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13 juillet 2013 6 13 /07 /juillet /2013 15:44

 

 

 

 

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Vignette publicitaire 6/500 de la première série des Célébrités contemporaines.

 

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Albert Ier (timbre monégasque de 1980).

 

Après le renvoi de Bismarck et dans l’esprit de la politique du « nouveau court » menée par le chancelier von Caprivi, le Kaiser tenta à plusieurs reprises d’amorcer un rapprochement politique avec la France. Comme il aurait été politiquement risqué de tendre trop ostensiblement la main aux vaincus de 1871, il lui fallait trouver un truchement ayant ses entrées assurées dans les milieux dirigeants français. Le prince Albert Ier de Monaco répondait parfaitement à ce qu’attendait Guillaume II : engagé volontaire dans la marine française au début de la guerre de 1870, pacifiste et dreyfusard, en relations d’amitiés avec le Kaiser et avec la France, il ne pouvait a priori pas être suspecté de parti pris par le président Félix Faure…

 

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L’entrée de l’Elysée au début du XXsiècle.

 

Paris, le 1er février 1899

J’ai reçu aujourd’hui le prince de Monaco, qui m’a très longuement entretenu de ses relations avec l’empereur d’Allemagne et s’est étendu sur la rencontre de Guillaume avec lui qui avait eu lieu l’an dernier à Kiel et plus tard dans le nord au large des côtes de Norvège 1. L’empereur s’est montré particulièrement aimable pour tous les Français qui se trouvaient avec le prince, ainsi qu’il a fait d’ailleurs à chaque fois qu’il trouve l’occasion de s’entretenir avec nos compatriotes. Le docteur Regnard 2, gendre du sénateur Poirier, a été tout à fait séduit par l’amabilité du souverain. Celui-ci a fait plus et pendant les 48 heures qu’il a passées à bord de la Princesse Alice il n’est pas de petites attentions qu’il n’ait eues pour tous, y compris pour les hommes de l’équipage. C’est un esprit supérieur, ouvert à toutes les combinaisons, désireux d’assurer la paix et prêt pour le faire à entrer en conversation avec la France. Le prince doit le revoir cet été ; il est certain qu’une conversation dans le sens d’un rapprochement, s’il était autorisé à l’ouvrir et à la suivre, aurait les résultats les plus importants et les plus précieux pour la paix du monde.

1 Dans ses mémoires, Guillaume II confirme l’intérêt porté par Albert Ier à un rapprochement franco-allemand, même s’il rapporte des événements survenus  à une époque postérieure : « La chute de Delcassé et son remplacement par Rouvier doivent être en partie attribués à l’influence du prince de Monaco. Au cour de la semaine des régates de Kiel le Prince s’était assuré lui-même, dans ses conversations avec moi, le Chancelier impérial et des représentants du gouvernement, de la sincérité de notre volonté de compromis avec la France afin d’établir la paix entre nos pays. Il s’entendait bien avec notre ambassadeur, le Prince Radolin, et travaillait activement à un rapprochement entre les deux nations » (The Kaiser’s Memoirs pp. 109-110). On trouve dans les Souvenirs du prince Eulenburg – croisières à bord du Hohenzollern plusieurs évocations de rencontres entre le Kaiser et le Prince dans les eaux du nord.

2 Albert Regnard (1836-1903), médecin et publiciste républicain et anticlérical. D’abord proche des Communards, il s’était rapproché de Gambetta et tenait alors de hautes fonctions au ministère de l’intérieur.

La France y gagnerait de pouvoir envisager d’autres questions extérieures que celle qui subsiste depuis 1870 3. La crise que nous venons de traverser 4 prouve qu’il serait bon de se prémunir contre de pareilles tentatives de la part de l’Angleterre, etc., etc., etc.

3 Allusion évidente à l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’empire allemand à la suite de la ratification du traité de Francfort par le gouvernement français.

4 Avec l'incident de Fachoda (1898) l’opinion française avait pu craindre un conflit avec l’Angleterre et les milieux nationalistes étaient même allés jusqu’à prôner un rapprochement avec l’Allemagne pour s’opposer aux visées britanniques. Guillaume II ne pouvait pas manquer de profiter de la situation pour encourager le gouvernement français de suivre cette voie…

Cette proposition du prince est faite pour surprendre. Je ne veux pas y voir de noirs desseins, je ne crois pas à sa fourberie mais je le crois très naïf : il a la rage de s’occuper de choses qui ne le regardent pas, de proposer de s’entremettre en tout, ainsi qu’il le voulait faire dans l’affaire Dreyfus. Il est véritablement fort indiscret et il se monte un peu la tête. Son agitation l’amène à penser qu’il joue un rôle sérieux dans la politique de l’Europe et j’ajoute qu’il devient ou qu’il peut devenir gênant. C’est ainsi que, tout récemment, il a accrédité à Rome un agent de la Principauté et, par surcroît, cet agent contrecarre paraît-il, l’action de notre ambassadeur. Dans la récente conférence sur les anarchistes 5, il votait dans un sens opposé à celui que nous suivions de sorte que la voix de la France était annulée par la voix de Monaco ! Nous devrons revenir sur cette question.

