ? C’est seulement lorsque Hinzpeter désespéré me répondit que Judith le lui avait sans doute apporté à titre de présent que je fus satisfait.

2 Ce vitrail, dessiné par Dirk Crabeth et situé dans le transept nord, avait été offert en 1571 par Jan van Ligne, duc d’Arenberg (1525-1568).

3 Pour plus de détails, le lecteur ne manquera pas de se reporter au Livre de Judith dans l’Ancien Testament…

76 - Le service à thé d'Holopherne

Le vitrail de Judith et Holpherne (photographie prise par Jane023 sous Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Netherlands pour Wikipedia). Si l’on y voit bien la table basse – au centre gauche de la verrière, au-dessus du corps décapité d’Holopherne –  le service à thé reste flou…

Cette visite à l’église de Gouda eut une suite. La reine des Pays-Bas de cette époque, Sophie 4, nous faisait venir parfois à son palais et nous régalait de thé, de gâteaux, de fraises et de pâtisseries, et, de notre côté, nous devions lui raconter nos excursions en Hollande. Ce fut le cas après notre visite à Gouda. Comme nous lui racontions où nous avions été, elle nous dit avec étonnement : « Comment, enfants, mais qu’est-ce que vous avez bien pu faire à Gouda » Nous : « Chère tante, nous avons visité la belle église. » La reine : « Qu’est-ce qu’il y a donc de si beau à voir dans l’église ? » Moi : « Mais, chère tante, les belles fenêtres ! » « La conquête de Damiette » 5, ajouta Henri « où les vaisseaux hollandais ont fait sauter la chaîne qui fermait le port » ; à quoi j’ajoutai vivement : « Judith et Holopherne, et il y a là une belle table de nuit avec un service à thé chinois. » La reine : « Mais c’est impossible, Holopherne n’a pourtant jamais bu de thé, ce ne peut donc pas être un service à thé. » Moi : « Si, chère tante, c’est bien un service à thé. » La reine : « Bien, enfants, je vais aller voir cela moi-même, car, dans la Bible, il n’y a rien de semblable. » Quelque temps après, la reine se rendit effectivement à Gouda où elle put se convaincre de la réalité de nos données en culture historique. 6

4 Sophie Frédérique Mathilde de Wurtemberg (1818-1877), était la première épouse du roi Guillaume III des Pays-Bas (1817-1890).

5 En 1219, au cours de la cinquième croisade, des croisés frisons s’emparèrent de la ville, qui fut reprise par les musulmans en 1221. Le vitrail de l’église Saint-Jean représentant cet événement, dessiné par Willem Thibaut et situé lui aussi dans le transept nord, avait été offert en 1597 par la ville de Haarlem.

6 Guillaume II Souvenirs de ma vie (Payot ; Paris, 1926) pp. 111-112.

76 - Le service à thé d'Holopherne

La reine Sophie vers 1870.

Pierre Gilliard, qui fut professeur de français du tsarévitch Alexis, fils du tsar Nicolas II, écrivait à propos de l’éducation d’un futur souverain :

L’enseignement qu’il reçoit ne peut être qu’artificiel, tendancieux et dogmatique. Il revêt souvent le caractère absolu et intransigeant du catéchisme. Cela provient de plusieurs causes : du choix des professeurs, du fait que leur liberté d’expression est limitée par les conventions du milieu et par les égards que réclame la personnalité exceptionnelle de leur élève ; du fait enfin, qu’ils doivent parcourir en un nombre d’années très restreint un vaste programme. Cela les pousse inévitablement à se servir de formules ; ils procèdent par affirmations, et songent moins à stimuler chez leur élève l’esprit de recherche et d’analyse et les facultés de comparaison, qu’à écarter ce qui pourrait faire naître en lui une curiosité intempestive et le goût des investigations non protocolaires. 7

7 Le tragique destin de Nicolas II et de sa famille (Payot ; Paris, 1921) p. 71.

On voit par là qu’en dépit de ces lacunes, le prince Guillaume avait sut conserver le sens de l’observation ainsi qu’une imagination débordant. On ne peut malheureusement pas dire autant d’Hinzpeter dont l’embarras et l’explication fastidieuse laissent rêveur quant à ses talents de pédagogue…

76 - Le service à thé d'Holopherne

Le vitrail représentant la prise de Damiette, bien moins coloré que celui de Judith et Holopherne (photographie de Joachim Köhler sous GNU Free Documentation License pour Wikipedia)…

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29 septembre 2012 6 29 /09 /septembre /2012 10:08

 

1-copie-55

Le SMY Hohenzollern (premier du nom) servit de yacht impérial de 1871 à 1892. Après cette date, remplacé par un bâtiment plus moderne et plus imposant, il fut rebaptisé Kaiseradler.

