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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 09:18

 

Il y a soixante et onze ans disparaissait le Kaiser. En ce jour de deuil, afin de ne pas sombrer dans une trop grande tristesse, je vous propose d’en rester à la simple nostalgie avec la plus célèbre photographie de l'Empereur, prise dans les temps heureux d’avant le désastreux été 1914.

 

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Ce cliché de famille a été pris à Cobourg (capitale du duché de Saxe-Cobourg-Gotha) le 19 avril 1894, à l’occasion des fiançailles du tsarévitch Nicolas (qui deviendra le tsar Nicolas II dès le 1er novembre suivant) avec la princesse Alice de Hesse. Il s’agit d’un de ces portraits de groupe typique, pris en extérieur pour bénéficier de la lumière naturelle ; chacun des participants prend la pose, installé sur un tapis et une peau d’ours sans doute sortis pour l’occasion de la pièce ornée de trophées de chasse que l’on aperçoit à l’arrière-plan.
Le souvenir de cette brillante journée resta suffisamment vivace dans l’esprit du Kaiser pour qu’il puisse écrire de Cobourg à Nicolas II deux ans plus tard (Correspondance entre Guillaume II et Nicolas II 1894-1914, Plon, 1924 ; pp. 27-28) :

Très cher Nikki,
Nous avons eu ici un mariage très joyeux 1 et les figures de beaucoup de mes hôtes me reportaient à deux ans en arrière, lorsque j’eus le bonheur de t’aider à devenir le maître de cet ange véritable et charmant, ta femme. D’autres se sont souvenus aussi du mois d’avril 1894 ; aussi avons-nous voulu t’envoyer une dépêche. J’ose penser que je ne t’ai rien dit ni prononcé alors dont tu n’aies fait ensuite l’expérience dans ta vie conjugale. Que la bénédiction divine soit sur vous deux, surtout le mois prochain quand tu seras couronné à la face du monde enthousiasmé 2.

1 Le 20 avril 1896, la princesse Alexandra de Saxe-Coburg-Gotha (1878-1942), fille du duc Alfred Ier, avait épousé le prince Charles-Ernest de Hohenlohe-Langenburg (1863-1950).
2 Nicolas II devait être couronné à Moscou le 26 mai 1896.

 

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Couverture de l’Almanach de Gotha de 1900 et pages consacrées à la maison de Saxe-Cobourg-Gotha.

 

Comme toutes les photographies de mariage, celle-ci nécessite de présenter les invités en précisant les liens qui les unissent.

   A) Agenouillées sur le tapis au premier rang

 1) la princesse Béatrice de Saxe-Cobourg-Gotha (1884-1966), fille du duc Alfred Ier *

   * Le duc est présenté le dernier de cette liste. 

2) la princesse Theodora de Meiningen (1879-1945), fille du duc Bernard III de Saxe-Meiningen et de la princesse Charlotte de Prusse, sœur du Kaiser

  B) Assis au second rang

3) l’empereur Guillaume II (1859-1941)

4) la reine Victoria du Royaume-Uni (1819-1901)

5) l’impératrice Frédéric (1840-1901), née Victoria du Royaume-Uni, fille aînée de la reine Victoria et mère du Kaiser

   C) Debout au troisième rang

6) le tsarévitch Nicolas (1868-1918)

7) la princesse Alix de Hesse (1872-1918), fille du grand-duc Louis IV de Hesse et de la princesse Alice du Royaume-Uni, seconde fille de la reine Victoria

8) la princesse Louis de Battenberg, née Victoria de Hesse (1863-1950), sœur de la fiancée

9) la princesse Henri de Prusse, née Irène de Hesse (1866-1953), sœur de la fiancée et belle-soeur du Kaiser

10) la grande-duchesse Wladimir de Russie, née Marie de Mecklembourg-Schwerin (1854-1920)

11) la duchesse Marie de Saxe-Cobourg-Gotha (1875-1938), fille du duc Alfred Ier, qui avait épousé en 1893 Ferdinand de Hohenzollern-Sigmaringen prince héritier de Roumanie

