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21 décembre 2020 1 21 /12 /décembre /2020 09:33
169 - Bon baiser du Kaiser

Tout a commencé en 2003 avec la parution d’un récit écrit par Alan Judd 1 chez Harper Perennial (ISBN 0-00-712447-3) évoquant de façon romancée le séjour et la mort du Kaiser à Doorn pendant l’occupation des Pays-Bas par les nazis 2. L’intrigue tourne autour de la présence à Doorn d’un agent anglais chargé de proposer à l’empereur déchu un transfert vers la Grande-Bretagne et des liens qui se créent entre ce dernier et l’untersturmführer (sous-lieutenant) Martin Krebbs, commandant du détachement SS chargé d’assurer la garde de l’ancien souverain. De façon plus anecdotique, il imagine une visite de l’infâme Himmler et de sa maîtresse Hedwig Potthast à l’empereur – visite qui n’eut bien évidemment jamais lieu dans la réalité, le Kaiser ayant toujours refusé de recevoir les dignitaires nazis après leur arrivée au pouvoir (voir http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2013/11/53-un-entretien-avec-guillaume-ii-en-septembre-1938.html).

1 Nom de plume d’Alan Edwin Petty (né en 1946) ancien officier et diplomate britannique reconverti dans l’analyse de sécurité et l’écriture…

2 Cet ouvrage n’a malheureusement jamais été traduit en français ; j’assume donc l’entière responsabilité des erreurs qui pourraient apparaître dans l’extrait que j’en donne plus bas.

Le livre nous dresse quelques belles descriptions de l’empereur exilé en ses ultimes années, de sa psychologie, de ses souvenirs et de ses contradictions, alors que le pays qui lui avait donné asile était occupé par ces Allemands qui ne lui obéissaient plus.

169 - Bon baiser du Kaiser

Le Kaiser s’entretenant avec des soldats allemands peu de temps avant sa mort.

Le Kaiser débitait des rondins. Dans l’air de l’été ses coups se répercutaient en écho parmi les arbres, à travers le parc et les jardins et jusque dans le château de Doorn, où les membres de la maison pouvaient l’entendre. Tant qu’ils l’entendaient, ils pouvaient se rendre compte que tout allait bien pour leur Kaiser ce matin. Ils pouvaient se détendre, pensait-il, et être heureux ou occupés à leur tâche, ce qui revenait au même.

Ses coups étaient réguliers mais plus espacés qu’autrefois. A quatre-vingts ans, c’était une réussite que de débiter un rondin complet – et même de le voir faire – et de le faire sans aide quotidiennement. Presque chaque jour depuis son exil en 1918, il avait débité ou scié du bois. Au début il s’était imaginé que ces rondins étaient ses ennemis, les lâches qui l’avaient trahi et l’avaient forcé à fuir afin qu’ils puissent s’emparer du pouvoir à leur profit. Petit à petit, il avait cessé de penser à ce tas de cochons mais avait continué à bûcheronner parce que cela le faisait se sentir mieux, en satisfaisant son goût de l’action. Vingt mille arbres étaient tombés au cours des onze premières années de son exil ; c’était quelque chose. Depuis lors, douze ans s’étaient encore écoulés pendant lesquels il n’avait pas tenu de compte aussi méticuleux ; pas vraiment vingt mille, peut-être, mais encore un bon nombre. Son record était de 2590 arbres en une semaine – la semaine de Noël 3 – après qu’il ait quitté Amerongen, un autre château hollandais, pour Doorn 4. Qu’est-ce que l’anglais Gladstone 5, un autre tombeur d’arbres âgé, aurait dit de cela ? Cela lui aurait imposé le silence, ainsi qu’à sa tribu [...]

3 Le Kaiser offrait ce bois aux indigents de Doorn pour leur chauffage à l’occasion des fêtes de Noël.

4 L’empereur en exil avait d’abord résidé chez le comte Bentinck au château d’Amerongen (voir http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2018/11/137-aux-pays-bas.html) avant de s’installer en mai 1920 au château de Doorn qu’il venait acheter.

5 William Ewart Gladstone (1809-1898), politicien britannique, d’abord conservateur avant de devenir libéral, fut 4 fois chancelier de l’échiquier et 4 fois premier ministre du Royaume-Uni.

Bismarck aurait eu à redire à ce propos, évidemment. C’était un amoureux des arbres qui avait l’habitude de planter un arbre pour chacun de ceux que Gladstone avait abattu et de le lui écrire, pour s’en vanter. Mais maintenant, lui, Guillaume II, avait fait mieux que ces deux là, parce qu’il en avait abattu plus et en avait planté plus que chacun d’eux.

Bismarck avait toujours quelque chose à redire sur tout, c’était son problème. C’est pourquoi il avait été à propos de s’en débarrasser il y avait tant d’années, de débarquer le pilote, comme on l’avait dit. Quand même, ce fut alors juste. Peut-être ne prendrait-il pas aujourd’hui la même décision. Mais cela s’était passé autrefois, lorsque tout était différent. Quand vous êtes jeune, vous ne pouvez vous rendre compte à quel point alors et aujourd’hui peuvent être différents, car vous n’avez vécu que le présent et vous croyez qu’il durera toujours. Vous ne comprenez pas que cet alors – avec vous – se transformera en aujourd’hui. Et quand vous comprenez à quel point alors est devenu aujourd’hui, et à quel point ils sont différents, c’est comme si un couperet tombait. Cela vous isole de tous ces jeunes gens qui, quoi qu’ils pensent, qu’ils savent ou qu’ils comprennent, ne peuvent concevoir la vie comme on le faisait alors. 6

6 The Kaiser’s Last Kiss pp. 1-2.

169 - Bon baiser du Kaiser

En 2016, ce court livre a été adapté par le réalisateur britannique David Leveaux pour le cinématographe, sous le titre de The Exception (Trahisons dans sa version française). Si la trame de fond de l’histoire reste la même, quelques modifications ont évidemment été apportées au récit d’Alan Judd (ainsi, l’untersturmführer Martin Krebbs du récit est transmuté en capitaine Stefan Brandt de la Wehrmacht dans le film, sans doute pour éviter de rendre sympathique un officier SS).

Dans ce film qui est sorti avec discrétion et fut reçu avec bienveillance (même Mediapart lui consacra une bonne critique 7) je me permettrai d’accorder une mention spéciale au jeu d’acteur de Christophe Plummer – qui avait déjà donné un formidable duc de Wellington dans le Waterloo de Sergueï Bondartchouk. Il donne une remarquable profondeur à son interprétation du vieux Kaiser (à qui il ressemble d’ailleurs physiquement de façon étonnante), faisant ressentir les regrets, les contradictions et les préjugés du souverain déchu, tout en laissant percer ses qualités humaines sous le vernis d’un comportement parfois égocentrique ou même enfantin…

7 Voir : https://blogs.mediapart.fr/cedric-lepine/blog/130318/nostalgie-d-un-empereur-dechu-le-kaiser-guillaume-ii-en-1940

169 - Bon baiser du Kaiser
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7 mai 2020 4 07 /05 /mai /2020 15:38

Il y a 105 ans coulait le RMS Lusitania, coulé par le sous-marin U-20. En prenant mon petit déjeuner, je me suis souvenu qu’il s’agissait de l’un des rares faits historiques précisément évoqué par Marcel Proust dans son grand cycle littéraire. Même s’il ne le mentionne que brièvement, il le traite dans son inimitable mélange de profonde connaissance du cœur humain, de cynisme et d’humour froid.

159 - Madame Verdurin et le Lusitania

Madame Verdurin peinte par Maria Bozoki en 1979 (https://www.wikiart.org/en/bozoky-maria/proust-madame-verdurin-1979).

