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5 juin 2014 4 05 /06 /juin /2014 15:16
66 - Requiem

Buste du Kaiser par Max Bezner dans le parc du château de Doorn (photographie de Hanseichbaum pour Wikipedia).

Pour la troisième fois depuis le début de ce blog, nous nous retrouvons pour commémorer le jour anniversaire du décès du Kaiser. Si, l’année dernière, je vous avais présenté la description de son inhumation laissée par sa fille la princesse Victoria-Louise, je vous propose aujourd’hui le récit de ses derniers jours et de son enterrement par son petit-fils le prince Louis-Ferdinand.

66 - Requiem

Le Kaiser, vieilli, s’entretient avec des soldats allemands lors d’une de ses dernières sorties en public.

Lorsqu’un an plus tard, en juin 1941, la santé de l’Empereur nous causa de vives inquiétudes, toute la famille se hâta vers Doorn. Chacun de nous fut autorisé à le voir un court instant. J’eus, moi aussi, un dernier entretien avec lui.

Grand-père était couché dans son lit lorsque j’entrai. Son visage était effroyablement pâle, mais ses yeux brillaient comme toujours et sa voix était encore forte. Il s’inquiéta en détails de Cadinen 1 et me questionna affectueusement sur ma femme et nos deux enfants.

1 Domaine impérial près de la ville d’Elbing en Prusse orientale (aujourd’hui voïvodie polonaise de Varmie-Mazurie). Le Kaiser y possédait un domaine de chasse ainsi qu’une manufacture de faïences.

Il ne fit aucune allusion à son état, ni au motif de ma soudaine visite ; malgré cela, il était visiblement averti de sa fin prochaine, car il me dit en me donnant un baiser d’adieu et en serrant ma main affectueusement : « C’est pour moi un réconfort de penser que vous élevez tous les deux vos enfants en bons chrétiens. Que Dieu vous garde ! »

Pendant quelques jours, l’espoir revint. Une fois encore l’Empereur se rétablit. Le docteur lui-même déclara que tout danger immédiat était écarté et insista pour que les membres de la famille repartissent aussitôt que possible, afin de ne pas fatiguer le malade. Je restai néanmoins. L’Empereur pouvait même maintenant se nourrir normalement par petites quantités.

Le saisissement fut d’autant plus grand lorsque, le matin du 3 juin, je fus mandé d’urgence à sa chambre. A la gauche de son lit était assise l’Impératrice Hermine, à la droite sa fille unique, la Duchesse de Brunswick, ma tante Cissy 2. Ma grand-mère 3 me chuchota : « Il est mourant. »

2 La princesse Victoria-Louise, fille du Kaiser avait épousé en 1913 le prince Ernest-Auguste de Hanovre, duc de Brunswick.

3 L’Impératrice Hermine, grand-mère « par alliance » du prince depuis son mariage avec le Kaiser. Ce simple qualificatif montre qu’en dépit de l’opposition d’une grande partie de la famille impériale au remariage de Guillaume II, elle avait fini par l’accepter.

Nous passâmes toute la nuit à ses côtés. Sa dernière lutte se prolongea dans la matinée suivante.

Hitler se trouva dans un dilemme quand la nouvelle lui parvint. Il était plongé dans une guerre dans laquelle il avait besoin particulièrement de l’appui de ses soldats de métier 4. Ces hommes savaient que la tradition demandait les honneurs militaires aux funérailles de l’Empereur. Hitler se dit, nous le savons maintenant, qu’il pourrait même exploiter la situation en ramenant en Allemagne la dépouille du dernier Empereur et en organisant une parade monstre. Cet espoir fut anéanti par le codicille du testament de mon grand-père, que voici :

4 La Wehrmacht se préparait alors à envahir l’union soviétique dans le cadre de l’opération Barbarossa.

Doorn, 25 décembre 1933.

A L’OFFICIER DE LA MAISON ROYALE.

Codicille à mes dernières volontés 5

Si Dieu décide de me rappeler à Lui en un moment où la Kaisertum 6 n’aura pas été restaurées, si une forme de gouvernement non monarchiste existe encore, mon désir formel est d’être enterré provisoirement à Doorn, d’autant plus que je suis déjà enterré en un repos éternel dans mon exil à Doorn.

