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30 mars 2012 5 30 /03 /mars /2012 13:57

 

 

 

 

 

Le 15 juillet 1905, le magazine Je sais tout a rapporté l’arrestation d’Arsène Lupin sur le transatlantique Provence. C’était la première fois que la presse révélait l’existence de cet individu dont Maurice Leblanc se fit le biographe… De cette date jusqu’en mai 1909, il publia régulièrement dans le même magazine, sous forme de feuilletons, l’apologie des délits de celui qui devint dans l’imagination populaire le prototype du gentleman cambrioleur et, en écrivain conscient des réalités économiques, il regroupa ensuite ces épisodes dans trois volumes : Arsène Lupin, gentleman cambrioleur (Pierre Lafitte, 1907), Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (1908) et L’Aiguille creuse (1909). A chaque fois, des modifications étaient intervenues entre le récit fait en feuilleton et celui publié en volumes séparés.
De mars à mai 1910, Maurice Leblanc donna dans le quotidien Le Journal le récit des nouvelles tribulations de son personnage sous le titre énigmatique 813, puis le fit éditer chez Lafitte dès le mois suivant. Remanié en 1917 pour tenir compte des préjugés du temps de guerre, il se compose de deux parties : La double vie d’Arsène Lupin et Les trois crimes d’Arsène Lupin. Cet ouvrage, le plus long de la série, est aussi le plus noir, marqué par un climat lourd de menaces, ponctué d’assassinats et de combinaisons de haute politique; c’est aussi dans cet ouvrage que le Kaiser entre en scène. Bien qu'écrit par un Français qui n'a pas oublié les provinces perdues, l'Empereur est présenté dans cette oeuvre de façon très neutre, sous les traits d'un souverain volontaire et sûr de lui, à la fois homme de parole et homme d'action.
Comme il ne s’agit pas ici d’effectuer un abrégé de ces aventures insolites ni d’en révéler les rebondissements, je me contenterai de donner un résumé des faits principaux, en m’attardant sur les seuls épisodes où apparaît Guillaume II.

 

1-copie-18

Reproduction de la jaquette de l’édition originale, publiée à l’initiative de l’association 813 (association des amis de la littérature policière).

 

L’intrigue commence dans l’appartement 415 du Palace Hôtel à Paris, où le richissime Rudolf Kesselbach est séquestré dans sa suite par Arsène Lupin et ses complices. Le lendemain, il est retrouvé assassiné au même endroit. Tout semble donc indiquer le sieur Lupin comme coupable ;  mais monsieur Lenormand, chef de la Sûreté, est convaincu du contraire.
Dans La double vie d’Arsène Lupin, Lenormand et ses hommes vont donc tout faire pour l’innocenter et pour protéger Dolorès, la veuve de feu Kesselbach, contre les manigances d’un ennemi machiavélique. En parallèle, Lupin agit de la même manière mais finit par être arrêté au dernier chapitre du livre (§ VII La Redingote Olive).

1-copie-20Exemple de cellule à la prison de la Santé : ici Maxime Réal del Sarte passa 9 mois en 1909 pour avoir giflé le professeur Thalamas au motif qu’il avait insulté Jeanne d’Arc.

 

Les trois crimes d’Arsène Lupin s’ouvre à la prison de la Santé, où Lupin est incarcéré. C’est là qu’il apprend l’existence de papiers compromettants, remis en 1898 par Bismarck sur son lit de mort à son vieil ami le grand-duc Hermann III de Deux-Ponts-Veldenz, prince de Berncastel, comte de Fistingen, seigneur de Wiesbaden et autres lieux 1.

1 Ami lecteur féru de noblesse, inutile de te plonger dans l’Almanach de Gotha pour y chercher trace de cet Hermann III… La principauté de Palatinat-Deux-Ponts, possession de la branche de Birkenfeld de la maison de Bavière depuis 1731 (date de l’extinction de la branche de Zemmern-Veldenz des ducs de Deux-Ponts), a disparu en fait lors de l’occupation de son territoire par les troupes carmagnoles en 1792 ; de plus, son dernier souverain, le prince Charles Théodore, mourut sans héritier légitime en 1799. Son territoire, annexé en grande partie au département français du Mont-Tonnerre après le traité de Lunéville (1801), revint au royaume de Bavière par le traité de Vienne (1814).