Tels les Verdurin donnaient des dîners (puis bientôt Mme Verdurin 1 seule après la mort de M. Verdurin) et M. de Charlus 2 allait à ses plaisirs sans guère songer que les Allemands fussent – immobilisés il est vrai par une sanglante barrière toujours renouvelée – à une heure d’automobile de Paris. Les Verdurin y pensaient pourtant, dira-t-on, puisqu’ils avaient un salon politique, où on discutait chaque soir de la situation, non seulement des armées, mais des flottes. Ils pensaient en effet à ces hécatombes de régiments anéantis, de passagers engloutis, mais une opération inverse multiplie à tel point ce qui concerne notre bien-être et divise par un chiffre tellement formidable ce qui ne le concerne pas, que la mort de millions d’inconnus nous chatouille à peine et presque moins désagréablement qu’un courant d’air. Mme Verdurin souffrant pour ses migraines de ne plus avoir de croissant à tremper dans son café au lait, avait obtenu de Cottard 3 une ordonnance qui lui permettait de s’en faire faire dans certain restaurant, dont nous avons parlé. Cela avait été presque aussi difficile à obtenir des pouvoirs publics que la nomination d’un général. Elle reprit son premier croissant, le matin où les journaux narraient le naufrage du Lusitania. Tout en trempant le croissant dans le café au lait et donnant des pichenettes à son journal pour qu’il pût se tenir grand ouvert sans qu’elle eût besoin de détourner son autre main des trempettes, elle disait : « Quelle horreur ! Cela dépasse en horreur les plus affreuses tragédies ». Mais la mort de tous ces noyés ne devait lui apparaître que réduite au milliardième, car tout en faisant, la bouche pleine, ces réflexions désolées, l’air qui surnageait sur sa figure, amené probablement là par la saveur du croissant, si précieux contre la migraine, était plutôt celui d’une douce satisfaction. 4

1 Sidonie Verdurin, modèle de la grande bourgeoise ambitieuse, jalouse, cruelle et calculatrice.

2 Palamède du Guermantes, baron de Charlus, inverti et germanophile.

3 Médecin puis professeur d’université, bon médecin mais de peu d’esprit, mari bourru et fidèle du salon de madame Verdurin, mort de surmenage au cours de la guerre (il est cité 290 fois dans La Recherche).

4 Le temps retrouvé (Gallimard ; Paris, 1971) t. III, pp. 772-773.

159 - Madame Verdurin et le Lusitania

J’aurai l’occasion de revenir plus tard sur le torpillage du RMS Lusitania et sur la guerre de propagande qui en découla.

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25 juin 2018 1 25 /06 /juin /2018 21:20
134 - Le Kaiser chez les Simpson

S’il est une œuvre dans laquelle on ne s’attendait pas à voir l’empereur Guillaume c’est bien dans la série d’animation The Simpsons. Et pourtant, il y fait deux apparitions.

La première est très brève et se déroule dans l’épisode 21 de la saison 5 de la série (1993-1994) intitulée en français L’amoureux de Grand-Mère. Dans celui-ci, Charles Montgomery Burns, propriétaire de la centrale nucléaire de Springfield et employeur d’Homer Simpson, tente d’épouser Jackie Bouvier mère de Marge Simpson. Au cours de la cérémonie de mariage célébrée dans le temple du révérend Timothy Lovejoy, on voit arriver un personnage en costume civil avec un casque à pointe et une moustache caractéristiques qui va se placer sur les bancs totalement déserts réservés aux amis du marié.

 

La seconde apparition du Kaiser dans le Simpson Horror show XIII (2002) – saison 14, épisode 1 – est plus longue. Dans le 2sketch de l’épisode (en français L’effroi d’avoir à verser une arme), les habitants de Springfield décident de se débarrasser de toutes leurs armes, laissant la ville sans défense. C’est alors le moment que choisissent William H. Bonney, Sundance Kid, James et Jessie James et le Kaiser – présenté comme « l’Allemand le plus diabolique de tous les temps » 1 mais qui n’est pas vraiment connu de la population locale parce qu’il n’est pas un cow-boy – pour se réincarner en morts vivants et pour prendre le contrôle de l’agglomération.

1 L’infâme caporal bohémien apparaissant plusieurs fois dans les Simpson, un esprit trop porté sur la chicane pourrait rapidement dénoncer cette différence de traitement comme l’aveu de coupables sympathies nationales-socialistes par les auteurs de la série…

Dans les deux cas, il tient un rôle caricatural, soit comme seul ami d’un très antipathique personnage, soit comme mort-vivant complice de bandits revenus terroriser la ville de Springfield. La dédiabolisation de l’empereur Guillaume II va donc encore demander des efforts…

Je me dois ici de remercier le sympathique lecteur qui a permis ce mois-ci d’élargir les lecteurs de ce blog,

même s’il ne s’agissait évidemment pas de son intention première !

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6 janvier 2017 5 06 /01 /janvier /2017 07:20
110 - Et si...

Depuis le temps lointain où Tite Live rêvait qu’Alexandre parte à la conquête de l’Occident plutôt qu’à celle de l’Orient (Histoire de Rome IX, 17-19) l’uchronie s’est élevée au rang de genre littéraire. A son tour, la bande dessinée ne pouvait manquer de s’y intéresser : ainsi, à partir de 2010, les éditions Delcourt lui ont ouvert les portes d’une collection baptisée « Jour J ». Ce sont les tomes 3 et 4 de cette série que je vais vous présenter aujourd’hui.

110 - Et si...

Le premier volume intitulé Septembre rouge, se déroule en 1917 et part de l’hypothèse que les Allemands ayant appliqué le plan Schlieffen à la lettre, ils ont défait l’armée française sur la Marne en septembre 1914 et poussé l’armée anglaise à rembarquer. Les troupes du Kaiser sont entrées dans Paris le 24 décembre et le président Poincaré a capitulé le 9 janvier 1915. Pendant ce temps, avec une partie de la flotte française, Clemenceau qui refuse la défaite a rallié Alger où il forme un gouvernement « d’union sacrée nationale ». A Paris, les Allemands ont replacé sur le trône, sous leur contrôle étroit, le duc d’Orléans sous le nom de Philippe VIII.

Mais en cette fin 1917 la Russie, toujours en guerre contre les puissances centrales, est aux abois et Nicolas II envisage de signer la paix. Pour Clemenceau cela signifie la fin de ses projets de reconquête et il décide donc de faire assassiner le Tsar. Il fait alors évader de l’île d’If un prisonnier anarchiste particulièrement dangereux (le détenu 10/47 1) et lui adjoint le commissaire Blondin, ancien des brigades mobiles. Les deux compères sont donc envoyés à Petrograd pour prendre contact avec les chefs bolcheviks afin de préparer leur attentat. Ils seront pourchassés par Manfred von Richtoffen en personne dans leur route pour rallier la Suisse où des réfugiés anarchistes, parmi lesquels l’incontournable Viktor Lvovitch Kibaltchitck allias Victor Serge, leur apporteront de l’aide.

1 La véritable identité de ce mystérieux 10/47 faisant partie des révélations de l’ouvrage nous n’utiliserons donc que son matricule de prisonnier pour le nommer…

110 - Et si...

Dans le second volume, ayant enfin rallié Petrograd, Blondin et 10/47 sont en contact avec Lénine, Trotski et Staline et travaillent activement à leur projet d’assassinat, en dépit des agissements de l’Okhrana 2 et d’agents allemands placés sous les ordres d’une femme. L’attentat aura bien lieu, mais sans aide pratique de nos deux français et la révolution russe sera finalement menée à bien par les anarchistes qui se débarrasseront du trio infernal Lénine-Trotski-Staline et qui finiront par vaincre les Allemands. De retour à Alger, Blondin fera alors arrêter la taupe qui avait permis aux agents du Reich de le suivre durant son périple.

2 Police politique du Tsar.

110 - Et si...

Le Lioré et Olivier H13 dont il sera question plus bas (cliché tiré du site http://fandavion.free.fr/liore_constructeur.htm).

Ces deux albums, marqué par les sympathies anarchistes de leurs auteurs, n’échappent évidemment pas au cliché de la pieuvre allemande s’étendant sur le monde 3, avec l’aide d’une espionne qui ressemble beaucoup à la fameuse fraulein doktor qui enflamma les esprits de tous les services de contre-espionnage alliés au long du conflit. Autre problème, l’hypothèse d’un possible retournement du Tsar qui, pendant le conflit et en dépit de tous les revers de ses armées, se refusa toujours à envisager de demander la paix. Enfin, un certain nombre d’anachronismes marquent le récit : il faut ainsi faire revenir de l’autre monde le détenu 10/47 ainsi que le traître démasqué à la fin ; pour sa part, l’hydravion Léo H13 A 4 utilisé pour rejoindre la Suisse n’a volé pour la première fois qu’en juillet 1922. Ceci oublié, on remarquera avec plaisir le caractère fort antipathique de Clémenceau, Lénine ou Trotski, personnages trop souvent portés aux nues par les auteurs français. Et l’amateur de bandes dessinées découvrira au fil des pages des apparitions fugaces de Tintin, de Corto Maltese et de son acolyte Raspoutine. Comptant sur la patience de mes lecteurs, je vais maintenant m’arrêter sur trois détails qui m’ont parus intéressants.

