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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 19:04
85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Le docteur Georg Ernst Hinzpeter (photographie tirée du site http://www.kamienie-wilhelma.net.pl/wilhelm-ii).

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Depuis le début de ce blog, je cherche à faire découvrir la personne du Kaiser en donnant le plus souvent possible la parole à ceux qui l’ont côtoyé : à la différence des commentateurs et des historiens, ceux-ci l’ont vraiment fréquenté et ont donc pu s’en faire une idées bien plus précise – même s’il convient encore de passer leur témoignage au crible d’un examen critique. Grâce à l’aide de Franck Sudon je peux aujourd’hui vous proposer la première traduction française d’une plaquette de 15 pages publiée à Bielefeld peu après l’accession de Guillaume II au trône et écrite par le docteur Georg Ernst Hinzpeter (1827-1907), qui fut son précepteur de 1866 à 1879.

Nous y découvrons un portrait plutôt sympathique au moral et au physique du jeune souverain par une personne l’ayant suivi de très près. Certes, Georg Ernst Hinzpeter n’aurait pas pu publier un ouvrage trop critique, mais bien des passages de ce texte qui traitent des faiblesses de son sujet (si j’ose ainsi m’exprimer), sont loin de l’hagiographie et plaident en faveur de la franchise de l’auteur. Le lecteur notera qu’il n’y est fait que très rarement allusion à des épisodes précis de la vie du prince Guillaume, ce qui s’explique à la fois par la nécessaire discrétion qui s’imposait alors aux proches du pouvoir 1 et par la brièveté de l’opuscule. Docteur en philosophie et en philologie classique, se définissant lui-même comme un « raisonneur philosophique », le docteur Hinzpeter écrit dans le style relevé, pour ne pas dire tarabiscoté, assez commun aux universitaires du XIXe siècle.

1 Que les critiques veuillent bien se rappeler comment récemment encore en France, la maladie fatale d’un président fut présentée comme une « forte grippe » ou comment l’un de ses successeurs put avoir une fille cachée sans que les personnes en ayant connaissance ne le rapporte (même parmi ces admirables journalistes si prompts à prétendre qu’ils n’ont jamais la moindre complaisance pour le pouvoir…)

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Dans toute l’Allemagne aujourd’hui est agitée la question avec un souci anxieux, avec un intérêt cuisant ou au moins avec une vive curiosité : A qui le jeune empereur désire-t-il ressembler ? Après des mois au cours desquels un peuple entier a été absorbé par la compassion admirable pour son empereur mourant, un sentiment d’apaisement des esprits s’est installé, si bien que la blessure que la mort de l’empereur Guillaume avait infligé au corps social et qui jusqu’ici était restée ouverte et l’avait maintenu fiévreux, est enfin refermée 2.

2 En 1888, Guillaume Ier avait été remplacé par Frédéric III, atteint d’un cancer en phase terminale, si bien que l’opinion allemande avait baptisé cette année où régnait tant d’incertitude politique « l’année des trois empereurs ».

Mais cet apaisement est grevé d’une question toute naturelle du fait des circonstances : si ce nouveau roi vit, comment et pourquoi vivra-t-il ? De quel esprit est-il l’enfant ? De quel cœur et de quelle âme est-il doté ? Aussi, après que le nouvel empereur a parlé à son peuple dans les rue ou du haut du trône et fait connaître ses pensées, demeure toujours la question suivante : que signifient de telles paroles dans sa bouche ? Quelle valeur leur donne son caractère.

La dynastie prussienne a droit à la confiance de tout le peuple allemand du fait de ses incomparables succès ; et ce peuple avec empressement l’apporte pareillement au jeune empereur. Le rédacteur des pages suivantes se tient très éloigné de la prétention de vouloir la créer en premier. Mais il croit pouvoir dresser un portrait, après plus de 20 années au cours desquelles il a suivi en situation le développement de cette individualité et plus de la moitié de cette durée pendant laquelle il a fait de la nature de cette individualité l’objet d’une étude zélée, portrait qui peut être tenu pour plus réaliste que les innombrables produits de la fantaisie qui ont été répandus et qui, sans doute, ont pu déjà éveiller de ce fait crédit et sympathie.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Portraits des rois de Prusse de Frédéric Ier à Guillaume II.

De l’union de l’entêtement guelfe 3, facilement transformé en énergie, et de l’obstination des Hohenzollern appariée avec leur idéalisme, est né le 27 janvier 1859 un être humain avec une individualité fortement et singulièrement marquée, laquelle ne peut au fond être modifiée par rien et en conséquence s’est développée, résistante aux fortes influences extérieures, en suivant sa particularité ; un être  singulièrement cristallin. Assemblage, qui au cours de toutes les phases de son développement s’est maintenu et qui a toujours conservé son caractère au travers de toutes ses  métamorphoses naturelles. Déjà chez le garçonnet – bébé miraculé et très fillette 4, dont la sensibilité, à cause de la gêne très pénible de son bras gauche, s’accrut jusqu’à la faiblesse – sa résistance frappa, résistance que fit naître toute pression, tout essai pour contraindre l’intérieur de cet être à une forme fixée. Le poids de l’étiquette, qui domine l’existence d’une famille princière, rendait assez facile à modeler la vie extérieure et la conduite d’après une forme prescrite et certainement à créer des aptitudes et imposer des habitudes, bien souvent inconfortables voire pénibles. Regard et maintien graves, propos et comportement courtois, exercices galants, et conversations en langues étrangères, tout ceci n’était pas difficile à appliquer, et là ni les moyens physiques ni les moyens intellectuelles ne manquaient et là encore la soumission à la discipline extérieure fut rapidement reconnue comme inévitable par une réflexion sensée. Dans l’empressement, de faire son devoir, qui est dans son sang, et de même dans son indifférence innée vis à vis des aises matérielles et de la jouissance, tout son temps fut consacré avec une admirable soumission, spontanée et sans réserve, avec la même facilité aux impératifs de l’école ou du régiment, et pareillement il acquit, les multiples habiletés de la représentation, souvent difficiles à apprendre.

3 Surnom désobligeant donné à la maison de Hanovre (à la façon du « Welche » réservé aux Français) dont le Kaiser descendait par sa mère, fille de la reine Victoria ; on se souvient que les Hanovre étaient montés sur le trône de Grande-Bretagne en 1714 avec Georges Ier.

4 « sehr mädchenhaften Knaben » dans le texte d’origine.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Sur cette photo prise bien après son accession au trône, on peut voir la différence de longueur des bras du Kaiser.

Mais plus toutes ces choses superficielles se laissaient traiter et réaliser avec le zèle nécessaire et plus il était difficile de saisir l’être intérieur et de pousser le développement de celui-ci dans une direction déterminée. Déjà à la discipline de la pensée résistait une nature roide à l’extrême. Le débordement du surplus d’imagination et d’émotions dès sa prime jeunesse, comme pour tous les enfants princiers, eut pour conséquence un éparpillement certain dans la pensée et une certaine insensibilité 5 dans ses sentiments. La lutte contre un tel manque de capacité de concentration aussi néfaste est dans l’éducation d’un prince la mission de loin la plus importante. Ce manque, dans une nature en soi si roide, était difficile à combler. Seule une sévérité extrême et le concours énergique de toutes les autorités concurrentes pouvaient vaincre la résistance, jusqu’à ce que la conscience éveillée assiste la volonté propre, avec laquelle chaque difficulté était bientôt surmontée.

5 « Blasierheit » dans le texte d’origine.

Même face à cette pression par moment puissante des forces morales qui avançaient méthodiquement, l’être intérieur du prince grandissant se défaussait toujours ; tout ceci aboutissait au développent selon une constante de sa nature, touchée par les influences extérieures, modifiée, dirigée, mais jamais essentiellement transformée ou repoussée.

De sa mère éminemment douée et active sur le plan artistique, il a un plaisir certain à l’exercice de ses talents hérités et s’enthousiasme pour toutes les créations de l’art, de son père bourgeoisement libéral il a un complet détachement face aux préjugés de caste et à la présomption liée à la position ; de son précepteur, raisonneur philosophique, il a reçu une certaine inclination à discuter et argumenter, mais l’influence de ces hautes autorités n’a pas été écrasante ; aucune n’a pu donner son empreinte à ce dur matériel. Ceci apparut par moments, l’on faisait alors comme si cela survenait à propos ; de là, différentes sortes d’illusions sont nées, dont la destruction tardive a provoqué ensuite d’amers sentiments de déception, lorsqu’il fut démontré que l’être essentiel était demeuré inchangé. Cette plante vigoureuse et particulière suça ce qui était utilisable pour son développement spécial de tout ce qui lui fut offert et l’assimila en vue d’une croissance joyeuse.

L’enseignement religieux lui fut exposé un long espace de temps par un ecclésiastique libéral et à la suite d’un soudain changement par un autre strictement orthodoxe. La crainte d’un égarement doctrinal n’entra pas du tout en ligne de compte ; la capacité particulière de cet esprit à ne pas dévier de son chemin, principalement à prendre ce qui lui convient, lui fit assembler, au moyen d’un labeur propre et pour son usage personnel, ses représentations religieuses, à partir du matériel offert. Heureusement pour lui et pour nous, que ceci était conforme à son être, et que ceci lui réussissait ! Il est de ce fait très propre à exercer la fonction de premier évêque de l’Eglise et pas du tout celle de chef de parti 6.

6 Nous avons déjà pu constater cette absence de dogmatisme dans notre billet 22 – Etats d’âme d’un pèlerin.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Le Kaiser en oraison pendant son voyage en terre sainte ; on notera le pope se tenant sur la droite du dessin.

Selon les conceptions des parents, la donnée suivante réglait l’éducation, par opposition à la tradition : il fallait procurer l’avantage, chez le prince grandissant, à l’intérêt pour la vie civile sur le militaire. Pour atteindre ce but, différents moyens furent utilisés et toutes les occasions offertes furent saisies ; la transplantation inhabituelle à Kassel du prince résultat en bonne partie de ce point de vue 7. Musées, usines, ateliers et mines furent visités et étudiés avec assiduité ; mais à côté de la sympathie intense pour la vie scolaire, la vie estudiantine et la vie du peuple, l’intérêt congénital pour la chose militaire grandit avec force, jusqu’à atteindre une large place dans ses rêves, sa pensée et sa conduite. Mais cependant ici encore de façon particulière. Bien que le Prince se sentît exceptionnellement bien au sein des cercles constitués par les officiers de Postdam, les idées de ces derniers ne le dominèrent en aucune façon. L’antipathie des mêmes à l’endroit d’une marine qui s’élevait avec peine afin d’avoir les mêmes droits que sa rivale, troubla si peu sa sympathie tôt née pour cette marine, que bien au contraire il entreprit de rallier ses camarades à ses conceptions par des interventions publiques sur la flotte. Avec un vif intérêt, souvent avec un grand enthousiasme il prit soin de participer à la vie et aux aspirations de ces cercles, au sein desquels et durant les différentes phases de son développement il fut plongé, dans le sentiment de la solidité de sa propre personnalité, et ceci loin de tout faux orgueil : mais jamais il ne s’y est perdu totalement, et toujours il a conservé et démontré son autonomie dans son ressenti et son jugement. De là beaucoup de déceptions ont trouvé leur cause, de nombreuses plaintes ont été prononcées sur l’insubordination, l’incertitude, l’ingratitude, voire le manque de cœur ou de piété. Les mêmes sont aussi injustes que compréhensibles.

7 De 1874 à 1877, le prince Guillaume avait suivi les cours du Gymnasium de Cassel.

Le malaise de la poule, qui couve un œuf de canne et qui voit son jeune nager, est sans doute proverbial et naturel, mais plaintes et reproches de cette dernière sur la dépravation du goût et l’absurdité du penchant auraient peu de succès. Le couple d’aigles n’est pas dans son droit, de blâmer l’aiglon, qui choisit son propre vol ; que  d’autres le gourmandent, est aussi peu souhaitable que probable.