 

545px-Armoiries comtes palatins de Deux-Ponts.svg
Armoiries des comtes palatins de Deux-Ponts (réalisées par Odejea pour Wikipedia selon les termes de la GNU Free Documentation Licence), dont je ne résiste pas au plaisir de vous livrer le blasonnement : "parti en I écartelé en 1 et 4 de sable, au lion d'or, armé, lampassé et couronné de gueules (qui est du comté palatin du Rhin) et en 2 et 3 fuselé en bandes d'azur et d'argent (qui est de Bavière), sur le tout d'argent au lion d'azur armé lampassé et couronné d'or (qui est de Veldenz), en II coupé de deux parti de trois, en 1 d'or au lion de sable armé et lampassé de gueules (qui est de Juliers), en 2 de geules, à l'écusson d'argent, aux rais d'escaboucle d'or, brochantes sur le tout (qui est de Clèves), en 3 d'argent au lion de gueules, la queue fourchée passée en sautoir, armé, lampassé et couronné d'or (qui est de Berg), en 4 d'or, à la fasce échiquetée d'argent et de gueules de trois tires (qui est de la Marck), en 5 d'argent, à trois chevrons de gueules (qui est de Ravensberg) et en 6 d'argent à la fasce de sable".

 

Parmi ces pièces encombrantes, sont explicitement mentionnées des lettres du Kronprinz Guillaume à Bismarck au court des trois mois de règne de son père l’empereur Frédéric III, des photographies des lettres privées de ce dernier et de son épouse à la reine Victoria, le texte d’un traité avec la France et l’Angleterre, des documents plus obscurs repérés sous les rubriques succinctes : « Alsace-Lorraine… Colonies… Limitation navale ». Ce bref sommaire contient deux parties bien distinctes, qui laissent bien deviner le caractère délicat de leur contenu :

– les correspondances de Frédéric III, de son épouse et de son fils qui, lorsque l’on se souvient des relations tendues existant entre eux (et délibérément aigries par Bismarck) relèvent de faits déjà soupçonnés par le public de 1910 ;
– des pièces diplomatiques portant sur les points politiques les plus sensibles du moment (l’Allemagne face à l’entente cordiale, les provinces perdues par la France après 1870, les intérêts coloniaux opposés des puissances européennes ou la rivalité navale anglo-allemande).

C’est peu de temps après avoir eu la révélation de l’existence de ces documents qu’Arsène Lupin reçoit dans sa cellule la visite d’un mystérieux personnage (§ III La grande combinaison de Lupin) :


