Le Sacramento Bee (L’abeille de Sacramento), fondé en 1857, est devenu l’un des journaux les plus importants de Californie. Dans son numéro du mercredi 4 juin 1941 il publia en première page sur une pleine colonne avec photographie l’annonce de la mort de l’empereur Guillaume, dans la plus pure tradition journalistique, avec ses formulations accrocheuses, ses erreurs factuelles et sa reprise sans vérification des rumeurs issues d’officines gouvernementales...
L’ex Kaiser meurt en exil à l’âge de 82 dans son asile hollandais
Une brusque rechute de sa maladie emporte le dirigeant allemand de la guerre mondiale
Inhumation aux Pays-Bas
Hitler accorde des funérailles militaires : une délégation nazi y participera
Berlin, 4 juin. L’ancien Kaiser Guillaume II de l’empire allemand est mort aujourd’hui dans sa résidence d’exil à Doorn au milieu des calmes remous de l’occupation allemande presque trente-trois ans après sa fuite à la suite de l’effondrement de son propre plan de guerre européen.
Le DNB, agence officielle allemande d’information 1, a annoncé depuis Amsterdam que l’ancien empereur à la barbe blanche âgé de 82 ans est mort à 11 heures 30 du matin des suites d’une rechute de la maladie qui avait appelé ses parents à son chevet la semaine dernière.
1 DeutshesNachrichtenbüro, agence de presse créée par les nazis en 1934.
Des troubles intestinaux, aggravée au moins d’une embolie pulmonaire, sont à l’origine de son décès.
Enterrement à Doorn
Même dans la mort, le « vieil homme de Doorn » ne retournera pas dans le pays qu’il a autrefois dirigé.
Il sera enterré à Doorn lundi prochain mais, sur ordre d’Adolf Hitler, il sera accordé tous les honneurs militaires au dernier souverain de l’Allemagne impériale.
Le haut commandement allemand prend totalement en charge la phase militaire de la cérémonie, en gage, peut-être, de la complète réconciliation entre le Führer et l’ancien empereur 2.
2 Il s’agit là de pure propagande, Guillaume II ne s’étant jamais rapproché des nazis (voir mon billet : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2013/11/53-un-entretien-avec-guillaume-ii-en-septembre-1938.html). L’article continuera plus bas à développer ce thème orchestré par les milieux nazis pour se rallier l’opinion monarchiste – notamment dans l’armée – en Allemagne.
Son épouse à ses côtés
A son chevet au moment de sa mort ne se trouvaient que quelques proches parents – sa seconde épouse, la princesse Hermine ; sa fille, la duchesse de Brunswick 3, et ses petits-fils, Louis-Ferdinand 4, Karl et Franz Joseph ainsi que l’épouse de ce dernier la princesse Henrietta 5.
3 Victoria-Louise de Prusse, devenue duchesse de Brunswick par son mariage en 1913 avec le prince Ernest-Auguste de Hanovre.
4 Fils du Kronprinz et aîné des petits fils du Kaiser depuis la mort en mai 1940 de son frère Guillaume.
5 Aucun des petits-fils du Kaiser ne se prénommait Franz Joseph. Par contre, le prince Karl Franz de Prusse (1916-1979), petit-fils du Kaiser, avait effectivement épousé le princesse Henriette de Schönaich-Carolath (1918-1972), fille d’un premier lit de la princesse Hermine.
La première Kaiserine est morte le 11 avril 1921 et a été enterré à Potsdam.
Le plus âgé des fils survivants de l’ancien empereur et son successeur à la tête de la famille de Hohenzollern, le Prince héritier Frédéric Guillaume, avait été plus tôt aux côtés de son père mais l’avait quitté la semaine précédente, alors que l’ancien Kaiser paraissait aller mieux.
On a apprit sur place que l’ancien empereur avait parlé plusieurs heures hier après-midi avec son majordome puis avait ensuite manifesté des signes de rechute, fait une crise à 8 heures du soir et avait perdu conscience peu de temps après.
Le drapeau familial arboré
Avec la permission expresse d’Hitler, le drapeau de l’ancienne maison régnante de Prusse sera mis en berne sur le palais des Pays-Bas, actuellement siège de l’administration de la famille de Hohenzollern, et sur le palais de Guillaume Ier, tous deux à Berlin, ainsi qu’au Cecilienhof, le château du prince héritier à Potsdam.
Le drapeau porte une croix de fer noire sur un fond blanc avec les armes royales de Prusse en or à son centre, surmontées d’une couronne dorée.
Le véritable drapeau du roi de Prusse.
Le DNB a annoncé cette nuit que Hitler avait envoyé ses condoléances à la veuve Hermine 6 et à l’ancien prince héritier à l’occasion du décès du Kaiser.