Jamais âme humaine n’a été plus fortement saisie par les sentiments élevés de vénération, de respect et de reconnaissance, que celle de ce prince lorsqu’il fut plus mûr, exigeant une nourriture positive et politique, il s’approcha de son grand père, de son père et du puissant chancelier, et ceux-ci consentirent à l’initier à leurs idées et leurs plans, et même à l’employer dans leur réalisation 8. Aussi même une âme moins accessible à l’enthousiasme, à cause d’une fréquentation intime de ces trois grands prêtres de la sagesse pratique du monde, aurait dû être emportée et ensorcelée. Mais même dans cette épreuve du feu, il su conserver son être autonome ; celui-ci, n’a pas été pressé en une forme étrangère par ce poids puissant ; bien au contraire il s’est maintenu dans sa pensée propre, maintenant énergiquement éclairée et dans une volonté épurée. Attachement, respect et reconnaissance constituent les éléments les plus importants et les plus agissants de sa nature. Ils sont une condition préalable essentielle à son harmonie ; ils lui donnent avec la flamme vitale et la plénitude des forces avant tout son charme singulier. Sans son admiration pour sa mère 9, sa vénération sans borne pour son grand père et son père, son affection profonde pour son frère, son vif amour pour sa femme et ses enfants, son apparence globale, alors qu’il se tient face aux yeux du monde comme une figure humaine avenante, serait incompréhensible. Qui voudrait se laisser submerger sous les tentatives de calomnie, à la fois niaises et indignes, ne verrait qu’une caricature haïssable de sa véritable personnalité. Le parcours, parlant par métaphore, presque trop rapide du jeune prince bouillonnant de paroles et de démonstrations pour devenir un monarque posé, réservé, plein de dignité est l’action de profondes secousses, qui le firent souffrir dans sa vie affective durant ces effroyables dernières années, du fait du destin tragique et sans comparaison de sa famille. La douleur incommensurable, pour un grand père profondément pleuré, pour un père souffrant indiciblement et dignement, et pour les malheurs indescriptibles de sa mère 10, devait produire le déploiement de sa nature, et avoir pour base un sentiment noble et chaleureux dans sa pensée comme dans sa volonté. Elle est donc caractéristiquement à la fois absurde et méchante la construction du mythe qui fixe à cette période de décantation et de construction, les pensées les plus mauvaises et les plans les plus noirs, à charge d’une personne indignement méconnue. A la vérité, celui qui cherche sa voie en toute indépendance est entrepris par les critiques venant de toutes parts ; elle a dans ce cas pris de multiples formes allant des sévère plaintes et reproches de ses propres parents aux calomnies les plus niaises des feuilles étrangères. Il est aussi entrepris du fait que ses déclarations les plus simples et ses pas les plus ingénus furent mal interprétés et exploités par les partis, alors que justement les tentatives et les intérêts des partis heurtent sa nature et doivent l’heurter. Cette dernière conformément au sens propre du mot est « souveraine », en effet l’essence de la souveraineté réside dans l’indépendance vis à vis de toute puissance étrangère et dans l’empire sur soi-même. Chez lui, ces deux sentiments se sont montrés prédominants non seulement négativement dans la défense vis à vis toute force étrangère sur sa propre nature, mais aussi positivement dans l’épanouissement de sa propre individualité et la structuration de sa propre vie.

8 Si le prince Guillaume fut très proche de son grand-père et du chancelier Bismarck (du moins jusqu’en 1888 pour ce dernier), on ne peut en dire autant de ses rapports avec ses parents ; à preuve l’opposition de ceux-ci lorsque Bismarck voulut faire suivre par le jeune prince un stage au ministère des affaires étrangères à  l’automne 1886 ou lorsqu’il fut question de lui faire remplacer son père malade à l’entrevue de Gastein ou au jubilée de la reine Victoria.

9 Ne partageant pas les opinions politiques de sa mère, les rapports du prince Guillaume avec elle se tendirent au fur et à mesure de l’émancipation du prince, sans que ce dernier ne cesse de lui manifester une affection parfois ponctuée d’accès d’autorité.

10 Outre la longue maladie qui finit par emporter son époux, on peut ajouter la mort en bas âge de ses fils Sigismond et Waldemar, la porphyrie de sa fille Charlotte ainsi que les nombreuses avanies et vexations endurées par celle qui était restée « l’Anglaise » pour la cour de Berlin.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Le prince Guillaume et son bien aimé grand-père.

Une blessure à la naissance, laquelle eu pour conséquence une incurable faiblesse du bras gauche, constitua un obstacle particulier à son développement physique et psychique, art médical et soins ne furent pas capables de l’éliminer, alors que l’enfant avec une énergie inhabituelle de volonté s’y employait. Il s’agissait de surmonter Le sentiment naturel d’une gêne corporelle et inévitablement liée à cela, la timidité. Ce fut pour lui une performance morale éminente que de devenir un tireur excellent, un nageur et un cavalier, et un homme audacieux et intrépide. Cet homme maintenant dans le cas qui n’est pas improbable d’un attentat, peut nourrir le souhait d’avoir encore assez de force pour se saisir du meurtrier et le châtier. Jamais n’est entré dans l’armée prussienne un jeune homme, qui physiquement apparaissait aussi peu apte a devenir un officier de cavalerie brillant et énergique que le prince Guillaume. Lorsque son régiment de hussards 11 fut présenté à son grand père à la critique tranchante, et lorsque son redoutable oncle 12 nota qu’il faisait autorité dans le domaine de la cavalerie, il récolta des félicitations qui sonnaient comme une excuse : « Tu as bien fait cela ! Je n’aurais jamais cru cela ! » 13. Il avait acquis, par un travail sur lui même honnête et dépassant la commune mesure, le droit à une position dominante qui dépassait son âge ; ainsi se dominer soi-même, s’élever soi-même se comprirent comme transformer une faiblesse naturelle en une source de force et d’énergie. Le peu de personnes, qui jadis put mesurer l’importance de la performance, de cette victoire de la force morale sur la faiblesse physique, s’est senti justifié depuis cette époque à mettre sur cette personnalité de fiers espoirs.

11 Dans le cadre de sa formation militaire, le prince Guillaume avait été nommé colonel commandant le régiment des hussards de la Garde.

12 Le prince Frédéric-Charles de Prusse (1828-1885), petit fils du roi Frédéric-Guillaume III, était alors inspecteur général de la cavalerie.

13 Le docteur Hinzpeter exagère peut-être la qualité de ce compliment plutôt ambiguë…

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Vignette 3/12 de la série de propagande Unser Kaiser parue en 1913, montrant le prince Guillaume en colonel des hussards de la Garde en 1885.

De façon analogue, il est caractéristique de son complet développement, qu’il chercha par dessus tout dans une imperturbable autonomie et une maîtrise de soi, à prendre ce qui se présenta d’heureux ou malheureux, de bon ou de mauvais, de beau et de haïssable, clarté, précision, mesure et équilibre, force et intelligence purent croître en lui et commander. La vue du Kulturkampf avec ses suites lamentable renforça son sens naturel de justice et tolérance religieuse. Une perception personnelle et des plus exacte de l’existence dure et dénuée d’espoir de la population ouvrière, la comparaison, par la réflexion, avec sa perception de ses propres aisance et tranquillité matérielles, le surgissant intérêt pour les question sociales actuelles firent de la nécessité de réformes sociales, pour son sens très juste, un axiome incontestable et une de ses conceptions personnelles préférées. Un séjour en Grande Bretagne conforte sa conviction dans la grande valeur d’un pouvoir central fort et à renforcer, un autre voyage antérieur en Russie lui fait apprécier la gestion directe. Tous ses voyages en France comme en Italie améliorent sûrement son sentiment national allemand, lequel a toujours été en lui facilement excitable. Le plaisir joyeux de la poésie allemande de toutes les périodes, de Beowulf 14 jusqu’à Felix Dahn 15, soulevait son enthousiasme pour la vie et la sensibilité de toutes les époques, comme s’allumait à la réception méditative de l’histoire allemande son exaltation pour les faits et les héros allemands, de Charlemagne et de ses paladins jusqu’aux formes héroïques que sont ses propres père et grand père. Que les héros et triomphes prussiens éveillèrent à un niveau particulièrement élevé de passion et de fierté, n’est pas là pour étonner ; sa nature, qui doit être classée d’après ses forces et ses faiblesses dans une rubrique universelle, certainement devrait être décrite comme éminemment prussienne, d’autant plus que l’histoire de sa patrie prussienne est pour lui plus essentielle que l’histoire de sa famille. L’élan, que sa nature excitable reçoit grâce à une telle admiration, fut une nouvelle source de force et d’élévation. Le penchant à l’émulation se développa jusqu’au regret profondément ressenti, d’avoir vécu les derniers grands triomphes de la patrie comme enfant plein d’allégresse plutôt que comme homme agissant ; et jusqu’à l’aspiration si méchamment incomprise de la malveillance à avoir le droit de participer à d’aussi grands évènements. Que misérable serait une âme, qui ne ressentirait pas une telle aspiration et se plairait dans la jouissance de ce qui a été acquis par d’autres. Elle doit donc être ainsi remplie, comme elle est remplie de l’ambition, de se montrer digne des grands ancêtres par l’accomplissement d’ouvrages brillants dans la paix comme dans la guerre, comme cela est fixé par le destin. Si d’aventure l’influence incongrue de la fantaisie et la passion joue sur son action, son entendement supérieur y palliera supérieurement, ce dernier formant un ingrédient aussi important que les autres dans le mélange propre à son être. La colère et la haine aussi bien que l’amour et l’émerveillement réchaufferont toujours son âme en vue d’une avance énergique, et sans doute jamais ne l’échaufferont jusqu’à oser témérairement. L’intelligence et la justice ne sont pas pour lui des vertus simplement théoriques, mais au contraire correspondent à toute sa nature, et sont des qualités qui déterminent aspiration et action. Sa campagne connue contre la passion du jeu du jeune monde distingué 16, si antipathique à sa modération dans les plaisirs et si contraire à toute sa conception de la vie, passion qui devant ses yeux anéantit des existences en fleur et de ce fait déclencha une profonde indignation, put seulement être un succès, parce qu’elle fut conduite avec une sage mesure dans les limites correspondant à sa position, à l’époque, de commandant de régiment. Déjà cette intelligente limitation lui rapporta la revanche ressentie avec joie de l’approbation sans réserve d’un père pourtant si dur dans la critique.

14 Poème épique anglo-saxon composé dans le dernier quart du premier millénaire de notre ère.

15 Félix Ludwig Sophus Dahn (1834-1912) professeur de droit de formation, publia de nombreux ouvrages sur les mythes et l’histoire germanique.

16 Lorsqu’il prit le commandement du régiment des hussards de la Garde, le prince Guillaume s’engagea dans une lutte contre le jeu parmi ses officiers. A ce titre, il s’en prit avec détermination au Club de l’Union, cercle de jeu fréquenté par nombre de personnes influentes, ce qui lui valut bien des inimitiés.

Le combat contre la passion, qu’il a entrepris ici pour autrui, il l’a conduit avec une inflexible dureté en lui même et il a gardé la mesure comme un principe de vie. Même sa famille est pour lui l’indispensable base de sa vie : être ensemble avec femme et enfants est pour lui un besoin impérieux ; son affection éclaire sa vie, et ses soins pour eux réchauffent son cœur ; toutefois ses sentiments ne doivent pas dévorer sa force mais l’accroître. Seul un sentiment guide sa vie entière et ses efforts, domine toutes pensées et réflexions, agit irrésistiblement en vue de la tension de toutes les forces, et si nécessaire de la prise audacieuse d’un risque. C’est le sentiment du devoir, qui est le ressort le plus fort et le plus agissant chez tous les membres de sa race. Dans le membre dont nous parlons, ce sentiment est toujours devenu plus fort, et chaque fois que possible, ce sentiment a laissé apparaître le renoncement à toutes les prérogatives de la position et l’acquisition d’honneur et de position au moyen d’un effort propre comme allant de soi. Ce sentiment a cru naturellement d’une façon particulièrement forte et congruente à son être entier. Ce sentiment fait de lui le premier serviteur de l’Etat, comme il se présente lui même, posant le bien public au dessus des intérêts particuliers, notamment au dessus des intérêts personnels et pour le salut de la patrie aimée au dessus de tout 17, ses propres aises, son propre avantage, sa propre vie sont sacrifiés sans hésiter ou s’adaptent.

