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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 19:04
85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Le docteur Georg Ernst Hinzpeter (photographie tirée du site http://www.kamienie-wilhelma.net.pl/wilhelm-ii).

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Depuis le début de ce blog, je cherche à faire découvrir la personne du Kaiser en donnant le plus souvent possible la parole à ceux qui l’ont côtoyé : à la différence des commentateurs et des historiens, ceux-ci l’ont vraiment fréquenté et ont donc pu s’en faire une idées bien plus précise – même s’il convient encore de passer leur témoignage au crible d’un examen critique. Grâce à l’aide de Franck Sudon je peux aujourd’hui vous proposer la première traduction française d’une plaquette de 15 pages publiée à Bielefeld peu après l’accession de Guillaume II au trône et écrite par le docteur Georg Ernst Hinzpeter (1827-1907), qui fut son précepteur de 1866 à 1879.

Nous y découvrons un portrait plutôt sympathique au moral et au physique du jeune souverain par une personne l’ayant suivi de très près. Certes, Georg Ernst Hinzpeter n’aurait pas pu publier un ouvrage trop critique, mais bien des passages de ce texte qui traitent des faiblesses de son sujet (si j’ose ainsi m’exprimer), sont loin de l’hagiographie et plaident en faveur de la franchise de l’auteur. Le lecteur notera qu’il n’y est fait que très rarement allusion à des épisodes précis de la vie du prince Guillaume, ce qui s’explique à la fois par la nécessaire discrétion qui s’imposait alors aux proches du pouvoir 1 et par la brièveté de l’opuscule. Docteur en philosophie et en philologie classique, se définissant lui-même comme un « raisonneur philosophique », le docteur Hinzpeter écrit dans le style relevé, pour ne pas dire tarabiscoté, assez commun aux universitaires du XIXe siècle.

1 Que les critiques veuillent bien se rappeler comment récemment encore en France, la maladie fatale d’un président fut présentée comme une « forte grippe » ou comment l’un de ses successeurs put avoir une fille cachée sans que les personnes en ayant connaissance ne le rapporte (même parmi ces admirables journalistes si prompts à prétendre qu’ils n’ont jamais la moindre complaisance pour le pouvoir…)

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Dans toute l’Allemagne aujourd’hui est agitée la question avec un souci anxieux, avec un intérêt cuisant ou au moins avec une vive curiosité : A qui le jeune empereur désire-t-il ressembler ? Après des mois au cours desquels un peuple entier a été absorbé par la compassion admirable pour son empereur mourant, un sentiment d’apaisement des esprits s’est installé, si bien que la blessure que la mort de l’empereur Guillaume avait infligé au corps social et qui jusqu’ici était restée ouverte et l’avait maintenu fiévreux, est enfin refermée 2.

2 En 1888, Guillaume Ier avait été remplacé par Frédéric III, atteint d’un cancer en phase terminale, si bien que l’opinion allemande avait baptisé cette année où régnait tant d’incertitude politique « l’année des trois empereurs ».

Mais cet apaisement est grevé d’une question toute naturelle du fait des circonstances : si ce nouveau roi vit, comment et pourquoi vivra-t-il ? De quel esprit est-il l’enfant ? De quel cœur et de quelle âme est-il doté ? Aussi, après que le nouvel empereur a parlé à son peuple dans les rue ou du haut du trône et fait connaître ses pensées, demeure toujours la question suivante : que signifient de telles paroles dans sa bouche ? Quelle valeur leur donne son caractère.

La dynastie prussienne a droit à la confiance de tout le peuple allemand du fait de ses incomparables succès ; et ce peuple avec empressement l’apporte pareillement au jeune empereur. Le rédacteur des pages suivantes se tient très éloigné de la prétention de vouloir la créer en premier. Mais il croit pouvoir dresser un portrait, après plus de 20 années au cours desquelles il a suivi en situation le développement de cette individualité et plus de la moitié de cette durée pendant laquelle il a fait de la nature de cette individualité l’objet d’une étude zélée, portrait qui peut être tenu pour plus réaliste que les innombrables produits de la fantaisie qui ont été répandus et qui, sans doute, ont pu déjà éveiller de ce fait crédit et sympathie.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Portraits des rois de Prusse de Frédéric Ier à Guillaume II.