3 N’oublions pas que les services de renseignement et de propagande des alliés ne furent pas moins actifs que ceux des puissances centrales durant le conflit…

4 Le Lioré et Olivier H13 A était la version civile pour le transport de passagers d’un type d’hydravion qui eut aussi des modèles destinés à un usage militaire.

110 - Et si...
110 - Et si...

Arrêtons-nous d’abord sur Louis Philippe Robert d’Orléans (1869-1926), prétendant orléaniste au trône de France depuis 1894. Je confesse avoir beaucoup ricané du choix fait par les auteurs de sa personne plutôt que de celle du prétendant légitime à la couronne, Jacques de Bourbon (1870-1931), pour être à la tête d’un gouverneur collaborateur. On remarquera avec surprise sur sa photographie la plaque de l’ordre du Saint-Esprit que son ancêtre l’usurpateur Louis-Philippe avait pourtant mis sous le boisseau. De même, le drapeau à fleurs de lys en arrière plan de la vignette de la BD ne pourra qu’étonner…

110 - Et si...
110 - Et si...

Après avoir scruté avec attention les cases du premier album pour tenter de découvrir le non navire sur lequel Blondin et 10/47 quittent Alger j’avoue n’avoir rien trouvé. Toutefois, avec ses quatre cheminées, il ressemble bougrement au croiseur protégé de 1ère classe Châteaurenault, lancé le 21 mai 1898, et qui sera utilisé comme transport de troupes en Méditerranée pendant la première guerre mondiale.

110 - Et si...
110 - Et si...

Rolls-Royce équipée du système Kégresse utilisée par le Tsar (cliché tiré du site http://www.croisieres-citroen.com/Croisieres_Citroen/Kegresse.html).

Enfin, on appréciera la chenillette de Nicolas II, rappelant que l’ingénieur Adolphe Kégresse (1879-1943) avait travaillé pour le Tsar avant guerre afin de réaliser des véhicules pouvant se déplacer aisément dans la neige à partir de chassis déjà existants.

110 - Et si...

Une image de Clemenceau assez inhabituelle…

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2 août 2014 6 02 /08 /août /2014 14:42
70 - Son dernier coup d'archet / His last bow

Sherlock Holmes à la retraite (illustration de Sidney Paget pour The Adventure of the Lion’s Mane).

Alors que la manie commémorative souffle avec force cette année, personne ne semble avoir noté que nous célébrons aujourd’hui le centenaire de la conclusion de la dernière enquête de Sherlock Holmes. Corrigeons donc cet oubli.

A la différence d’Arsène Lupin, Sherlock Holmes n’a jamais eu la chance de rencontrer personnellement le Kaiser 1. Mais, une fois le premier conflit mondial déclaré Conan Doyle, en bon patriote, ne pouvait manquer d’enrôler son héros au profit de l’effort de guerre britannique. Aussi publia-t-il en 1917, dans le mensuel Strand Magazine, une nouvelle intitulée His Last Bow 2. Bien évidemment, je ferai mon possible dans ce qui suit pour ne pas révéler les péripéties de ce court récit (environ une demi-heure de lecture au bureau…) afin que le lecteur qui voudrait s’y reporter puisse conserver tout le plaisir de la découverte.

1 Du moins dans le canon officiel des œuvres de Conan Doyle.

2 Ce titre est généralement traduit en français par Son dernier coup d’archet. Toutefois, en anglais (langue subtile, à la différence de l’américain), le mot bow peut aussi bien faire référence à un archet qu’à un adieu.

 

On se rappelle que depuis 1907 Sherlok Holmes a pris sa retraite comme détective et s’est installé dans le sud de l’Angleterre où il s’adonne à l’apiculture 3. Mais la situation politique mondiale s’aggravant, il est contacté en 1912 par le Ministère des Affaires étrangères pour démasquer un très efficace réseau d’espions travaillant pour le compte de l’Allemagne 4. Devant son refus, le premier ministre britannique lui-même se déplace pour le convaincre 5.

3 Voir la nouvelle La Crinière du lion dans le recueil Les Archives de Sherlock Holmes.

4 Edouard Grey (1862-1933), 1er vicomte de Fallodon, fut secrétaire d’Etat de 1905 à 1916. On ne trouve malheureusement pas trace de ce déplacement dans les mémoires de celui-ci.

5 Herbert Henry Asquith (1852-1928), 1er comte d’Oxford et Asquith, fut premier ministre de 1908 à 1916. On ne trouve pas plus de trace de ce déplacement dans les mémoires de celui-ci que dans les mémoires d’Edward Grey…

Commence alors une longue préparation pour créer une nouvelle identité à Holmes, ce qui va lui permettre d’être embauché par un agent de herr von Bock, chef du réseau d’espionnage allemand et « sans rival, pour ainsi dire, parmi tous les dévoués agents du Kaiser ».

70 - Son dernier coup d'archet / His last bow

Les falaises et le bord de mer de Davenport, dominant le port de Harwich.

La nouvelle à proprement parler se déroule dans la résidence de von Bock sur des falaises ayant vu sur le port de Harwich dans le comté d’Essex 6 le soir du 2 août 1914, jour fatidique où les troupes allemandes rentrèrent au Luxembourg. Von Bock, qui a renvoyé son épouse et ses domestiques à Flessingue en prévision de la guerre à venir, y reçoit un de ses amis de l’ambassade allemande à Londres, le baron von Herling, avec qui il s’entretient de ses activités ainsi que de son prochain départ d’Angleterre dans la suite de l’ambassadeur.

6 Port sur la mer du Nord et base navale importante, seul mouillage protégé entre la Tamise et la Humber.

Dans le courant de leur conversation, nous apprenons que von Bock s’est procuré en quatre ans des renseignements intéressants sur la Manche, le port de Rosyth, les défenses côtières anglaises, l’aviation britannique, les forts de Portsmouth ou encore l’Irlande, qu’il conserve dans un coffre-fort au mécanisme singulier. Mais il lui reste encore à recevoir le code des signaux de la Royal Navy que son meilleur agent doit venir lui remettre après le départ du baron von Herling. Peu après, Sherlock Holmes réussit à le capturer et lui révèle alors le rôle qu’il a joué depuis le début de cette affaire ; puis il « l’embarque » avec Watson sans autre forme de procès pour le ramener à Londres.

70 - Son dernier coup d'archet / His last bow

La capture de von Bock par Sherlock Holmes (illustration de Sidney Paget).

Autant qu’une nouvelle policière remettant en selle son héros le plus connu, Conan Doyle a donné là une œuvre de propagande, comme le souligne le fait qu’elle soit écrite à la troisième personne et non présentée comme un récit fait par le docteur Watson. Trois thèmes, habilement introduits dans cette nouvelle sont à souligner :

1) la crainte (sans doute exagérée) de l’espionnage allemand en Angleterre, marquant le caractère malfaisant et lâche du pays contre lequel l’empire britannique était en guerre ;

2) le thème de la préméditation de la déclaration de guerre par l’Allemagne évoquée presque en passant par le code permettant d’ouvrir le coffre-fort de von Bock ;

3) la menace intérieure possible du fait de la situation en Irlande (l’insurrection de Pâques 1916 à Dublin était encore dans l’esprit de tous les lecteurs), que Conan Doyle, bourgeois anglican et loyaliste, ne pouvait manquer de dénoncer, ainsi que le risque représenté par la haine des américano-irlandais pour l’Angleterre 7.

7 On ne peut manquer de penser au cas d’Eamon de Valera (1882-1975), citoyen américain impliqué dans l’insurrection de Pâques puis président de la république d’Irlande qui ira jusqu’à présenter officiellement ses condoléances à l’ambassadeur d’Allemagne à Dublin en mai 1945 à l’annonce de la mort de Hitler.

Cette nouvelle n’a donné lieu qu’à une seule adaptation cinématographique muette et en noir et blanc en 1923, par George Ridwell (1867-1935) avec Eille Norwood (1861-1948) dans le rôle du célèbre détective. Toutefois, avatar curieux, cette nouvelle fut transformée par Universal Pictures Company en 1942 sous le titre de Sherlock Holmes and the voice of terror (La Voix de la terreur) avec l’incontournable Basil Rathbone dans le rôle de Holmes ; pour mieux coller à l’actualité du moment, Sherlock Holmes n’y combattait plus un espion au service du Kaiser mais un agent hitlérien, dénommé Heinrich von Bork 8.

8 Dans sa nouvelle, Arthur Conan Doyle ne donne jamais le prénom de l’espion allemand.

70 - Son dernier coup d'archet / His last bow

Affichette dédicacée de La Voix de la Terreur.