17 « Uber alles » dans le texte d’origine, comme dans la célèbre chanson allemande...

Il a aussi maintenant en lui, sans le vertige de la présomption et sans la faiblesse d’un simple sentiment de sécurité résultant d’une foi solide en soi et en son emploi royal, la force d’accéder au trône de ses ancêtres, cette élévation unique, où l’autonomie et l’empire sur soi sont des articles d’équipement des plus indispensables. Ceci lui fait saisir, sans hésitation de la main, les rênes du gouvernement et remplir sa charge sans être écrasé par cette responsabilité incommensurable. Il sait qu’il a été appelé à cette charge et qu’il doit maintenant s’en acquitter avec Celui, qui est sur et en lui. L’aide peut lui être apportée par la conviction que non seulement c’est le Ciel 18 qui l’a appelé à cette charge mais encore que pour lui sa protection est certaine.

A Lui, nous voulons le recommander.

18 On remarquera que le mot Dieu n’est jamais utilisé dans cette pieuse conclusion.

A la fin de cette lecture, nous avons un portrait psychologique et moral du Kaiser que confirme son comportement ultérieur. De ses principales caractéristiques – esprit doué, manque de concentration, résistance à toute influence extérieure, absence de dogmatisme religieux et sens du devoir – seul le dernier ira en s’estompant avec le temps comme l’illustrent les nombreux voyages impériaux.

85 - "L'empereur Guillaume II : Une esquisse dessinée d'après nature"

Le Kaiser assistant aux obsèques du professeur Hinzpeter.

Je me dois ici de renouveler mes remerciements à Franck Sudon pour sa traduction ainsi que pour ses remarques sur le style d’Hinzpeter, fruits de son travail sur un texte imprimé en gothique comme il était d’usage à l’époque.

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28 mars 2015 6 28 /03 /mars /2015 19:26
84 - Tonnerre au paradis

L’amiral comte Maximilian von Spee (timbre émis au profit des foyers pour aviateurs).

Dans un précédent billet j’ai rapporté comment le sous-marin U9 commandé par Otto Weidigen avait envoyé par le fond trois croiseurs britanniques le 22 septembre 1914. Ce même jour, à l’autre bout du monde, se déroulait une autre combat, moins heureux pour la marine impériale.

84 - Tonnerre au paradis

L’escadre allemande d’Extrême-Orient à Tsingtau (d’après une vignette publicitaire de la fabrique de cigarettes Garbaty de Berlin reproduisant un tableau de F. E. Waschmuth).

Depuis 1912, l’amiral comte Maximilian von Spee (1861-1914) commandait l’escadre allemande d’Extrême-Orient stationnée à Tsingtau ; en cas de conflit avec la France ou la Grande-Bretagne elle était censée s’en prendre aux lignes maritimes et au commerce de ses adversaires. Toutefois, la déclaration du guerre du Japon avec sa flotte puissante le 23 août 1914 modifiait singulièrement la situation militaire, ainsi que le résume l’amiral Tirpitz : « L’entrée en guerre du Japon renversa le plan d’opération de notre escadre de croiseurs contre le commerce ennemi et contre les forces anglaises d’Extrême-Orient ; il ne lui restait qu’à tenter de regagner nos ports » 1. Toutefois, dans la longue route qui devait le ramener en Allemagne en passant par le cap Horn, l’amiral comte von Spee se devait de porter un maximum de dommages aux intérêts alliés, tout en assurant le ravitaillement de ses navires dans des conditions très difficiles.

1 Mémoires du grand-amiral von Tirpitz (Payot ; Paris, 1930) p. 363.

84 - Tonnerre au paradis

Le SMS Scharnhorst navire-amiral de l’escadre allemande.

Aussi, sur son chemin, l’amiral décida d’avitailler en force son escadre à Tahiti qui ne disposait que de défenses insignifiantes : la vieille canonnière Zélée 2 sous les ordres de l’enseigne de vaisseau Maxime Destremau (1875-1915), dépassée et à bout de souffle, ainsi qu’une poignée de coloniaux, de réservistes et de volontaires mal armés et mal équipés. Toutefois, avant de s’en prendre à Papeete, l’amiral décida de faire escale à Bora Bora pour se ravitailler et se renseigner sur la situation. Je laisse maintenant la plume au petit-fils du commandant Destremau pour relater cet épisode des plus cocasses.

2 Canonnière de type Surprise lancée à Rochefort en 1899 ; elle était longue de 56 m pour un déplacement de 6456 tonneaux, armée de deux canons de 100 mm, quatre canons de 65 mm ainsi que de quatre canons de 37 mm. Elle était revenu victime d’une avarie de propulsion de sa dernière croisière aux Iles Sous-le-Vent.

Le 21 septembre 1914, les deux croiseurs allemands arrivent en vue de Bora Bora. Ils pénètrent dans la rade après avoir masqué leurs noms et leurs pavillons, et commencent à décharger le charbonnier qui les suit depuis une dizaine de jours. Une petite expédition est envoyée à Vaitape, principale agglomération de l’archipel, pour se procurer des vivres.

84 - Tonnerre au paradis

Les cases de Vaitape.

Située à 250 km au nord-est de Tahiti, Bora Bora est la perle des Iles Sous-le-Vent. Encerclée par un vaste anneau de corail qui protège un lagon éblouissant de lumière et de couleurs, l’île est surplombée par les 660 m de mont Pahia. Vaitape est administrée par un brigadier de gendarmerie représentant le gouverneur et régnant sur une dizaine d’Européens.

Revêtu de son uniforme, le brave militaire se rend, tout ému, à bord de ces visiteurs de marque qu’il prend pour des Anglais. Il n’a jamais vu deux bateaux de cette dimension et si puissamment armés. Il est aussi frappé, lors de l’approche de la pirogue dans laquelle il a prit place, par l’ordre qui lui paraît exemplaire et par l’étrange silence de ces hommes s’activant fébrilement. L’officier qui l’accueille à l’échelle lui demande en français des nouvelles de la guerre. Le brigadier ne sait rien, mais donne complaisamment des informations sur les armements dont dispose Tahiti, les effectifs, le stock de charbon augmenté par la capture du Walküre 3, en bref, il fournit des renseignements insignifiants pour des alliés mais précieux pour des ennemis.

3 Cargo allemand capturé par la Zélée à Makatea le 27 août 1914 au cour de sa dernière croisière.

84 - Tonnerre au paradis

Le SMS Gneisenau.

- Si les Allemands attaquent, ce sera facile puisque vous êtes dans les parages pour nous prêter main-forte. Car il n’y a pas ici de navires français à l’exception de la petite Zélée archaïque et asthmatique. En ces temps incertains, il est bon de compter les uns sur les autres, n’est-ce pas commandant ? Que puis-je faire d’autre pour vous ?

84 - Tonnerre au paradis

La Zélée (enveloppe premier jour de Polynésie française de 2007).

Le brave gendarme se met en quatre pour rendre service à ceux qu’il croit être les vaillants partenaires de son pays. Il secoue les indolents insulaires qui se démènent et parviennent en un temps record à faire embarquer des volailles,  des fruits et légumes en quantité, ainsi que des bœufs vivants, meuglant lamentablement dans les airs au bout des palans. L’officier francophone, amical et fort sympathique, fait payer rubis sur l’ongle toutes ces livraisons, après avoir convié le brave brigadier à prendre un verre dans le carré désert.

84 - Tonnerre au paradis

Embarquement de bétail vivant sur un navire de guerre.

En fin d’après-midi, prévoyant que le charbonnage touche à sa fin, le brigadier retourne à bord du Gneisenau 4 muni d’un magnifique bouquet de fleurs :

- Pour l’amiral, en témoignage de l’Entente cordiale ! Et mort aux Boches ! A notre victoire !

- Oui brigadier. Vive la France et l’Angleterre !

4 Croiseur cuirassé lancé à Kiel en 1906, armé de huit canons de 250 mm, 6 canons de 150 mm, 18 canons de 88 mm et quatre tubes lance-torpilles de 450 mm.

84 - Tonnerre au paradis

Pavillon de la marine impériale allemande (vignette publicitaire de la fabrique de cigarette Massary à Berlin).

Quand, vers quatre heures, les deux croiseurs appareillent, le brigadier agite son mouchoir en souhaitant bon vent à de si valeureux marins et de si courtois gentlemen. Connaissant les coutumes maritimes, il fait hisser un gigantesque drapeau français au moment où ils franchissent la passe.

Pour ne pas être en reste de politesse, l’amiral von Spee arbore alors sur ses deux navires l’orgueilleux pavillon de la marine allemande en guerre : fond blanc, croisé de noir, aigle prussien dans l’écusson central et, dans le coin supérieur gauche, croix de fer se détachant sur les trois couleurs impériales. Pour faire un bon compte, sa flamme d’amiral monte au guideau du Scharnhorst 5 6

5 Croiseur cuirassé lancé en 1907, sister-ship du Gneisenau.

6 Didier Destremau Jours de guerre à Tahiti (Les éditions du Pacifique ; 2014) pp. 92-93.

84 - Tonnerre au paradis

Marque de vice-amiral de la marine impériale allemande (vignette publicitaire de la fabrique de cigarette Massary à Berlin).

L’étape suivante de l’escadre allemande allait moins relever du vaudeville. Je cède dons maintenant la plume au capitaine de frégate Hans Pochhammer, commandant en second du SMS Gneisenau.

84 - Tonnerre au paradis

Papeete avant l’arrivée de l’escadre allemande.

Nous reprîmes la mer à 16 heures afin de nous trouver le lendemain matin devant Papeete, capitale de Tahiti et siège de l’administration des possessions françaises d’Océanie. Mais le courant nous joua encore un mauvais tour. Ce n’est qu’à l’aube que nous constatâmes qu’il nous avait dépalés dans l’ouest ; augmentant de vitesse, nous arrivâmes une heure après devant notre objectif. Mais ce temps fut suffisant pour permettre à la terre de se préparer à combattre et de commencer l’évacuation de la ville. A travers les grosses lunettes de l’artillerie nous pûmes nettement apercevoir les citadins qui s’enfuyaient le long du quai en se bousculant. Avant même que nous eussions ouvert le feu, un large nuage de fumée sombre, atteignant une hauteur prodigieuse, s’éleva à l’endroit où devait se trouver le dépôt de charbon. On mettait le feu aux approvisionnements pour qu’ils ne tombassent pas entre nos mains. Bientôt après, de petits flocons blancs apparurent sur les collines et furent suivis par des projectiles qui tombèrent à droite et à gauche de notre navire-amiral 7. « Quelle impudence, pensâmes-nous, engager le feu contre nous, avec un couple de pétoires ! » L’amiral, qui ne voulait que se faite livrer des vivres et du combustible et ne détruire les organisations militaires de l’ennemi qu’après les avoir obtenus ou que s’il ne pouvait les obtenir, en vit ses plans modifiés. Il nous amena en ligne de file à environ 6.000 mètres de la ville, attendit patiemment qu’un fiacre isolé et un cycliste qui s’étaient attardés tous les deux se fussent mis en sûreté et fit alors ouvrir le feu sur les batteries de côte. Elles furent bientôt réduites au silence 8. Il se rapprocha alors et ordonna de prendre pour but la canonnière française Zélée qui était accostée au vapeur allemand Walkure qu’elle avait capturé et qui s’était paré comme pour une fête : un énorme pavillon tricolore ondulait à sa corne et une longue flamme nationale flottait à son mât. Quelques obus de 15 cm. arrachèrent son bordé à babord ; ses amarres se rompirent, bientôt l’arrière disparut sous l’eau et le navire chavira 9. L’équipage s’était sauvé à temps. Le vapeur avait naturellement reçu quelques coups, mais il appartenait désormais à l’ennemi et on pouvait penser qu’il n’y avait plus d’Allemands à bord. Les trajectoires étaient très tendues à cette courte distance, quelques projectiles passèrent par-dessus le navire et allèrent frapper dans la ville légèrement construite, et, bientôt un deuxième nuage de fumée noire nous montra qu’ils avaient explosé. Des dépôts de coprah, matière qui contient beaucoup d’huile, prient immédiatement feu. Mais nous lûmes plus tard dans un journal américain qu’à part ces dégâts s’élevant à 2.000.000 de dollars il n’était arrivé aucun malheur. Les seules victimes du bombardement furent la vieille femme habituelle en ces sortes d’occasions et un Japonais qui arrivait justement avec une automobile.

