170 - Un anniversaire oublié

Il y a quelques semaines de cela, l’actuel président français commémorait le 150^e anniversaire de la proclamation de la république par quelques politiciens roués qui avaient profité d’une grave défaite militaire. A contrario, aujourd’hui personne en Allemagne ne fête le 150^e anniversaire de la proclamation de l’Empire allemand ¹, né de la victoire militaire et politique, dans la galerie des glaces du château de Versailles…

¹ Cette proclamation se déroula elle-même 170 ans jour pour jour après que le prince électeur Frédéric III de Brandebourg soit devenu roi en Prusse…

Pareil événement ne pouvait manquer d’impressionner le prince Guillaume, trop jeune du haut de ses 11 ans pour accompagner son père et son grand-père pendant la campagne contre la France. Aussi prit-il la plume (sans doute de l’extrême fin du mois de janvier 1871 ²) pour féliciter son aïeul ; on notera son acceptation de la version officielle des événements ayant conduits à la proclamation de l’empire ainsi que sa fierté d’appartenir à la famille du héros du jour toutes deux exprimées avec un juvénile enthousiasme…

² Du fait qu’il mentionne une lettre de son grand-père le félicitant pour son anniversaire.

Janvier 1871       

Mon cher grand-papa !

Tant de choses merveilleuses se son passées ces temps-ci et il est arrivé tant de grands événements que je crois devoir t’écrire une lettre, surtout pour te remercier d’avoir été si aimable de penser à moi et de me complimenter pour mon anniversaire. Je te complimente aussi du fond du cœur et avec vénération de ce que tu es devenu empereur d’Allemagne, et j’espère que tu revêtiras cette dignité encore pendant de longues années. J’ai tressailli de joie lorsque j’ai appris qu’il en était ainsi. On m’a raconté comment le roi de Bavière t’en avait fait la proposition ³, comment les autres princes avaient donné leur approbation et comment tu avais enfin accepté la couronne ⁴. Il semble que c’est maintenant un grand bonheur que tu sois devenu empereur d’Allemagne, car maintenant tous les petits princes allemands sont liés à un grand et puissant Etat. Maintenant l’époque sans empereur est enfin révolue et l’empire allemand est uni. – Tu peux facilement penser combien je me réjouis d’appartenir à une race qui s’est haussée à la tête de l’empire allemand, et combien je suis fier d’avoir un tel papa et un tel grand-papa.

³ En fait Louis II de Bavière ne prit pas l’initiative de cette lettre. Mais comme son royaume avait déjà été affaibli lors de la guerre de 1866 et que ses dépenses somptuaires le trouvaient aux abois, ses ministres accédèrent aux projets de Bismarck sur l’unité allemande et le roi céda en échange d’une grasse indemnité financière. C’est d’ailleurs le chancelier de fer qui écrivit le projet de cette lettre (baptisée Kaiserbrief par l’historiographie) que le souverain bavarois repris presque dans son intégralité. Pour manifester son mécontentement, il ne participa pas à la cérémonie du château de Versailles.

⁴ Le roi Guillaume était initialement réticent à accepter ce titre. En effet, l’idée d’unification nationale lui paraissait entachée de libéralisme et de progressisme et il craignait aussi de voir son royaume de Prusse se dissoudre dans le nouvel état.

Porte-toi bien, cher grand-papa, que la protection divine repose sur toi comme jusqu’à maintenant ; j’espère bientôt pouvoir te saluer ici, couronné de gloire ⁵, comme empereur allemand. ⁶

⁵ Expression reprise de l’hymne allemand (voir : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/article-25-heil-dir-im-siegerkranz-111987196.html).

⁶ Souvenirs de ma vie (Paris ; Payot, 1926) pp. 409-410.