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27 janvier 2018 6 27 /01 /janvier /2018 09:14
125 - Anniversaire

Comme tous les ans, commémorons l’anniversaire du Kaiser ! Pour ce faire, permettez-moi de vous présenter un article paru dans un numéro de janvier 1896 du Deutscher Soldatenhort 1. Ce journal, publié par Karl Siegismund Verlag de Berlin, était destiné à fournir des lectures patriotiques aux troupes ; fondé en 1891 il cessa bien évidemment de paraître à la fin de 1918. Comme de juste, cet article exalte les vertus impériales, appelle à l’union des cœurs autour du souverain, rappelle l’essor extraordinaire de l’Allemagne unifiée et se termine par le cantique de circonstance…

1 Que l’on peut traduire par : Le refuge allemand du soldat.

 

A l’occasion de l’anniversaire de l’Empereur

 

Le 27 janvier retrouve à nouveau unis les fidèles de la patrie dans un même vœu : que Dieu, notre Seigneur, bénisse à jamais notre impérial seigneur. Quand en ce jour, des rivages de la mer aux Alpes, et du Niemen jusqu’aux Vosges 2, les cloches des églises appellent à la prière, quand dans les garnisons le clairon du matin appelle l’attention sur l’importance du jour qui se lève, nous ne voulons pas manquer de remercier Dieu qui installé à la tête du jeune empire allemand un empereur qui est un souverain assidu aussi attaché à ses devoirs que sage. Puissent en ce jour les partis de ce pays observer avec attention la fidélité ancestrale du peuple à son souverain, qui n’a rien à voir avec les aspirations des partis 3. Comme tout un chacun dans le peuple, notre souverain doit aussi souvent faire passer le bien commun avant ses souhaits personnels. Puisse prendre conscience celui qui penche au mécontentement que tout souhait ne peut pas être exaucé.

Si la plus ancienne génération qui vit parmi nous se replonge 40 années en arrière 4 et se rappelle les efforts déployés jadis en vue de l’unité de l’Allemagne elle voit maintenant un jeune et fort empereur, que toute l’Europe regarde, qui ne veut laisser toucher ni à la couronne ni au pays allemand ; alors la joie doit remplir son cœur et la reconnaissance peut joindre sa voix dans le cantique :

Dieu a envoyé au peuple une tête,

Et malgré la fureur des ennemis

Plein de grâce pour notre patrie

Unie et élevée très haut ;

Il nous a donné et la paix

Et un empereur qui veille sur nous,

Pour l’honneur de son nom.

 

2 Cette énumération n’est pas sans rappeler un passage aujourd’hui omis du Deutschland über alles célébrant une Allemagne allant « de la Meuse jusqu’au Niémen, de l’Adige jusqu’au grand Belt »…

3 On ne peut manquer de se rappeler ici les paroles du Kaiser au Reichstag lors de la déclaration de guerre de 1914 : « Je ne connais plus de partis, je ne connais que des Allemands ».

4 Il ne s’est a priori rien passé de notable pour l’Allemagne en 1856. Il s’agit seulement pour l’auteur de ces mots de rappeler un temps où l’Allemagne était divisée en états indépendants.

125 - Anniversaire

Il me faut une nouvelle fois remercier Franck Sudon pour sa traduction et ses recherches complémentaires.

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21 décembre 2017 4 21 /12 /décembre /2017 20:23
124 - Parties de patinage

En ce premier jour de l’hiver, je vous propose, chers et patients lecteurs, de profiter une nouvelle fois des souvenirs de miss Topham. En effet celle-ci nous relate quelques parties de patinage avant 1914, dont certaines en présence du Kaiser lui-même.