7 Conscient du peu de valeur militaire de sa canonnière, le commandant Destremau en avait fait déposer l’ artillerie, à l’exception d’un seul canon de 100 mm pour renforcer les défenses à terre de Tahiti. Les quatre pièces de 37 mm furent même installées avec des affûts improvisés sur des véhicules automobiles réquisitionnés pour l’occasion.

8 En fait, autant pour ne pas démasquer ses batteries que pour économiser ses rares munitions, Maxime Destremau avait fait cesser le feu après les premiers coups destinés à faire comprendre à l’escadre allemande qu’elle ne pourrait pas s’emparer de Papeete sans combattre.

9 Contrairement à la version donnée par le commandant Pochhammer, s’est son équipage qui saborda la Zélée et non les tirs des croiseurs allemands qui l’envoyèrent par le fond. Son drapeau, repéché par des plongeurs indigènes fut plus tard rendu au commandant Destremau.

84 - Tonnerre au paradis

Le Walküre coulé dans le port de Papeete ; à la différence de la Zélée, il sera renfloué et poursuivra sa carrière de navire de commerce.

Nous avions cessé le feu lorsque monta à terre, un signal par pavillons qui, d’après le code international, parlait vaguement d’« otages ». Nous ne comprîmes pas très bien ce que le gouverneur voulait ainsi dire. Nous vivions toujours dans l’idée surannée des sentiments chevaleresques des Français et du tact anglais et, bien que les « otages » du gouverneur ne pussent être que des civils faits prisonniers à l’encontre du droit des gens, nous devions cependant penser qu’il ne les ferait pas maltraiter à cause des agissements militaires et loyaux de son adversaire, qu’il avait d’ailleurs lui-même provoqués. S’il n’avait pas fait cette stupide résistance, nous n’aurions même pas tiré. Il ne nous avait causé aucun tort, car nous nous sommes procurés ailleurs, par la suite, des vivres et du charbon français. Nous eûmes mal au cœur de ne pouvoir rien faire pour nos compatriotes. Mais l’amiral devait supposer que des mines avaient été mouillées entre les coraux, dans l’entrée du port et renoncer, de ce fait, à entrer en communication avec la terre. Il tint pour remplie sa mission devant cette île et nous poursuivîmes notre marche. Nous aperçûmes longtemps encore les deux puissantes colonnes de fumée qui montaient droit, sous le ciel, se détachant sur les montagnes rougeâtres qui s’élèvent à plus de 2.000 mètres. Nous éprouvâmes à nouveau, en nous éloignant, un sentiment de déception. Nous avions bien coulé un navire de guerre ennemi et causé quelques dommages matériels à l’ennemi, mais nous n’avions cependant pas encore combattu. Nos hommes ne voulaient pas compter comme projectiles ennemis le couple de vieux boulets que nous avaient envoyés les forts. Quand devions-nous avoir enfin devant nos canons un adversaire à notre taille ? 10

10 Hans Pochhammer La dernière croisière de l’amiral von Spee (Payot ; Paris, 1929) pp. 93-95.

84 - Tonnerre au paradis

Exemple de dommages causé par le bombardement allemand.

Le bilan de cette affaire fut lourd pour tous les protagonistes : la flotte allemande n’avait pas réussi à s’emparer du charbon ni à se ravitailler, tout en révélant sa position aux Alliés, la ville de Papeete était gravement endommagée (bien plus que ne le laisse penser le commandant Pochhammer) à la suite du bombardement et de l’incendie des stocks de charbon et de coprah dans le port ; l’enseigne de vaisseau Destremau était désavoué par les autorités maritimes du fait de ses différents avec l’administration civile du gouverneur William Fawtier… Il fut toutefois réhabilité peu après sa mort par le ministre Lacaze puis décoré de la légion d’honneur à titre posthume le 25 février 1919 11.

11 Informations trouvées sur le riche site : http://ecole.nav.traditions.free.fr/officiers_destremau_maxime.htm.

 

En plus des deux ouvrages dont je me suis servi pour ce billet, le lecteur curieux pourra encore se rapporter au très classique (et très dythirambique…) Combats et batailles sur mer de Claude Farrère et Paul Chack. Enfin, le scénariste Didier Quella-Guyot et le dessinateur Sébastien Morice ont placé ces événements en toile de fond de leur BD historico-policière Papeete 1914 (en deux tomes).

84 - Tonnerre au paradis
84 - Tonnerre au paradis

Vignettes évoquant le bombardement de Papeete par les croiseurs allemands (Papeete 1914 t. I, pp. 41 et 48).

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17 février 2015 2 17 /02 /février /2015 23:35
83 - Fêtes costumées

Le Kaiser en uniforme frédéricien (illustration tirée de l’ouvrage de Jules Hoche cité infra).

Dans un livre paru sans doute en 1903 1, Jules Hoche (1859-1926), de son vrai nom Jules Hosch, voyageur et polygraphe français, a commis un assez agréable essai de description de la psychologie de Guillaume II. Puisant dans des sources qu’il mentionne explicitement (et n’hésite pas à critiquer quand cela lui semble nécessaire) le portrait du Kaiser y est plutôt sympathique, même si l’auteur ne manque pas de se moquer de certains traits de caractères du souverain allemand. Je profite donc de ce jour de mardi gras pour vous présenter le passage de son œuvre qui nous rapporte quatre fêtes costumées à la cour de Berlin.

1 Cet ouvrage parut sans date d’impression ; toutefois, certaines allusions qui y sont citées permettent d’opter pour l’année 1903.

Guillaume II ne donne à aucun moment cette impression de despote qu’on ne pouvait manquer de ressentir en présence de Napoléon Ier. Il est vrai que Napoléon avait du sang sur ses bottes et que sa silhouette se drapait dans des fumées de combats, tandis que les gestes corrects, élégants, affables de Guillaume s’inscrivent dans des cadres d’art, en marge de solennités commémoratives, parmi les fleurs et les parfums de femmes, dans une véritable atmosphère de coulisses de théâtre. Qu’à cette atmosphère se surajoute le déguisement, les mascarades ; que Guillaume II, costumé en seigneur du temps de Frédéric le Grand (tricorne à plumet, perruque poudrée, habit à la française et culotte courte avec bottes et guêtres), apparaisse dans les salons du château, la main appuyée sur la canne traditionnelle, entouré d’une suite d’officiers déguisés comme lui, confondu dans l’essaim de masques des fêtes costumées : la cour de Berlin ne sera plus qu’un théâtre où l’empereur tient le grand premier rôle. 2

2 Pour être tout à fait honnête, j’aurais fort bien pu ne pas reprendre ce premier paragraphe. Toutefois, je ne pouvais résister à l’envie de faire de la peine à un fétichiste buonapartiste de mes connaissances, même s’il n’est pas très joli de s’en prendre à plus petit que soit...

Guillaume II a tenté à plusieurs reprises de fort artistiques reconstitutions de l’époque de Frédéric le Grand, et, à chaque fois, il a payé de sa personne avec cette émotion joyeuse que nous éprouvons tous à incarner un personnage autre que nous, émotion qui entre pour une grande part dans le charme professionnel du métier d’acteur.

A quatre reprises différentes (à ma connaissance), l’Empereur a revêtu le costume décrit plus haut. La première fois, ce fut en 1892, à l’occasion de la fête costumée qui devait clore la série des soirées officielles de la cour. Une seconde fois, ce fut à l’occasion d’une fête donnée en l’honneur d’Adolphe Menzel, le vieux peintre de Cour, aujourd’hui comblé de distinctions par son Empereur qui l’a fait nommer Conseiller intime, avec le titre d’Excellence 3 ; distinctions suffisamment expliquées par ce fait que l’esthétique académique, poncive, antédiluvienne, de Menzel est tout à fait adéquate à celle de Guillaume II.

3 Autres preuves de cette faveur, Adolph Menzel fut anobli par le Kaiser et devint en 1898 le premier peintre décoré de l’ordre de l’Aigle noir.

83 - Fêtes costumées

Le Kaiser en uniforme frédéricien et le peintre Menzel en habit de cour (illustration tirée du livre de Jules Hoche).

A cette fête donnée au château de Sans-Souci, l’Empereur mit en scène et représenta scrupuleusement, avec le concours de l’Impératrice et des dames de la Cour, toutes en costumes xviiie siècle, le sujet d’une des toiles les plus connues de Menzel : Un concert à la Cour en 1750. Et le concert de flûtes du roi avec accompagnement de piano et d’instruments à cordes fut lui-même exécuté, d’après des partitions du temps recueillies par l’Empereur. Ce dernier jouait, cette fois, un rôle véritable : il représentait le major Lentulus 4, adjudant de Frédéric le Grand, et c’est à ce titre, et sous ce costume, qu’il reçut Menzel à l’entrée du palais et lui adressa, au nom du grand roi, une allocution des plus poétiques.

4 Robert Scipion de Lentulus (1714-1786), officier suisse qui commença sa carrière au service de l’Autriche puis passa au service de la Prusse en 1745. Frédéric II le nomma lieutenant-général et lui conféra l’ordre de l’Aigle noir.

83 - Fêtes costumées

Le tableau de Menzel.

Disons en passant que les gardes du corps de l’Impératrice portent en tout temps l’uniforme à la Frédérique, selon le modèle décrété par l’Empereur : tricorne, capote blanche à brandebourgs et à parements rouges, culotte collante et bottes. Pour arme unique, la latte de la cavalerie d’autrefois.

83 - Fêtes costumées

Une autre fête eut lieu en 1895 pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire du peintre officiel, fête dont Guillaume II profita à nouveau pour préparer, à l’intention de l’artiste, une réception costumée dans les salons de l’Académie des Arts. A son entrée dans les salons, Menzel fut reçu par un peloton des grenadiers géants de l’ancienne garde prussienne, armés et équipés à l’ordonnance du temps et qui lui rendirent les honneurs militaires.

83 - Fêtes costumées

Le Kaiser en uniforme de la fin du XVIIIe siècle.

En 1897 enfin, pour la célébration du centenaire de Guillaume Ier, une nouvelle fête costumée eut lieu où la Cour entière revêtit les habits à la mode du temps (1797), Guillaume II ayant jeté son dévolu, cette fois, sur l’uniforme de colonel du 1er régiment d’infanterie de la garde : tricorne, perruque à marteau, habit à la française, culotte avec guêtres partant des talons, découpées pour monter aux genoux.

Guillaume II est certes le seul souverain actuel qui consente à se déguiser. Encore cet hommage rendu au temps de Frédéric le Grand, ne le considère-t-il pas comme un déguisement ; – c’est l’extension au passé de sa coutume courtoise de se rapprocher, par le costume, des personnages qui lui sont présentés ; et dès lors que son zèle à revêtir les uniformes des autres sait faire abstraction de toute frontière politique ou géographique, pourquoi s’arrêterait-il aux barrières du temps et de l’histoire ?

Ce goût des attitudes et des transformations plastiques ne doit pas être, en définitive, attribué au besoin de briller et de parader, comme le prétendent, en Allemagne, les adversaires de l’empire, il correspond simplement à un développement presque exagéré chez l’Empereur, du sens esthétique et théâtral, de ce même sens de la perfection des lignes, du rythme et des couleurs, d’où Guillaume II tient le don du dessin et de la peinture. On peut donc dire, en réalité, que l’homme de théâtre préexistait en lui et qu’il s’est tout naturellement mis au service de l’Empereur. 5

5 Jules Hoche L’empereur Guillaume II intime (Félix Juven éditeur ; Paris, s. d.) pp. 126-130.

83 - Fêtes costumées

Gravure parue dans un journal britannique de l’époque.