 

Epris de navigation, le Kaiser entreprit de 1888 à 1914 des croisières estivales en mer du Nord et en Baltique. Au cours de celles-ci, loin de l’étiquette et de la lourdeur de la vie de la cour comme des contraintes de l’existence familiale, l’empereur Guillaume II ne se sentait plus obligé de jouer son rôle de monarque inaccessible et de seigneur de la guerre tout puissant, même si les escales lui imposait parfois des rendez-vous officiels. Le comte Zedlitz-Trützschler l’explique ainsi à la date du 27 février 1904 (Douze années à la cour impériale allemande 1898-1910, p. 78) :

La passion de l’empereur pour les voyages augmente encore, ainsi que son besoin d’activité. Même si cela gêne quelquefois la marche des affaires d’une manière considérable et occasionne même des retards dans les décisions importantes, au point de vue politique, il est heureux que l’empereur soit distrait de cette façon ; cela permet d’éviter des interventions trop autocratiques, trop énergiques et trop impulsives.

Le désir de voyager ou d’entreprendre quelque chose résulte en principe du peu de satisfaction que l’empereur rencontre dans l’intimité. Les contraintes que lui impose la présence de l’impératrice et de son entourage lui donnent un sentiment de malaise. L’atmosphère de religion bigote qui y règne et l’étroitesse de leurs idées ultra-conservatrices sont pénibles à un homme dont les idées, après tout, sont larges et modernes. Il se sent oppressé chez lui et gêné et cherche inconsciemment à échapper à cette vie aussi souvent que possible.

 

Consulat général à Christiania

Sceau en papier de la légation de l’empire allemand à Christiania.

 

Afin de nous faire une idée de ce que pouvaient être ces croisières estivales, suivons le début de celle de juillet 1890, telle que l’a rapportée Philipp Elenburg dans ses lettres à l’impératrice Augusta-Victoria (Souvenirs du prince Eulenburg – croisières à bord du Hohenzollern(1889-1903), pp. 31-34). Toutefois, avant d’en arriver au récit lui-même, il convient de préciser deux points.

Tout d’abord, il convient de se rappeler que par le traité de Kiel du 14 janvier 1814, la Norvège (à l’exception du Groenland et des îles Féroé) fut détachée du Danemark pour être rattachée à la Suède dans le cadre d’une union personnelle entre ces deux pays ; concrètement, les deux états restaient souverains, mais en ayant le même roi. Sous le règne d’Oscar II, des craquements de plus en plus forts menacèrent cette union, si bien qu’en 1905 la Norvège se détacha finalement de la Suède et que le prince Christian Frederik de Danemark monta sur le trône de Norvège sous le nom de Haakon VII.

Ensuite, il ne faut pas oublier que le comte – prince à compter de 1900 – Philipp Friedrich Alexander zu Eulenburg und Hertefeld (1847-1921), snob parmi les snobs, est le modèle même du courtisan. Nous avons déjà eu l’occasion de le voir dans un article précédent donner libre court à ses préjugés sur la seconde épouse du prince Albert de Monaco (18 – Hohenzollern et Iphigénie à Bergen) ; il va médire ici de même manière sur les tribulations matrimoniales de certains membres de la famille royale suédoise ainsi que sur l’état de santé de la reine Sophie. De plus, un esprit obséquieux percera plusieurs fois dans son récit : en notant que le roi de Suède admire tant le Kaiser qu’il entre quasiment en pamoison lorsqu’il parle de lui, en insistant exagérément sur la résistance de Guillaume II au cours de la partie officielle du voyage ou en voulant faire croire que l’on doit le forcer à chanter les Rosenlieder qu’il avait mis en musique… Si bien que l’on ne peut s’empêcher de se réjouir de la mésaventure qui lui advient lors du trajet entre Christiania et Christiansand.

