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20 mai 2013 1 20 /05 /mai /2013 07:36
 
 
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Le 6 mai 1910, dans la 10année de son règne et la 69de son âge, disparaissait le roi Edouard VII d’Angleterre, oncle de l’empereur Guillaume II ; des funérailles d’état grandioses furent préparées pour le 20 mai suivant. Un tel événement qui avait attiré à Londres pléthore de têtes couronnées et d'officiels étrangers ne pouvait manquer d’être relaté par la presse ; nombre de journaux n’hésitèrent d’ailleurs pas à lui consacrer des numéros spéciaux bien évidemment destinés à satisfaire la curiosité du public et non à profiter de la circonstance pour rehausser leurs chiffres de tirage…

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La une du supplément littéraire illustré du Petit Parisien en date du dimanche 29 mai 1910.
 
Parmi toutes les publications françaises qui commémorèrent le décès du populaire souverain qui fut à l’origine de l’Entente cordiale, il en est une qui attire l’attention par sa nature : il s’agit d’un petit album photographique, édité à l’initiative du Bon Marché. Il se présente sous la forme d’un cahier de 4 feuillets de papier glacé sur lesquels les photographies sont imprimées au recto comme au verseau, protégé par une couverture en carton de couleur violette (il s’agissait de la couleur de deuil pour les tissus ayant servi à décorer les bâtiments sur le passage du cortège funèbre) ; le tout, plié en deux, a été assemblé à l’aide d’une seule agrafe afin de présenter l’aspect d’une brochure de 190 mm sur 134 mm de format à l’italienne. Afin que nul ne puisse ignorer qui avait lancé l’édition de cet opuscule, chacune des photographies est surmontée de l’inscription « AU BON MARCHE ». Aucune des photographie n'est originale: elle sont toutes reprises de clichés déjà parus dans la presse.
 
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  Page de couverture de l’album avec sa frise art nouveau. 
 

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Revers de la page de couverture ; on ne saurait faire plus simple. 
 
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Portait du défunt roi en uniforme d’amiral, en dépit du caractère rien moins que militaire d’Edouard VII. On remarquera le sourire discrètement ironique du souverain. 
 
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Le cercueil, recouvert du drapeau royal sur lequel ont été posés la couronne et le globe, sur son catafalque au palais de Buckingham. Il est gardé par des soldats de la maison militaire dans la position de deuil traditionnelle. 
 
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Afin de permettre à ses loyaux sujets de lui rendre un dernier hommage, la dépouille d’Edouard VII est transférée le 17 mai au palais de Westminster pour y être exposée trois jours. Derrière la prolonge d’artillerie qui transporte le cercueil, on distingue trois cavaliers de la maison militaire portant le drapeau royal voilé de crêpe ; derrière encore se tient le roi George V entouré de ses fils le prince de Galles (futur Edouard VIII) et le duc d’York (futur George VI), tous deux dans l’uniforme du Royal Naval College d’Osborne où ils étaient élèves depuis l’année précédente. 
 
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Le cercueil sur son catafalque dans le Westminster Hall, la partie la plus ancienne du palais de Westminster (élevée en 1097, elle avait eu la chance d’échapper à l’incendie du 16 octobre 1834 qui détruisit presque entièrement le vieux palais de Westminster). En plus des cavaliers et des grenadiers de la maison militaire, on voit au premier plan l’un des Yeomen Warders (appelés aussi familièrement Beefeaters) gardiens de la Tour de Londres. 
 
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La longue file d’attente pour entrer dans le Westminster Hall qui impressionna tant le Kaiser. On notera la patience et la dignité de cette foule allant rendre ses derniers devoirs à son défunt souverain.
 
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Le 20 mai, la cérémonie devait commencer à 9 heures. La famille royale et les officiels, rassemblés devant le palais de Westminster devaient rejoindre en procession la gare de Paddington, en passant notamment par Whitehall, Pall Mall et Saint-James Street. Vers midi, un train spécial quittait Paddington pour rallier Windsor où le corps du roi Edouard VII allait reposer dans la chapelle Saint-Georges.
 
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Le cortège funèbre quittant le palais de Westminster. De chaque côté de l’avenue, des marins (en chapeau de paille et non en bâchi) rendent les honneurs. Cette photographie a sans doute été prise des fenêtres d'un l’immeuble situé au coin de Whitehall et de Bridge Street ; on distingue en haut à gauche le socle de la statue du régicide Cromwell devant Westminster Hall et en haut à droite l’église Sainte-Marguerite, devant laquelle se trouve Parliament Square avec sa pelouse et ses statues.
 