De l’union de l’entêtement guelfe 3, facilement transformé en énergie, et de l’obstination des Hohenzollern appariée avec leur idéalisme, est né le 27 janvier 1859 un être humain avec une individualité fortement et singulièrement marquée, laquelle ne peut au fond être modifiée par rien et en conséquence s’est développée, résistante aux fortes influences extérieures, en suivant sa particularité ; un être  singulièrement cristallin. Assemblage, qui au cours de toutes les phases de son développement s’est maintenu et qui a toujours conservé son caractère au travers de toutes ses  métamorphoses naturelles. Déjà chez le garçonnet – bébé miraculé et très fillette 4, dont la sensibilité, à cause de la gêne très pénible de son bras gauche, s’accrut jusqu’à la faiblesse – sa résistance frappa, résistance que fit naître toute pression, tout essai pour contraindre l’intérieur de cet être à une forme fixée. Le poids de l’étiquette, qui domine l’existence d’une famille princière, rendait assez facile à modeler la vie extérieure et la conduite d’après une forme prescrite et certainement à créer des aptitudes et imposer des habitudes, bien souvent inconfortables voire pénibles. Regard et maintien graves, propos et comportement courtois, exercices galants, et conversations en langues étrangères, tout ceci n’était pas difficile à appliquer, et là ni les moyens physiques ni les moyens intellectuelles ne manquaient et là encore la soumission à la discipline extérieure fut rapidement reconnue comme inévitable par une réflexion sensée. Dans l’empressement, de faire son devoir, qui est dans son sang, et de même dans son indifférence innée vis à vis des aises matérielles et de la jouissance, tout son temps fut consacré avec une admirable soumission, spontanée et sans réserve, avec la même facilité aux impératifs de l’école ou du régiment, et pareillement il acquit, les multiples habiletés de la représentation, souvent difficiles à apprendre.

3 Surnom désobligeant donné à la maison de Hanovre (à la façon du « Welche » réservé aux Français) dont le Kaiser descendait par sa mère, fille de la reine Victoria ; on se souvient que les Hanovre étaient montés sur le trône de Grande-Bretagne en 1714 avec Georges Ier.

4 « sehr mädchenhaften Knaben » dans le texte d’origine.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Sur cette photo prise bien après son accession au trône, on peut voir la différence de longueur des bras du Kaiser.

Mais plus toutes ces choses superficielles se laissaient traiter et réaliser avec le zèle nécessaire et plus il était difficile de saisir l’être intérieur et de pousser le développement de celui-ci dans une direction déterminée. Déjà à la discipline de la pensée résistait une nature roide à l’extrême. Le débordement du surplus d’imagination et d’émotions dès sa prime jeunesse, comme pour tous les enfants princiers, eut pour conséquence un éparpillement certain dans la pensée et une certaine insensibilité 5 dans ses sentiments. La lutte contre un tel manque de capacité de concentration aussi néfaste est dans l’éducation d’un prince la mission de loin la plus importante. Ce manque, dans une nature en soi si roide, était difficile à combler. Seule une sévérité extrême et le concours énergique de toutes les autorités concurrentes pouvaient vaincre la résistance, jusqu’à ce que la conscience éveillée assiste la volonté propre, avec laquelle chaque difficulté était bientôt surmontée.

5 « Blasierheit » dans le texte d’origine.

Même face à cette pression par moment puissante des forces morales qui avançaient méthodiquement, l’être intérieur du prince grandissant se défaussait toujours ; tout ceci aboutissait au développent selon une constante de sa nature, touchée par les influences extérieures, modifiée, dirigée, mais jamais essentiellement transformée ou repoussée.

De sa mère éminemment douée et active sur le plan artistique, il a un plaisir certain à l’exercice de ses talents hérités et s’enthousiasme pour toutes les créations de l’art, de son père bourgeoisement libéral il a un complet détachement face aux préjugés de caste et à la présomption liée à la position ; de son précepteur, raisonneur philosophique, il a reçu une certaine inclination à discuter et argumenter, mais l’influence de ces hautes autorités n’a pas été écrasante ; aucune n’a pu donner son empreinte à ce dur matériel. Ceci apparut par moments, l’on faisait alors comme si cela survenait à propos ; de là, différentes sortes d’illusions sont nées, dont la destruction tardive a provoqué ensuite d’amers sentiments de déception, lorsqu’il fut démontré que l’être essentiel était demeuré inchangé. Cette plante vigoureuse et particulière suça ce qui était utilisable pour son développement spécial de tout ce qui lui fut offert et l’assimila en vue d’une croissance joyeuse.