Si, à la fin de cet article, j’ai réussi à vous donner envie de lire cette ultime aventure de Sherlock Holmes, courrez acheter le recueil de nouvelles qui porte ce titre, ou contentez-vous d’aller sur le site :

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4 janvier 2013 5 04 /01 /janvier /2013 16:31
Il y a quelques semaines de cela l’excellent Hilarion L., lecteur assidu et exigeant de ce blog, m’a signalé la réédition en 2009 d’un livre initialement sorti au cour de la première guerre mondiale ; qu’il en soit grandement remercié ! Et en cette période de fêtes de fin d’année, je ne peux que partager ce petit cadeau avec mes estimés lecteurs.

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Décoration d’un couvercle de boite de cigares avec un sous-marin allemand passant devant la statue de la liberté.

 

A l’été 1915 parut aux Etats-Unis une uchronie intitulée America fallen ! The Sequel of the European war (Dodd, Mead and Company ; New York). Ecrite par un certain John Bernard Walker, elle racontait comment l’Allemagne, défaite sur les champs de bataille européens, se « refaisait » finalement aux dépens des USA. Cet ouvrage, immédiatement repéré par la propagande alliée, fit rapidement l’objet d’une traduction française sous le titre de : La vengeance du Kaiser New York bombardé.

 

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Couverture de la réédition de 2009.

 

L’objectif de cet ouvrage était simple et classique quoique ambitieux : dans une Amérique isolationniste, qui s’était empressée de déclarer sa neutralité dès le 4 août 1914, il fallait mettre en garde l’opinion publique contre les dangers que pouvaient faire courir au pays une atmosphère pacifiste conduisant à l’impréparation des forces armées face à une guerre moderne contre des troupes aguerries par plusieurs années de conflit en Europe.

 

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Numéro du 20 janvier 1912 du Scientific American.

 

Avant d’en arriver au récit de cette campagne victorieuse de l’armée impériale allemande, arrêtons-nous un instant sur l’auteur de cette curieuse fiction. John Bernard Walker, de son vrai nom George Dyson, était le fils d’un pasteur méthodiste du nom de John B. Dyson. Né en 1858, il se destina comme son père à la cléricature et obtint en 1885 son Bachelor’s Degree of Arts au Trinity College de Dublin. Nommé dans la paroisse de Merton, au sud-ouest de Londres, il se lia aussitôt d’amitié avec le couple Bartlett. Mais le jour de l’an 1886, monsieur Bartlett mourut dans des circonstances suspectes et durant l’enquête il apparut que George Dyson avait été fort intime avec Adélaïde Bartlett… Même si la justice ne le soupçonna pas de complicité dans cette ténébreuse affaire, sa congrégation le renvoya suite au scandale. Pour échapper à la publicité, George Dyson émigra alors aux Etats-Unis où il prit le nom de John Bernard Walker, nom sous lequel il fut naturalisé en 1898. Doué pour les dessins techniques, il rejoignit vers 1890 l’équipe de rédaction du magazine Scientific American et se fit connaître comme expert technique et journaliste 1.

1 Ce récit de la vie de John Bernard Walker est résumé d’un article publié dans le volume 55 des Proceedings of the Wesley Historical Society de mai 2006 (pp. 198-200), qui peuvent être consulté à l’adresse mail : http://www.biblicalstudies.org.uk/pdf/whs/55-5.pdf.

A ce titre il publia entre autres, trois mois après la catastrophe, An Unsinkable Titanic où il cherchait à démontrer que la sécurité des passagers avait été sacrifiée à la recherche de la vitesse et du luxe dans l’aménagement du navire ; en 1914 un ouvrage sur l’adduction d’eau dans les grandes villes (Creating a Subterranean River and Supplying a Metropolis with Mountain Water) ; et à une date indéterminée The Story of Steel. Il mourut en 1928.

 

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Le prince de Bülow (1849-1929), ancien chancelier de l’Empire et négociateur allemand au congrès de Genève.

 

La vengeance du Kaiser s’ouvre sur un retournement inattendu de la situation militaire en Europe : l’entrée des Pays-Bas, restés neutres jusque-là, dans le camp de l’Entente en avril 1916, suivie du débarquement d’une puissante armée alliée sur le flanc de l’Allemagne et de sa descente jusque dans la Ruhr, cœur de la puissance industrielle du Reich. Face à cette offensive victorieuse, le gouvernement impérial en était alors réduit à demander la paix par le biais de son négociateur, le prince de Bülow. En échange d’importantes concessions territoriales 2 et du paiement d’une indemnité de guerre de 75 milliards, il pouvait garder sa flotte et la paix était enfin signée à Genève le "1er mai 191. " 3

2 Ces concessions, telles que définies par John Bernard Walker, méritent d’être comparées aux clauses du traité de Versailles : « Les premiers débats, relatifs à l’établissement de nouvelles frontières, avaient abouti presque d’emblée, aux résultats prévus. La Russie, satisfaite de la possession de Constantinople avait consenti volontiers à la résurrection d’une Pologne entièrement autonome et destinée à servir d’Etat-tampon. La Roumanie, avait étrangement tardé à intervenir dans la lutte, n’en avait pas moins obtenu la Transylvanie ; tandis que l’héroïque Serbie s’était vue définitivement récompensée de sa fidélité par l’addition, à son ancien territoire, de l’Herzégovine et de la Bosnie, comme aussi d’une bonne moitié de la Bulgarie. L’Italie avait enlevé à l’Autriche les provinces dont la restitution avait été, de tout temps, le principal objet de ses rêves nationaux. La France avait naturellement reconquis l’Alsace-Lorraine, mais le Congrès avait jugé que cette simple reprise de provinces naguère volées ne pouvait suffire à reconnaître l’importance du rôle capital qu’avait joué dans la grande lutte européenne l’intrépide armée du général Joffre, si bien que, pour ce motif, et par manière de précaution internationale, on lui avait accordé, en outre, la presque totalité des régions prussiennes du Rhin. La Belgique avait eu, elle aussi, d’amples compensations, trop faibles encore pour faire oublier la sublime et douloureuse étendue de son sacrifice. Enfin les Japonais – pour nous borner à ces quelques indications trop sommaires – avaient été autorisés à garder Kiou-Tchéou, dont ils s’étaient rendus maîtres dès les premiers mois de la guerre » (La vengeance du Kaiser pp. 10-11).

3 Il ne s’agit pas là d’une erreur de frappe de ma part, mais de la retranscription exacte de la date apparaissant dans l’ouvrage. L’auteur ayant « programmé » l’entrée en guerre des Pays-Bas en avril 1916, je suis parti dans ce qui suit sur l’hypothèse de la signature du traité de paix en 1917, ce qui m’a ensuite amené à rechercher les noms des responsables américains (qui ne sont pas cités dans l’ouvrage original…) en poste au mois de juin de cette année.

 

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Le Kaiser, vieilli vers la fin du conflit.

 

Dès le lendemain, 2 mai, le Kaiser convoquait à Potsdam une réunion exceptionnelle de son conseil, au court de laquelle il exposa son plan : afin de provoquer l’hostilité des Etats-Unis en contestant la doctrine de Monroe, il avait négocié tout d’abord l’achat de l’île de Saint-Thomas (dans les Antilles) avec le Danemark en échange d'un versement de 100 millions de marks. Ceci fait, il expliqua alors ses projets militaires à son chancelier Bethmann-Hollweg, à son ministre des affaires étrangères von Jagow, à son chef de l’état-major, général von Falkenhayn, à son grand amiral von Tirpitz et au prince de Bülow : les USA qui étaient restés neutres pendant le conflit mais en avaient profité pour approvisionner les alliés en armement allaient être envahis et forcés à payer la somme de 200 milliards pour acheter la paix 4

4 Extrait des paroles prêtées au Kaiser : « Et que l’on ne vienne pas dire qu’une telle descente sur les côtes des Etats-Unis constituerait une attaque préméditée contre une nation amie ! A supposer même que le point de vue moral compte encore pour nous, j’affirme que ce point de vue aurait de quoi nous justifier parfaitement. Lorsque, par amour du gain, la grande république neutre s’est transformée en un arsenal pour approvisionner nos ennemis de canons, de munitions, et de toute sorte d’autres renforts précieux, du même coup cette république s’est trouvée participer activement à notre défaite » (La vengeance du Kaiser p. 24).