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A cheval, de gauche à droite, l’empereur Guillaume II, le roi George V et le duc de Connaught (frère cadet du roi Edouard) suivent le cercueil, tous trois en grand uniforme de feld-maréchal avec le grand cordon de l’Ordre de la Jarretière. Derrière eux, deux officiers anglais suivis par les sept autres souverains qui assistèrent à ces funérailles. Du fait de sa proche parenté avec le défunt, ainsi que de sa prééminence par rapport à ses sept « collègues », le Kaiser chevauchait aux côtés de son cousin George V.
 
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Le groupe équestre des souverains à la sortie du palais de Westminster qui permet de mieux comprendre le surnom « d’oncle de l’Europe » donné au défunt. En première ligne, de la gauche vers la droite, le Kaiser, le roi George V et le duc de Connaught ; aux deuxième et troisième rangs, des officiers anglais ; au quatrième rang le roi Alphonse XIII d’Espagne (neveu par alliance du défunt), le roi Georges Ier de Grèce (beau-frère) et le roi Haakon VII de Norvège (gendre et neveu par alliance) ; au cinquième rang le roi Manuel II du Portugal (cousin), le roi Frédéric VIII de Danemark (beau-frère) et le roi Ferdinand Ier de Bulgarie (cousin) ; au milieu du sixième rang, portant un bicorne, le roi des Belges Albert Ier (cousin). Derrière eux se trouvent les archiducs, grands-ducs et princes venus assister à la cérémonie.
 
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L’impératrice douairière de Russie Maria Feodorovna, veuve du tsar Alexandre III, née princesse Marie Sophie Frédérique Dagmar de Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glucksbourg, était la sœur cadette de la reine Alexandra ; cette parenté se manifestait clairement dans la ressemblance de leurs enfants le roi George V et le tsar Nicolas II. Même après avoir épousé des souverains étrangers, ces deux princesses danoises n’avaient pas pardonné à la Prusse et à sa famille royale la malheureuse guerre de 1864 qui avait arraché à leur pays d’origine les 2/5e de son territoire.
 
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Les voitures des membres de la famille royale sortant du palais de Westminster. Cette photographie a été prise du même endroit que celles qui précèdent représentant le départ du cortège ou les souverains étrangers. On aperçoit à l’arrière de l’avenue (entre le socle de la statue de Cromwell et l’église Sainte-Marguerite) les troupes qui se préparent à suivre le convoi funèbre.
 
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Dans le cortège funèbre, après les souverains, les représentants de familles royales (parmi lesquels se trouvaient l’archiduc François-Ferdinand, kronprinz d’Autriche-Hongrie, le grand-duc Michel Alexandrovitch, frère du tsar, et Henri de Mecklembourg-Schwerin, prince consort des Pays-Bas), les ministres et dignitaires étrangers (dont Théodore Roosevelt, ex-président des Etats-Unis et Stéphen Pichon ministre français des affaires étrangères et ancien ministre plénipotentiaire à Pékin lors du siège des légations par les boxers) et les ambassadeurs venaient les attachés militaires en poste au Royaume-Uni. N’ayant sans doute pas trouvé de photographie de ceux-ci à son goût lors de la procession dans Londres, l’éditeur en a inséré une prise dans l’après-midi sous les murailles du château de Windsor. Le troisième à droite de la première ligne des attachés militaires, coiffé d’un képi à plumes, on voit le colonel Victor Huguet en poste à l’ambassade de France.
 
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Le cercueil traversant Whitehall, la grande rue au long de laquelle s’alignent nombre de ministères et où débouche Downing Street. On remarquera les barrières et estrades en bois installées de chaque côté de la rue afin d’accueillir et de contenir le public venu se recueillir au passage du cortège funèbre.
 
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Le cortège funèbre longeant Hyde Park. Du fait du coude dans le trajet, on peut voir l’ordonnance du début du convoi : le cercueil sur sa prolonge d’artillerie avec sa garde ; sans cavalier, le cheval préféré du roi Edouard dont les bottes ont été chaussées à l’envers dans les étriers en signe de deuil ; Guillaume II, George V et le duc de Connaught ; les souverains étrangers puis les princes venus assister aux obsèques ; enfin en haut à droite la voiture de la reine Alexandra.
 