L’enseignement religieux lui fut exposé un long espace de temps par un ecclésiastique libéral et à la suite d’un soudain changement par un autre strictement orthodoxe. La crainte d’un égarement doctrinal n’entra pas du tout en ligne de compte ; la capacité particulière de cet esprit à ne pas dévier de son chemin, principalement à prendre ce qui lui convient, lui fit assembler, au moyen d’un labeur propre et pour son usage personnel, ses représentations religieuses, à partir du matériel offert. Heureusement pour lui et pour nous, que ceci était conforme à son être, et que ceci lui réussissait ! Il est de ce fait très propre à exercer la fonction de premier évêque de l’Eglise et pas du tout celle de chef de parti 6.

6 Nous avons déjà pu constater cette absence de dogmatisme dans notre billet 22 – Etats d’âme d’un pèlerin.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Le Kaiser en oraison pendant son voyage en terre sainte ; on notera le pope se tenant sur la droite du dessin.

Selon les conceptions des parents, la donnée suivante réglait l’éducation, par opposition à la tradition : il fallait procurer l’avantage, chez le prince grandissant, à l’intérêt pour la vie civile sur le militaire. Pour atteindre ce but, différents moyens furent utilisés et toutes les occasions offertes furent saisies ; la transplantation inhabituelle à Kassel du prince résultat en bonne partie de ce point de vue 7. Musées, usines, ateliers et mines furent visités et étudiés avec assiduité ; mais à côté de la sympathie intense pour la vie scolaire, la vie estudiantine et la vie du peuple, l’intérêt congénital pour la chose militaire grandit avec force, jusqu’à atteindre une large place dans ses rêves, sa pensée et sa conduite. Mais cependant ici encore de façon particulière. Bien que le Prince se sentît exceptionnellement bien au sein des cercles constitués par les officiers de Postdam, les idées de ces derniers ne le dominèrent en aucune façon. L’antipathie des mêmes à l’endroit d’une marine qui s’élevait avec peine afin d’avoir les mêmes droits que sa rivale, troubla si peu sa sympathie tôt née pour cette marine, que bien au contraire il entreprit de rallier ses camarades à ses conceptions par des interventions publiques sur la flotte. Avec un vif intérêt, souvent avec un grand enthousiasme il prit soin de participer à la vie et aux aspirations de ces cercles, au sein desquels et durant les différentes phases de son développement il fut plongé, dans le sentiment de la solidité de sa propre personnalité, et ceci loin de tout faux orgueil : mais jamais il ne s’y est perdu totalement, et toujours il a conservé et démontré son autonomie dans son ressenti et son jugement. De là beaucoup de déceptions ont trouvé leur cause, de nombreuses plaintes ont été prononcées sur l’insubordination, l’incertitude, l’ingratitude, voire le manque de cœur ou de piété. Les mêmes sont aussi injustes que compréhensibles.

7 De 1874 à 1877, le prince Guillaume avait suivi les cours du Gymnasium de Cassel.

Le malaise de la poule, qui couve un œuf de canne et qui voit son jeune nager, est sans doute proverbial et naturel, mais plaintes et reproches de cette dernière sur la dépravation du goût et l’absurdité du penchant auraient peu de succès. Le couple d’aigles n’est pas dans son droit, de blâmer l’aiglon, qui choisit son propre vol ; que  d’autres le gourmandent, est aussi peu souhaitable que probable.