Profitant du fait que le prolongement des mesures de censure pendant la période requise pour la démobilisation des armées ne provoquerait aucun soupçon et que les états neutres ou autrefois ennemis se voyaient contraints de libérer les navires marchands allemands jusque-là internés dans leurs ports, le gouvernement impérial entama les préparatifs nécessaires à son plan d’invasion : on annonça officiellement que la Kriegsmarine, inactive au long du conflit, partirait pour des manœuvres dans l’Atlantique à la mi-mai et, secrètement, on transformait des transatlantiques comme l’Imperator 5 ou le Wilhelm II 6 pour y faire embarquer un corps expéditionnaire de 200.000 hommes en trois convois distincts, escortés par une escadre de dix cuirassés du type Wittelsbach 7.

5 Transatlantique de 280 mètres de long lancé le 23 mai 1912 par les chantiers navals AG Vulcan de Hambourg pour le compte de l’HAPAG. Au début de la guerre, alors qu’il devait partir pour New York, il fut mis à quai à Hambourg et y resta tout au long du conflit.

6 Transatlantique de 216 mètres de long lancé le 12 août 1902 aux chantiers navals Vulcan de Stettin pour le compte de la Norddeutscher Lloyd. Arrivé à New York le 6 août 1914, il y fut interné.

7 Cuirassé de 11.775 tonnes lancé le 3 juillet 1900. Armé de 4 canons de 240 mm, 18 de 150 mm, 12 de 88 mm et de 6 lance-torpilles, il était déjà considéré comme un navire ancien, bien que toujours opérationnel, au début de la première guerre mondiale.

 

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L’Imperator, qui fut le plus grand paquebot au monde en 1913-1914.

 

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Le Wilhelm II sortant du port de New-York. Le premier remorqueur porte une marque aux armes de la Norddeutscher Lloyd.

 

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Le SMS Wittelsbach.

 

Puis eut lieu une grande revue navale, en présence du Kaiser :

La matinée du 18 mai – qui avait été la date fixée pour la revue impériale – révéla vraiment en vue d’Héligoland la plus grande force navale qui jamais se fût réunie sous le drapeau allemand. Ancrée en cinq longues lignes parallèles, cette force couvrait maintes lieues carrées des calmes eaux du détroit ; et les navires, étincelant sous une nouvelle couche de peinture, déployaient au brillant soleil toute la gaieté et l’animation pittoresque qui convenaient à une grande fête nationale.

La première ligne, longue de 6 milles, était faite de cuirassés et de croiseurs du type le plus nouveau, la seconde de navires de guerre d’un type plus ancien, la troisième de croiseurs légers, la quatrième de torpilleurs et de sous-marins, la cinquième de vaisseaux auxiliaires de toute catégorie.

Exactement au coup de midi, le Kaiser, du haut du pont du Hohenzollern, ouvrit la revue et tandis qu’il allait çà et là le long des diverses lignes, chacun des navires accueillait d’un éclat de tonnerre l’approche d’un souverain, qui, malgré les récents revers de ses armes, avait su se conserver la confiance et l’amour de son peuple 8.

8 La vengeance du Kaiser pp. 33-34.

 

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L’île de Héligoland.

 

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Le Kaiser, sur le pont du Hohenzollern, passant la flotte en revue.

 

23

Carte de vœux pour la nouvelle année montrant le Hohenzollern roulant à la tête de la flotte allemande au large de Héligoland.

 

Puis cette grande flotte se scinda en deux : l’escadre rouge, dont le Thüringen 9 était le navire amiral, partait pour la Manche où son commandant ouvrit ses ordres ; trente-six heures plus tard, l’escadre bleue menée par le König 10 faisait de même.

9 Cuirassé de 24.700 tonnes lancé le 27 novembre 1909. Il était armé de 12 canons de 305 mm, 14 de 150 mm, 14 de 88 mm et de 6 tubes lance-torpilles.

10 Cuirassé de 28.600 tonnes lancé le 1er mars 1913. Il était armé de 10 canons de 305 mm, 14 de 150 mm, 10 de 88 mm et de 5 tubes lance-torpilles.

 

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Le SMS Thuringen dans un dock flottant.

 

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Le SMS König.

 

Dans les jours qui suivirent le monde retrouva son calme, à peine troublé le 20 mai par l’annonce dans les journaux de négociations pour l’achat de l’île de Saint-Thomas, information démentie le 24 par le gouvernement impérial ; mais le 31 mai, dans un véritable coup de tonnerre, l’annonce de cet achat était confirmée par l’Allemagne. Immédiatement le président Wilson convoqua ses ministres à la Maison Blanche, dont son secrétaire d’Etat Robert Lansing (1864-1928), son chef d’état-major, le général Hugh Lenox Scott (1853-1934), et le président du conseil de la marine, pour envisager toutes les ripostes possibles. Informé par les deux officiers de la dispersion et de la faiblesse des forces fédérales de terre et de mer dues à la politique pacifiste du pays, Wilson en fut alors réduit à constater qu’il ne pouvait qu’entamer des négociations sans disposer du moindre moyen de pression.

 

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Le président Wilson, entré en fonction le 4 mars 1913 (vignette publicitaire de la seconde série des Célébrités contemporaines).

 

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Robert Lansing, secrétaire d’Etat depuis le 24 juin 1915.

 

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Le général Scott, chef d’état-major depuis 1914.

 

Dans la nuit de ce même 31 mai, les sous-marins allemands attaquaient les ports de Boston, New York, Norfolk, Charleston et Christobal au Panama. Parallèlement, d’autres U boot détruisaient les petites unités navales américaines stationnées à Panama et torpillaient les écluses de l’entrée du canal pour empêcher le passage des bâtiments de la flotte américaine du Pacifique. Au même moment, des troupes étaient débarquées à Key-West en Floride où elles s’emparaient de la station de radiotélégraphie ainsi que des codes secrets de l’US Navy et s’en servaient pour attirer l’escadre américaine stationnée à La Havane vers Guantanamo. Dès 8 heures du matin, l’amiral Buchner, commandant de l’escadre allemande, rendit compte à Berlin par radio du succès complet de ces opérations.

 

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U Boot attaquant des installations à terre.

 

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Les écluses de Gatún, entrée du canal de Panama, vues depuis le golfe du Mexique.

 

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Portes des écluses de Gatún avant leur torpillage par les sous-marins allemands…

 

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La station de radiotélégraphie de Key-West.

 

Ces prémices menées à bien, les choses sérieuses pouvaient commencer. En premier lieu, les fortifications de New York (les forts Hancock, Hamilton et Wadsworth), mal protégées du côté de la terre, furent neutralisées et des navires de guerre sous le commandement de l’amiral Buchner purent pénétrer dans le port. Un ultimatum fut alors envoyé au maire John Purroy Mitchel (1879-1918) exigeant le versement d’une indemnité de 25 milliards et lui laissant 24 heures pour faire connaître son acceptation, sous peine de voir la ville bombardée.

 

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La batterie Weed du fort Wadsworth ; on remarque l’absence de réelle protection du côté de la terre.

 

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L’entrée du port de New York vue depuis Manhattan.

 

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John Purroy Mitchel, maire de New York depuis le 1er janvier 1914.

 

Réunissant immédiatement les représentants de tous les établissements financiers de la ville (dont un fort amusant pacifiste et philanthrope tenant à rappeler l’amitié qui l’avait lié à Bismarck ainsi qu’au Kaiser), il leur fit part des exigences allemandes. En bon boutiquiers, ses messieurs se résolurent à faire une contre-proposition de 5 milliards (dont 250 millions versés immédiatement). A 9 heures du matin le lendemain, heure marquant le terme de l’ultimatum, n’ayant pas reçus entière satisfaction à sa demande, l’escadre allemande ouvrait le feu ; la conduite du tir était dirigée par des hydravions mis à l’eau depuis les navires. Les uns après les autres les générateurs électriques et les transports de Manhattan, l’immeuble Wollsworth, la mairie et biens d’autres bâtiments encore subirent les effets de ce bombardement. Si bien qu’à 10 heures et demie le maire de New York se rendait à bord du König pour accepter l’ultimatum et capituler, juste à temps pour éviter la destruction du pont de Brooklyn où se pressaient en foule des civils cherchant éperdument à fuir Manhattan.

 

5

Vue de Manhattan dans la nuit d’inquiétude qui précéda le bombardement. Au fond à droite, on aperçoit le pont de Brooklyn.

 

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Le sommet de l’immeuble Wollsworth dans des nuages évoquant un peu des fumées d’explosions ; depuis 1913 il s’agissait de l’immeuble le plus haut du monde avec ses 241 mètres. C’est de son sommet que le surveillant Kennedy put observer les effets du bombardement.

 

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La mairie de New York dont le clocheton fut une des cibles de l’artillerie navale allemande.