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Merveilleux sens pratique des Britanniques pour organiser les manifestions officielles ! En dépit du calme manifesté par le peuple massé pour assister à la cérémonie, une telle affluence ne pouvait manquer de connaître quelques problèmes sanitaires ; en conséquence, des postes de secours – ou ambulances pour reprendre le terme militaire – avaient été prévus au long du parcours. Nous voyons ici l’un d’eux supervisés par un médecin militaire à la poitrine largement décorée 1 où ont été amenés trois victimes de la « bobologie » traditionnelle lors de ce type de manifestation (déshydratation, problèmes nerveux, faiblesse due à une absence de nourriture suffisante pour affronter les heures d’attente…)
1 Le bon docteur John H. (à moins que ce ne soit James) Watson avait porté cet uniforme jusqu’à sa mise à la retraite d’office suite aux complications survenues après sa blessure lors de la bataille de Maiwand (27 juillet 1880) en Afghanistan.
 

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Arrivée du cercueil à la chapelle Saint-Georges du château de Windsor, où doit avoir lieu la cérémonie religieuse. Pas souci de symétrie avec la première photographie de l’album, cette dernière photographie est elle aussi présentée en mode « portrait ». Au premier plan, sur la pelouse, on distingue les marches de bois qui ont permis de retirer la couronne et le globe posés sur le cercueil avant la montée abrupte des marches menant à la chapelle.
 
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Avers de la dernière page de couverture, aussi simplement décorée que le revers de la première page…
 
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Dernière page de couverture, où nous apprenons que ce fascicule fut édité par Taride (maison qui existe toujours et s’est spécialisée dans les plans des villes françaises) et imprimé à Sceaux sur les presses de la maison Charaire (fondée et 1872 et définitivement fermée en 1972).
 
Le souvenir de ces funérailles avait marqué l’empereur Guillaume II pour de nombreuses raisons. Aussi ne manqua-t-il pas de donner dans ses mémoires un récit des journées qu’il passa en Angleterre lors des cérémonies funèbres. On ne sera pas étonné de voir qu’il fut profondément impressionné par la pompe déployée ainsi que par la popularité du défunt souverain. Et, de la même façon que lors de son pèlerinage en terre sainte (voir : 22 - Etats d'âme d'un pélerin ), il ne manqua pas d’y mélanger moments de sentimentalité sincère, comme avec la reine Alexandra, et gestes politiques prémédités en dépit de l’assurance du contraire, comme cette poignée de main avec le roi George V devant le cercueil d’Edouard VII.
La mort de « l’encercleur » 2 Edouard VII – dont il fut dit une fois dans un rapport de l’ambassade de Belgique à Berlin que « la paix de l’Europe n’était jamais autant en danger que lorsqu’il s’en occupait personnellement » – m’appela à Londres, où j’ai partagé avec mes proches, les membres de la famille royale britannique, le deuil causé par le décès du roi à la dynastie et à la nation. Toute la famille royale m’accueillit à la descente du train afin de me montrer sa gratitude pour la marque de respect des liens de parenté manifestée par ma venue.
2 L’antipathie réciproque des deux souverains n’est un secret pour personne. Depuis le rôle qu’avait tenu Edouard VII dans la signature de l’Entente cordiale entre la France et la Grande-Bretagne puis son rapprochement avec la Russie, les milieux dirigeants allemands éprouvaient la crainte d’un encerclement par des ennemis potentiels, tout comme les souverains français de François Ier à Louis XIV avaient craint l’encerclement de leurs états par ceux des Habsbourg.
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Le palais de Westminster au début du XXsiècle. Le Westminster Hall, au centre de l’édifice, tranche par la simplicité de son décor avec le reste du bâtiment.
 
Le roi Georges me conduisit au palais de Westminster où le cercueil magnifiquement décoré reposait sur un imposant catafalque, gardé par des soldats de la Garde, des troupes de ligne, et des détachements des contingents des Indes et des colonies dans la position traditionnelle de deuil – têtes baisées, mains croisées sur les crosses et les gardes de leurs armes renversées. La vieille salle grise, surmontée par un grand plafond gothique en bois, entourait le catafalque de façon imposante, simplement éclairée par quelques rayons de soleil filtrant à travers les fenêtres étroites. L’un d’eux baignait le magnifique cercueil du roi, surmonté de la couronne d’Angleterre, et éclairait merveilleusement les joyaux qui l’ornaient. Devant le catafalque, une foule innombrable d’hommes, de femmes et d’enfants de toutes les classes et de tous les milieux défilait en silence, certains agitant la main pour dire un respectueux adieu à celui qui avait été un souverain si populaire. C’était une image impressionnante dans ce merveilleux cadre médiéval.
 
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Le cercueil d'Edouard VII baigné par la lumière du Westminster Hall.
 