 

Un mois environ après cette partie, vers le milieu de novembre, il se produisit soudain un changement de température ; il se mit à geler dur, et pendant six semaines il y eut de la glace partout ; tout le monde put patiner. Dès que les classes étaient terminées, nous sautions en voiture avec nos patins et allions à Charlottenhof, petit palais qui se trouvait dans le parc de Sans-souci. Là, se trouvait une vaste nappe d’eau, transformée en glace superbe. Il n’y avait personne qui se distinguât dans l’art du patinage, mais tous étaient désireux de l’apprendre et la Princesse et le prince Joachim, après plus d’une culbute, réussirent à patiner à une bonne allure, bien que ce fût encore loin de la perfection. Le temps se maintint d’une clarté merveilleuse, avec très peu de neige et l’on fit alors de joyeuses parties de patinage. A la fin, Sir Robert Collins, gentilhomme de la suite de la duchesse d’Albany 1, prit part à nos ébats ; c’était un artiste plein de grâce dans l’art du patinage ; Mme Collins ne patinait pas très bien, comme nous tous d’ailleurs, mais elle s’y exerçait avec persévérance. Le gouverneur du Prince fit maintes tentatives pour apprendre lui aussi, mais il ne parvint jamais qu’à accomplir quelques glissades maladroites ; il s’en excusait toujours en rejetant la faute sur la glace.

1 Hélène de Waldeck-Pyrmont (1861-1922) avait épousé le 27 avril 1882 le prince Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha (1853-1884) – quatrième fils de la reine Victoria – titré duc d’Albany, comte de Clarence et baron Arklow.

124 - Parties de patinage

Parfois le Kronprinz voulait amener quelques-uns de ses amis à faire une partie de hockey sur le lac, mais comme aucun ne connaissait bien les règles, c’était un jeu désordonné et dangereux.

124 - Parties de patinage

Les deux fils aîné du Kronprinz en tenue de patinage.

Les instants les moins agréables étaient d’ailleurs ceux où l’Empereur, enveloppé de son chaud manteau gris de cavalerie, et entouré d’aides de camp et d’officiers, apparaissait, venant dans notre direction. Des amateurs inexpérimentés se risquaient à courir sur leurs patins pour venir s’incliner devant Sa Majesté, mais invariablement ils finissaient par aller se réfugier à l’abri d’une petite île couverte de taillis, qui se trouvait dans un coin du lac. Les mésaventures produites par les chutes suscitaient chez l’empereur une joie maligne, il lui plaisait de voir les gens perdre ainsi le décorum, et un jour où la princesse Alice et moi, les mains entrelacées avec intimité, nous patinions avec ardeur, il arriva que nous perdîmes soudain l’équilibre, et fîmes une chute ; l’empereur se mit à rire de tout cœur, et d’un air railleur en nous voyant étendues de tout notre long. Il y avait toujours des échelles et des bancs sur la rive, pour le cas où surviendrait un accident. Une après-midi que le prince Oscar nous accompagnait (il était venu de Plœn pour passer quelques jours), la Princesse et lui décidèrent d’opérer un petit sauvetage. J’avais mes patins et je mis tout mon talent à représenter la soi-disant victime d’une catastrophe ; je m’étendis de tout mon long sur la glace, m’agrippai à la corde qu’ils étaient parvenus, après maintes tentatives maladroites, à lancer dans ma direction. Mais lorsqu’il fut question de me retirer, bien que je ne fusse pas dans l’eau, les efforts bien intentionnés de mes deux sauveteurs n’eurent d’autre effet que de les faire tomber à la renverse, aux éclats de rire de l’assistance, tandis que je restais exactement à la même place qu’auparavant. On dut raconter cette petite aventure à l’Empereur, car étant venu le lendemain au patinage, il désira savoir comment j’avais été sauvée. « Ils ne m’ont pas sauvée du tout, répondis-je, j’aurais eu le temps de me noyer dix fois. » Il rit beaucoup de cet échec de ses enfants dans cette tentative de sauvetage, et je suis certaine qu’il aurait bien aimé voir renouveler cet exercice devant lui. « Et pourtant vous êtes si mince et si légère », ajouta-t-il en riant, et il s’éloigna. 2

2 Souvenirs de la Cour du Kaiser (Librairie Delagrave ; Paris, 1915) pp. 64-66.

124 - Parties de patinage
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2 décembre 2017 6 02 /12 /décembre /2017 21:10
123 - Année 1877

En 1877 le futur Guillaume II avait 18 ans.

123 - Année 1877

 

 

Politique

1er janvier : la reine Victoria est proclamée impératrice des Indes.

123 - Année 1877

17 février : Porfírio Diaz devient président du Mexique.

123 - Année 1877

1er avril : départ des dernières troupes fédérales du Sud, mettant fin à la période de la Reconstruction.