 

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Le pont de Brooklyn survolé par un avion.

 

Dès le 1er mai Washington avait été pris par les troupes allemandes, événement qui n’avait eu pour précédent que la capture de la ville en 1814 par l’armée britannique ; le gouvernement américain et les hauts fonctionnaires, en fuite, se réfugièrent à Philadelphie. Le 2 mai Boston tombait à son tour. Le 3 juin une nouvelle armée de 100.000 hommes quittait les ports d’Allemagne pour renforcer les troupes déjà débarquées aux Etats-Unis.

 

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La Maison Blanche occupée par les troupes allemandes dès le 1er mai. Contrairement à leurs homologues britanniques, celles-ci ne l’incendièrent pas…

 

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Le fort Warren défendant l’entrée du port de Boston.

 

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Une des pièces américaines de défense côtière, rapidement écrasées par les canons des cuirassés allemands grâce à leur portée supérieure.

 

Le 6 juin, ayant reçu depuis quelque jour par la station radiotélégraphique de Key West le faux ordre de se concentrer au large de Guantanamo puis de partir à la recherche de la première escadre allemande, la flotte américaine de l’Atlantique sous les ordres de l’amiral Willard s’était lancée à la recherche de l’ennemi. Le lendemain à 6 heures, le croiseur Washington 11 envoyé en éclaireur signala l’avoir repéré, juste avant d’être détruit. Au court de la lutte qui suivit les SMS Nassau 12, Derflinger 13 Oldenburg 14 et von der Tann 15 furent mis hors de combat. Mais une demi-heure après les premiers tirs, une seconde escadre allemande menée par le SMS König et le SMS Kaiser 16 doublait l’extrémité de Cuba pour prendre en tenaille les navires américains. Dès lors le sort de la bataille était réglé et les Allemands se retrouvaient maîtres de l’Atlantique, c’est-à-dire à même de le franchir en toute sécurité avec autant de transports de troupes qu’ils le voudraient...

11 Croiseur de 15.712 tonnes lancé le 18 mars 1905. Il était armé de 4 canons de 250 mm, 16 de 150 mm, 22 de 76 mm et de 2 tubes lance-torpilles.

12 Cuirassé de 21.000 tonnes lancé le 7 mars 1908. Il était armé de 12 canons de 280 mm, 12 de 150 mm, 16 de 88 mm et de 5 tubes lance-torpilles.

13 Cuirassé de 31.200 tonnes lancé le 17 juillet 1913. Il était armé de 8 canons de 305 mm, 12 de 150 mm, 4 de 88 mm et de 4 tubes lance-torpilles.

14 Cuirassé de 24.700 tonnes lancé le 30 juin 1910. Il était armé de 12 canons de 305 mm, 14 de 150 mm, 14 de 88 mm et de 6 tubes lance-torpilles.

15 Croiseur de bataille de 21.300 tonnes lancé le 20 mars 1909. Il était armé de 8 canons de 280 mm, 10 de 150 mm, 16 de 88 mm et de 4 tubes lance-torpilles.

16 Cuirassé de 27.000 tonnes lancé le 22 mars 1911. il était armé de 10 canons de 305 mm, 14 de 150 mm, 12 de 88 mm et de 5 tubes lance-torpilles.

 

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L’USS Washington.

 

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L’USS Oklahoma 17.

 

17 Cuirassé de 27.500 tonnes lancé en mars 1914. Il était armé de 10 canons de 356 mm et de 21 de 127 mm. Il s’agissait du navire amiral de l’escadre américaine lors de cette bataille de la mer des Antilles.

 

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Le SMS Nassau.

 

Pendant ce temps, les troupes d’invasion s’étant élancées de New York, Washington et Boston s’étaient rendues maîtresses des voies ferrées partant de ces villes et s’étaient emparées des grandes cités du nord-est des Etats-Unis et de leurs industries, le gouvernement américain devant alors quitter Philadelphie pour se retirer jusqu’à Pittsburg. Le 16 juin, l’armée allemande, concentrée à Philadelphie, se mettait en route pour Pittsburg et de maigres troupes fédérales, renforcées par la garde civile, s’efforçaient de ralentir son mouvement. Le 17 juin, elles livraient des combats retardateurs près de Harrisburg, au pont de pierre jeté sur la rivière Susquehanna. Les 20 et 21 juin elles résistaient opiniâtrement sur les sommets des Alleghenies, mais rien n’y faisait : Pittsburg tombait et le gouvernement américain, replié à Cincinnati capitulait en s’engageant à payer l’indemnité de 200 milliards imposée par le vainqueur. Ainsi s’achevait ce que l’auteur a lui-même baptisé « la Grande Débâcle Américaine »…

 

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L’Indépendance Hall de Philadelphie (où fut signée la Déclaration d’indépendance) occupé par l’armée impériale allemande ; on remarquera sur cette carte postale son extrême discrétion en ce lieu chargé de symbole…

 

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Rassemblement des troupes américaines.

 

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Détachement de mitrailleurs allemands montant à l'attaque.

 

1-copie-57

Pont de chemin de fer de Harrisburg ; on n’y voit malheureusement pas de plaque commémorant les combats menés par les troupes américaines dans l’espoir de retarder l’avance allemande...

 

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Passes dans les Alleghenies.

 

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Le centre ville de Pittsburg.

 

Mon pauvre résumé ne pouvant donner une idée exacte de l’intérêt de ce livre ni de la jubilation que l’on ressent à sa lecture, permettez-moi de vous en soumettre le sommaire pour renforcer votre envie de l’acquérir 18 :

18 Sans manquer de retourner voir l’invasion de New York par les 20 archers de l’armée du grand-duché de Fenwick dans La souris qui rugissait

Avant-Propos (p. 5)

Première partie : Une dure leçon pour les Etats-Unis (p. 9)

Chap. I : La Paix de Genève (p. 9)

Chap. II : La Chambre du Conseil à Potsdam (p. 14)

Chap. III : Un trésor non défendu (p. 22)

Chap. IV : Embarquement des troupes allemandes (p. 27)

Chap. V : Le départ de l’armée d’invasion (p. 32)

Chap. VI : La réunion du Conseil des ministres à Washington (p. 36)

Deuxième partie : La grande débâcle américaine (p. 53)

Chap. I : Le raid des sous-marins allemands (p. 53)

Chap. II : Prise des défenses du port de New-York (p. 54)

Chap. III : La demande d’indemnité (p. 59)

Chap. IV : Le bombardement de New-York (p. 69)

Chap. V : La Capitulation de New-York (p. 79)

Chap. VI : La Reddition de Boston (p. 84)

Chap. VII : La Prise de Washington (p. 91)

Chap. VIII : A la recherche de l’escadre allemande (Récit de l’ingénieur T. S. Langton) (p. 102)

Chap. IX : La Bataille de la Mer des Antilles (Suite et fin du récit de l’ingénieur Langton) (p. 109)

Chap. X : Le Plan Allemand continue à se réaliser (p. 117)

Chap. XI : La Prise de Pittsburg… et la Paix (p. 127)

Post-scriptum du traducteur (p. 137)

 

8

Timbre émis pour le territoire des Etats-Unis par les autorités allemandes d’occupation…

 

Quelle fut la portée de cette œuvre ? Dans un premier temps, un certain succès de librairie, accentué par sa reprise dans le cadre de la propagande des Alliés. Peut-être contribua-t-elle aussi à faire réfléchir les Américains (si tant est que cela se révèle possible…), mais il ne réussit toutefois pas à les convaincre du péril germanique. Ainsi, à l’automne 1917 le président Wilson fit-il encore campagne pour un second mandat et fut-il réélu sur le thème de « Nous ne sommes pas en guerre grâce à moi », même si dès le 3 juin de cette même année le Congrès avait voté un renforcement des effectifs de l’armée fédérale du fait de la détérioration de ses relations avec l’Allemagne.