Je suis allé jusqu’au catafalque avec le roi George, j’y ai déposé une croix et j’ai récité une prière en silence, après quoi ma main droite et celle de mon royal cousin se rencontrèrent, sans y penser, et nous nous serrâmes fermement la main. Cela impressionna beaucoup ceux qui en furent témoins, à tel point que, dans l’après-midi, l’un de mes proches me dit : « Votre poignée de main avec le roi a fait le tour de Londres : la population en a été profondément touchée, et la considère comme de bon augure pour l’avenir. »
« C’est mon vœu le plus cher, » répondis-je.
Dans mon parcours à cheval dans Londres derrière le cercueil de mon oncle, je fus témoin du chagrin profond et impressionnant de la foules énorme – estimée à plusieurs millions de personnes – dans les rues, aux balcons et sur les toits, toute vêtue de noir, tous les hommes debout la tête découverte, dans un ordre parfait et dans un calme absolu 3. Sur ce fond sombre, les solennelles rangées de soldats britanniques se détachaient avec éclat. Les bataillons des Guards marchaient en un splendide tableau : les Grenadiers, les Scots Guards, les Coldstreams, les Irish Guards – dans leurs veste parfaitement ajustée, leurs buffleteries blanches et leurs lourds bonnets en fourrure d’ours ; troupe choisie à l’aspect superbe et d’une admirable tenue martiale, faisant la joie de tout homme qui a un cœur de soldat. Et toutes les troupes qui bordaient le trajet du cortège funèbre se tenaient dans la position de deuil décrite plus haut .
3 Ce qui est confirmé par le récit de la cérémonie du 20 mai rapporté par le journal Le matin du lendemain : « Combien y avait-il là de spectateurs ? Sûrement un million. Peut-être deux ou trois. On ne comptait plus que par centaines de mille. Il y avait tout le cœur et toute l’âme de la nation britannique. Des êtres humains étaient accourus de là-haut, du fond de l’Ecosse, et d’autres de là-bas ; des îles lointaines. Pas un homme, si pauvre fût-il, qui n’eût un crêpe ; pas une femme qui ne fût en noir. Pas une maison sur le trajet du cortège qui ne fût drapée de violet. Et dans cette foule, dans ces maisons, sur ces estrades, pas un cri, pas un rire, nul désordre. »
4 Les photographies insérées plus haut semblant prouver le contraire, il convient donc de préciser que les troupes ne quittaient la position de deuil pour rendre les honneurs qu’au passage du cortège (voir le film en fin d’article, à partir de 4’44).
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La reine Alexandra (vignette publicitaire Guerin-Boutron 16/500 de la 1ère série des Célébrités contemporaines). Juste après le décès de son époux, elle avait confié à lord Esher : « Enfin je saurai à l’avenir où il passe ses nuits ».
 
Durant mon séjour, j’ai résidé, à la demande expresse du roi George, au palais de Buckingham. La veuve du feu roi, la reine Alexandra, me reçut avec une gentillesse charmante, parlant longtemps avec moi du temps passé 5. Des souvenirs de mon enfance me revinrent, même ceux du temps où je n’étais qu’un bambin, comme celui du mariage 6 de mon défunt oncle. 7
5 Du fait de son antipathie pour tout ce qui était prussien et de l’animosité entre le Kaiser et son défunt époux, la reine Alexandra fit sans doute preuve de plus de politesse que de « gentillesse charmante » au long de cet entretien.
7 The Kaiser’s Memoirs (Naval &Military Press ; Eastbourne, 2005) pp. 128-130.
 
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Livret de messe spécialement édité à l’occasion des funérailles d’Edouard VII pour les « églises et chapelles d’Angleterre et du pays de Galles et dans la ville de Berwick-upon-Tweed » (dans le Northumberland).
 
Enfin, l’album publicitaire du Bon Marché s’étant avant tout focalisé sur la procession funèbre dans Londres, je vous propose maintenant des images animées prises durant la procession à Windsor : le cercueil du roi n’y est plus traîné et guidé par un attelage hippomobile mais par deux groupes de marins en chapeau de paille placés de part et d’autre de la prolonge d’artillerie, les officiels sont à pied et non plus à cheval et la reine Alexandra a échangé son carrosse londonien pour une berline claire. Ce film se compose d’une première partie de 2 minutes prise en gare (on y distingue notamment à 1’26 les mêmes marches de bois que celles qui apparaissent sur la dernière photographie de l’album) et d’une seconde partie montrant la procession dans les rues de Windsor. On ne peut toutefois que déplorer sa conservation chez des colons anglais révoltés…
 

 
 
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