123 - Année 1877

Bague de cigare à l’effigie du président Hayes.

19 avril : début de la guerre russo-turque.

123 - Année 1877

Timbre russe à l’effigie du tsar Alexandre II.

Juillet : nombreuses grèves, souvent réprimées violemment, aux Etats-Unis.

 

 

 

 

Sciences et techniques

30 avril : dépôt par Charles Cros, 9 mois avant Edison, d’un brevet pour un appareil d’enregistrement des sons.

123 - Année 1877

Le mécanicien allemands Niklaus August Otto met au point le moteur à combustion interne à quatre temps.

123 - Année 1877

 

 

Arts

Le lac des cygnes de Piotr Ilitch Tchaïkovski est monté pour la première fois au Bolchoï.

123 - Année 1877

 

 

Naissances

17 février : André Maginot, combattant de la première guerre mondiale qui lancera le projet de ligne fortifiée à laquelle son nom reste attaché.

123 - Année 1877

5 juin : Pancho Villa, révolutionnaire mexicain.

123 - Année 1877

 

 

Décès

3 septembre : Adolphe Thiers, ancien président de la république ayant signé le traité de Francfort qui a mis fin à la guerre franco-prussienne.

123 - Année 1877

23 septembre : Urbain Le Verrier, astronome français.

123 - Année 1877
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7 novembre 2017 2 07 /11 /novembre /2017 11:37

Aujourd’hui, quelques navrants nostalgiques vont célébrer le centième anniversaire d’un coup d’état bolchevique à Petrograd, pompeusement baptisé « Révolution d’octobre » 1 et transformé en épopée par des propagandistes peu respectueux de la réalité.

1 En effet à l’époque la Russie utilisait encore le vieux calendrier julien, en retard de plusieurs jours par rapport au calendrier grégorien, et qu’en conséquence le 25 octobre 1917 julien correspond au 7 novembre 1917 grégorien.

Rappelons les faits. Exilé en Suisse depuis longtemps, Vladimir Ilitch Oulianov allias Lénine, n’ayant pas vu venir la révolution de février, négocie avec le gouvernement allemand pour rentrer en Russie et obtient de le faire en utilisant un train bénéficiant du statut d’extraterritorialité qui traverse le Reich et les territoires russes occupés par l’armée du Kaiser. Ainsi, sans être véritablement un agent allemand, Lénine, comme l’écrira Churchill « a été envoyé en Russie par les Allemands comme on enverrait une ampoule contenant des bacilles de typhoïde ou de choléra pour contaminer l’approvisionnement en eau d’une grande ville, et l’opération a remarquablement fonctionné » 2. Arrivé à Petrograd, il se lance dans des discours et des controverses filandreuses avec ses adversaires politiques et entretient l’agitation politique. Après l’échec d’un premier coup d’état bolchevique en juillet 1917, il se réfugie en Finlande d’où il reviendra sous un déguisement le 20 octobre (7 octobre julien) à la suite de l’échec du putsch du général Kornilov qui prouvait la faiblesse du gouvernement provisoire du lamentable Kerensky.

2 Cité par François Kersaudy Le monde selon Churchill (Tallandier ; Paris, 2011) p. 156.

Après s’être assuré de la neutralité de la garnison de Petrograd, le coup d’état fut lancé par le tandem Lénine-Trotski. Le coup d’envoi fut donné par un tir de canon à blanc du croiseur Aurora donnant le signal de la prise sans résistance du Palais d’Hiver par les sicaires bolcheviques, qui occupèrent aussi les ponts, les gares, la banque centrale, la poste centrale et le central téléphonique de la capitale. La prétendue Révolution d’octobre était terminée ; commençait alors le temps de la dictature, de la répression sanglante et de la désinformation qui sont à la base de ce système « intrinsèquement pervers » 3 qu’est le communisme.

3 Encyclique Divini Redemptoris du 19 mars 1937 ; cette définition sera amplement confirmée par Le livre noir du communisme (Perrin ; Paris, 1997) publié sous la direction de Stéphane Courtois. De façon plus anecdotique, même le sieur Mélanchon n’a pas profité de cet anniversaire pour s’épancher à longueur de caméras et de micros…

122 - Dies irae

Le palais d’hiver (vignette publicitaire des cigarettes Will’s).