D) Debout au quatrième rang

12) le prince héritier Alfred de Saxe-Cobourg-Gotha (1874-1899), fils du duc Alfred Ier

13) la princesse Henri de Battenberg, née Béatrice du Royaume-Uni (1857-1944), fille cadette de la reine Victoria

14) la princesse Alexandra de Saxe-Cobourg (1878-1942), fille du duc Alfred Ier

15) la princesse héritière Charlotte de Meiningen, née princesse de Prusse (1860-1919), fille de l’empereur Frédéric III et sœur du Kaiser, qui avait épousé en 1878 le duc Bernard III de Saxe-Meiningen

16) la duchesse de Connaught, née princesse Louise-Margarete de Prusse (1860-1917)

17) le duc Arthur de Connaught (1850-1942), 3e fils de la reine Victoria

E) Debout au cinquième rang

18) le prince de Galles, futur Edouard VII (1841-1910)

19) le prince Henri de Battenberg (1858-1896)

20) la princesse Philippe de Saxe-Cobourg-Gotha, née Marie de Hohenzollern-Sigmaringen (1845-1912), avait épousé en 1862 le prince Philippe de Saxe-Cobourg-Gotha

21) le grand-duc Serge Alexandrovitch de Russie (1857-1905), oncle du fiancé

22) le prince héritier de Roumanie (1865-1927), futur Ferdinand Ier

23) le grand-duc Wladimir Alexandrovitch de Russie (1847-1909), oncle du fiancé

F) Debout au dernier rang

24) le prince Louis de Battenberg (1858-1896)

25) le grand-duc Paul Alexandrovitch de Russie (1860-1919), oncle du fiancé

26) le prince Philippe de Saxe-Cobourg- Gotha (1837-1905), fils du roi Léopold Ier de Belgique et frère du roi Léopold II

27) le comte Albert de Mensdorff-Pouilly, attaché d’ambassade autrichien à Londres – du fait du mariage morganatique de son parent le comte Emmanuel de Mensdorff-Pouilly (1777-1852) avec la princesse Sophie de Saxe-Cobourg-Saalfeld (1777-1835), tante de la reine Victoria, c’était un ami de la famille royale anglaise

28) la princesse héritière de Roumanie, né Marie de Saxe-Cobourg-Gotha (1875-1938), fille du duc Alfred Ier

29) la grande-duchesse Serge de Russie, née Elisabeth de Hesse (1864-1918), sœur aînée de la fiancée

30) le duc Alfred Ierde Saxe-Cobourg-Gotha (1844-1900), second fils de la reine Victoria, dont on remarquera la ressemblance avec son frère le prince de Galles 3

3 En 1893, le duc Ernest II de Saxe-Cobourg-Gotha mourut sans héritier. Son trône aurait dû revenir au Prince de Galles, fils de son frère cadet le prince Albert. Le futur Edouard VII ne tenant pas à monter sur ce trône étranger, laissa sa place à son frère.

 

Sur cette photographie où la hiérarchie est respectée avec des chaises pour les seuls personnages impériaux (la reine Victoria impératrice des Indes, l’impératrice douairière d’Allemagne, le Kaiser), presque tous les invités en tenue militaire portent l’uniforme allemand même lorsqu’ils sont étrangers (prince de Galles, prince héritier de Roumanie, duc de Connaught) ; seul le prince Henri de Battenberg fait exception à cette règle avec sa tenue de service anglaise. Hors les trois principaux souverains, les participants sont mêlés même s’ils peuvent aisément être séparés en deux groupes principaux :

– les rares parents du fiancé (grand-duc Wladimir et son épouse, grand-duc Serge et son épouse et grand-duc Paul) ;
– les nombreux parents de la fiancée, groupés autour de la matriarche Victoria, veuve du prince consort Albert de Saxe-Cobourg-Gotha.

   478px-Wappen Sachsen Coburg Gotha
Grandes armes des ducs de Saxe-Cobourg-Gotha ; gravure de Hugo Gerhard Ströhl (1851-1919).