 

Christiania - 1

Plan de la ville de Christiania au début du XXe siècle.

 

Le 1er juillet, je reçus l’Empereur dans le port de Christiania 1, gaiement pavoisé. Le roi fut extrêmement aimable et vraiment très touché par la visite  de l’Empereur (qui lui vaudra vraisemblablement aussi certains avantages politiques 2  ). Le roi, chez qui l’on trouve un heureux mélange de vivacité latine et de sensibilité septentrionale, saisissait tout. Passant avec la rapidité de l’éclair de la plaisanterie à l’émotion, il est prudent, avisé, artiste et tendre 3. C’est une nature enthousiaste qui se trouve attirée, comme par un fluide, vers la personnalité puissante de l’Empereur. Le roi était souvent paralysé par l’émotion quand il me parlait de l’Empereur.

1 Il convient tout d’abord de ne pas confondre l’ancienne ville de Christiania, capitale de la Norvège avec le quartier hétérodoxe de Copenhague autoproclamé « ville libre de Christiania ». La ville d’Oslo avait été détruite par un incendie en 1623 ; reconstruite par le roi danois Christian IV (1577-1648) elle fut alors renommée en son honneur Christiania ; une décision du 1er janvier 1925 de son conseil municipal lui redonna finalement son ancien nom d’Oslo.

Ensuite, le comte Eulenburg avait accompagné sa famille en Suède (son épouse était la fille du comte suédois de Sandels) à la fin de juin, pour rendre visite à ses beaux-parents. De là, il revint à Christiania pour y attendre l’arrivée du Kaiser.

2 Face à la puissance russe, la Suède cherchait des appuis lui permettant de garantir sa neutralité.

3 Oscar II (1829-1907) succéda en 1872 à son frère aîné Charles XV sur les trônes de Suède et de Norvège. Amateur d’art, il était musicien, poète et écrivain ; il traduisit notamment en suédois des œuvres de Shakespeare et de Goethe et écrivit lui-même des romans historiques et nombre de poèmes dont Jules Claretie disait « Ces poésies du roi sont les poésies d’un homme vraiment homme », ce qui n’engage pas à grand chose (cité par le baron de Maricourt Oscar II intime, Librairie Félix Juven, Paris, 1906 ; p. 156). Ayant suivi une carrière d’officier de marine avant son avènement, il aimait la navigation et les voyages tout comme Guillaume II.

 

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Le roi Oscar II en grand uniforme.

 

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La reine Sophie et deux de ses petites-filles.

 

La reine 4 avait certainement fait teindre en jaune serin les plumes de toutes les autruches du Sahara pour les réunir sur la toilette qu’elle portait au dîner de gala. On a l’impression que les souffrances physiques l’ont rendue exclusive à ce point qu’elle concentre tout son intérêt sur une certaine clinique de Stockholm 5. J’aimerais mieux passer par un trou de souris que de risquer une plaisanterie devant elle. Sa dame d’honneur, qui est en même temps son amie intime, Fraülein von Eketra, est une cousine de ma femme. Elle a renoncé à l’idée de mariage afin de ne vivre que pour la reine et, à cause de cela, elle a pris un air dur et résigné ; la seconde dame d’honneur, Fraülein Bull (qui est plus jolie que son nom), a aussi un regard sévère. Si seulement l’ancienne dame d’honneur, Fraülein von Munck 6, avait eu la même maladie ! Comme princesse Bernadotte, elle vient maintenant immédiatement après les princesses royales ; le titre de « prince » de son mari n’est qu’une formule, puisque, légalement, le roi seul peut conférer un titre de noblesse et seulement jusqu’à celui de comte, lorsqu’il veut récompenser le mérite personnel. Le cas se présente actuellement pour le jeune fils du prince Bernadotte qui ne possède aucun mérite personnel (le pauvre petit rejeton royal) et ne peut s’appeler que M. Bernadotte 7.

4 Sophie de Nassau-Weilburg (1836-1913). Elle soutint ceux de ses fils qui préférèrent des unions d’inclinaison à des unions dynastiques – d’où sans doute l’hostilité que lui manifeste Eulenburg dans sa lettre – et milita vainement pour le maintien de l’union de la Suède et de la Norvège.