Comment en était-on arrivé là ? Laissons la parole à l’un des plus grands hommes politiques du siècle dernier, qui a donné une analyse remarquable des méthodes des bolcheviques et de leurs contempteurs :

Mais le communisme n’est pas seulement un credo, c’est un plan de campagne. Le communiste n’est pas seulement un homme qui a certaines opinions : il s’est engagé à prêter la main à un plan d’action mûrement réfléchi visant à les imposer. Tous les aspects et toutes les phases de la revendication et de la révolution ont été étudiés à la loupe et un véritable manuel de guerre a été rédigé selon une démarche scientifique en vue de subvertir toutes les institutions actuelles. La méthode à suivre pour l’imposer fait tout autant partie de la foi communiste que la doctrine elle-même. Au commencement, on invoque les vénérables principes du libéralisme et de la démocratie pour protéger l’organisme naissant. La liberté de parole, le droit de réunion, toutes les formes légales d’agitation politique, toutes les garanties constitutionnelles, sont proclamés haut et fort et réaffirmés. On recherche l’alliance avec tous les mouvements populaires de gauche.

Le premier jalon, c’est la mise en place d’un régime modéré libéral ou socialiste au cours d’une période troublée. Mais il n’est pas plus tôt en place qu’il est voué à être renversé. Il faut exploiter le malheur et la pénurie qui résultent de la confusion générale. Il faut organiser des confrontations entre les agents du nouveau gouvernement et la population ouvrière, si possible avec effusion de sang. Il faut fabriquer des martyrs. Il faut mettre à profit l’attitude du gouvernement s’il exprime ses regrets. Il faut tenter de se servir d’une propagande pacifique pour masquer des haines jamais encore rencontrées dans l’humanité. Il n’est nullement nécessaire – nullement possible, en fait – d’être de bonne foi avec les non-communistes. Il faut tirer parti pour précipiter leur ruine de tous les actes de bienveillance, de tolérance, de conciliation, de pitié ou de générosité qui émanent des gouvernements ou des hommes d’Etat. Puis, quand la situation est mûre et le moment opportun, on doit, sans frein ni états d’âme, déployer toutes les formes de la violence meurtrière, du soulèvement de la populace à l’assassinat individuel. La prise de la citadelle s’effectuera sous l’étendard de la liberté et de la démocratie et, une fois l’appareil du pouvoir aux mains de la confrérie, on fera taire toute opposition, toute opinion adverse, par la mort. La démocratie n’est qu’un outil qu’on brise après s’en être servi ; la liberté n’est que folie et sentimentalisme, indigne d’un logicien. Il s’agit d’imposer à l’humanité, progressivement mais sans ménagement, et pour toujours, le pouvoir absolu d’un cénacle de grands prêtres cooptés qui appliquent le catéchisme qu’ils ont appris par cœur. Ce sont là la foi et les objectifs du communisme, exposés dans des manuels indigestes, écrits de plus avec le sang versé dans l’histoire de plusieurs puissantes nations. 4

4 Winston Churchill Mes grands contemporains (Tallandier ; Paris, 2017) pp. 81-83.

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21 octobre 2017 6 21 /10 /octobre /2017 17:38
121 - Dernière visite à l'ambassade de France

La Pariser Platz de Berlin sur laquelle se trouvait l’ambassade de France.

Nous avons déjà eu l’occasion de parler des timides tentatives faites par le Kaiser pour se rapprocher de la France. Hélas celles-ci n’aboutirent jamais et dès 1912 il était persuadé que ce pays voulait la guerre. Aussi ne manqua-t-il pas de jouer un tour à sa façon à l’ambassadeur Jules Cambon en poste à Berlin depuis 1907.

 

L’empereur affecte un certain détachement des événements. Sa pensée paraît encore indécise. Il ne prononce aucune parole tranchante. Son attitude est courtoise à l’égard des Français. Il dîne dans diverses ambassades. D’abord, chez ses alliés : à l’ambassade d’Autriche et à l’ambassade d’Italie.

Le 19 mars, il accepte l’invitation de M. Cambon et franchit, pour la dernière fois, les portes de l’ambassade de France.