 

Ce grand nombre de parents de la fiancée et la diversité de leurs origines (Allemagne, Grande-Bretagne, Roumanie) illustrent à merveille la « colonisation » au XIXe siècle des trônes européens par des petits princes allemands.
La famille la plus active en ce domaine fut la maison de Saxe-Cobourg-Gotha avec :

- Léopold (1790-1865), proclamé roi des Belges en 1831 et aïeul des actuels souverains belges ;
- Albert (1819-1861) qui épousa en 1840 la reine Victoria 4 ; de ce mariage sont issus les actuels souverains britanniques 5 ainsi que les membres de la famille impériale allemande grâce au mariage en 1858 de la fille aîné du couple, la princesse Victoria Adélaïde Marie Louise (1840-1901), avec le kronprinz Frédéric de Prusse, futur empereur allemand et père de Guillaume II ;

4 Le dernier souverain anglais issu d’une famille britannique est la reine Anne Stuart (1665-1714), fille de Jacques II. A sa mort, Georges Ier (1660-1727), prince électeur de Hanovre, lui succéda.
5 Depuis Edouard VII jusqu’à sa gracieuse majesté la reine Elisabeth II, la dynastie britannique est donc celle des Saxe-Cobourg-Gotha, même si le 17 juillet 1917 elle troqua son nom trop allemand contre celui plus insulaire de Windsor.

- Ferdinand (1861-1948), prince puis roi de Bulgarie, dont l’actuel descendant, Siméon (éphémère roi de Bulgarie de 1943 à 1946), est retourné dans son pays après la chute du rideau de fer pour s’y faire élire premier ministre.
 

De même pour les Hohenzollern Sigmaringen, branche cadette de la maison des Rois de Prusse et Empereurs allemands avec :

- Charles (1839-1914), prince puis roi de Roumanie.

Enfin, même une branche morganatique de la maison de Hesse comme les Battenberg réussit à se glisser dans l’ombre des souverains britanniques en mariant l’un de ses membres à la fille cadette de la reine Victoria et un autre à l’une de ses petites-filles. Tout comme ses royaux cousins de Buckingham, la famille Battenberg prit le nom de Montbatten (traduction littérale en anglais de son nom allemand) en 1917 ; le prince Louis abandonna même ses titres allemands pour devenir marquis de Milford-Haven.

Suivant le même chemin, la famille de Teck (branche morganatique de la maison de Wurtemberg) mariera à son tour l’une de ses filles au futur roi Georges V du Royaume-Uni.

 

Ces liens entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne du nord remontaient aux débuts de la Réforme, lorsque les princes ayant adhéré aux nouvelles croyances s’allièrent face au Saint-Empire catholique. L’avènement de Georges Ier de Hanovre comme roi d’Angleterre en 1714 en vertu de l’Act of Settlement de 1701 qui interdisait le retour d’un roi catholique, illustre bien cette situation.
Accessoirement, ce rassemblement du « Gotha » montre la consanguinité entre les familles régnante de Grande-Bretagne, d’Allemagne, de Russie et d’Europe, en soulignant toute l’absurdité du premier conflit mondial. Il rappelle aussi, en filigrane, l’hémophilie que la reine Victoria transmit aux familles royales d’Espagne, de Hesse et de Russie…
Dans cette rencontre entre cousins, ultime rassemblement des vainqueurs de Napoléon, seuls manquent les Habsbourgs d’Autriche, dont le strict attachement au catholicisme empêchait toute union avec un conjoint qui n’aurait pas professé leur religion et qui refusaient la conversion de ses filles pour aller épouser des princes étrangers ; malgré tout, la présence du comte Albert de Mensdorff-Pouilly est là pour rappeler cette ancienne union des tenants de la Sainte Alliance.

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Le Kaiser dans sa jeunesse, lors d’un voyage en Ecosse chez sa grand-mère la reine Victoria.

 

 

 

Cet article paraît pour le premier anniversaire de ce blog. Puissent tous ceux qui viennent le consulter – et parfois même y déposer des commentaires – recevoir l’expression de mes remerciements amicaux.

 

 

 

 

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