A la fin de ce billet, qu’il nous soit permis de contredire le bon Jules Hoche sur deux points. Le premier concerne son jugement sur les qualités artistiques de l’œuvre d’Adolph Menzel. En effet, même si elle est loin de s’aligner sur celles des avant-gardes européennes de son temps, elle s’inscrit dans l’esprit de son contemporain Camille Pissarro (1830-1903), comme nous le montre le tableau dont nous donnons ci-dessous une reproduction.

83 - Fêtes costumées

La forge peinte par Adoplh Menzel en 1875.

Le deuxième point de désaccord porte sur la singularité des déguisements impériaux. Pour nous limiter à un seul exemple, qu’il nous suffise de citer le grand bal costumé donné le 11 janvier 1903 au palais d’hiver de Saint Pétersbourg, au cous duquel le tsar Nicolas II était costumé comme son lointain prédécesseur Alexis Ier (1629-1676) et pour lequel la tsarine Alexandra fit réaliser un magnifique album photographique souvenir.

83 - Fêtes costumées
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27 janvier 2015 2 27 /01 /janvier /2015 20:50

Durant tout le conflit mondial, l’anniversaire du Kaiser continua à être célébré non seulement dans le Reich et les territoires qu’il occupait, mais aussi dans les pays étrangers où l’Allemagne comptait des partisans. Certes, selon le lieu et les conditions du moment, ces célébrations ne se caractérisaient pas forcément par un décorum aussi poussé qu’avant guerre, mais enfin, l’intention était là…

82 - Anniversaires in tempore belli

Le jeune volontaire Ernst Jünger, tout juste incorporé au sein du 73e régiment de fusiliers (photographie tirée du site : http://www.columbia.edu/itc/history/winter/w3206/edit/jung.html).73e

Ainsi, Ernst Jünger nous raconte comment en 1915, près de Bazancourt 1 en Champagne, à peine un mois après son arrivée au front, se déroula cette célébration en première ligne. On ne qu’être peut frappé par ce très court récit qui tient de l’anecdote, au milieu du gigantesque combat qui déchire le monde ainsi que par l’extrême simplicité de cette première commémoration en temps de guerre.

1 Commune française de la Marne près de Reims, alors occupée par l’armée allemande.

Dans les premières minutes du 27 janvier, peu après minuit, nous poussâmes trois hourras en l’honneur de l’empereur, avant d’entonner sur toute la longueur du front « Salut à toi sous ta couronne de vainqueur » 2. Les Français y répondirent par une fusillade. 3

2 Hymne allemand ; voir notre article : 25 – Heil dir im Siegerkranz.

3 Orages d’acier (Payot ; Paris, 1930) p. 22.

 

82 - Anniversaires in tempore belli

Toujours en 1915, à Wielka Wola 4, une messe en plein air fut dite en l’honneur de l’anniversaire du Kaiser. On remarquera d’ailleurs le monogramme impérial en briques devant la chaire improvisée. L’insigne régimentaire permet de reconnaître ici l’œuvre des soldats du 56e régiment d’artillerie de campagne, cantonnés à Lissa près de Posen 5 avant guerre.

4 Lieu-dit à proximité de Varsovie, alors en Pologne russe occupée par les troupes allemandes, où se tenait autrefois l’élection des rois de Pologne.

5 Capitale de la Posnanie prussienne, renommée Poznań après son rattachement à la Pologne.

 

82 - Anniversaires in tempore belli

A nouveau sur le front occidental ce même 27 janvier 1915, les troupes au repos à Tanconville 6 purent assister en début d’après-midi à une cérémonie religieuse en l’honneur de cet anniversaire sans visiblement craindre de coups de feu ennemis.

6 Commune française de Meurthe-et-Moselle à 39 kilomètres de Lunéville, alors occupée par l’armée allemande.

 

82 - Anniversaires in tempore belli

L’année suivante, dans des conditions matérielles bien différentes, eut lieu à Montévidéo, capitale de l’Uruguay, un grand gala en l’honneur de « Sa Majesté l’Empereur et Roi Guillaume II ». Une forme communauté d’origine allemande s’était installée en Uruguay au cours du XIXsiècle et les intérêts économiques allemands y étaient fortement représentés.

82 - Anniversaires in tempore belli

Ce programme est agrémenté d’un portrait du Kaiser en petite tenue d’officier de marine.

82 - Anniversaires in tempore belli

Festival au profit des invalides

Veuves et orphelins allemands

– PROGRAMME –

première partie

1.° Hymne uruguayen.

2.° Hymne allemand « Heil dir im Siegerkranz ».

3.  Discours d’ouverture, par le docteur Puig Semper.

4.  Danses gitanes, par des jeunes filles uruguayennes et allemandes.

5.  Hymne au Kaiser, par le poète Miguel Nevel Alvarez.

6.° Hommage du Centre Germania, en deux tableaux :

a) La République Orientale d’Uruguay recevant les émissaires des progrès réalisés par l’Allemagne dans tous les domaines, ce qui a conduit à la fondation du Centre Germania. L’orchestre jouera l’ouverture d’Euryanthe de Weber.

c) 7 Confiance et souhaits du Centre Germania, dans le fait que l’Histoire rendra justice çà la cause de l’Allemagne et à l’auguste personne de son souverain.

7 Sic ; où est donc passé le b) ?

 

82 - Anniversaires in tempore belli

seconde partie

1.° Beethoven : op. 61, concerto pour violon en ré majeur. Violon solo par mademoiselle Allardice Witt.

2.° H. Labadie : op. 25 « Sur l’onde », dansé par mademoiselle Norma Witt.

3.° Solos de violon avec accompagnement au piano forte :

a) Kresleir : Capricio viennois.

b) Chopin-Auer : Nocturne en mi mineur.

c) Bach-Kreisler : Gavotte.

Violon : mademoiselle Allardice Witt.

Piano : monsieur Wilhelm Jonas.

4.° Saint-Saens : « Le cygne », dansé par mademoiselle Norma Witt.

5.° Wagner : Tannnhaüsser, « Chœur des pèlerins », pour chœur, baryton et orchestre.

6. Hymne « Deutschland, Deutschland über alles » 8.

Orchestre : Société Orchestrale de Montévidéo.

Chef d’orchestre : monsieur Georg Foerster.

Le spectacle commencera à 21 heures précises

8 Même s’il ne s’agissait pas encore de l’hymne officiel allemand, c’était un chant patriotique très populaire.

 

82 - Anniversaires in tempore belli

COMITE DE PATRONNAGE

Mesdames : Rosa Tornquist de Hoffmann.

Valentina C. de Winterhalter.

María P. de Cudic.

Mercedes A. de Algorta

Ernestina Hoffmann de Behrens.

Sara B. de Bergdahl.

Lina M. de Berro.

Rita Pons de Bofill.

Anita B. de Brolund.

Lili B. de Dorner.

María Elodia M. de Dúran y Veiga.

Haydée Risso de Ferber.

Amalia M. de Fonseca.

Polonia Risso de Gallinal.

Carmen Paadin de Goldaracena.

Luisa Seydel de Groscurth.

Corina C. de Hoffmann.

Olga B. de Lüdeke.

Virginia Sch. De Müller.

Erbestina Méndez R. de Narvaja 9

Martha S. de Nelke.

Julia N. de Peixoto.

Raquel O. de Peixoto.

Dinisia F. de Quincke.

Anita Sch. de Rabe.

Jenny F. de Spangenberg.

Corina E. de Susviela Guarch.

Doris W. de Strothbaum.

Hermine M. de Topolanski.

María L. de Weigle.

Mesdemoiselles : Isabel et Paulina Algorta-Camusso.

Olga et Laura Behrens-Hoffmann.

Margarita et Clara Cassarino.

Irma Farré-Unanúe.

María Amalia Fonseca-Montaldo.

María del Carmen Gadea.

Silvia et Julia Meyer.

Clarita Müller.

Elisa Ott.

María Carmen Rocco.

María Sara Rodríguez-Larreta.

Margarita Ruete.

Angela, María Luisa y Aída Stotz.

Lili Susviela Guarch.

Hermine Topolanski.

Elsita Umbreit.

Imprimé par J. Weiss & Preusche

241 Patricios – Buenos Aires

8 Ernestina Reissig de Narvaja (1878-1957) avait développé un talent pour la poésie ; certaines de ses pièces furent publiées dans le recueil El Parnassio Oriental en 1905.

 

En plus de permettre au lecteur ayant des difficultés visuelles de pouvoir retenir pieusement les noms de fidèles et exotiques soutiens du Kaiser, cette liste nous permet de retrouver tous les grands noms du patricia germano-sud-américain, dont nombre de représentants sont encore actifs dans leur patrie. Parmi eux se détachent au premier range la famille Tornquist dont le patriarche Ernesto (1842-1908), entrepreneur et politicien argentin, argentin (d’où sans doute l’impression de ce programme à Buenos Aires…) était le représentant de la firme Krupp dans son pays, ou la famille Topolansky, à laquelle appartient l’actuelle épouse du président uruguyen, par ailleurs sénatrice.

82 - Anniversaires in tempore belli

Dernière page de couverture du programme, ornée de la croix de fer.

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3 janvier 2015 6 03 /01 /janvier /2015 10:50
81 - Escapade au Monténégro

Le cadet Dönitz, assis au centre, et ses camarades de promotion (illustration tirée du livre de mémoires cité infra).

Est-ce parce que l’on ne trouve quasiment pas de photographies sur laquelle il apparaît décontracté ? Est-ce parce qu’il a été choisis comme successeur en avril 1945 par le caporal bohémien ? Est-ce parce qu’il a été condamné pour crime contre la paix et pour crime de guerre par le tribunal de Nuremberg ? Toujours est-il que l’on a de la peine à se représenter Karl Dönitz en jeune cadet de marine insouciant ; et pourtant ! Oublions donc ce que deviendra Karl Dönitz après la chute de l’empire allemand et reportons-nous bien des années auparavant, lorsque le jeune élève officier effectuait sa période d’embarquement sur le navire-école Hertha 1. Et, une fois de plus, nous découvrirons l’armée allemande sous un jour inattendu…

1 Croiseur protégé de la classe Victoria Louise lancé en 1897 ; après une affectation de plusieurs années en Extrême-Orient, il devint en 1908 navire-école pour les officiers de la marine impériale.

 

81 - Escapade au Monténégro

Le S.M.S. Hertha.

En 1910, comme cadet au bord du S.M.S. Hertha, j’avais visité Cattaro 2, le port de guerre autrichien de la Dalmatie tout près de la frontière monténégrine. Un dimanche matin, six des cadets dont moi, avions escaladé les récifs abrupts de la baie pour faire une excursion. Nous avions été prévenus que la frontière du Monténégro, au sommet des monts, passait tout près de Cattaro ; l’on nous avait mis en garde contre un franchissement de cette frontière, parce que les Monténégrins, depuis des siècles, verrouillaient hermétiquement leur pays, seule façon pour eux de sauvegarder leur indépendance ; nous savions qu’ils réprimaient de façon particulièrement énergique toute violation de frontière. Néanmoins, et bien que nos supérieurs eussent fait l’impossible pour éviter tout incident de la part de l’équipage du navire-école, nous passâmes outre et, à six cadets, nous réussîmes à susciter l’incident sérieux par excellence. Ce dimanche matin, nous grimpions toujours plus haut dans les montagnes incertaines, insouciants et attirés par l’inconnu. Les recommandations de nos chefs ne pesaient pas lourd.

2 Port dalmate situé au fond des bouches de Cattaro, il était passé sous domination autrichienne à la suite du traité de Campo-Formio (1797) et cette domination avait été confirmée par le traite de Vienne (1814). Après 1918, la ville, rebaptisée Kotor, fut attribuée à la Yougoslavie.

 

81 - Escapade au Monténégro

Le port autrichien de Cattaro (carte postale panoramique).