La serrure grinça. Dans sa rage il n’avait pas entendu le bruit des pas dans le couloir, et voilà tout à coup qu’un rayon de lumière pénétrait dans sa cellule et que la porte s’ouvrait.
Trois hommes entrèrent.
Lupin n’eut pas un instant de surprise.
Le miracle inouï s’accomplissait, et cela lui parut immédiatement naturel, normal, en accord parfait avec la vérité et la justice.
Mais un flot d’orgueil l’inonda. À cette minute vraiment, il eut la sensation nette de sa force et de son intelligence.
— Je dois allumer l’électricité ? dit un des trois hommes, en qui Lupin reconnut le directeur de la prison.
— Non, répondit le plus grand de ses compagnons avec un accent étranger Cette lanterne suffit.
— Je dois partir ?
— Faites selon votre devoir, monsieur, déclara le même individu.
— D’après les instructions que m’a données le Préfet de police, je dois me conformer entièrement à vos désirs.
— En ce cas, monsieur, il est préférable que vous vous retiriez.
M. Borély s’en alla, laissant la porte entrouverte, et resta dehors, à portée de la voix.
Le visiteur s’entretint un moment avec celui qui n’avait pas encore parlé, et Lupin tâchait vainement de distinguer dans l’ombre leurs physionomies. Il ne voyait que des silhouettes noires, vêtues d’amples manteaux d’automobilistes et coiffées de casquettes aux pans rabattus.
— Vous êtes bien Arsène Lupin ? dit l’homme, en lui projetant en pleine face la lumière de la lanterne.
Il sourit.
— Oui, je suis le nommé Arsène Lupin, actuellement détenu à la Santé, cellule 14, deuxième division.
— C’est bien vous, continua le visiteur, qui avez publié, dans le Grand Journal, une série de notes plus ou moins fantaisistes, où il est question de soi-disant lettres…
Lupin l’interrompit :
— Pardon, monsieur, mais avant de continuer cet entretien, dont le but, entre nous, ne m’apparaît pas bien clairement, je vous serais très reconnaissant de me dire à qui j’ai l’honneur de parler.
— Absolument inutile, répliqua l’étranger.
— Absolument indispensable, affirma Lupin.
— Pourquoi ?
— Pour des raisons de politesse, monsieur. Vous savez mon nom, je ne sais pas le vôtre ; il y a là un manque de correction que je ne puis souffrir.
L’étranger s’impatienta.
— Le fait seul que le directeur de cette prison nous ait introduits, prouve…
— Que M. Borély ignore les convenances, dit Lupin. M. Borély devait nous présenter l’un à l’autre. Nous sommes ici de pair, monsieur. Il n’y a pas un supérieur et un subalterne, un prisonnier et un visiteur qui condescend à le voir. Il y a deux hommes, et l’un de ces hommes a sur la tête un chapeau qu’il ne devrait pas avoir.
— Ah ! ça, mais…
— Prenez la leçon comme il vous plaira, monsieur, dit Lupin.
L’étranger s’approcha et voulut parler.
— Le chapeau d’abord, reprit Lupin, le chapeau…
— Vous m’écoutez !
— Non.
— Si.
— Non.
Les choses s’envenimaient stupidement. Celui des deux étrangers qui s’était tû, posa sa main sur l’épaule de son compagnon et il lui dit en allemand :
— Laisse-moi faire.
— Comment ! Il est entendu…
— Tais-toi et va-t-en.
— Que je vous laisse seul !
— Oui.
— Mais la porte ?
— Tu la fermeras et tu t’éloigneras…
— Mais cet homme… vous le connaissez… Arsène Lupin…
— Va-t-en.
L’autre sortit en maugréant.
— Tire donc la porte, cria le second visiteur… Mieux que cela… Tout à fait… Bien…
Alors il se retourna, prit la lanterne et l’éleva peu à peu.
— Dois-je vous dire qui je suis ? demanda-t-il.
— Non, répondit Lupin.
— Et pourquoi ?
— Parce que je le sais.
— Ah !
— Vous êtes celui que j’attendais.
— Moi !
— Oui, Sire.

 

1-copie-19Au sommet de la colline, le château de Veldenz, où ont été cachés les documents recherchés par le Kaiser.

 

Libéré à la demande du souverain après cet entretien, Arsène Lupin est alors conduit au château de Veldenz 2 par le comte Waldemar, ami proche de l’empereur 3, pour retrouver les fameux documents. Pendant toutes les recherches, le Kaiser lui-même est installé au château pour superviser l’affaire.

2 Le château de Veldenz, dans le land de Rhénanie-Palatinat, est mentionné pour la première fois en 1156. Cédé aux comtes de Deux-Ponts en 1444, à l’extinction de la maison des comtes de Veldenz, il est détruit en 1681 et partiellement restauré au 19e siècle. Aujourd’hui, le château peut se visiter chaque premier samedi des mois d’avril à novembre.
3 Par la description qui en est donnée comme par son comportement, ce comte Waldemar ressemble bigrement au comte Hülsen-Haeseler, dont nous avons rappelé la mort tragique dans le précédent article…

Après de nombreuses péripéties, Arsène Lupin qui a quitté Veldenz libre finira par mettre la main sur les pièces originales et pourra enfin les remettre personnellement à Guillaume II sur le Monte Tiberio de Capri, en profitant d’une des croisières de l’Empereur en Méditerranée.

 

3-copie-13Le Saut-de-Tibère à Capri.

 