 

 

 

Amical souvenir à Caroline B.-L. et à son saint époux qui, il y a quelques temps et sans que nous en soyons alors conscients, m’ont fourni un agréable prélude à cet article en me permettant de tirer au colt puis au mauser 98…

 

 


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30 mars 2012 5 30 /03 /mars /2012 13:57

 

 

 

 

 

Le 15 juillet 1905, le magazine Je sais tout a rapporté l’arrestation d’Arsène Lupin sur le transatlantique Provence. C’était la première fois que la presse révélait l’existence de cet individu dont Maurice Leblanc se fit le biographe… De cette date jusqu’en mai 1909, il publia régulièrement dans le même magazine, sous forme de feuilletons, l’apologie des délits de celui qui devint dans l’imagination populaire le prototype du gentleman cambrioleur et, en écrivain conscient des réalités économiques, il regroupa ensuite ces épisodes dans trois volumes : Arsène Lupin, gentleman cambrioleur (Pierre Lafitte, 1907), Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (1908) et L’Aiguille creuse (1909). A chaque fois, des modifications étaient intervenues entre le récit fait en feuilleton et celui publié en volumes séparés.
De mars à mai 1910, Maurice Leblanc donna dans le quotidien Le Journal le récit des nouvelles tribulations de son personnage sous le titre énigmatique 813, puis le fit éditer chez Lafitte dès le mois suivant. Remanié en 1917 pour tenir compte des préjugés du temps de guerre, il se compose de deux parties : La double vie d’Arsène Lupin et Les trois crimes d’Arsène Lupin. Cet ouvrage, le plus long de la série, est aussi le plus noir, marqué par un climat lourd de menaces, ponctué d’assassinats et de combinaisons de haute politique; c’est aussi dans cet ouvrage que le Kaiser entre en scène. Bien qu'écrit par un Français qui n'a pas oublié les provinces perdues, l'Empereur est présenté dans cette oeuvre de façon très neutre, sous les traits d'un souverain volontaire et sûr de lui, à la fois homme de parole et homme d'action.
Comme il ne s’agit pas ici d’effectuer un abrégé de ces aventures insolites ni d’en révéler les rebondissements, je me contenterai de donner un résumé des faits principaux, en m’attardant sur les seuls épisodes où apparaît Guillaume II.

 

1-copie-18

Reproduction de la jaquette de l’édition originale, publiée à l’initiative de l’association 813 (association des amis de la littérature policière).

 

L’intrigue commence dans l’appartement 415 du Palace Hôtel à Paris, où le richissime Rudolf Kesselbach est séquestré dans sa suite par Arsène Lupin et ses complices. Le lendemain, il est retrouvé assassiné au même endroit. Tout semble donc indiquer le sieur Lupin comme coupable ;  mais monsieur Lenormand, chef de la Sûreté, est convaincu du contraire.
Dans La double vie d’Arsène Lupin, Lenormand et ses hommes vont donc tout faire pour l’innocenter et pour protéger Dolorès, la veuve de feu Kesselbach, contre les manigances d’un ennemi machiavélique. En parallèle, Lupin agit de la même manière mais finit par être arrêté au dernier chapitre du livre (§ VII La Redingote Olive).

1-copie-20Exemple de cellule à la prison de la Santé : ici Maxime Réal del Sarte passa 9 mois en 1909 pour avoir giflé le professeur Thalamas au motif qu’il avait insulté Jeanne d’Arc.

 

Les trois crimes d’Arsène Lupin s’ouvre à la prison de la Santé, où Lupin est incarcéré. C’est là qu’il apprend l’existence de papiers compromettants, remis en 1898 par Bismarck sur son lit de mort à son vieil ami le grand-duc Hermann III de Deux-Ponts-Veldenz, prince de Berncastel, comte de Fistingen, seigneur de Wiesbaden et autres lieux 1.

1 Ami lecteur féru de noblesse, inutile de te plonger dans l’Almanach de Gotha pour y chercher trace de cet Hermann III… La principauté de Palatinat-Deux-Ponts, possession de la branche de Birkenfeld de la maison de Bavière depuis 1731 (date de l’extinction de la branche de Zemmern-Veldenz des ducs de Deux-Ponts), a disparu en fait lors de l’occupation de son territoire par les troupes carmagnoles en 1792 ; de plus, son dernier souverain, le prince Charles Théodore, mourut sans héritier légitime en 1799. Son territoire, annexé en grande partie au département français du Mont-Tonnerre après le traité de Lunéville (1801), revint au royaume de Bavière par le traité de Vienne (1814).

 

545px-Armoiries comtes palatins de Deux-Ponts.svg
Armoiries des comtes palatins de Deux-Ponts (réalisées par Odejea pour Wikipedia selon les termes de la GNU Free Documentation Licence), dont je ne résiste pas au plaisir de vous livrer le blasonnement : "parti en I écartelé en 1 et 4 de sable, au lion d'or, armé, lampassé et couronné de gueules (qui est du comté palatin du Rhin) et en 2 et 3 fuselé en bandes d'azur et d'argent (qui est de Bavière), sur le tout d'argent au lion d'azur armé lampassé et couronné d'or (qui est de Veldenz), en II coupé de deux parti de trois, en 1 d'or au lion de sable armé et lampassé de gueules (qui est de Juliers), en 2 de geules, à l'écusson d'argent, aux rais d'escaboucle d'or, brochantes sur le tout (qui est de Clèves), en 3 d'argent au lion de gueules, la queue fourchée passée en sautoir, armé, lampassé et couronné d'or (qui est de Berg), en 4 d'or, à la fasce échiquetée d'argent et de gueules de trois tires (qui est de la Marck), en 5 d'argent, à trois chevrons de gueules (qui est de Ravensberg) et en 6 d'argent à la fasce de sable".

 

Parmi ces pièces encombrantes, sont explicitement mentionnées des lettres du Kronprinz Guillaume à Bismarck au court des trois mois de règne de son père l’empereur Frédéric III, des photographies des lettres privées de ce dernier et de son épouse à la reine Victoria, le texte d’un traité avec la France et l’Angleterre, des documents plus obscurs repérés sous les rubriques succinctes : « Alsace-Lorraine… Colonies… Limitation navale ». Ce bref sommaire contient deux parties bien distinctes, qui laissent bien deviner le caractère délicat de leur contenu :

– les correspondances de Frédéric III, de son épouse et de son fils qui, lorsque l’on se souvient des relations tendues existant entre eux (et délibérément aigries par Bismarck) relèvent de faits déjà soupçonnés par le public de 1910 ;
– des pièces diplomatiques portant sur les points politiques les plus sensibles du moment (l’Allemagne face à l’entente cordiale, les provinces perdues par la France après 1870, les intérêts coloniaux opposés des puissances européennes ou la rivalité navale anglo-allemande).

C’est peu de temps après avoir eu la révélation de l’existence de ces documents qu’Arsène Lupin reçoit dans sa cellule la visite d’un mystérieux personnage (§ III La grande combinaison de Lupin) :


La serrure grinça. Dans sa rage il n’avait pas entendu le bruit des pas dans le couloir, et voilà tout à coup qu’un rayon de lumière pénétrait dans sa cellule et que la porte s’ouvrait.
Trois hommes entrèrent.
Lupin n’eut pas un instant de surprise.
Le miracle inouï s’accomplissait, et cela lui parut immédiatement naturel, normal, en accord parfait avec la vérité et la justice.
Mais un flot d’orgueil l’inonda. À cette minute vraiment, il eut la sensation nette de sa force et de son intelligence.
— Je dois allumer l’électricité ? dit un des trois hommes, en qui Lupin reconnut le directeur de la prison.
— Non, répondit le plus grand de ses compagnons avec un accent étranger Cette lanterne suffit.
— Je dois partir ?
— Faites selon votre devoir, monsieur, déclara le même individu.
— D’après les instructions que m’a données le Préfet de police, je dois me conformer entièrement à vos désirs.
— En ce cas, monsieur, il est préférable que vous vous retiriez.
M. Borély s’en alla, laissant la porte entrouverte, et resta dehors, à portée de la voix.
Le visiteur s’entretint un moment avec celui qui n’avait pas encore parlé, et Lupin tâchait vainement de distinguer dans l’ombre leurs physionomies. Il ne voyait que des silhouettes noires, vêtues d’amples manteaux d’automobilistes et coiffées de casquettes aux pans rabattus.
— Vous êtes bien Arsène Lupin ? dit l’homme, en lui projetant en pleine face la lumière de la lanterne.
Il sourit.
— Oui, je suis le nommé Arsène Lupin, actuellement détenu à la Santé, cellule 14, deuxième division.
— C’est bien vous, continua le visiteur, qui avez publié, dans le Grand Journal, une série de notes plus ou moins fantaisistes, où il est question de soi-disant lettres…
Lupin l’interrompit :
— Pardon, monsieur, mais avant de continuer cet entretien, dont le but, entre nous, ne m’apparaît pas bien clairement, je vous serais très reconnaissant de me dire à qui j’ai l’honneur de parler.
— Absolument inutile, répliqua l’étranger.
— Absolument indispensable, affirma Lupin.
— Pourquoi ?
— Pour des raisons de politesse, monsieur. Vous savez mon nom, je ne sais pas le vôtre ; il y a là un manque de correction que je ne puis souffrir.
L’étranger s’impatienta.
— Le fait seul que le directeur de cette prison nous ait introduits, prouve…
— Que M. Borély ignore les convenances, dit Lupin. M. Borély devait nous présenter l’un à l’autre. Nous sommes ici de pair, monsieur. Il n’y a pas un supérieur et un subalterne, un prisonnier et un visiteur qui condescend à le voir. Il y a deux hommes, et l’un de ces hommes a sur la tête un chapeau qu’il ne devrait pas avoir.
— Ah ! ça, mais…
— Prenez la leçon comme il vous plaira, monsieur, dit Lupin.
L’étranger s’approcha et voulut parler.
— Le chapeau d’abord, reprit Lupin, le chapeau…
— Vous m’écoutez !
— Non.
— Si.
— Non.
Les choses s’envenimaient stupidement. Celui des deux étrangers qui s’était tû, posa sa main sur l’épaule de son compagnon et il lui dit en allemand :
— Laisse-moi faire.
— Comment ! Il est entendu…
— Tais-toi et va-t-en.
— Que je vous laisse seul !
— Oui.
— Mais la porte ?
— Tu la fermeras et tu t’éloigneras…
— Mais cet homme… vous le connaissez… Arsène Lupin…
— Va-t-en.
L’autre sortit en maugréant.
— Tire donc la porte, cria le second visiteur… Mieux que cela… Tout à fait… Bien…
Alors il se retourna, prit la lanterne et l’éleva peu à peu.
— Dois-je vous dire qui je suis ? demanda-t-il.
— Non, répondit Lupin.
— Et pourquoi ?
— Parce que je le sais.
— Ah !
— Vous êtes celui que j’attendais.
— Moi !
— Oui, Sire.