Il est d’usage, lorsque le kaiser se rend dans une ambassade étrangère, que les hauts dignitaires allemands invités à l’accompagner, arrivent quelques minutes avant le souverain, et se rangent avec le personnel de l’ambassade pour le recevoir. Ce soir-là, le dîner est pour 8 heures. A 7 h. 50, sans que le palais nous eût informés par téléphone du départ de l’automobile impériale, Guillaume II arrive subitement sous le porche de l’ambassade. M. Cambon n’a que le temps de descendre quatre à quatre avec son personnel pour empêcher que l’empereur ne se trouve seule en face du portier (d’ailleurs très galonné) dans le grand hall d’entrée. Guillaume II grimpe les marches du grand escalier d’honneur, plus lestement encore que nous ne les avions descendues, dans l’espoir de trouver les salons vides. Mais les dames de l’ambassade, accourues en hâte, sont à leur place. Seuls les ministres et les grands seigneurs allemands font défaut. L’empereur, ravi du bon tour qu’il leur a joué, s’amuse de leur déconvenue, lorsqu’ils arrivent quelques minutes plus tard.

121 - Dernière visite à l'ambassade de France

Jules Cambon avant sa nomination comme ambassadeur à Berlin.

Le dîner est impeccable. L’empereur a Mme Cambon à sa droite et ma femme à sa gauche. Il est de très bonne humeur. Comme il ne peut pas se servir de la main gauche, il emploie une fourchette spéciale dont un côté tranchant lui permet de couper les viandes 1. Au dessert, un majordome de la cour, qui se tient en permanence derrière son siège, lui présente une assiette de pommes crues imbibées d’une liqueur dont j’ignore la composition. Quelqu’un lui a dit, il y a bien des années, que la pomme, par des vertus particulières, assurait une longue vie ; depuis ce jour, il fait de ce fruit une grande consommation.

1 On se souvient que depuis sa naissance le Kaiser avait un bras gauche sans force et plus court que le droit.

Après le dîner on donne la comédie. Trois artistes du Théâtre-Français, Mlle Jeanne Provost 2, Mlle Lucie Guéneau 3 et M. Burguet 4, jouent Un Caprice, de Musset, et disent des poèsies. L’empereur déploie auprès de ses hôtes français et des artistes, le charme qui a si souvent conquis même ses ennemis. Il prend un plaisir particulier à causer avec M. Francis Charmes 5, de l’Académie française, et avec le professeur Vidal 6, de l’Académie de médecine. Il ne quitte l’ambassade qu’après minuit bien sonné. 7

2 Jeanne Provost (1887-1980).

3 En 1912, Lucie Guéneau et Jeanne Prévost étaient en tournée à Berlin.

4 Charles Léon Lévy (1872-1957), allias Charles Burguet, est un acteur, producteur, scénariste et réalisateur français.

5 Marie François (1848-1916), allias Francis Charmes, avait été élu à l’Académie française en 1908 au siège de Marcellin Berthelot ; a sa mort s’est Jules Cambon qui lui succédera.

6 Fernand Georges Isidore Widal (1862-1929), chirurgien et bastériologiste, avait été élu à l’Académie de médecine en 1906.

7 Amiral de Faramond Souvenirs d’un attaché militaire en Allemagne et en Autriche (Librairie Plon ; Paris, 1932) pp. 76-78.

121 - Dernière visite à l'ambassade de France

Le professeur Widal (photo extraire de sa notice sur Wikipedia).

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11 septembre 2017 1 11 /09 /septembre /2017 11:23
120 - La clémence de Guynemer

Monument à la mémoire de Georges Guynemer érigé à Poelcapelle.

Il y a cent ans Georges Guynemer disparaissait au-dessus de Poelcapelle en Belgique. Afin de lui rendre hommage, cédons la plume à l’un de ses adversaires : l’as allemand Ernst Udet.

 

Cette 15e escadrille de chasse, issue de l’ancien groupe de combat d’Habsheim, ne compte plus aujourd’hui que 4 appareils, 3 adjudants et moi-même, comme chef d’escadrille 1. Nous sortons presque toujours seuls. C’est le seul moyen pour nous de faire face aux besoins du service.

Le front est très actif. On dit que ceux d’en face préparent une offensive. Tous les jours, les ballons captifs se balancent en longues théories dans le ciel d’été, comme une guirlande de nuages ventrus. Si seulement l’un d’eux pouvait éclater. Cela servirait d’avertissement aux autres, et cela ferait toujours un de moins.