– À cheval, dit l’Empereur.
Il se reprit :
— À âne plutôt, fit-il en voyant le magnifique baudet qu’on lui amenait. Waldemar, es-tu sûr que cet animal soit docile ?
— J’en réponds comme de moi-même, Sire, affirma le comte.
— En ce cas, je suis tranquille, dit l’Empereur en riant.
Et, se retournant vers son escorte d’officiers :
— Messieurs, à cheval.
Il y avait là, sur la place principale du village de Capri, toute une foule que contenaient des carabiniers italiens, et, au milieu, tous les ânes du pays réquisitionnés pour faire visiter à l’Empereur l’île merveilleuse.
— Waldemar, dit l’Empereur, en prenant la tête de la caravane, nous commençons par quoi ?
— Par la villa de Tibère, Sire.
On passa sous une porte, puis on suivit un chemin mal pavé qui s’élève peu à peu sur le promontoire oriental de l’île.
L’Empereur était de mauvaise humeur et se moquait du colossal comte de Waldemar dont les pieds touchaient terre, de chaque côté du malheureux âne qu’il écrasait.
Au bout de trois quarts d’heure, on arriva d’abord au Saut-de-Tibère, rocher prodigieux, haut de trois cents mètres, d’où le tyran précipitait ses victimes à la mer.
L’Empereur descendit, s’approcha de la balustrade, et jeta un coup d’œil sur le gouffre. Puis il voulut marcher à pied jusqu’aux ruines de la villa de Tibère, où il se promena parmi les salles et les corridors écroulés.
Il s’arrêta un instant.
La vue était magnifique sur la pointe de Sorrente et sur toute l’île de Capri. Le bleu ardent de la mer dessinait la courbe admirable du golfe, et les odeurs fraîches se mêlaient au parfum des citronniers.
— Sire, dit Waldemar, c’est encore plus beau, de la petite chapelle de l’ermite, qui est au sommet.
— Allons-y.
Mais l’ermite descendait lui-même, le long d’un sentier abrupt. C’était un vieillard, à la marche hésitante, au dos voûté. Il portait le registre où les voyageurs inscrivaient d’ordinaire leurs impressions.
Il installa ce registre sur un banc de pierre.
— Que dois-je écrire ? dit l’Empereur.
— Votre nom, Sire, et la date de votre passage et ce qu’il vous plaira.

L’Empereur prit la plume que lui tendait l’ermite et se baissa.

 

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Le Monte Tiberio et son ermite.

 

Des aventures aussi rocambolesques ne pouvaient pas manquer d’être adaptées en BD. Deux versions, fidèles au texte de Maurice Leblanc mais différentes par le style ont été éditées.
La première, en 3 tomes, est l’œuvre de Marie-Madelaine Bourdin (surtout connu des amateurs du genre pour sa série Titounet et Titounette). Publiée en deux tomes en 1977 dans la collection Les grands succès de la bande dessinée chez Prifo, elle se présente sous une forme archaïsante avec des vignettes en noir et blanc surmontant des cases de texte. Brossés à grands traits, les dessins se veulent néanmoins réalistes et le Kaiser y est facilement reconnaissable.

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La première rencontre du Kaiser et d'Arsène Lupin (t. II, p. 79).

 

La seconde version est due à André-Paul Duchâteau (scénariste de la série Ric Hochet) et à Jacques Géron. Sortie en deux tomes, elle paraît en 1990 et 1991 chez Claude Lefrancq Editeur (CLE). D’une facture classique, elle respecte les codes de la ligne claire ; toutefois, le Kaiser y est représenté sous des traits qui ne sont manifestement pas les siens.

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Le Kaiser et Arsène Lupin lors des recherches au château de Veldenz (t. II, p. 25) ; notons l'aspect particulièrement ridicule du casque à pointe impérial...

 

Après les images fixes, passons aux images animées…
Alexandre Astruc et Roland Laudenbach on tourné en 1980 pour Antenne 2 un téléfilm en 6 épisodes intitulé Arsène Lupin joue et perd, qui est une adaptation fidèle de l’œuvre de Maurice Leblanc. Malheureusement, l’acteur Anton Diffring (1918-1989) qui tient le rôle du Kaiser ne lui ressemble en rien et se contente d’y jouer ce rôle caricatural d’allemand froid dont il se fit une spécialité tout au long de sa carrière. Ce téléfilm est aussi diffusé en 2 DVD :

 

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4

 

En 1957, Jacques Becker a réalisé Les aventures d’Arsène Lupin - très librement adaptées des ouvrages de Maurice Leblanc - film dans lequel Guillaume II tient une place importante et le Haut-Koenigsbourg remplace le château de Veldenz. Alors qu’il s’était réservé le rôle du Kronprinz, le réalisateur à donné le rôle du Kaiser à l’acteur allemand Otto Eduard Hasse (1903-1978) qui, tant pour le physique que pour la personnalité affiche une ressemblance stupéfiante – même sans substance illicite – avec le souverain… Ce film est actuellement distribué en DVD par la société Gaumont.

 

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Jacquette du DVD Gaumont.

 

6

 

73 
En haut, dernière page d'un livret publicitaire pour la version allemande du film ; en bas l’Empereur peu avant la première guerre mondiale.

 

Et pour finir, un court extrait du film de Jacques Becker dans lequel E. O. Hasse fait un passage rapide devant un garde du corps jouant les hallebardiers de service...

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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