5 Face à la montée du terrorisme anarchiste, l’Italie avait réuni à Rome en novembre et décembre 1898 une conférence internationale pour développer la coopération entre les différentes polices européennes.

Revenant à la conversation que j’avais avec lui, après l’avoir longuement et attentivement écouté, je lui répondis :

« Mon Dieu, Monseigneur, nous savons fort bien qu’il serait préférable pour la France de n’avoir avec l’Allemagne que des relations courtoises et de les voir se développer. Mais les Français se gouvernent plus par le sentiment que par l’intérêt et il faut tenir compte de ce sentiment. Nos relations avec l’empire d’Allemagne sont très améliorées ; on peut facilement reconnaître qu’il y a une véritable détente depuis plusieurs années et notamment depuis quelques mois. Mais il ne faut rien brusquer.

Puisque vous estimez que l’empereur désire entrer en conversation avec nous, vous savez sans doute, d’une manière très vague certainement, mais vous devez avoir une idée, sur les prévisions de S.M. Guillaume II quant aux points qui pourraient être abordés dans cette conversation. Ce n’est point à nous de parler mais nous pouvons écouter. Nous ne demandons qu’à vivre en bonne intelligence avec nos voisins de l’est, mais si l’on veut assurer cette bonne intelligence, il faut par quelques projets prouver qu’on apprécie ce rapprochement. Nous ne pouvons nous hasarder dans une conversation de cette nature sans qu’on nous ait indiqué nettement qu’on veut la tenir. Nous voulons d’abord savoir où nous allons et où on peut nous mener. Il ne manque pas de questions sur lesquelles la France et l’Allemagne peuvent se rencontrer. »

 

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Le Kaiser et le prince Albert Ier sur le pont du yacht Meteor.

 

La presse française, impressionnable et nerveuse, a fait récemment une campagne très imprudente, prêchant un rapprochement avec l’Allemagne pour faire opposition aux menaces de l’Angleterre. Comment y a-t-on répondu de l’autre côté des Vosges ? Très froidement. Il n’y a donc pas lieu d’aller plus loin. Si le prince revoit l’empereur cet été, qu’il lui tienne le même langage qu’il vient de me tenir. S’il y a avantage pour la France à ce rapprochement, il y a aussi avantage pour l’Allemagne. Je n’ai pas à m’y étendre.

En résumé, je crois que le prince de Monaco rêve.

 

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Vignette publicitaire avec une photographie du comte de Münster.

 

2 février

Cette conversation tenue hier, j’ai reçu aujourd’hui le comte de Munster 6 qui revient de Berlin où il va chaque année pour le chapitre de l’Aigle noir 7. Il m’a apporté beaucoup de compliments de la part de l’empereur, mais sur la politique, je l’ai trouvé très boutonné 8.

6 Georg Herbert zu Münster (1820-1902), fut ambassadeur d’Allemagne à Paris de 1885 à 1900 ; il sera remplacé dans ce poste par le prince Radolin.

7 Principal ordre honorifique du royaume de Prusse, créé le 17 janvier 1701 par le prince-électeur Frédéric de Brandebourg à la veille de son couronnement comme premier roi en Prusse.

8 Félix Faure Journal à l’Elysée (Editions des Equateurs ; Paris, 2009) pp. 385-388.

 

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Félix Faure, deux semaines après sa rencontre avec le prince de Monaco et peu après un entretien privé avec Marguerite Japy, épouse puis veuve Steinheil, qui finira par épouser Robert Brooke Campbell Scarlett – 6baronet Abinger – et mourra dans le Sussex (on ne peut vraiment pas lutter contre son destin…)

 

Ces lignes sont les dernières du Journal de Félix Faure, qui disparaîtra brutalement 14 jours plus tard. Ces avances allemandes restèrent sans suite de la part de la France, sans que la diplomatie allemande puisse savoir si ce silence était dû à la mort abrupte de Félix Faure ou à un refus officiel. Aussi, dès l’année suivante, Guillaume II tentera une nouvelle ouverture en profitant de ses croisières scandinaves pour honorer le navire école français Iphigénie de son impériale et royale visite (voir : 18 - Hohenzollern et Iphigénie à Bergen ).

 

 

 

Appendice.