1 Son chef d’escadrille, Heinrich Gontermann (1896-1917), avait obtenu une permission de quatre semaines après avoir été décoré de l’Ordre Pour le Mérite le 14 mai 1917.

Je décolle un matin de bonne heure, pour avoir le soleil dans le dos et me laisser tomber sur le ballon en profitant de l’éblouissement des guetteurs. Je suis rarement monté aussi haut. L’altimètre indique cinq mille mètres. L’air est léger et glacial.

Au-dessous de moi, le monde ressemble à un énorme aquarium. Au-dessus de Liervald, où Reinhold a été tué, un avion d’observation ennemi décrit patiemment des cercles. On dirait une puce d’eau qui rame laborieusement sur une surface d’air.

Soudain, à l’ouest, un point noir se rapproche rapidement. D’abord minuscule, je le vois grossir très vite. C’est un Spad, un chasseur ennemi. Un solitaire des hauteurs, comme moi en quête d’une proie. Je me cale solidement sur mon siège, il y a du combat dans l’air.

Nous nous rencontrons à la même hauteur et nos appareils, lancés l’un contre l’autre, se frôlent au passage en vrombissant.

Virage à gauche de part et d’autre. L’avion de l’autre est brun clair et brille au soleil. Alors commence la chasse en cercle. Vu du sol, cela doit ressembler aux poursuites amoureuses d deux gros rapaces, mais ici on joue avec la mort. Le premier qui a l’adversaire dans le dos est perdu. Car le monoplace, avec ses mitrailleuses fixes, ne peut tirer que devant lui. Vers l’arrière, il est sans défense.

Plusieurs fois nous passons en trombe si près l’un de l’autre que je distingue clairement sous le casque de cuir un visage mince et pâle. Sur le fuselage, entre les ailes, il y a un mot en lettres noires. Lorsqu’il passe pour la cinquième fois – si près que je suis secoué par le souffle de son hélice – je déchiffre : « Vieux »… C’est Guynemer.

120 - La clémence de Guynemer

C’est vrai. Il n’y en a qu’un chez eux sur ce front pour voler de la sorte. Guynemer, qui a abattu trente Allemands, Guynemer qui chasse toujours seul, qui s’adosse au soleil pour plonger sur l’adversaire, le liquide en l’espace d’une seconde et disparaît.

Je sais que ce sera un combat à mort.

J’exécute un demi-looping pour pouvoir fondre sur lui. Il a tout de suite compris et amorce également un looping. J’essaie un tonneau, Guynemer en fait autant.

A un moment donné, de l’intérieur du virage, il me tient quelques secondes sous son feu. Une grêle de balles crépite et transperce le plan porteur droit, sous le choc, les mâts rendent un son clair.

J’essaie tous les moyens : virages très serrés, tonneaux, glissements latéraux. Mais rapide comme l’éclair, il devine chacun de mes mouvements et la riposte arrive, elle aussi, avec la rapidité de l’éclair. Peu à peu, je m’aperçois qu’il m’est supérieur. Ce n’est pas seulement la machine qui est meilleure. L’homme qui pilote est aussi plus fort que moi. Mais je poursuis le combat.

Encore un virage. Un instant, il fait une embardée dans mon champ de tir. Je presse le bouton, sur le manche à balai… la mitrailleuse est muette… enrayée.

De la main gauche, je continue à tenir le manche et, de la droite, j’essaie de désenrayer. Peine perdue. La mitrailleuse reste bloquée.

Je pense un moment m’échapper en piqué. Mais avec un adversaire de cette trempe, je n’aurais aucune chance d’en sortir, il me tomberait aussitôt sur le dos et me démolirait sans merci.

Nous continuons à décrire nos cercles. Une course merveilleuse, si l’enjeu n’était pas aussi gros. Jamais encore je n’ai rencontré un ennemi d’une telle habileté tactique. Pendant quelques secondes, j’oublie que l’autre, là-bas, c’est Guynemer. J’ai l’impression d’être à l’entraînement avec un vieux camarade au-dessus de notre terrain. Mais l’impression est de courte durée.

Pendant huit minutes, nous tournons en rond ; ce sont les plus longues minutes de ma vie.