5 Allusion mesquine à l’état de santé de la reine ou rappel malveillant de la fondation par la souveraine d’un hôpital pour ce que l’on appelait à l’époque les « femmes repenties » ?

6 Ebba Henrietta Munck af Fulkila (1858–1946) avait épousé le 15 mars 1888 le prince Oscar Carl August Bernadotte (1859-1953), second fils du roi Oscar II. Ce mariage, força le marié à renoncer à ses droits à la couronne, ainsi qu’à ses titres scandinaves ; il fut toutefois titré comte de Visborg par son oncle, le grand-duc Adolphe de Luxembourg.

7  Ce « pauvre petit rejeton royal sans aucun mérite personnel » est le comte Carl Oscar Bernadotte (1890-1977), alors âgé de moins de deux mois…

 

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Le prince Oscar Bernadotte.

 

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La princesse Ebba Bernadotte.

 

Les mariages morganatiques ont bien leur bon côté, mais, en Suède, la loi ne les reconnaît pas.

 

7

Le palais royal à Christiania.

 

9

Carte postale stéréoscopique colorisée montrant la salle d’apparat du palais, imitant la galerie des glaces de Versailles.

 

Le grand dîner de gala eut lieu à 7 heures et 1/2. On aurait dû ouvrir les fenêtres et laisser entrer la lumière du soleil, mais, étant donné la solennité du moment, les volets étaient clos et les lustres allumés ; bientôt, les convives souffrirent d’une intolérable chaleur ; des fronts moites, la transpiration coulait. Elle coulait en particulier sur le ruban noir de l’étoile du Nord 8 que le roi m’avait conférée, sur le ruban rouge de l’Olaf 9 et le ruban vert de Wasa 10 qui se détachaient parmi tous les autres ordres. Bientôt, le superbe discours de l’Empereur me rappela à la réalité, loin de laquelle j’avais été entraîné par deux conseillers d’Etat fort ennuyeux. Le roi avait dit des choses excellentes dans un allemand impeccable, mais l’Empereur produisit, comme toujours, une impression très profonde par la simplicité de ses paroles.

8 L’Ordre de l’Etoile Polaire (aussi appelé Ordre de l’Etoile du Nord) fut fondé en 1748 par le roi Frédéric Ier de Suède. Il était destiné à récompenser les ministres, les ambassadeurs, les magistrats, les savants et les littérateurs.

9 L’Ordre royal norvégien de Saint Olaf fut fondé en 1847 par le Roi Oscar Ier de Suède et de Norvège.

10 L’Ordre royal de Vasa fut fondé en 1772 par le roi Gustave III de Suède. Il était initialement destiné aux sujets suédois s’étant illustrés dans les domaines de l’agriculture et du commerce.

 

 

 Ordre de Saint-Olaf ; 1

 

3e hussard ; 1

Bague de cigare représentant un cavalier du régiment des hussards de Zieten.

 

Le soir, l’Empereur nous reçut en petit comité et nous nous amusâmes au sujet du docteur Güssfeldt qui, dans son uniforme de hussard rouge 11, avait tellement attiré sur lui l’attention de ses voisins de table que ceux-ci s’étaient crus obligé de porter une quantité de « Skols » 12 en son honneur.

11 Régiment des Husards de Zieten (Brandebourgeois) n° 3. Le prince Frédéric-Charles de Prusse (1828-1885), éminent réactionnaire qui en fut colonel de 1878 jusqu’à sa mort, ne dut son surnom de « Prince rouge » qu’à la couleur de son uniforme. 

12 « Prosit » en norvégien…

 

1

Le village de Bygdö.

 

3

Le château d’Oskarhall.