En face de la maison, à la place où se trouve actuellement un buste de moi devant les rhododendrons, le cercueil sera déposé dans le monument funéraire conçu par le sculpteur Betzner 7 et approuvé par moi. Les obsèques devront être simples, sans prétentions, modestes, dignes. Pas de délégation de la maison. Pas de drapeau à croix gammée. Pas de couronnes. Les mêmes dispositions devront être appliquée si Sa Majesté meurt à Doorn. Si je meurs à Potsdam, mes restes devront être enterrés dans le monument sus-nommé, dans le mausolée proche du Nouveau Palais, de façon qu’il se trouve entre les deux impératrices. Funérailles militaires. Pas de drapeau à croix gammée. Pas de discours mortuaires. Chants. Prières.

(Signé) : GUILLAUME.

5 Ces mots (comme pour le reste du codicille) sont en italique dans les mémoires du prince Louis-Ferdinand.

6 « Empire » en allemand.

7 Max Bezner (1883-1953), avait beaucoup travaillé pour la manufacture impériale de Cadinen.

66 - Requiem

Le mausolée où repose le Kaiser.

En conséquence, Hitler se décida pour une double action : d’abord, la presse allemande devait rendre compte de la mort de l’Empereur, mais en minimisant la chose – le plus court serait le mieux : ensuite, un bataillon d’honneur, constitué de soldats de l’Armée, de la Marine et de l’Aviation fut envoyé à Doorn, et l’administrateur nazi pour la Hollande occupée, Artur von Seyss-Inquart, fut délégué pour représenter Hitler et déposa une immense couronne avec l’inscription « Le Führer » sur la bière.

Mon grand-père fut couché dans la petite chapelle de sa propriété de Doorn, suivant les rites qu’il avait prescrits minutieusement quarante ans plus tôt. Le Révérend Bruno Doehring 8, après un très bref service, jeta sur le cercueil une poignée de terre recueillie au Temple Antique du Parc de Sans-Souci, à Potsdam, où ma grand-mère l’Impératrice Auguste-Victoria était ensevelie. Il ne prononça pas d’éloge funèbre. L’Empereur l’avait formellement proscrit.

8 Bruno Doehring (1879-1961), prédicateur et homme politique ultraconservateur, était resté fidèle au Kaiser et s’était opposé au nazisme, préférant même dans un de ses sermons de mai 1940 demander pardon à Dieu plutôt que de le louer pour les victoires allemandes…

66 - Requiem

Sépulture de l’impératrice Augusta-Victoria à Potsdam.

A la hampe couverte de lierre de l’hôtel de ville de Doorn, l’étendard blanc et noir de la Maison des Hohenzollern flottait, solitaire – aucun drapeau nazi n’était déployé 9. L’assistance à la cérémonie funèbre était limitée à la famille immédiate, Seyss-Inquart et sa suite, délégations des armées hongroise et bulgare, et le maréchal nonagénaire August von Mackensen. 10

9 Comme la princesse Victoria-Louise, le prince Louis-Ferdinand souligne le respect de la population de Doorn pour le défunt Kaiser.

10 Louis-Ferdinand de Prusse Le prince rebelle (André Matel ; Givors, 1954) pp. 235-238.

A la différence de sa tante, le prince Louis-Ferdinand n’en reste pas au simple récit familial mais déborde encore sur les aspects politiques de ce décès. Ses réflexions sont d’ailleurs intéressantes à deux points de vue :

‒ la volonté exprimée par le Kaiser lui-même dans le codicille de son testament de ne voir aucune croix gammée à son enterrement vient confirmer son hostilité explicite au régime nazi, attitude qui ne fut malheureusement pas partagée par tous les membres de sa famille…

‒ la finale résignation sereine affichée par le souverain déposé, qui tranche avec les colères et les espoirs du début de l’exil 11.

11 Tout comme elle tranche avec les « trépidations » d’autres souverains déchus (on ne manquera d’ailleurs pas de se rappeler de ce côté-ci de la ligne bleue des Vosges de la mise en scène larmoyante préméditée par monsieur de Buonaparte pour faire pleurer sur son éloignement à Sainte-Hélène…)

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