Le voilà maintenant qui passe juste au-dessus de moi, la tête en bas. J’ai lâché un instant le manche à balai et je martèle ma mitrailleuse à deux poings. C’est un procédé rudimentaire, mais qui réussit parfois.

Guynemer a observé de mouvement de là-haut, il doit l’avoir remarqué et il sait à présent où j’en suis. Il sait que la proie est à sa merci.

De nouveau, il vient raser ma tête, l’appareil à peu près retourné. C’est alors que se produit une chose inouïe :

Il étend le bras et me fait signe, un tout petit signe de la main, puis il plonge et disparaît en direction de l’ouest, du côté du front français.

Je rentre à la base, je suis comme étourdi.

Il y a des gens qui disent que Guynemer avait lui-même sa mitrailleuse enrayée. D’autres prétendent qu’il a eu peur, que, de désespoir, je ne l’abord en plein vol. mais je n’en crois rien. Je crois qu’aujourd’hui encore, l’esprit de l’ancienne chevalerie n’est pas complètement mort. Et c’est pourquoi je dépose cette couronne tardive sur la tombe inconnue de Guynemer. 2

2 Ma vie et mes vols (Flammarion ; Paris, 1955) pp. 52-55.

120 - La clémence de Guynemer
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14 août 2017 1 14 /08 /août /2017 09:11
119 - Blessure d'un général

Berthold von Deimling (photographie de la couverture de ses Souvenirs).

Un des clichés les plus solidement ancrés dans les esprits à propos de la première guerre mondiale est celui de généraux bornés envoyant leurs hommes à la mort depuis les châteaux leur servant de PC. C’est toutefois oublié que nombre d’entre eux sont morts au combat ou des suites de leurs blessures : ainsi, entre 1914 et 1918 ce n’est pas moins de 78 généraux britanniques, 70 généraux allemands ou 42 généraux français qui trouvèrent la mort ; sans compter tous ceux qui furent plus ou moins grièvement blessés…

Ne faisant pas encore tourner les tables, c’est donc le récit de l’un de ces généraux blessés que je vais aujourd’hui vous proposer. Nous sommes le 31 octobre 1914 et le général Berthold von Deimling (1853-1944), chef du XVe Corps, se rend chez l’un de ses deux commandants de division.

 

L’état-major de l’armée ordonna qu’on poursuive les tentatives de percée. Le lendemain matin, de bonne heure, je vais à la 30e division, pour m’entretenir avec son chef, le très distingué général Wild von Hohenborn 1, des détails de l’attaque sur Gheluvelt, et fixer les modalités d’une action commune avec le corps d’armée qui nous touche au Nord.

1 Adolf Wild von Hohenborn (1860-1925) sera ministre de la guerre de Prusse du 21 janvier 1915 au 29 octobre 1916, poste dans lequel il s’opposera régulièrement à Hindenburg.

119 - Blessure d'un général

Un canon de campagne anglais Ordnance QF de 18 livres en batterie.

A proximité du poste de combat de Hohenborn, au carrefour des routes à l’Est de Gheluvelt – on lui donna par la suite de nom de « Deilmlingseck », le coin à Deimling – je fus obligé d’abandonner mon auto, que de nombreux projectiles avaient mis hors de service. Je gagne à pied l’abri du général, et commence tout juste à m’entretenir de la situation quand, par surprise, le feu de l’artillerie ennemie s’abat sur le croisement de routes. Un des premiers shrapnells m’envoie une balle dans la hanche gauche et m’étend de tout mon long. D’Ypres, les obus balayent toute la largeur de la chaussée, qui, en quelques secondes, est complètement vide. Je me traîne péniblement dans un petit fossé qui se peuple rapidement. En bons camarades, les uns près des autres ou les uns sur les autres, nous restons un bon quart d’heure à plat ventre dans ce trou humide. De ma main, je tâte ma tunique qui dégoutte de sang. Enfin l’artillerie ennemie cherche une autre cible. Un sergent m’offre son aide et me soutient pour me conduire tout près, au poste de secours, installé dans une maison déchiquetée par les obus. La pièce est comble de blessés : on crie, on soupire autour de moi. Des râles rauques de mourants. On amène sur des civières, par la porte basse, toujours de nouveaux monceaux d’hommes ensanglantés. Un médecin-major bavarois, avec un calme inébranlable, s’acquitte de ses fonctions. Toutes les deux minutes un obus s’abat dans la ferme et fait voler les plâtres des murs et des plafonds. Dans une terreur folle des blessés poussent des cris. Le médecin me reconnaît et m’interroge du regard. « J’attendrai mon tour », dis-je à voix basse. Des yeux il me fait un signe de remerciement et continuer à tailler, à faire des piqûres, à panser, à distribuer les injures ou des paroles d’encouragement. Il est tout pénétré de sa mission : sauver tout ce que la guerre lui laisse sauver. A mon tour, il me met un pansement provisoire.