Jamais âme humaine n’a été plus fortement saisie par les sentiments élevés de vénération, de respect et de reconnaissance, que celle de ce prince lorsqu’il fut plus mûr, exigeant une nourriture positive et politique, il s’approcha de son grand père, de son père et du puissant chancelier, et ceux-ci consentirent à l’initier à leurs idées et leurs plans, et même à l’employer dans leur réalisation 8. Aussi même une âme moins accessible à l’enthousiasme, à cause d’une fréquentation intime de ces trois grands prêtres de la sagesse pratique du monde, aurait dû être emportée et ensorcelée. Mais même dans cette épreuve du feu, il su conserver son être autonome ; celui-ci, n’a pas été pressé en une forme étrangère par ce poids puissant ; bien au contraire il s’est maintenu dans sa pensée propre, maintenant énergiquement éclairée et dans une volonté épurée. Attachement, respect et reconnaissance constituent les éléments les plus importants et les plus agissants de sa nature. Ils sont une condition préalable essentielle à son harmonie ; ils lui donnent avec la flamme vitale et la plénitude des forces avant tout son charme singulier. Sans son admiration pour sa mère 9, sa vénération sans borne pour son grand père et son père, son affection profonde pour son frère, son vif amour pour sa femme et ses enfants, son apparence globale, alors qu’il se tient face aux yeux du monde comme une figure humaine avenante, serait incompréhensible. Qui voudrait se laisser submerger sous les tentatives de calomnie, à la fois niaises et indignes, ne verrait qu’une caricature haïssable de sa véritable personnalité. Le parcours, parlant par métaphore, presque trop rapide du jeune prince bouillonnant de paroles et de démonstrations pour devenir un monarque posé, réservé, plein de dignité est l’action de profondes secousses, qui le firent souffrir dans sa vie affective durant ces effroyables dernières années, du fait du destin tragique et sans comparaison de sa famille. La douleur incommensurable, pour un grand père profondément pleuré, pour un père souffrant indiciblement et dignement, et pour les malheurs indescriptibles de sa mère 10, devait produire le déploiement de sa nature, et avoir pour base un sentiment noble et chaleureux dans sa pensée comme dans sa volonté. Elle est donc caractéristiquement à la fois absurde et méchante la construction du mythe qui fixe à cette période de décantation et de construction, les pensées les plus mauvaises et les plans les plus noirs, à charge d’une personne indignement méconnue. A la vérité, celui qui cherche sa voie en toute indépendance est entrepris par les critiques venant de toutes parts ; elle a dans ce cas pris de multiples formes allant des sévère plaintes et reproches de ses propres parents aux calomnies les plus niaises des feuilles étrangères. Il est aussi entrepris du fait que ses déclarations les plus simples et ses pas les plus ingénus furent mal interprétés et exploités par les partis, alors que justement les tentatives et les intérêts des partis heurtent sa nature et doivent l’heurter. Cette dernière conformément au sens propre du mot est « souveraine », en effet l’essence de la souveraineté réside dans l’indépendance vis à vis de toute puissance étrangère et dans l’empire sur soi-même. Chez lui, ces deux sentiments se sont montrés prédominants non seulement négativement dans la défense vis à vis toute force étrangère sur sa propre nature, mais aussi positivement dans l’épanouissement de sa propre individualité et la structuration de sa propre vie.

8 Si le prince Guillaume fut très proche de son grand-père et du chancelier Bismarck (du moins jusqu’en 1888 pour ce dernier), on ne peut en dire autant de ses rapports avec ses parents ; à preuve l’opposition de ceux-ci lorsque Bismarck voulut faire suivre par le jeune prince un stage au ministère des affaires étrangères à  l’automne 1886 ou lorsqu’il fut question de lui faire remplacer son père malade à l’entrevue de Gastein ou au jubilée de la reine Victoria.

9 Ne partageant pas les opinions politiques de sa mère, les rapports du prince Guillaume avec elle se tendirent au fur et à mesure de l’émancipation du prince, sans que ce dernier ne cesse de lui manifester une affection parfois ponctuée d’accès d’autorité.

10 Outre la longue maladie qui finit par emporter son époux, on peut ajouter la mort en bas âge de ses fils Sigismond et Waldemar, la porphyrie de sa fille Charlotte ainsi que les nombreuses avanies et vexations endurées par celle qui était restée « l’Anglaise » pour la cour de Berlin.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Le prince Guillaume et son bien aimé grand-père.

Une blessure à la naissance, laquelle eu pour conséquence une incurable faiblesse du bras gauche, constitua un obstacle particulier à son développement physique et psychique, art médical et soins ne furent pas capables de l’éliminer, alors que l’enfant avec une énergie inhabituelle de volonté s’y employait. Il s’agissait de surmonter Le sentiment naturel d’une gêne corporelle et inévitablement liée à cela, la timidité. Ce fut pour lui une performance morale éminente que de devenir un tireur excellent, un nageur et un cavalier, et un homme audacieux et intrépide. Cet homme maintenant dans le cas qui n’est pas improbable d’un attentat, peut nourrir le souhait d’avoir encore assez de force pour se saisir du meurtrier et le châtier. Jamais n’est entré dans l’armée prussienne un jeune homme, qui physiquement apparaissait aussi peu apte a devenir un officier de cavalerie brillant et énergique que le prince Guillaume. Lorsque son régiment de hussards 11 fut présenté à son grand père à la critique tranchante, et lorsque son redoutable oncle 12 nota qu’il faisait autorité dans le domaine de la cavalerie, il récolta des félicitations qui sonnaient comme une excuse : « Tu as bien fait cela ! Je n’aurais jamais cru cela ! » 13. Il avait acquis, par un travail sur lui même honnête et dépassant la commune mesure, le droit à une position dominante qui dépassait son âge ; ainsi se dominer soi-même, s’élever soi-même se comprirent comme transformer une faiblesse naturelle en une source de force et d’énergie. Le peu de personnes, qui jadis put mesurer l’importance de la performance, de cette victoire de la force morale sur la faiblesse physique, s’est senti justifié depuis cette époque à mettre sur cette personnalité de fiers espoirs.

