55 - Noël avec Guillaume II

Photomontage de la famille impériale sous des sapins de Noël.

Depuis que j’ai commencé ce blog, je cherche à donner une autre image du Kaiser en m’appuyant sur les récits de ceux qui l’ont côtoyé. C’est donc avec grand plaisir que je vous propose aujourd’hui cette amusante scène familiale qui ne va pas sans rappeler certaine anecdote attribuée à notre bon Roy Henri.

Le prince Louis-Ferdinand de Prusse (1907-1994) est le second fils du Kronprinz Guillaume ; à la mort de son père en 1951, il devint chef de la maison de Prusse. En 1910, ses parents étant partis en voyage à Ceylan et aux Indes, il avait été confié, avec ses frères, à la garde du Kaiser. Le réveillon de Noël de cette année lui fit une telle impression qu’il en a relaté le déroulement dans ses mémoires.

De gauche à droite, les princes Hubert, Louis-Ferdinand et Guillaume à la barre du Hohenzollern.

L’un de mes plus lointains souvenirs est celui d’un réveillon de Noël passé au Palais de mon grand-père, à Potsdam. Mes parents étaient aux Indes pour un voyage de plusieurs mois. Mon frère aîné Guillaume ¹, mon plus jeune frère Hubert ² et moi étions restés à la garde de nos grands-parents. Nous avions été transportés au Nouveau Palais, situé dans le magnifique parc de Sans Souci à quelques trois kilomètres du Palais de Marbre. A cette époque Guillaume avait quatre ans, Hubert un, et moi  trois.

¹ Guillaume de Prusse (1906-1940) ; il renoncera à ses droits dynastiques afin de pouvoir épouser morganatiquement Dorothée von Salviati et sera tué pendant la campagne de France.

² Hubert de Prusse (1909-1950).

Le Nouveau Palace, construit par Frédéric le Grand après la Guerre de Sept Ans, ressemble un peu à Versailles, encore que je le préfère beaucoup au fameux palais français. Au centre se trouve une immense coupole au sommet de laquelle trois femmes nues supportent la couronne prussienne. Il est généralement admis que mon ancêtre, célèbre par son esprit caustique, avait voulu, par cette allégorie, ridiculiser ses trois fameux adversaires féminins : l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, l’Impératrice Catherine de Russie et Mme. De Pompadour de France.

Le Nouveau Palais.

Le rez-de-chaussée était occupé par plusieurs halls immenses, dont l’un, le Muschesaal (Salle des Coquillages) avait des murs entièrement recouverts de coquillages et de pierres précieuses.

La plupart de mes oncles, accompagnés de leurs épouses, se joignirent à nous en cette veille de Noël. Nous étions tous réunis dans le salon de ma grand-mère. A six heures exactement, un chambellan de la cour vint prévenir que tout était prêt. Formant une longue procession, nous descendîmes le grand escalier et traversâmes une suite de larges pièces avant d’arriver à la Salle des Coquillages. Un immense arbre de Noël était érigé en son milieu. Le long des murs, d’autres arbres plus petits étaient placés près d’un grand nombre de tables, chacun ayant son arbre.

Mon grand-père conduisit d’abord ma grand-mère à sa table, puis il accompagna ses fils et belles-filles vers chacune de leurs tables. Enfin ce fut notre tour, que nous attendions impatiemment.

La Muschesaal.

Nos tables étaient couvertes de jouets magnifiques. Je fus particulièrement attiré par un petit chemin de fer avec toutes sortes d’accessoires épars sur le plancher. Mon grand-père qui était allé voir ses propres cadeaux remarqua que mon frère et moi essayions péniblement, mais sans succès, de faire rouler le train. Après tout, nous n’avions que trois ou quatre ans ! Alors notre grand-père s’agenouilla près de nous et nous aida à faire fonctionner tous nos trésors. Il passa le plus clair de la soirée assis sur le plancher à jouer avec ses deux petits-fils jusqu’à l’heure du souper où nous fûmes emmenés dans nos chambres.

Ce fut le seul Noël, aussi loin que je puisse me souvenir, que nous passâmes en Allemagne avec mes grands-parents. Bien des années plus tard, nous célébrâmes un autre Noël avec eux. Mais c’était pendant leur exil en Hollande, à Amerongen, en 1920. ³

³ Louis-Ferdinand de Prusse Le prince rebelle (André Martel ; Paris, 1954) pp. 13-14.

En plus de nous présenter une scène attendrissante, ce passage des mémoires du prince Louis-Ferdinand vient nous rappeler le rôle joué par l’Allemagne dans l’industrie du jouet en général et celle des chemins de fer miniatures en particulier où se distinguaient les firmes Märklin (fondée en 1859 à Göppingen) et Bing (fondée en 1863 à Nuremberg).

Un train de la marque Märklin avec quelques-uns de ses accessoires.