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1 avril 2013 1 01 /04 /avril /2013 09:44

 

Pierre Drieu La Rochelle a écrit : « L’extrême civilisation engendre l’extrême barbarie. » A défaut de l’engendrer, il lui arrive parfois de l’attirer… Ainsi en fut-il dans la bonne ville de Vienne en janvier 1913 : deux des plus grands monstres du siècle étaient en effet venus s’installer dans cette capitale de la culture européenne.

 

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Vue aérienne de Vienne au début du XXsiècle ; au premier plan on reconnait le château du Belvédère avec ses jardins.

 

Le premier arrivé, originaire de Haute-Autriche, était venu à Vienne à la fin de l’été 1907, dans l’espoir d’être admis à l’Académie des Beaux-Arts. Recalé à deux reprises, il resta pourtant dans la capitale impériale, d’abord comme colocataire d’August Kubizek (1888-1956) 1 sur la Stumpergasse, puis seul dans trois appartements successifs et enfin dans des refuges pour sans-abris 2.

1 Natif de Linz, dont il avait fréquenté la Realschule en même temps que le premier de nos monstres, il se lança dans une carrière de chef d’orchestre ; il a laissé en 1953 des mémoires intitulées : Adolf Hitler, mein Jüngendfreund (réédité en anglais en 2011 sous le titre The young Hitler I knew par Arcade Publishing).

2 Informations trouvées sur : http://www.hitlerpages.com/pagina26a.html.

 

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Le jeune Hitler croqué par un de ses camarades vers 1906, à la fin de ses études à Linz ; portrait publié dans le n° 310 (septembre 1972) de la revue Historia.

 

Le second arrivé, géorgien et ex-séminariste orthodoxe venant de Cracovie où il avait un temps été hébergé par le couple Oulianov, résidait chez les Troïanovski 3 (30 Schönbrunnerschloss Strasse 4) où il réfléchissait à la question nationale dans le but de publier un opuscule expliquant la position du mouvement bolchevik à ce sujet 5. Il ne passera à Vienne que le seul mois de janvier 1913 avant de retourner chez les Oulianov.

3 Alexandre Troïanovski (1882-1955), ancien officier de l’armée du tsar rallié au marxisme à la suite de la désastreuse guerre russo-japonaise ; Staline en fera plus tard un ambassadeur aux Etats-Unis.

4 Une plaque y a été apposée lors de l’occupation soviétique de l’Autriche ; elle s’y trouve malheureusement toujours.

5 Sans surprise, il sera intitulé : Le marxisme et la question nationale.

 

x

Le jeune Joseph Vissarionovith Djougachvili (si, au lieu d’embrasser une carrière de tyran particulièrement sanguinaire, le jeune Joseph Vissarionovith Djougachvili avait voulu se contenter de la modeste profession d’orthophoniste son seul nom lui aurait certainement valu beaucoup de succès…)

 

Cet assez peu joli monde avait adopté l’habitude très viennoise d’aller se promener à Schönbrunn, dont les jardins étaient ouverts au public (à l’exception de la petite partie réservée à la famille impériale). Naturellement, chacun de nos monstres avait sa façon propre de s’y comporter.

 

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Vue du château de Schönbrunn et de la Gloriette qui le domine.

 

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Une des portes du parc, gardée par des policiers peu regardant sur la qualité des visiteurs…

 

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Au bout du grand parterre, la fontaine de Neptune dominée par la Gloriette.

 

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Le bassin des étoiles à côté du grand parterre.

 

Si l’on en croit son colocataire Kubizek, le premier cherchait avant tout la solitude dans ces jardins pourtant si fréquentés :

Quand j’ouvrai impatiemment mon piano, il attrapait rapidement ses dessins pour les ranger dans une armoire, s’emparait d’un livre et allait à Schönbrunn. Il avait trouvé là-bas un banc tranquille entre les pelouses et les arbres où personne ne venait le déranger. Quelque progrès qu’il ait fait grâce à ses études de plein air, il l’a fait sur ce siège 6.

6 The young Hitler I knew p. 157.

Il ne manifesta jamais l’envie de côtoyer des gens qui partageaient ses propres intérêts professionnels, ou de parler avec eux de leurs problèmes communs. Plutôt que de rencontrer des gens compétents, il s’asseyait seul sur son banc du parc de Schönbrunn, à proximité de la Gloriette, tenant avec lui-même des dialogues imaginaires sur les sujets qu’il lisait dans ses livres 7.

7 The young Hitler I knew p. 177.

 

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Une allée solitaire près de la Gloriette.

 

Le deuxième monstre, qui résidait à un jet de knout du château de Schönbrunn, se promena souvent dans les jardins pendant son bref séjour Viennois et Simon Sebag Montefiore rapporte à ce propos une anecdote qui révèle le caractère manipulateur de ce triste individu avec la jeune Galina Troïanovska :

Au parc de Schönbrunn, Staline acheta des bonbons à l’enfant. Un jour, il paria à sa mère que si tous deux appelaient Galina, celle-ci courrait vers lui pour avoir des confiseries. Ils mirent sa théorie à l’épreuve : Galina courut vers Sosso 8, confirmant ainsi sa version cynique de la nature humaine 9.