11 Dans le cadre de sa formation militaire, le prince Guillaume avait été nommé colonel commandant le régiment des hussards de la Garde.

12 Le prince Frédéric-Charles de Prusse (1828-1885), petit fils du roi Frédéric-Guillaume III, était alors inspecteur général de la cavalerie.

13 Le docteur Hinzpeter exagère peut-être la qualité de ce compliment plutôt ambiguë…

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Vignette 3/12 de la série de propagande Unser Kaiser parue en 1913, montrant le prince Guillaume en colonel des hussards de la Garde en 1885.

De façon analogue, il est caractéristique de son complet développement, qu’il chercha par dessus tout dans une imperturbable autonomie et une maîtrise de soi, à prendre ce qui se présenta d’heureux ou malheureux, de bon ou de mauvais, de beau et de haïssable, clarté, précision, mesure et équilibre, force et intelligence purent croître en lui et commander. La vue du Kulturkampf avec ses suites lamentable renforça son sens naturel de justice et tolérance religieuse. Une perception personnelle et des plus exacte de l’existence dure et dénuée d’espoir de la population ouvrière, la comparaison, par la réflexion, avec sa perception de ses propres aisance et tranquillité matérielles, le surgissant intérêt pour les question sociales actuelles firent de la nécessité de réformes sociales, pour son sens très juste, un axiome incontestable et une de ses conceptions personnelles préférées. Un séjour en Grande Bretagne conforte sa conviction dans la grande valeur d’un pouvoir central fort et à renforcer, un autre voyage antérieur en Russie lui fait apprécier la gestion directe. Tous ses voyages en France comme en Italie améliorent sûrement son sentiment national allemand, lequel a toujours été en lui facilement excitable. Le plaisir joyeux de la poésie allemande de toutes les périodes, de Beowulf 14 jusqu’à Felix Dahn 15, soulevait son enthousiasme pour la vie et la sensibilité de toutes les époques, comme s’allumait à la réception méditative de l’histoire allemande son exaltation pour les faits et les héros allemands, de Charlemagne et de ses paladins jusqu’aux formes héroïques que sont ses propres père et grand père. Que les héros et triomphes prussiens éveillèrent à un niveau particulièrement élevé de passion et de fierté, n’est pas là pour étonner ; sa nature, qui doit être classée d’après ses forces et ses faiblesses dans une rubrique universelle, certainement devrait être décrite comme éminemment prussienne, d’autant plus que l’histoire de sa patrie prussienne est pour lui plus essentielle que l’histoire de sa famille. L’élan, que sa nature excitable reçoit grâce à une telle admiration, fut une nouvelle source de force et d’élévation. Le penchant à l’émulation se développa jusqu’au regret profondément ressenti, d’avoir vécu les derniers grands triomphes de la patrie comme enfant plein d’allégresse plutôt que comme homme agissant ; et jusqu’à l’aspiration si méchamment incomprise de la malveillance à avoir le droit de participer à d’aussi grands évènements. Que misérable serait une âme, qui ne ressentirait pas une telle aspiration et se plairait dans la jouissance de ce qui a été acquis par d’autres. Elle doit donc être ainsi remplie, comme elle est remplie de l’ambition, de se montrer digne des grands ancêtres par l’accomplissement d’ouvrages brillants dans la paix comme dans la guerre, comme cela est fixé par le destin. Si d’aventure l’influence incongrue de la fantaisie et la passion joue sur son action, son entendement supérieur y palliera supérieurement, ce dernier formant un ingrédient aussi important que les autres dans le mélange propre à son être. La colère et la haine aussi bien que l’amour et l’émerveillement réchaufferont toujours son âme en vue d’une avance énergique, et sans doute jamais ne l’échaufferont jusqu’à oser témérairement. L’intelligence et la justice ne sont pas pour lui des vertus simplement théoriques, mais au contraire correspondent à toute sa nature, et sont des qualités qui déterminent aspiration et action. Sa campagne connue contre la passion du jeu du jeune monde distingué 16, si antipathique à sa modération dans les plaisirs et si contraire à toute sa conception de la vie, passion qui devant ses yeux anéantit des existences en fleur et de ce fait déclencha une profonde indignation, put seulement être un succès, parce qu’elle fut conduite avec une sage mesure dans les limites correspondant à sa position, à l’époque, de commandant de régiment. Déjà cette intelligente limitation lui rapporta la revanche ressentie avec joie de l’approbation sans réserve d’un père pourtant si dur dans la critique.