 

Le 3 juillet, nous sortîmes en une longue file de voitures qui furent l’objet des ovations de la foule. Nous gagnâmes la presqu’île de Bygdö 13 où la mer bleue et agitée vient se briser sur les rochers, et ensuite nous longeâmes la côte par le chemin de la forêt. La route aboutissait à une cour au milieu de laquelle se trouvait une petite église ; les maisons et l’église, d’une rare perfection de lignes et très originales, étaient en bois et remontaient à une époque très ancienne. Le roi, qui est passionnément attaché aux vieux souvenirs des pays du Nord, a pourvu ces constructions de leur mobilier authentique pour le conserver et servir de modèle aux architectes. L’Empereur en fut charmé au plus haut point et son goût marqué pour le vieux style nordique y trouva un nouvel aliment. Cette visite fut suivie d’un dîner au château d’Oskarhalle 14 ; de la terrasse de celui-ci, la vue sur la forêt et sur le fiord est telle qu’on pourrait difficilement en imaginer une plus jolie. La reine assista à ce dîner. L’Empereur perdit un peu patience pendant cette longue réception et fut tout heureux quand nous pûmes enfin rentrer. Nous fîmes alors de la musique avec ardeur en petit comité dans le salon de l’Empereur. Le roi vînt et nous chantâmes à tour de rôle. C’est un musicien accompli. Malgré ses soixante ans, il a une voix encore très bien timbrée dans les intonations douces. Nous ne nous séparâmes qu’à 1 heure. L’Empereur me permit même – bien à contre-cœur – de chanter mes Rosenlieder 15 pour satisfaire le goût lyrique du roi.

13 Péninsule située à l’ouest de Christiania où furent remontés différents habitats traditionnels norvégiens. A partir de 1894 y sera créé le musée folklorique norvégien.

14 Château néo-gothique près de Christiania, bâti au bord du fjord de Frognerkilen par l’architecte danois Johan Henrik Nebelong entre 1847 et 1852, à la demande du roi Oscar Ier (1799-1859).

15 Lorsque le comte Eulenburg écrit « mes Rosenlieder », il veut naturellement parler de la musique qu’il a composé pour les poèmes de ce titre composés par la baronne Gisela Hess-Diller, née comtesse Gallenberg (petite-fille de cette comtesse Giulietta Guicciardi à qui Beethoven dédia sa Sonate au clair de lune)…

 

2

Page de garde d’une partition avec paroles des Rosenlieder.

 

Le lendemain 4 juillet, il a plu à torrents ; toutes les écluses de l’humidité scandinave étaient ouvertes, mais il fallut quand même faire la promenade à Hönefoss 16, car nous étions esclaves de notre programme.

16 Ville située à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Christiania, célèbre pour ses cascades.

 

1-copie-1

Chutes d’eaux à Hönefoss.

 

Malgré sa résistance, bien connue de Votre Majesté, l’Empereur dut se laisser fêter aux différents endroits où nous nous arrêtâmes. Le roi Oscar était inflexible : il fallait que ce fût ainsi. Partout, les dames offraient des bouquets ; partout, elles avaient arboré leurs plus jolies toilettes dont les couleurs rivalisaient avec l’arc-en-ciel et des chapeaux qu’aurait envié le Dalaï-lama 17. L’Empereur entassa les bouquets dans le wagon-salon et, plus loin, ces fleurs retournèrent de nouveau dans la foule. Ce fut un joyeux bombardement jusqu’à ce que nous rentrions au château, assez tard dans la soirée.

17 Les coiffures bariolées des Lapons peuvent, avec un peu d’imagination, évoquer les hauts bonnets des dignitaires religieux tibétains.

Le 5 juillet, jour des adieux, la pluie tomba impitoyablement. Nous dînâmes sur le Hohenzollern et Sa Majesté se rendit à bord du Kaiser 18.

18 Avant-dernier navire de guerre allemand construit en Grande-Bretagne, le S.M.S. Kaiser avait été mis sur cale en 1872 à Londres et lancé en 1874 ; il devait subir une refonte complète entre 1891 et 1897 dans le cadre de la modernisation de sa forme générale, de sa propulsion et de son armement. En 1888, il avait accueilli à son bord l’empereur Guillaume II lors de ses visites en Italie, en Grèce et en Turquie. En 1894 il sera envoyé en Extrême-Orient et participera en 1897 aux opérations qui permirent à l’Allemagne de s’emparer du territoire de Kiautschou. Rentré en Allemagne, il sera transformé en ponton en 1904 et rebaptisé Uranus, avant d’être finalement ferraillé à Hambourg en 1920.

A l’époque de la croisière d’agrément décrite par le comte Eulenburg, le navire avait conservé une allure désuète de frégate cuirassée à trois mats et son commandant était le capitaine de vaisseau Conrad von Bodenhausen (1848-1938), qui sera appelé à commander le S.M.Y. Hohenzollern d’octobre1895 à décembre 1898.