8 Diminutif du prénom Joseph.

9 Le jeune Staline (Calmann-Lévy, Paris ; 2008) p. 324.

 

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Vue d’artiste du parc sous la neige, comme cela devait être le cas en janvier 1913.

 

Rien ne prouve que nos deux monstres se soient jamais rencontrés au cours de leurs promenades. Mais si tel avait été le cas que se serait-il passé ? Se seraient-ils croisés sans faire attention à l’autre ? Se seraient-ils immédiatement jetés à la gorge de l’autre pour rester le plus infâme parmi les visiteurs du jour ? Ou se seraient-ils reconnus entre crapules pour préparer quelque mauvais coup contre un troisième larron ? Laissons la liberté au lecteur de choisir la réponse qui l’inspire le plus…

 

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Poupées gigognes contemporaines (n’étant pas à l’échelle, leur différence de taille ne préjuge en aucun cas d’une plus grande monstruosité chez l’un que chez l’autre).

 

Pour être tout à fait complet, il convient de se souvenir qu’un troisième monstre vivait aussi à Vienne à la même époque : fuyant la répression en Russie après la révolution de 1905 il s’y était en effet installé et y avait créé la Pravda. Pour les éventuels révisionnistes qui seraient choqués par ce qualificatif de « monstre », rappelons qu’après son retour en Russie, à la suite de bien des errances, il introduisit au cours de la guerre civile l’usage des camps de concentration pour opposants et laissa l’armée rouge fusiller en masse dans les régions « libérées » afin de terrifier ses adversaire ; Boris Souvarine 10, qui pourtant partagea un temps ses idées, écrivit d’ailleurs de lui : « Trotski était persuadé que toute difficulté, toute résistance pouvaient être surmontées par ce seul mot : « Fusillez ! »  11. Le fait qu’il ait fini assassiné ne doit donc pas faire oublier le criminel qu’il fut et qu’il aurait sans doute continué d’être s’il n’avait pas été mis sur la touche par aussi ignoble (mais par bien plus habile) que lui 12.

10 Boris Lifschitz, allias Boris Souvarine (1895-1984), fut un militant et un dirigeant communiste jusque dans les années 30, avant de devenir un critique puis un adversaire du marxisme.

11 Sur Lénine, Trotski et Staline (Paris, Allia ; 1990) p. 55.

12 Je suis vraiment désolé, chère Dominique R… de devoir vous enlever vos illusions…

 

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Marionnette contemporaine sensée ressembler à Lev Davidovitch Bronstein ; à ce compte-là, n’importe quel barbichu à petites lunettes, même sans coups de pic à glace, peut se faire passer pour lui...

 

Pour finir, après ce pesant rappel de spectres maudits, revenons à deux vues du parc de Schönbrunn évoquant le souvenir d’ombres bien plus aimables.

 

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Photomontage avec Sa Majesté l’empereur François-Joseph (1830-1916) devant la fontaine de Neptune.

 

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Vision d’artiste de Sa Majesté l’empereur Otto Ier (1912-2011) face au grand parterre…

 

 


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commentaires

H
<br /> Alors là, bravo. Effectivement, après recherche, Staline a effectivement séjourné quelque temps à Vienne. Cela me chagrine de le reconnaître, mais vous n'aviez pas tort. Quant aux e-cailloux que<br /> vous me jetez, j'en pave mon indifférence.<br /> <br /> <br /> Je vous méprise.<br /> <br /> <br /> Hilarion L.<br />
Répondre
H
<br /> Trotsky d'accord... Mais Staline... Quand même... J'ai cherché s'il existait une Vienne quelque part en Sibérie où il était à l'époque en vacances aux frais (notez le jeu de mots d'une rare<br /> qualité) de l'Etat russe, mais je n'en ai pas trouvé. J'ignorais que vous faisiez dans l'aphrochondrichisme. Si je me trompe, je vous autorise à me lapider verbalement.<br /> <br /> <br /> Votre dévoué mais néanmoins vigilant,<br /> <br /> <br /> Hilarion L.<br />
Répondre
P
<br /> <br /> Cher Hilarion,<br /> <br /> <br /> Je vois que vous avez bien noté la date de publication de cet article; toutefois, il est garanti sans poisson (ni cheval, d'ailleurs). A défaut de l'achat du livre de Montefiore, une rapide<br /> recherche sur internet vous permettra de vous en assurer et même de trouver assez facilement une photographie de la plaque qui est restée dans la Schönbrunnersschloss Strasse. Recevez donc<br /> par la présente une volée de e-cailloux pointus.<br /> <br /> <br /> Pour ce qui est de l'existence d'une localité de Vienne en Sibérie, je n'en connais pas, hormis Vienne-le-Dégel...<br /> <br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />

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