14 Poème épique anglo-saxon composé dans le dernier quart du premier millénaire de notre ère.

15 Félix Ludwig Sophus Dahn (1834-1912) professeur de droit de formation, publia de nombreux ouvrages sur les mythes et l’histoire germanique.

16 Lorsqu’il prit le commandement du régiment des hussards de la Garde, le prince Guillaume s’engagea dans une lutte contre le jeu parmi ses officiers. A ce titre, il s’en prit avec détermination au Club de l’Union, cercle de jeu fréquenté par nombre de personnes influentes, ce qui lui valut bien des inimitiés.

Le combat contre la passion, qu’il a entrepris ici pour autrui, il l’a conduit avec une inflexible dureté en lui même et il a gardé la mesure comme un principe de vie. Même sa famille est pour lui l’indispensable base de sa vie : être ensemble avec femme et enfants est pour lui un besoin impérieux ; son affection éclaire sa vie, et ses soins pour eux réchauffent son cœur ; toutefois ses sentiments ne doivent pas dévorer sa force mais l’accroître. Seul un sentiment guide sa vie entière et ses efforts, domine toutes pensées et réflexions, agit irrésistiblement en vue de la tension de toutes les forces, et si nécessaire de la prise audacieuse d’un risque. C’est le sentiment du devoir, qui est le ressort le plus fort et le plus agissant chez tous les membres de sa race. Dans le membre dont nous parlons, ce sentiment est toujours devenu plus fort, et chaque fois que possible, ce sentiment a laissé apparaître le renoncement à toutes les prérogatives de la position et l’acquisition d’honneur et de position au moyen d’un effort propre comme allant de soi. Ce sentiment a cru naturellement d’une façon particulièrement forte et congruente à son être entier. Ce sentiment fait de lui le premier serviteur de l’Etat, comme il se présente lui même, posant le bien public au dessus des intérêts particuliers, notamment au dessus des intérêts personnels et pour le salut de la patrie aimée au dessus de tout 17, ses propres aises, son propre avantage, sa propre vie sont sacrifiés sans hésiter ou s’adaptent.

17 « Uber alles » dans le texte d’origine, comme dans la célèbre chanson allemande...

Il a aussi maintenant en lui, sans le vertige de la présomption et sans la faiblesse d’un simple sentiment de sécurité résultant d’une foi solide en soi et en son emploi royal, la force d’accéder au trône de ses ancêtres, cette élévation unique, où l’autonomie et l’empire sur soi sont des articles d’équipement des plus indispensables. Ceci lui fait saisir, sans hésitation de la main, les rênes du gouvernement et remplir sa charge sans être écrasé par cette responsabilité incommensurable. Il sait qu’il a été appelé à cette charge et qu’il doit maintenant s’en acquitter avec Celui, qui est sur et en lui. L’aide peut lui être apportée par la conviction que non seulement c’est le Ciel 18 qui l’a appelé à cette charge mais encore que pour lui sa protection est certaine.

A Lui, nous voulons le recommander.

18 On remarquera que le mot Dieu n’est jamais utilisé dans cette pieuse conclusion.

A la fin de cette lecture, nous avons un portrait psychologique et moral du Kaiser que confirme son comportement ultérieur. De ses principales caractéristiques – esprit doué, manque de concentration, résistance à toute influence extérieure, absence de dogmatisme religieux et sens du devoir – seul le dernier ira en s’estompant avec le temps comme l’illustrent les nombreux voyages impériaux.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Le Kaiser assistant aux obsèques du professeur Hinzpeter.

Je me dois ici de renouveler mes remerciements à Franck Sudon pour sa traduction ainsi que pour ses remarques sur le style d’Hinzpeter, fruits de son travail sur un texte imprimé en gothique comme il était d’usage à l’époque.

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