6 On notera cette formulation cavalière.
Un certain nombre de généraux et d’amiraux ayant servi dans les forces impériales du Kaiser iront à Doorn pour les cérémonies et Hitler a mis un train spécial à la disposition de la famille pour s’y rendre. Il est évident qu’Arthur Seysz-Inquart 7, en tant que commissaire aux Pays-Bas, a été requis pour représenter Hitler aux funérailles.
7 Erreur : son nom s’écrit Seyss-Inquart.
Le cercueil contenant la dépouille du Kaiser sera temporairement enterré dans une petite chapelle du domaine de Doorn, aucun mausolée ni aucune crypte n’ayant été édifié.
On dit que Guillaume 8 avait exprimé le désir que les seuls assistants à ses funérailles soient les plus proches membres de sa famille, mais le DNB a annoncé que « quelques délégations du Reich seront présentes ».
8 Encore une formulation cavalière.
Absout de reponsabilité dans la guerre
La presse allemande a déclaré que les recherches menées après guerre ont absout le Kaiser de sa responsabilité dans la déclaration de la guerre mondiale, mais le Dienst aus Deutschland 9, un journal nazi, a noté « qu’il avait une bomme dose de responsabilité dans la perte de la guerre ».
9 Au service de l’Allemagne.
A un moment crucial, dit-il, le peuple allemand « devait laisser les pleins pouvoirs et la possibilité de prendre toutes les décisions à un caractère fort » 10.
10 On voit là une justification cousue de fil blanc de la dictature hitlérienne, ainsi qu’un aveu de l’éloignement de celle-ci du monarque en exil.
Amitié avec Hitler
Le « vieil homme de Doorn » considéra l’ascension de Hitler vers le pouvoir dans le Reich comme « un pas dans la bonne direction » 11.
11 Une nouvelle fois je renvoie le lecteur à mon billet http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2013/11/53-un-entretien-avec-guillaume-ii-en-septembre-1938.html. Il y trouvera le retranscription de la conversation où ses paroles ont été dites ; ici, retirées du contexte, elles prennent un sens bien contraire à la pensée du Kaiser.
Quand Hitler releva l’épée que le Kaiser avait déposé en 1918 et l’avait utilisée dans un terrifiant blietzkrieg en 1939, treize membres de la famille de Guillaume portaient l’uniforme nazi 12. L’un de ses fils, le prince Oscar de Prusse 13 ; onze petits-fils et un petit-neveu du Kaiser marchaient avec les légions vert de gris. Deux de ses petits-fils sont déjà morts au combat 14. Un autre de ses petits-fils a été interné par les Anglais 15.
12 A proprement parlé, seul le prince Auguste-Guillaume, 4e fils du Kaiser, a porté l’uniforme nazi en sa qualité (si ce terme peut être utilisé en cette circonstance) d’Obergruppenführer dans la SA, ainsi que son fils, le prince Alexandre-Ferdinand qui lui aussi fut un temps dans la SA. Les autres portaient l’uniforme de l’armée allemande dans laquelle ils étaient engagés du fait de l’entrée en guerre de leur pays.
13 Oscar de Prusse (1888-1956), commanda le 230e régiment d’infanterie d’août 1939 à février 1940, date à laquelle il fut promu generalmajor dans la Führerreseve – affectation en théorie provisoire pour les officiers supérieurs en attente d’un nouveau commandement (cette affectation servit souvent à écarter d’un commandement effectif les officiers trop critiques vis-à-vis du régime).
14 Oscar de Prusse (1915-1939), fils du prince Oscar, tué lors des combats en Pologne et Guillaume de Prusse (1906-1940), fils aîné du Kronprinz tué lors des combats autour de Valenciennes. L’émotion populaire entraînée par la mort de ce dernier déplut tellement à Hitler qu’il promulgua alors le Prinzenerlass (« décret princier ») interdisant aux membres des anciennes familles régnantes de prendre part au combat, avant de leur faire quitter l’armée en 1943.
15 Frédéric de Prusse (1911-1966), quatrième fils du Kronprinz, étudiait à Cambridge au moment de la déclaration de guerre ; il fut interné en Angleterre puis au Canada.
Des rumeurs de retour
Rumeurs sur rumeurs se sont répandues depuis 1933 selon lesquelles le Kaiser agissait activement « dans les coulisses » de l’Allemagne régénérée et qu’un jour il reviendrait triomphalement à Berlin pour réclamer son « droit divin » comme empereur. Tous ces bruits ont vite été démentis.
« De vieux arbres ne peuvent pas être transplantés » remarquait souvent le Kaiser qui paraissait satisfait de sa vie ordinaire dans le domaine de Doorn.
Au cours de la dernière décade sa vie routinière avec petit déjeuner à 8 heures 45 du matin, découpe de bois, thé, correspondance, déjeuner, sieste, nouveau thé, promenade, dîner et extinction des feux à 10 heures du soir 16 a été perturbée par des crises de rhumatisme ou des refroidissements.
