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17 août 2019 6 17 /08 /août /2019 20:35
146 - Rap pour un village mort

Ruines de l’église du village d’Ornes dans la Meuse (photographie tirée de la notice wikipédia consacrée à ce village).

Vu de mon ordinateur, le rap se limite à des éructations vulgaires véhiculant de navrantes apologies de la violence et du sexisme. Voilà pourquoi j’ai été fort surpris lorsqu’un lecteur de mon blog m’a fait écouter un morceau de rap dédié à un village mort pour la France, comme une sorte de tombeau musical.

Rappelons que lors du premier conflit mondial l’ampleur des dévastations fut telle que des nombreuses agglomérations furent purement et simplement rayées de la carte ; toutefois, seules neuf d’entre elles, toutes situées autour de Verdun, sont aujourd’hui honorées de la mention « mortes pour la France » : Beaumont-en-Verdunois, Bezonvaux, Cumières-le-Mort-Homme, Douaumont, Fleury-devant-Douaumont, Haumont-près-Samogneux, Louvemont-Côte-du-Poivre, Ornes et Vaux-devant-Damloup.

Ce morceau, intitulé Les mirabelles, a été écrit par MC Solaar (Claude Honoré M’Barali pour l’état civil) sur une musique d’Alain Etchart et appartient à l’album Géopoétique, sorti le 3 novembre 2017.

J’suis un village, comme quelques autres en France

Ma naissance se situe vers la renaissance

Moins d’une centaine quel que soit le recensement

Bien avant les pansements, je n’avais que des paysans

J’en ai vu lutiner, flâner ou glaner

Des pelletés de mirabelles vers la fin de l’été

Je crois que l’unique chose qui a changé ma vie

Fut l’arrivée des taxis

Ils sont pleins selon mes recoupements

Il y a des gueules cassées, pour les blessés prothèses et pansements

Face à face ils se font front dans les tranchées

Avant tout ce manège, j’étais un village enchanté

 

On ne me croit pas ça semble irréel

Avant tout ce manège j’étais un village enchanté

Les seuls témoins sont les mirabelles

Avant tout ce manège

 

Ils se sont préparés pour la bataille

Dans l’artère principale c’est la pagaille

Ils portent des uniformes bleus rouges voyants

Avec montre à gousset, couvre-chef flamboyant

La grosse bertha fait face au Crapouillot

Le flot de feu est continu, soutenu par les artiflots

Comme à Valmy nous répétait l’académie

Une bataille, des acclamations et c’est l’accalmie

Les murs ont des oreilles, c’est la fête au village

Le théâtre aux armées nous fait découvrir le jazz

Il y a des fanions, des litrons, du tapage

Et cette odeur maudite, le vent nous ramène les gaz

Il y a de la joie, des pleurs, des fleurs, la peur

Tout à l’heure on a fusillé un déserteur

Il avait ce poème dans sa vareuse Adieu, Meuse endormeuse

 

On ne me croit pas ça semble irréel

Avant tout ce manège j’étais un village enchanté

Les seuls témoins sont les mirabelles

Avant tout ce manège

 

Maintenant que la guerre est passée

Il n’y a plus de soldats terrés dans les tranchées

Les taxis de la Marne s’en sont retournés

Qui aurait pu penser que je les regretterais

En l’an quatorze ils étaient des milliers

Démobilisés je ne les ai pas oubliés

Je repense au boulanger, je sens le pain au millet

Des blessés, des macchabées mais là au moins je vivais

Ça fait plus de cent ans que je n’ai plus d’habitant

Quelques mots sur une plaque et puis des ossements

Je le dis franchement c’est pas lattent, j’attends

Le retour de la vie dans la paix ou le sang

Trop court était l’enlisement

Je n’ai plus aucun habitant

Les mirabelles sont en déshérances

Je suis un village mort... Pour la France

 

Allons enfants. On ne me croit pas, ça semble irréel

Allons enfants. Les seuls témoins sont les mirabelles

Allons enfants. Les seuls témoins

Allons enfants. Sont les mirabelles

Allons enfants. Allons enfants. Allons enfants

146 - Rap pour un village mort

L’auditeur attentif, ne maquera pas de remarquer deux citations discrètes d’écrivains mobilisés au cours du conflit et eux aussi morts pour la France.

 

Guillaume Apollinaire, tout d’abord, pour son poème Les saisons repris dans Calligramme :

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était militaire

As-tu connu Guy au galop

Du temps qu’il était artiflot 1

À la guerre.

1 Terme d’argot militaire du XIXe siècle désignant les artilleurs.

 

Charles Péguy, ensuite, pour son poème dédié à Jeanne d’Arc :

Adieu Meuse endormeuse et douce à mon enfance,

Qui demeure aux prés, où tu coules tout bas.

Meuse, adieu : j’ai déjà commencé ma partance

En des pays nouveaux, où tu ne coules pas.

 

Voici que je m’en vais vers des pays nouveaux ;

Je ferai la bataille et passerai les fleuves ;

Je m’en vais m’essayer à de nouveaux travaux,

Je m’en vais commencer là-bas des tâches neuves.

 

Et, pendant ce temps-là, Meuse ignorante et douce,

Tu couleras toujours, passante accoutumée,

Dans la vallée heureuse où l’herbe vive pousse,

O Meuse inépuisable et que j’avais aimée !

 

Tu couleras toujours dans l’heureuse vallée.

Où tu coulais hier, tu couleras demain.

Tu ne sauras jamais la bergère en allée

Qui s’amusait enfant, à creuser de sa main,

Des canaux dans la terre, à jamais écroulés.

 

La bergère s’en va, délaissant ses moutons ;

La fileuse s’en va, délaissant ses fuseaux.

Voici que je m’en vais loin de tes bonnes eaux,

Voici que je m’en vais loin de nos maisons.

146 - Rap pour un village mort

Timbres de 1950 à l’effigie de Charles Péguy.

Enfin, je laisse la parole à l’auteur de ce texte qui, invité sur TV5 Monde, se confie sur son dernier album. La partie plus particulièrement consacrée aux Mirabelles se situe entre 9’25’’ et 11’10’’.

Un grand merci à YG qui m’a fait découvrir ce morceau.

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