 

1-copie-19Au sommet de la colline, le château de Veldenz, où ont été cachés les documents recherchés par le Kaiser.

 

Libéré à la demande du souverain après cet entretien, Arsène Lupin est alors conduit au château de Veldenz 2 par le comte Waldemar, ami proche de l’empereur 3, pour retrouver les fameux documents. Pendant toutes les recherches, le Kaiser lui-même est installé au château pour superviser l’affaire.

2 Le château de Veldenz, dans le land de Rhénanie-Palatinat, est mentionné pour la première fois en 1156. Cédé aux comtes de Deux-Ponts en 1444, à l’extinction de la maison des comtes de Veldenz, il est détruit en 1681 et partiellement restauré au 19e siècle. Aujourd’hui, le château peut se visiter chaque premier samedi des mois d’avril à novembre.
3 Par la description qui en est donnée comme par son comportement, ce comte Waldemar ressemble bigrement au comte Hülsen-Haeseler, dont nous avons rappelé la mort tragique dans le précédent article…

Après de nombreuses péripéties, Arsène Lupin qui a quitté Veldenz libre finira par mettre la main sur les pièces originales et pourra enfin les remettre personnellement à Guillaume II sur le Monte Tiberio de Capri, en profitant d’une des croisières de l’Empereur en Méditerranée.

 

3-copie-13Le Saut-de-Tibère à Capri.

 

– À cheval, dit l’Empereur.
Il se reprit :
— À âne plutôt, fit-il en voyant le magnifique baudet qu’on lui amenait. Waldemar, es-tu sûr que cet animal soit docile ?
— J’en réponds comme de moi-même, Sire, affirma le comte.
— En ce cas, je suis tranquille, dit l’Empereur en riant.
Et, se retournant vers son escorte d’officiers :
— Messieurs, à cheval.
Il y avait là, sur la place principale du village de Capri, toute une foule que contenaient des carabiniers italiens, et, au milieu, tous les ânes du pays réquisitionnés pour faire visiter à l’Empereur l’île merveilleuse.
— Waldemar, dit l’Empereur, en prenant la tête de la caravane, nous commençons par quoi ?
— Par la villa de Tibère, Sire.
On passa sous une porte, puis on suivit un chemin mal pavé qui s’élève peu à peu sur le promontoire oriental de l’île.
L’Empereur était de mauvaise humeur et se moquait du colossal comte de Waldemar dont les pieds touchaient terre, de chaque côté du malheureux âne qu’il écrasait.
Au bout de trois quarts d’heure, on arriva d’abord au Saut-de-Tibère, rocher prodigieux, haut de trois cents mètres, d’où le tyran précipitait ses victimes à la mer.
L’Empereur descendit, s’approcha de la balustrade, et jeta un coup d’œil sur le gouffre. Puis il voulut marcher à pied jusqu’aux ruines de la villa de Tibère, où il se promena parmi les salles et les corridors écroulés.
Il s’arrêta un instant.
La vue était magnifique sur la pointe de Sorrente et sur toute l’île de Capri. Le bleu ardent de la mer dessinait la courbe admirable du golfe, et les odeurs fraîches se mêlaient au parfum des citronniers.
— Sire, dit Waldemar, c’est encore plus beau, de la petite chapelle de l’ermite, qui est au sommet.
— Allons-y.
Mais l’ermite descendait lui-même, le long d’un sentier abrupt. C’était un vieillard, à la marche hésitante, au dos voûté. Il portait le registre où les voyageurs inscrivaient d’ordinaire leurs impressions.
Il installa ce registre sur un banc de pierre.
— Que dois-je écrire ? dit l’Empereur.
— Votre nom, Sire, et la date de votre passage et ce qu’il vous plaira.

L’Empereur prit la plume que lui tendait l’ermite et se baissa.

 

1-copie-21

Le Monte Tiberio et son ermite.

 

Des aventures aussi rocambolesques ne pouvaient pas manquer d’être adaptées en BD. Deux versions, fidèles au texte de Maurice Leblanc mais différentes par le style ont été éditées.
La première, en 3 tomes, est l’œuvre de Marie-Madelaine Bourdin (surtout connu des amateurs du genre pour sa série Titounet et Titounette). Publiée en deux tomes en 1977 dans la collection Les grands succès de la bande dessinée chez Prifo, elle se présente sous une forme archaïsante avec des vignettes en noir et blanc surmontant des cases de texte. Brossés à grands traits, les dessins se veulent néanmoins réalistes et le Kaiser y est facilement reconnaissable.

7-copie-5

La première rencontre du Kaiser et d'Arsène Lupin (t. II, p. 79).

 

La seconde version est due à André-Paul Duchâteau (scénariste de la série Ric Hochet) et à Jacques Géron. Sortie en deux tomes, elle paraît en 1990 et 1991 chez Claude Lefrancq Editeur (CLE). D’une facture classique, elle respecte les codes de la ligne claire ; toutefois, le Kaiser y est représenté sous des traits qui ne sont manifestement pas les siens.

8

Le Kaiser et Arsène Lupin lors des recherches au château de Veldenz (t. II, p. 25) ; notons l'aspect particulièrement ridicule du casque à pointe impérial...

 

Après les images fixes, passons aux images animées…
Alexandre Astruc et Roland Laudenbach on tourné en 1980 pour Antenne 2 un téléfilm en 6 épisodes intitulé Arsène Lupin joue et perd, qui est une adaptation fidèle de l’œuvre de Maurice Leblanc. Malheureusement, l’acteur Anton Diffring (1918-1989) qui tient le rôle du Kaiser ne lui ressemble en rien et se contente d’y jouer ce rôle caricatural d’allemand froid dont il se fit une spécialité tout au long de sa carrière. Ce téléfilm est aussi diffusé en 2 DVD :

 

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4

 

En 1957, Jacques Becker a réalisé Les aventures d’Arsène Lupin - très librement adaptées des ouvrages de Maurice Leblanc - film dans lequel Guillaume II tient une place importante et le Haut-Koenigsbourg remplace le château de Veldenz. Alors qu’il s’était réservé le rôle du Kronprinz, le réalisateur à donné le rôle du Kaiser à l’acteur allemand Otto Eduard Hasse (1903-1978) qui, tant pour le physique que pour la personnalité affiche une ressemblance stupéfiante – même sans substance illicite – avec le souverain… Ce film est actuellement distribué en DVD par la société Gaumont.

 

5-copie-8

Jacquette du DVD Gaumont.

 

6

 

73 
En haut, dernière page d'un livret publicitaire pour la version allemande du film ; en bas l’Empereur peu avant la première guerre mondiale.

 

Et pour finir, un court extrait du film de Jacques Becker dans lequel E. O. Hasse fait un passage rapide devant un garde du corps jouant les hallebardiers de service...

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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