A mi-hauteur, nous trouvâmes encore, adossée à un pâturage alpestre, une maison dalmate en pierre de taille. Un gamin au teint basané, revêtu d’une large culotte croate et d’une petite veste courte joliment brodée, mais sans chemise, si bien qu’une large bande brune de son ventre apparaissait entre la culotte et la veste, se porta à notre rencontre, fit un signe énergique en direction du sommet et nous dit : « Graditza ! » Le petit bonhomme nous amusait, mais nous étions loin de prêter attention au sens lourd de conséquences de la parole qu’il venait de prononcer. « Graditza » signifie frontière… et le gamin voulait nous mettre en garde – ce que nous finîmes par comprendre par la suite – contre la catastrophe vers laquelle nous courions.

Nous continuâmes donc à monter et, quand nous eûmes atteint une route traversant un col à proximité du sommet, nous fûmes subitement et sans savoir comment encerclés par dix à vingt Monténégrins armés jusqu’aux dents. Couchés derrière des rochers, ceux-ci nous guettaient sans doute depuis très longtemps et, nous voyant grimper toujours plus haut, ils attendaient patiemment le moment où le délit de la violation de frontière serait consommé pour resserrer le filet et nous encercler.

 

81 - Escapade au Monténégro

Une vision plutôt imagée des troupes monténégrines.

Comme il est de règle à l’étranger, nous ne portions bien entendu aucune arme. Malheureusement, Otto Spee, le fils aîné du comte Spee, tué plus tard à la bataille des îles Fakland, comme son père, avait emmené son carnet pour faire des croquis de l’excursion. Dans ce carnet, il avait esquissé, pendant le cours d’artillerie, les canons de notre bâtiment ainsi que certains détails de ces pièces. Les Monténégrins saisirent le carnet, y jetèrent un coup d’œil et les voilà sûrs de leur fait : nous avions relevé les caractéristiques de leurs canons en batterie dans la montagne, donc nous étions des espions. Encadrés par ces hommes armés jusqu’aux dents, nous descendions sur la route vers l’intérieur du pays. Quelle aventure ! Nous voilà tout à coup prisonniers et parfaitement incapables d’imaginer notre sort futur ; sûrs, tout au plus, d’une seule chose : c’est qu’à notre retour à bord – si tant est que la chose fût encore possible – je châtiment nous attendrait et que les jours d’arrêts pleuvraient ferme sur nous pour un manquement aussi grave d’inobservation des instructions.

Avec l’humour approprié à la circonstance, nous devisions donc sur ce qui nous attendait. Otto Spee en entendit des vertes et des pas mûres, à propos de son malheureux carnet. Le plus placide fut le cadet Maximilien, prince de Solms-Hohensoms-Lich. Nous le taquinions pour savoir si ses aïeux avaient eux aussi couru pareille aventure.

Après environ une heure de marche en compagnie de notre escorte monténégrine, une nouvelle surprise nous attendait. Derrière nous, un trot de chevaux et une voiture qui s’approche. A l’intérieur, en grande tenue, l’officier de route de notre bateau, le lieutenant de vaisseau Von Lœwenfeld et notre officier instructeur, le lieutenant de vaisseau Schaarschmidt. Arrivés à notre hauteur, la voiture s’arrête. Ahuris par le spectacle, les officiers nous demandent ce que cela signifie. Nous leur rendons compte de la situation, avec pas mal d’outrecuidance et de ricanements à la dérobée. Lœwenfeld et Schaarschmidt étaient en route vers Cetinjé, la capitale du Monténégro, pour la série des visites officielles. Ils nous crièrent de nous tenir tranquilles, ils essayeraient, à Cétinjé, d’arranger l’affaire. Quant à nous tenir tranquilles, c’était une recommandation superflue : nous étions bien les hommes les plus impuissants du monde.

 

81 - Escapade au Monténégro

La ville de Cétinjé.

Poursuivant notre marche, nous atteignîmes ensuite un village monténégrin. La population, fort intéressée, se répandit dans les rues et vint admirer la bravoure guerrière de ses soldats frontaliers. On nous enferma dans une salle nue du restaurant local et l’on nous fit servir du gigot de mouton. Peu à peu, le temps se rafraîchissait, le soleil disparut derrière les montagnes, nous étions transis. Notre situation était excitante et nous essayions de nous remonter le moral en tenant des discours stupides et fanfarons. La perspective de devoir passer la nuit dans cette glacière sans manteau ni couverture, n’avait rien d’engageant. Les pessimistes croyaient de plus en plus, au fur et à mesure que le temps passait, que l’intervention de nos officiers à Cétinjé était restée sans effet et que nous étions quittes à passer des semaines, voire des mois, dans les geôles du Monténégro comme prisonniers politiques.

81 - Escapade au Monténégro

Le village monténégrin de Rissan, près de Cattaro.

Mais, une nouvelle fois, les événements ne répondirent pas à nos prévisions. En pleine obscurité, vers dix ou onze heures du soir, nous entendîmes soudain une section de soldats monténégrins approcher sur la route du village. La porte s’ouvrit, un jeune officier parut, accompagné d’un soldat muni d’une grosse lanterne. L’officier salua militairement et nous comprîmes tant bien que mal, dans ce qu’il nous disait, qu’il devait nous escorter avec sa section jusqu’à la frontière où il nous libérerait avec les honneurs militaires. Dès que nous sortîmes dans la rue, la troupe nous présenta les armes et nous servit ensuite d’escorte d’honneur pour notre retour. Arrivés à la frontière vers minuit, nous prîmes congé de l’officier en lui serrant vigoureusement la main et, revenus en territoire dalmato-autrichien, redescendîmes la montagne. Au cours de cette manœuvre, le cadet Gerstenberger, le plus massif et le plus lourd de notre équipe, se fit une entorse au pied, si bien qu’il nous fallut, bon gré mal gré, porter cet animal jusqu’au bas de la montagne. Peu avant l’aube, nous fûmes à nouveau à bord. La nouvelle de notre retour se répandit comme une traînée de poudre. Il n’était plus question de dormir. A onze heures, nous étions rassemblés sur le pont du commandant pour le rapport de punition. Nous fûmes à nouveau mis sous les verrous, cette fois par le commandant : chacun de nous écopa de trois jours d’arrêts. Motif : avoir suscité un incident diplomatique par négligence et désobéissance. Mais, une fois sortis de « taule », les officiers nous convièrent à leur mess et nous dûmes leur raconter en long et en large notre histoire de brigands, qui les passionna, bien entendu. Nos camarades nous envièrent cette aventure rocambolesque. 3

3 Karl Dönitz Ma vie mouvementée (Juillard ; Paris, 1969) pp. 63-67.

 

81 - Escapade au Monténégro

Nicolas 1er (1841-1921), prince souverain de Monténégro de 1860 au 28 août 1910, date à laquelle il est proclamé roi de son pays.

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19 décembre 2014 5 19 /12 /décembre /2014 16:07
80 - Année 1875

En 1875 le futur Guillaume II avait 16 ans.

Politique

25 février : avènement de l’empereur Kwang Hsu en Chine, sous la régence de sa tante, l’impératrice Tseu Hi.

80 - Année 1875

Pièce chinoise du règne de Kwang Hsu.

8 avril : début de la crise Krieg-in-Sicht, au cours de laquelle l’Allemagne, inquiète de l’esprit de revanche en France adopte une attitude agressive mais se voit désavouée par la Grande-Bretagne et la Russie.

80 - Année 1875

Bague de cigare O Alemao à l’effigie d Bismarck.

22-27 mai : congrès de Gotha en Allemagne au cours duquel Auguste Bebel, Wilhelm Liebknecht et quelques autres créent l’Union socialiste des travailleurs, ancêtre de l’actuel SPD.

80 - Année 1875

Carte premier jour est-allemande de 1982.

6 octobre : banqueroute de l’empire Ottoman, dont les finances passent sous contrôle d’une commission internationale.

80 - Année 1875

Sciences et techniques

20 mai : signature de la convention du mètre à Paris.

80 - Année 1875

Enveloppe française premier jour de 1875.

9 octobre : l’Obéissante, véhicule à vapeur construit par Amédée Bollée relie Le Mans à Paris en 18 heures.

80 - Année 1875

Arts

3 mars : première de Carmen.

80 - Année 1875

Timbre monégasque de 1974.

Naissances

7 mars : Maurice Ravel.

80 - Année 1875

Timbre français de 1956.

8 avril : le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha qui deviendra le roi Albert Ier de Belgique.

80 - Année 1875

Timbre belge de 1975.

1er septembre : Edgar Rice Burroughs, romancier populaire créateur de Tarzan.

80 - Année 1875

Timbre américain de 2012.

Décès

12 janvier : Tong Tche, empereur de Chine et fils de l’impératrice Tseu-Hi.

80 - Année 1875

Monnaie commémorative à l'effigie de l'empereur Tongzhi.

 

3 juin : Georges Bizet.

80 - Année 1875

Timbre français de 1960.

29 juin : Ferdinand Ier, empereur d’Autriche ayant abdiqué en 1848.

80 - Année 1875

Timbre autrichien de 1908.

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15 novembre 2014 6 15 /11 /novembre /2014 18:01
79 - Un autre grand timonier

Le premier Hohenzollern avec la marque impériale en tête de mât.

Avant d’entrer dans la police et dans le service de renseignement, Gustave Steinhauer avait servi dans le Kriegsmarine. Il fut même affecté un temps sur le yacht impérial Hohenzollern, premier du nom au début des années 1890. Là il ne pouvait que côtoyer le Kaiser…

Cette année-là l’Empereur avait l’intention d’aller en Suède, au Danemark, en Belgique et en Russie ; en outre nous devions faire un voyage au nord et assister aux manœuvres navales qui auraient lieu en Schleswig.

En ma qualité de timonier j’étais souvent en contact avec l’Empereur et son entourage. Le timonier est la main droite de l’officier de quart. C’est lui qui surveille le pilote, qui donne et reçoit les signaux et il est toujours sur la passerelle de commandement. Bien qu’il ne soit que sur le deuxième échelon des trente-deux échelons qui conduisent au rang d’amiral, on lui fait passer un examen spécial et le service des signaux exige une intelligence toujours en éveil.

 

79 - Un autre grand timonier

Carte postale montrant à gauche un sémaphore de pont britannique et à droite un timonier s’exerçant avec des fanions, pendant que les matelots assis ont les jambes couvertes de pavillons de communication.

A cette époque on se servait encore du sémaphore, un appareil muni de deux bras qu’on fait bouger au moyen d’un levier, les différentes positions des bras indiquent les lettres de l’alphabet. Guillaume II avait appris avec le temps à s’en servir et aimait donner des signaux. Ce qui était moins agréable c’est que souvent, lorsque le timonier recevait des signaux, il commençait à les lire avec lui, alors rien n’allait assez vite et il arrivait souvent que Sa Majesté grondât et jurât jusqu’à ce que la confusion s’en suivit.

79 - Un autre grand timonier

Carte stéréoscopique de Bergen.

C’était au cours de notre voyage au nord. Nous étions en rade de Bergen et les hôtes de l’Empereur étaient logés sur le navire de guerre Baden 1. L’Empereur les appelait « les baigneurs ». Il était neuf heures du matin. L’Empereur apparut sur le pont, salua aimablement et monta sur la passerelle où il nous salua, l’officier de quart et moi ; à cette salutation nous pûmes constater qu’il était de bonne humeur. Il demanda en montrant du doigt le Baden qui était à deux cents mètres de nous :

1 Frégate cuirassée de la classe Sachsen, lancée en 1880 ; elle sera modernisée en 1896, puis retirée du service actif en 1912.

‒ Est-ce que mes baigneurs ont déjà donné signe de vie ?

‒ Non, Sire.

‒ Nous allons les réveiller ; demandez comment les baigneurs ont dormi ?

Je me dirigeai vers le sémaphore et commençai de faire les signaux : « Sa Majesté aimerait savoir si ces messieurs… »

L’Empereur m’interrompit de mauvaise humeur : « Messieurs est superflu, baigneurs suffit… »

 

79 - Un autre grand timonier

Le Baden vers 1900 peint par Hugo Graf (tiré de : http://en.wikipedia.org/wiki/SMS_Baden_%281880%29).