16 Voir mon billet : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2017/04/115-douceur-de-la-retraite.html
Le maréchal von Mackensen, seul à porter un brassard de deuil, et les représentants du gouvernement nazi aux funérailles (image tirée de la notice wikipédia consacrée au Kaiser).
Regard sur la guerre
Il s’intéressait au déroulement de la guerre actuelle aussi minutieusement que s’il
La suite de l’article est reportée en page 10 du journal :
occupait un poste de commandement au quartier général nazi. Il suivait les progrès de la guerre nazie en plantant de petits drapeaux sur une carte détaillée des pays européens et en tenant une liste remarquablement complète des pertes des navires de guerre et de commerce.
Le seul changement dans sa vie a été le remplacement de ses gardes néerlandais par des soldats allemands après la conquête des Pays-Bas en quatre jours au printemps dernier.
Il ne sembla prêt qu’une fois à quitter l’exil qu’il s’était imposé. C’était en 1937 quand son épouse, Hermine, souffrait d’une grave maladie en Allemagne. Il s’était alors paisiblement arrangé pour voyager incognito, mais seulement au cas où la maladie se révèle mortelle, ce qui n’a pas été le cas.
En dépit de rumeurs incessantes qui prétendent le contraire, on peut affirmer avec autorité que Guillaume n’est jamais retourné dans sa patrie.
Une mort sans souffrance
Son propre décès est advenu comme il l’avait espéré – sans de longues souffrances. En homme actif, il ne craignait rien autant qu’une longue maladie. Alors que petit à petit il s’affaiblissait l’hiver dernier, il apparut plein de vigueur lors de la célébration de son quatre-vingt-deuxième anniversaire le 27 janvier.
Ce n’est que le 25 mai que se déclenchèrent les troubles intestinaux qui provoquèrent sa mort.
Profondément religieux, Guillaume avait souvent dit à sa famille et à son entourage qu’il était prêt à mourir.
Importance pour la famille
Sa mort est plus importante pour la famille de Hohenzollern que ne le laisse penser le fait qu’il ne règne plus.
La famille est tenue par une loi d’airain en matière de succession qui veut que le chef de cette maison a le contrôle de la fortune familiale.
Le Kronprinz Frédéric Guillaume en détient donc le contrôle, avec le prince Louis Ferdinand comme successeur.
La famille est encore la plus grande propriétaire terrienne d’Allemagne, même si à la suite des réformes agraires d’Hitler de larges portions de leurs terres sont retournées à des propriétaires privés.
Les Hohenzollern possèdent également des palais dans différentes parties de l’Allemagne, des usines, des forêts et des immeubles. Le Kronprinz qui, dit-on, n’a jamais abdiqué personnellement 17, serait le successeur légitime si la dynastie venait à être restaurée. Il semble toutefois résigné à n’être ni roi ni empereur.
17 Cette affirmation est fausse : le Kronprinz avait abdiqué en même temps que son père.
Aucune activité politique
Quand Guillaume accepta comme exilé l’hospitalité des Pays-Bas en 1918 18, il fit la promesse solennelle de ne plus s’occuper de politique.
18 C’est en fait le Kaiser qui sollicita cette hospitalité. Sur les circonstances de cette demande, je renvoie le lecteur à : http://kaiser-wilhelm-ii.over-blog.com/2018/11/137-aux-pays-bas.html
Il respecta scrupuleusement cette promesse. Il a refusé toute demande d’interview politique. Ses écrits furent consacrés à des discussions historiques sur la question de la responsabilité de la guerre et à des traités sur l’archéologie ou des sujets religieux.
Il entretint une énorme correspondance avec de nombreux savants autour du monde.
Pleuré dans le village
Nulle part ne sera pleurée avec plus de sincérité la mort de Guillaume que dans le village de Doorn, qui partage les joies et les peines du « Kaiser » depuis 1919. Doorn est devenu un lieu de pèlerinage pour d’innombrables touristes depuis que Guillaume en a fait sa résidence.
Chaque année, avant Noël, il distribuait aux nécessiteux de Doorn le bois qu’il avait coupé dans les mois précédents. Le jour de son anniversaire était toujours célébré par tout le village qui envoyait son conseil municipal, en chapeau haut de forme, présenter ses respects à leur cher concitoyen.
Guillaume insistait particulièrement pour que tous les achats de son entourage soient faits à Doorn et non dans de plus grandes villes comme Amsterdam ou Rotterdam.
Mausolée du Kaiser dans le parc du château de Doorn (photographie tirée de : https://www.wikiwand.com/en/Huis_Doorn).
La question de l’attitude du Kaiser face au nazisme, évoqué avec beaucoup d’erreurs dans l’article du Sacramento Bee, devra faire l’objet d’un billet ultérieur dans ce blog.
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