 

En 1906, Paul Marinier 9 composa sur une musique d’Adrien Serge une chansonnette intitulée Les alliances de Guillaume dans laquelle sont brocardés les liens diplomatiques entre l’empire allemand et la principauté de Monaco ; elle sera interprétée par le fantaisiste Félix Mayol 10. Même si elle ne porte pas directement sur les avances faites par le Kaiser à la France par l’entremise du prince Albert Ier, je ne peux m’empêcher de vous la donner ici…

9 Paul Marinier (1866-1953) auteur, compositeur et interprète.

10 Félix Mayol (1872-1941) fut l’un des plus grands artistes français du début du XX siècle.

 

 


 

 

 

Cherchant pour l’Allemagne

Des alliances partout,

Guillaume dit à l’Espagne :

« Soyez donc avec nous !  ».

Ou ! Ou ! Ou ! Ou !

C’est un sal’ coup.

Mais l’Espagn’ très gentille,

Lui dit dans l’embarras :

« J’viens d’recevoir Emile 11,

Pour l’instant je n’peut pas ».

Ah ! ah ! ah !ah !

11 Une autre version donne : « Faut que je me marrie ». En 1905, le roi Alphonse XIII s’était rendu à Paris où il avait rencontré le président Emile Loubet ; le 31 mai 1906, il épousait la princesse Victoire Eugénie de Battenberg. L’existence de ces deux versions montre l’évolution du texte original en fonction de l’actualité.

 

Voyant ça, très maussade,

Dit : « ça m’est bien égal ! »

Envoie une ambassade

Auprès du Portugal.

Al ! al ! al ! al !

C’était fatal !

Mais l’Portugal résiste

Et dit aux délégués :

« La guerre c’est trop triste !

Les Portugais sont gais ! »

Gué ! gué ! gué ! gué !

Ma mie, ô gué !

 

Va lui-même un dimanche

D’Belgiqu’trouver le roi,

« Voudrais-tu ma vieill’branche,

Profitaïe avec moi ?  »

Oi ! oi ! oi ! oi !

Quoi pour une fois,

Léopold, ce brave homme,

Lui répond: « Si j’fais ça,

J’pourrai plus, Godfordomme !

Allaïe à l’Opéra… »

Ah ! ah! ah ! ah!

Cléo gueul'ra 12.

 12 Allusion à la danseuse Cléo de Mérode (1875-1966) pour laquelle Léopold II avait un faible. Une autre version, plus faible, donne : " ça n'se peut pas ".

 

Travers’ des plain’s immenses,

Dit au Tsar, au Congrès :

« Je prendrai ta défense,

j’prendrai tes intérêts…

eh ! eh ! eh ! eh !

j’suis v’nu esprès !... »

L’autr’dit : « Grand bien vous fasse,

Pendant qu’vous y êt’s, oui-dâ,

Prenez aussi ma place,

Moi, j’n’y tiens pas plus qu’ça! »

Ah ! ah ! ah ! ah !

Ah ! j’comprends ça !

 

S’en va chercher de l’aide

Au pays norvégien

Et dit au roi de Suède :

« Prêtez-moi votr’soutien…

Hein ! hein ! hein ! hein !

Vous m’le d’vez bien ! »

« J’avais, quelle infortune !

Deux patri’s, dit Oscar,

On m’en a chipé une 13,

J’suis vraiment pas veinard

Ah ! ah ! ah ! ah !

R’passez plus tard. »

13 En 1905, l'union de la Suède et de la Norvège avait été dissoute et le prince Christian de Danemark était monté sur le trône norvégien sous le nom de Haakon VII.

 

Va trouver l’Angleterre

Et lui tient ce discours :

« Nous nous aimions naguère

reprenons nos amours !...

ours ! ours ! ours ! ours !

C’est pour toujours ! »

Mais, pudiqu’, l’Angleterre,

En termes très discrets,

Lui dit : « J’ai trop à faire,

Nous verrons ça après ! »

Eh ! eh ! eh ! eh !

Sacrés anglais !

 

Voyant ça, nom d’un’ pipe

S’est allié illico,

Avec la principauté de Monaco…

Oh ! oh ! oh ! oh !

C’pas rigolo !

Si bien qu’les vingt-cinq hommes

De c’pays, résolus,

Un d’ces matins en somme

Vont nous tomber dessus !

Hu ! hu ! hu ! hu !

« Nous sommes foutus! »


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commentaires

P
<br /> Je m'insurge contre l'érotisme débridé dont fait montre (on<br /> peut même parler d'exhibitionnisme) dont fait désormais preuve le narrateur ! Cf. :"et mourra dans le Sussex (on ne peut vraiment pas lutter<br /> contre son destin…)" et pourquoi ne pas dire qu'elle fût surnommée la "pompe funèbre", entre autres !!!! Non,<br /> il faut garder une certaine tenue "en rapport" avec le sujet de cet article. Bon, je ne m'étendrai pas plus longtemps sur le sujet, mais quand même.<br />
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P
<br /> <br /> Cher monsieur Penlaë,<br /> <br /> <br /> Un grand merci pour ton commentaire qui donne une autre image à une remarque à caratère philosophique de comptoir.<br /> <br /> <br /> Amicalement et à bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />

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