Dans ce cas, il ne faut pas perdre son calme, sans quoi on oublie la signalisation, je continuai donc mes signaux sans me laisser déranger par l’interruption. Au même instant le timonier du Baden s’annonça. On pouvait observer une grande excitation sur le pont du navire ; le capitaine, les officiers, les « baigneurs » entouraient le sémaphore. Le mot « Majesté » les avait tous électrisés. « Les voilà qui arrivent comme des moutons », grommela l’Empereur, comme si je n’existais pas.

Aussitôt nous eûmes la réponse du Baden à la demande de l’Empereur : « Merci, très bien. Son Excellence von Hahnke a des chaussures jaunes ! » L’Empereur lisait la réponse avec moi et, grâce à ses perpétuelles interruptions, j’avais fini par perdre la tête. Lorsque les signaux furent terminés, il me demanda d’un ton ironique : « Eh bien qu’ont-ils dit ? » « Merci, très bien, Son Excellence von Hahnke a des chaussures », balbutiai-je.

‒ Absurde, fit l’Empereur, il a des chaussures jaunes. Exercez davantage !

Je ne pouvais naturellement pas lui dire que c’était lui qui m’avait dérangé. Pour qu’on comprenne ce qui va suivre il me faut rappeler qu’à cette époque on portait encore rarement des chaussures jaunes.

L’Empereur me dit d’un ton rude :

‒ Continuez, demandez pourquoi Hahnke a des chaussures jaunes ; a-t-il marché dans des œufs de vanneaux ?

Un hurlement d’Indiens en joie nous arriva du Baden. On eût pu croire que la plaisanterie impériale transportait de bonheur les hôtes de Sa Majesté.

L’Empereur murmura ironiquement :

‒ Ils deviennent complètement fous !

Le « spirituel » entretien du matin avait pris fin, à ma grande joie, je puis le dire, car de savoir l’Empereur derrière moi me faisait suer sang et eau. Par cet entretien le ton de la journée était fixé, il devait être celui de la bonne humeur.

Lorsque les « baigneurs » arrivèrent à bord, leurs visages rayonnaient et l’on entendait dire de tous côtés : « Quelle bonne plaisanterie Sa Majesté a faite ce matin ! » 2

2 Gustave Steinhauer Le détective du Kaiser (Editions Montaigne ; 1933) pp. 15-18.

 

79 - Un autre grand timonier

Jeune matelot du SMS Baden

Cette amusante scénette nous montre outre un sens de l’humour potache (encouragé par la flagornerie des « baigneurs ») une bonne connaissance par Guillaume II du code de signalisation de sa marine, ce qui va à l’encontre de l’image trop souvent répétée d’un souverain incapable de s’intéresser en profondeur à un sujet donné. Le 21 novembre 1904, lors d’une visite à Kiel, cet intérêt surprenant pour les sémaphores put à nouveau se manifester, tout comme la servilité de l’entourage impérial.

Tandis qu’il [le Kaiser] inspectait le chantier naval, il avait remarqué quelques charpentes de sémaphores de pont qui s’y trouvaient entreposés et il se souvint tout à coup qu’il avait établi ces sémaphores dans la flotte, mais qu’il n’en avait plus vu en service sur les navires depuis longtemps déjà. Il en parla pendant le dîner et manifesta son espoir que l’intérêt pour cet agencement n’eût point diminué. Avec beaucoup de précautions, les amiraux von Köster, Tirpitz, Senden, Büchsel et d’autres tentèrent de lui expliquer que dans la pratique le sémaphore de pont avait présenté des inconvénients qui n’étaient pas négligeables et que, pour cette raison, son emploi avait été quelque peu réduit. (En réalité, ils étaient tous hors d’usage et simplement emmagasinés sur le chantier). La possibilité de communiquer avec d’autres navires, c’est à peu près ainsi que s’exprimèrent les amiraux, s’était révélée plus simple et plus sûre par une autre méthode, ils obstruaient la vue de l’officier qui se trouvait sur la passerelle de commandement et faisaient un tel tapage que, les jours de brouillard, ils empêchaient l’officier de garde d’entendre la sirène d’un autre bateau, si bien qu’ils augmentaient donc considérablement les risques de collision. En réponse à ces critiques, l’empereur répondit qu’il avait instauré ce système de signalisation sur ses navires et qu’il désirait par conséquent le voir de nouveau en usage.

 

79 - Un autre grand timonier

Un sémaphore de pont sur un bâtiment de guerre américain.

Nous pensions que l’incident était clos, mais l’agitation des amiraux arpentant le pont de long en large après le dîner était visible. Ils commencèrent à discuter par quel moyen on pourrait modifier l’ordre de Sa Majesté ou le transformer avec le temps. L’empereur le remarqua et peut-être avait-il surpris quelques mots. Tout à coup, il s’avança vers le groupe des amiraux et dit sèchement : « Que veulent dire ces apartés ? Mes commandements dans ma flotte seront-ils obéis, oui ou non ? » Il y eut une inquiétude générale et un silence absolu. Le soir même, au cours du souper, l’amiral von Köster put dire dans son rapport que les sémaphores avaient été réinstallés sur tous les navires de la flotte. 3

3 Comte Robert Zedlitz-Trützschler Douze années à la cour impériale allemande (Droz-Minard ; Genève et Paris) pp. 109-110.

 

79 - Un autre grand timonier

Bien des années après, le Kaiser sur la passerelle de commandement du second Hohenzollern, débarrassée de tout sémaphore de pont.

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1 novembre 2014 6 01 /11 /novembre /2014 11:53
78 - Baptême du feu d'un uhlan

Carte postale dédicacée de Manfred von Richthofen dans son uniforme de uhlan.

 
 

En 1911, après ses études dans les écoles de cadets de Walhstadt puis de Lichterfelde, Manfred von Richthofen fut affecté au premier régiment de uhlan « empereur Alexandre III de Russie » alors cantonné à Breslau, en Silésie. A la déclaration de guerre, cette unité participa à des missions de reconnaissance sur le territoire russe, mais il fut très rapidement transféré sur le front occidental. C’est là qu’au cours d’une nouvelle mission de reconnaissance le jeune officier subit son baptême du feu, dans des circonstances peu agréables…

 
 
78 - Baptême du feu d'un uhlan

Un régiment de uhlans en route.

 
 

Comment j’entendis en service de patrouille siffler les premières balles

(21-22 août 1914)

L’ennemi occupant une grande forêt aux environs de Virton 1, je reçus la mission de la reconnaître et partis accompagné de quinze uhlans, certain que nous allions rencontrer l’adversaire pour la première fois. Ma mission était difficile ; on ne sait pas ce qu’il peut y avoir dans une forêt de cette importance.

1 Ville belge de la province du Luxembourg (à ne pas confondre avec le grand-duché du même nom...) où se déroulèrent des combats au tout début du conflit.

Arrivé sur une hauteur, je vis à mes pieds une immense étendue d’arbres d’une superficie de plusieurs milliers d’arpents. C’était un beau matin d’août. La forêt s’étendait paisible et silencieuse, et mes préoccupations guerrières s’étaient évanouies.

 
 
78 - Baptême du feu d'un uhlan

Uhlans en reconnaissance.

 
 

Ma pointe d’avant-garde était arrivée à l’orée du bois. Mes jumelles ne m’ayant rien indiqué de suspect, nous n’avions plus qu’à entrer dans la forêt et attendre les coups de fusil. La pointe disparut dans un sentier. Je venais ensuite avec un de mes meilleurs uhlans. A l’entrée de la forêt, une maison forestière isolée. A peine avions-nous passé devant qu’un coup de feu partit d’une des fenêtres, suivi d’un autre. Au bruit je reconnus qu’il s’agissait d’un fusil de chasse et non d’une arme de guerre. Le désordre se mit dans ma patrouille, et je pensai aussitôt à une attaque des francs-tireurs. On mit pied à terre et la maison fut cernée en un instant. Dans une pièce sombre, je vis quatre à cinq garçons aux regards hostiles. Le fusil avait disparu. J’étais furieux, mais je n’avais encore tué personne et cet instant me parut très pénible.

Avec mes quatre mots de français, j’engueulai ces individus et menaçai de les fusiller si le coupable ne se faisait pas connaître. Ils virent que c’était sérieux et que je n’hésiterais pas à exécuter ma menace. Je ne sais comment la chose se fit, mais mes francs-tireurs, se glissant par la porte de derrière, soudain disparurent. Je fis feu dans leur direction, sans résultat. J’avais pourtant fait cerner la maison, ils ne pouvaient par conséquent s’échapper. Je fis aussitôt fouiller la baraque, ce fut en vain ; les sentinelles ont-elles eu un moment de distraction, je ne sais, toujours est-il que les oiseaux s’étaient envolés.

 
 
78 - Baptême du feu d'un uhlan

Uhlan en tenue de campagne devant une ferme.

 
 

Après cet incident on alla plus loin.

Aux traces encore fraîches des chevaux, je reconnus qu’un fort parti de cavalerie ennemie était passé par là immédiatement avant nous. Je fis arrêter mes hommes, les enflammai par quelques paroles, et j’eus l’impression que je pouvais compter sur eux et qu’ils feraient leur devoir. Naturellement chacun ne songeait qu’à une attaque possible. Le caractère du Germain le pousse à bondir sur l’ennemi là où il se trouve. On s’élança donc à bonne allure sur les pistes encore fraîches et après une heure de rude course à travers un vallon magnifique, on déboucha dans une clairière à la sortie de la forêt. J’étais bien convaincu que nous allions nous heurter à l’ennemi. Malgré tout mon désir d’en venir aux mains, je me disais : pas d’imprudence ! A droite de l’étroit sentier que nous suivions s’élevait une paroi de rochers escarpés de plusieurs mètres de hauteur. A gauche coulait un petit torrent de montagne, puis venait une prairie large de cinquante mètres, tout entourée de fils de fer barbelés. La trace des chevaux se perdait brusquement de l’autre côté d’un pont dans les broussailles. Ma pointe d’avant-garde était arrêtée par une barricade à la sortie de la forêt.

Je compris que j’étais tombé dans une embuscade. On voyait des mouvements suspects à ma gauche dans les fourrés derrière la prairie. Des cavaliers ennemis au nombre d’une centaine environ avaient mis pied à terre. Il n’y avait rien à faire. La route en face était coupée par une barricade, nous avions à droite la muraille de rochers, et, à gauche, la prairie entourée de fil de fer m’ôtait toute possibilité d’attaque. Nous n’avions plus le temps de descendre de cheval pour combattre à la carabine, il n’y avait plus qu’à battre en retraite. J’aurais pu demander n’importe quoi à mes uhlans, sauf de fuir devant l’ennemi. Quelques-uns ont payé cher leur courage. Au premier coup de fusil répondit un terrible feu rapide de l’autre côté de la forêt, à cinquante ou cent mètres de là.

 
 
78 - Baptême du feu d'un uhlan

Des zouaves français préparant une embuscade en Belgique au début du conflit ; on remarquera le téléphoniste accroupit au premier plan.

 
 

Mes gens devaient se rallier à moi au signal de ma main levée ; voyant que nous devions tourner bride, je le donnai. L’ont-ils mal interprété, toujours est-il que ma patrouille laissée en arrière, me croyant en danger, accourut au triple galop pour me dégager. Cela se passait dans un étroit sentier de forêt et on peut se figurer la confusion qui en résulta.

Les chevaux et les deux cavaliers qui formaient ma pointe d’avant-garde, effrayés par l’éclat de la fusillade se répercutant dans cette gorge étroite, prient le mors aux dents, et je les vis franchir d’un bond la barricade. Je pense que les hommes ont dû être faits prisonniers, car je n’en ai jamais plus rien su. Je fis volte-face et, pour la première fois de mon existence, donnai des éperons à la brave « Antithésis ». J’eus toutes les peines du monde à faire comprendre à mes uhlans, accourus à mon secours, de n’avoir pas à avancer davantage. Demi-tour et en retraite !

 
 
78 - Baptême du feu d'un uhlan

Uhlans essuyant des coups de feu ; leur tenue bleue et la housse sur les chapskas montrent qu’il s’agit là de manœuvres, et non du premier conflit mondial (toile du peintre Döbrich-Steglitz).