 

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Le SMS Kaiser tel qu’il était lors du séjour de Guillaume II à Christiania.

 

A 5 heures de l’après-midi, nous sortîmes du fiord ; une brise humide se leva peu à peu et de douces oscillations bercèrent notre sommeil ; que serions-nous devenus si elles avaient augmenté ? Il pleuvait tellement qu’à 2 h. 1/2 un véritable fleuve, perçant le toit de ma cabine, me coula sur le nez et, furieux, je dus quitter ma couchette. Dans la matinée du 6 juillet, la brise devint si forte que – grâce à l’Empereur – l’escadre mouilla à Christiansand 19. Sa Majesté, qui n’avait pas été sérieusement indisposée, était d’excellente humeur. Après avoir joui, au cours d’une promenade avec le comte Görtz 20 et Herr von Lyncker 21, de l’impression délicieuse que donne la terre ferme, Sa Majesté nous invita sur le Kaiser où nous assistâmes aux représentations vraiment très amusantes des matelots.

19 Port norvégien du comté de Vest-Adger, situé à 250 kilomètres au sud-ouest de Christiania.

20 Emil comte Görtz zu Schlitz (1851-1914), sculpteur et homme politique originaire de Hesse, faisait partie des intimes de Guillaume II.

21 Moriz von Lyncker (1853-1932), qui deviendra en 1908 chef du cabinet militaire du Kaiser. Isabelle Hull (The Entourage of Kaiser Wilhelm II, 1888-1918, Cambridge University Press, 2004 ; p. 248) le décrit peu charitablement comme « politiquement inoffensif, intellectuellement médiocre et obséquieusement attaché à Guillaume II ».

 

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Carte postale colorisée du port de Christiansand aux alentours de 1910.

 

Christansand est une ville gentiment située. La visite imprévue de l’escadre impériale a causé une grande agitation parmi la population. Ce soir, l’escadre doit continuer vers Bergen et je confie ces lignes à l’Irene 22 en souhaitant vivement que le séjour de Sassnitz puisse donner à Votre Majesté, ainsi qu’aux petits princes, la santé et la force dans toute sa plénitude 23.

22 Le SMS Irène, croiseur léger lancé à Stettin en 1887 et baptisé en l’honneur de la princesse Irène de Hesse-Darmsdat (épouse du prince Henri, frère du Kaiser, et sœur de la tsarine Alexandra-Feodorovna, née Alix de Hesse) ; par une heureuse coincidence (?), ce bâtiment était commandé depuis le 1er avril 1889 par le prince Henri en personne. Comme le SMS Kaiser, le SMS Irène faisait alors partie de l’escorte navale du SMY Hohenzollern.

23 Sassnitz était une ville balnéaire réputée, située sur l’île de Rügen en Baltique.

 

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Timbre de propagande représentant le croiseur Irène.

 

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Médaille commémorative suédoise frappée à l'occasion de la visite du Kaiser.

 

 

 

 

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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 20:58

18

Porte décumane de la Saalburg sur une vignette publicitaire.

 

 

 

 

 

En ce début de mois d’août, nous restons près de la résidence d’été impériale, pour faire une excursion jusqu’au fort romain de la Saalburg, à 6 kilomètres au nord de Hombourg.

 

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Plan du site de la Saalburg (in Henri Jacobi Die Saalburg, 1930).

 

Un premier établissement romain, bâti en bois, y fut installé sous Domitien. Agrandi sous Hadrien dans le cadre de l’édification du limes de Germanie supérieure, il fut ensuite reconstruit en maçonnerie entre 160 et 180 de notre ère. Il fut abandonné vers 260, lorsque Rome abandonna la rive droite du Rhin. Le site fut initialement fouillé entre 1853 et 1862 par Frédéric Gustave Habel de l’Association pour l’Antiquité de Nassau. Mais les plus gros travaux intervinrent à partir de 1892 sous l’égide de la Reichs-Limes-Kommission (Commission impériale sur le limes) par le professeur Louis Jacobi puis par son fils Henri. Curieux d’archéologie comme de beaucoup d’autres choses, Guillaume II visitait régulièrement les travaux et, à la suggestion du professeur Jacobi, il décida en 1897 de faire reconstruire le fort sur ses anciennes fondations.