 
 

A côté de moi galopait mon ordonnance. Son cheval, atteint d’une balle s’abattit tout à coup ; je sautai par-dessus, d’autres chevaux tombèrent autour de moi. C’était un pêle-mêle indescriptible. Je vis seulement que mon ordonnance, tombé sous son cheval apparemment indemne, n’arrivait pas à se dégager. L’ennemi nous avait brillamment surpris. Il nous avait sans doute remarqués dès le début, et, selon l’habitude courante des Français, nous avait tendu une embuscade pour nous attaquer ensuite.

C’est avec joie que deux jours après je retrouvai mon ordonnance, il avait laissé une de ses bottes sous son cheval et avait été obligé de revenir avec un pied nu. Il me raconta comment il s’était sauvé. Il y avait dans le bois au moins deux escadrons de cuirassiers français, ils étaient sortis pour dépouiller les nombreux cadavres de chevaux et les braves uhlans tués. Mon ordonnance avait pu se tirer sans blessure de cette affaire en grimpant le long de la paroi de rochers, à cinquante mètres de hauteur il était tombé complètement épuisé dans un buisson. Deux heures après, lorsque l’ennemi eut regagné son couvert, il avait continué à fuir et au bout de quelques jours il était arrivé à me rejoindre. Je n’ai jamais pu obtenir que peu de renseignements sur le sort de ses camarades. 2

2 Manfred con Richthofen Le corsaire rouge (Plon ; Paris, 1932) pp. 21-24.

 
 
78 - Baptême du feu d'un uhlan

Cuirassier français avec le couvre-casque et le couvre-cuirasse de toile destinés à masquer les reflets de ces deux pièces métalliques de l’uniforme.

 
 

A la lecture de ce court récit se rapportant à un moment du conflit où la guerre de mouvement ne s’est pas encore enlisée dans la boue sanglante des tranchées, nous pouvons avoir l’impression de parcourir un passage de roman de cape et d’épée. Toutefois, au fil du texte, l’incident de la maison forestière nous ramène aux dures réalités de la guerre et notamment aux exactions commises par les troupes allemandes contre les populations des zones occupées. Ce thème des « atrocités allemandes », largement repris par la propagande alliée, est bien trop vaste pour que nous en parlions au détour de ce petit biller ; aussi conseillons-nous au lecteur intéressé par celui-ci de se reporter à l’excellent petit livre 2 dont il trouvera la couverture ci-dessous.

3 Même si, après l’avoir plusieurs fois consulté, je n’ai toujours pas trouvé le texte des notes qui émaillent cette riche étude…

 
 
78 - Baptême du feu d'un uhlan
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19 octobre 2014 7 19 /10 /octobre /2014 09:09
77 - Année 1874

En 1874 le futur Guillaume II avait 15 ans.

77 - Année 1874

Politique

5 juin : traité de Saigon qui assure la domination française sur les provinces vietnamiennes de l’ouest du Nam-Ky occupées par l’amiral de La Grandière.

77 - Année 1874

Timbre d’Indochine française de 1942.

13 juillet : tentative d’assassinat contre Bismarck pour protester contre le Kulturkampf.

77 - Année 1874

9 octobre : création de l’union générale des postes qui deviendra l’union postale universelle.

77 - Année 1874

26 décembre : fin de la république espagnole et début du règne d’Alphonse XII.

77 - Année 1874

Timbre espagnol de 1875.

Sciences et techniques

Lord Kelvin établit la seconde loi de la thermodynnamique.

77 - Année 1874

Timbre serbe de 2007.

Arts

Requiem de Verdi.

77 - Année 1874

Timbre du Vatican de 2001.

Edvard Grieg compose une musique de scène pour le Peer Gynt d’Ibsen.

77 - Année 1874

Timbre norvégien de 1993.

La chauve-souris de Johan Strauss.

77 - Année 1874

Timbre autrichien de 1999.

15 avril : première exposition des impressionnistes à Paris.

77 - Année 1874

Timbre monégasque de 1974 représentant le tableau de Monet qui donna son nom au mouvement impressionniste.

L’école de danse de Degas.

77 - Année 1874

Timbre togolais de 2014.

Quatre-vingt-treize de Victor Hugo.

77 - Année 1874

Timbre français de 1933.

Naissances

25 avril : Guglielmo Marconi, futur créateur de la T.S.F.

77 - Année 1874

Timbre italien de 1974.

9 mai : Howard Carter, qui découvrira la tombe de Toutankamon.

77 - Année 1874

Timbre de Guinée Biseau de 2012.

14 juillet : Abbas II Hilmi, futur khédive d’Egypte de 1892 à 1914.

77 - Année 1874

Vignette publicitaire 195/500 de la première série des Célébrités contemporaines.

10 août : Herbert Hoover, qui sera président des Etats-Unis de 1929 à 1933.

77 - Année 1874

Timbre américain de 1965.

30 novembre : Winston Churchill, qui rencontrera plusieurs fois le Kaiser avant la première guerre mondiale puis songera un temps à le remettre sur le trône peu avant la seconde...

77 - Année 1874

Timbre britannique de 1974.

Décès

8 mars : Millard Fillmore, ancien président des Etats-Unis de 1850 à 1853.

77 - Année 1874

Timbre américain de 1986.

9 juin : Cochise, chef indien.

77 - Année 1874

Vignette publicitaire américaine.

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4 octobre 2014 6 04 /10 /octobre /2014 11:15
76 - Le service à thé d'Holopherne

Vue aérienne du centre historique de Gouda ; on notera l’hôtel de ville sur la place centrale et l’église Saint-Jean juste en dessous de lui.

A l’été 1874, le jeune prince Guillaume, alors âgé de 15 ans et préparant sa confirmation, passait des vacances à Scheweningen, aux Pays-Bas, en compagnie de son frère le prince Henri et de leur précepteur Georg Hinzpeter. Afin de profiter au mieux de ce séjour, les augustes touristes visitèrent musées et édifices religieux.

76 - Le service à thé d'Holopherne

L’église Saint-Jean de Gouda.

Au cours de l’une de ces promenades, le prince Guillaume put découvrir l’église Saint-Jean de Gouda (en néerlandais Sint Janskerk ou encore Grote Kerk 1, c’est-à-dire Grande Eglise), la plus grande des Pays-Bas, réputée pour ses magnifiques vitraux réalisés entre 1530 et 1603. A cette occasion, il sut faire preuve d’une imagination qui, si elle ne milite pas en faveur de ses connaissances artistiques, n’en dénote pas moins une curiosité toujours en éveil.

1 En n’oubliant pas de le prononcer avec cet accent batave si particulier…

76 - Le service à thé d'Holopherne

Intérieur de l’église Saint-Jean.

Mais laissons maintenant la parole à l’empereur exilé dans ces mêmes Pays-Bas et écoutons le se remémorer près d’un demi siècle plus tard ses souvenirs de jeunesse.

Nos visites d’églises nous conduisirent une fois à Gouda, où nous admirâmes les fenêtres garnies de beaux vitraux. L’un d’eux représentait Judith et Holopherne au moment où l’héroïne juive sort de la salle en emportant la tête du général de Nabuchodonosor 2 ; le corps sans tête d’Holopherne reposait sur un lit magnifique orné de rideaux de soie 3. Mais mon sentiment historique du style fut choqué à l’extrême lorsque, auprès du lit, je remarquai une élégante table de nuit portant un service à thé chinois. Ma question, – les gens de ce temps-là buvaient-ils donc déjà du thé, – mit le pauvre Hinzpeter dans la plus grande perplexité. Il en fut de même de ma deuxième question : comment Holopherne, qui habitait cependant une simple tente, avait-il pu arriver à prendre dans son train militaire un si magnifique service  à thé sans qu’il soit brisé. Peut-être avait-il un chameau à thé spécial ? C’est seulement lorsque Hinzpeter désespéré me répondit que Judith le lui avait sans doute apporté à titre de présent que je fus satisfait.

2 Ce vitrail, dessiné par Dirk Crabeth et situé dans le transept nord, avait été offert en 1571 par Jan van Ligne, duc d’Arenberg (1525-1568).

3 Pour plus de détails, le lecteur ne manquera pas de se reporter au Livre de Judith dans l’Ancien Testament…

76 - Le service à thé d'Holopherne

Le vitrail de Judith et Holpherne (photographie prise par Jane023 sous Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Netherlands pour Wikipedia). Si l’on y voit bien la table basse – au centre gauche de la verrière, au-dessus du corps décapité d’Holopherne –  le service à thé reste flou…

Cette visite à l’église de Gouda eut une suite. La reine des Pays-Bas de cette époque, Sophie 4, nous faisait venir parfois à son palais et nous régalait de thé, de gâteaux, de fraises et de pâtisseries, et, de notre côté, nous devions lui raconter nos excursions en Hollande. Ce fut le cas après notre visite à Gouda. Comme nous lui racontions où nous avions été, elle nous dit avec étonnement : « Comment, enfants, mais qu’est-ce que vous avez bien pu faire à Gouda » Nous : « Chère tante, nous avons visité la belle église. » La reine : « Qu’est-ce qu’il y a donc de si beau à voir dans l’église ? » Moi : « Mais, chère tante, les belles fenêtres ! » « La conquête de Damiette » 5, ajouta Henri « où les vaisseaux hollandais ont fait sauter la chaîne qui fermait le port » ; à quoi j’ajoutai vivement : « Judith et Holopherne, et il y a là une belle table de nuit avec un service à thé chinois. » La reine : « Mais c’est impossible, Holopherne n’a pourtant jamais bu de thé, ce ne peut donc pas être un service à thé. » Moi : « Si, chère tante, c’est bien un service à thé. » La reine : « Bien, enfants, je vais aller voir cela moi-même, car, dans la Bible, il n’y a rien de semblable. » Quelque temps après, la reine se rendit effectivement à Gouda où elle put se convaincre de la réalité de nos données en culture historique. 6

4 Sophie Frédérique Mathilde de Wurtemberg (1818-1877), était la première épouse du roi Guillaume III des Pays-Bas (1817-1890).

5 En 1219, au cours de la cinquième croisade, des croisés frisons s’emparèrent de la ville, qui fut reprise par les musulmans en 1221. Le vitrail de l’église Saint-Jean représentant cet événement, dessiné par Willem Thibaut et situé lui aussi dans le transept nord, avait été offert en 1597 par la ville de Haarlem.

6 Guillaume II Souvenirs de ma vie (Payot ; Paris, 1926) pp. 111-112.

76 - Le service à thé d'Holopherne

La reine Sophie vers 1870.

Pierre Gilliard, qui fut professeur de français du tsarévitch Alexis, fils du tsar Nicolas II, écrivait à propos de l’éducation d’un futur souverain :

L’enseignement qu’il reçoit ne peut être qu’artificiel, tendancieux et dogmatique. Il revêt souvent le caractère absolu et intransigeant du catéchisme. Cela provient de plusieurs causes : du choix des professeurs, du fait que leur liberté d’expression est limitée par les conventions du milieu et par les égards que réclame la personnalité exceptionnelle de leur élève ; du fait enfin, qu’ils doivent parcourir en un nombre d’années très restreint un vaste programme. Cela les pousse inévitablement à se servir de formules ; ils procèdent par affirmations, et songent moins à stimuler chez leur élève l’esprit de recherche et d’analyse et les facultés de comparaison, qu’à écarter ce qui pourrait faire naître en lui une curiosité intempestive et le goût des investigations non protocolaires. 7

7 Le tragique destin de Nicolas II et de sa famille (Payot ; Paris, 1921) p. 71.

On voit par là qu’en dépit de ces lacunes, le prince Guillaume avait sut conserver le sens de l’observation ainsi qu’une imagination débordant. On ne peut malheureusement pas dire autant d’Hinzpeter dont l’embarras et l’explication fastidieuse laissent rêveur quant à ses talents de pédagogue…

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Le vitrail représentant la prise de Damiette, bien moins coloré que celui de Judith et Holopherne (photographie de Joachim Köhler sous GNU Free Documentation License pour Wikipedia)…

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