 

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Restitution du camp de la Saalburg ; on voit nettement la porte décumane,
seule porte de l'enceinte possédant deux arches.

 

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Statue d'Antonin le Pieux placée au centre de la porte décumane. Au-dessus d'elle on voit distinctement la plaque commémorative dans le plus bel esprit de la Rome antique : "Guillaume II, fils de Frédéric III et petit-fils de Guillaume le Grand, dans la 15e année de son règne, en mémoire de ses parents, a reconstitué le camp de Saalburg à la frontière de l'empire romain".

 

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Statues d'Hadrien et d'Alexandre Sévère dans la cour du prétoire.

 

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Salle d'exercice dans le prétoire. Remarquons le buste de Guillaume II
en uniforme de garde du corps.

 

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Sanctuaire de Mithra situé au sud et en dehors de l'enceinte.

 

Lors des séjours de la famille impériale à Hombourg, les visites à la Saalburg étaient fréquentes, comme en témoigne miss Topham dans ses Souvenirs de la Cour du Kaiser (pp. 25-26).

Près de Hombourg il existait une anciennes forteresse romaine qui avait été mise à jour et restaurée par l’Empereur. Les excursions à cheval ou en voiture au Saalburg étaient une des attractions du séjour à Hombourg, et souvent on nous donnait le droit d’aller fouiller aux endroits où on avait chance de découvrir des vestiges anciens. L’Impératrice avait une fois ainsi mis à découvert un très beau vase, et il n’était pas rare de trouver de curieux spécimens de poteries ou de ferronneries. Chaque personne était armée d’un court instrument de bois permettant de fouiller dans la terre argileuse, et les membres de la famille royale, sans oublier la princesse et le prince Joachim, ainsi que les personnes de la suite, fouillaient sous la direction du professeur Jacobi qui dirigeait les recherches et modérait l’ardeur quelquefois nuisible des travailleurs.

Ces parties, qu’on organisait assez rarement, donnaient carrière à des plaisanteries bien allemandes du genre de celle-ci : on avait enfoui préalablement dans le sol un vase cassé ou un glaive romain parfaitement imité en chocolat ; leur découverte remplissait d’orgueil l’heureux chercheur, qui rapportait triomphalement sa trouvaille au château. Là on procédait à la toilette des précieuses antiquités en présence de toute la société, et quelle était la joie de l’assistance quand la supercherie était découverte ! Cette plaisanterie était un peu éventée depuis qu’on circonscrivait les recherches à certains endroits désignés à l’avance.

L’Empereur avait reconstitué de ses deniers un ancien camp romain ; mais l’aspect trop moderne des constructions, les peintures fraiches des campements de la vieille nation romaine avec les inscriptions latines sur les portes, le vernis trop brillant des briques formant les murs choquaient par leur anachronisme et leur invraisemblance.

Les ruines mêmes, dont il restait peu de vestiges eussent bien mieux évoqué le passé que ces reconstitutions trop consciencieuses.

Ces constructions trouvaient cependant leur utilité, en dehors de l’archéologie, car certains jours de pluie les enfants se livraient dans la salle des centurions à de grandes parties de hockey en se servant de maillets de croquet. L’Empereur un jour assista au jeu et fut très intéressé par le spectacle de cette troupe d’enfants, parmi lesquels se distinguaient sa fille, qui se renvoyaient la balle avec ardeur, évitant de peu la personne impériale.

 

Sur les quatre cartes postales suivantes, on voit quelques visites impériales à la Saalburg.
A chaque fois, le personnage en chapeau haut de forme qui accompagne l'Empereur et l'Impératrice
est le professeur Louis Jacobi.

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Pose de la première pierre du prétoire par Guillaume II le 11 octobre 1900. On admirera les figurants en costumes romains tels qu'on les imaginaient en ce début de XXe siècle.

 

Aujourd’hui, ce fort est le seul ouvrage du limes à avoir été reconstruit et abrite un des plus grands musées consacré à cette ligne fortifiée, présentant régulièrement des reconstitutions en costumes d’époque romaine. Depuis 2005, la Saalburg, comme l’ensemble du limes de Germanie, a été inscrit au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.

 

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Vignette publicitaire.

 

 


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