En même temps que le commandant de la brigade d’artillerie, blessé lui aussi, une auto nous amène sous une grêle de shrapnells anglais, à Werwicq, où est installé mon quartier général. Le médecin général de mon corps d’armée s’empare aimablement de ma personne, en même temps que le célèbre chirurgien, le docteur Sauerbruch. Puis on me fourre au lit. Vers midi la nouvelle m’arrive que la 30e division a pris Gheluvelt et que l’attaque de la 39e progresse vers Zillebeke.

119 - Blessure d'un général

Le Kaiser en voiture.

Tout à coup dans la rue retentissent les quatre notes d’une trompe d’auto : « Ta-ti-ta-ta ! » Mon ordonnance, qui n’a rien des manières d’une sœur infirmière, entre à grand fracas dans ma chambre et m’annonce la visite de l’empereur. Celui-ci entre en compagnie de son vieil aide de camp général, von Plessen. Il s’assied près de mon lit, s’informe de ma blessure et de l’action menée par mon corps d’armée. Puis l’empereur me parla des autres théâtres d’opérations. Je fus alors surpris de la confiance qu’il montrait en parlant de notre situation générale.

Pendant que l’empereur était encore avec moi, des aviateurs ennemis tournèrent en rond au-dessus de Werwicq et lancèrent des bombes destinées à la réserve de corps d’armée, qui se tenait à proximité immédiate de la ville.

En partant, l’empereur m’accorda, comme je le lui demandais, de garder, malgré mes blessures, le commandement de mon corps d’armée. Dix jours après, j’étais assez bien remis pour marcher, en boitant et en m’aidant d’une canne, et pour pouvoir me rendre en voiture au poste de commandement de Tenbrielen. 2

2 Général Berthold von Deimling Souvenirs de ma vie (du temps jadis aux temps nouveau) (Editions Montaigne ; Paris, 1931) pp. 213-217.

119 - Blessure d'un général

Troupes allemandes au bivouac.

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9 juillet 2017 7 09 /07 /juillet /2017 08:38
118 - Sprechen Sie französisch ?

Jules Simon (vignette 388 de la 1ère série des célébrités contemporaines).

Il y a quelque temps de cela, l’un de mes patients et fidèles lecteurs m’a demandé si le Kaiser parlait français. J’aurais pu lui répondre qu’il le parlait comme tous les gens de qualité de mais j’ai préféré attendre de trouver un homme de son époque dont le témoignage ne puisse être remis en cause. J’ai enfin trouvé le témoin idéal en la personne de Jules Simon (1814-1896), adversaire décidé de Napoléon III, ministre de l’éducation publique du gouvernement provisoire en 1870, président du conseil du 12 décembre 1876 au 17 mai 1877 et surtout académicien français depuis le 16 décembre 1875. La dernière mission officielle qui lui fut confiée fut d’être l’un des représentants de la France à la conférence internationale de Berlin sur le Travail en 1890 au cour de laquelle il put régulièrement parler s’entretenir avec l’empereur Guillaume.

 

Avant de vous parler de sa conversation, je dois vous dire un mot de sa langue ; il parlait français. Facilement ? – Très facilement. – Correctement ? – Très correctement ? – Très correctement ? – Avait-il un accent ? – Pas le moindre. Celui qui de nous deux parlait le plus purement, c’était lui ; car j’ai un peu, très peu, l’accent breton et l’Empereur parle comme un Parisien. Il me demanda en riant comment je trouvais sa prononciation :

– Vous parlez, lui dis-je, comme un Parisien.

– Ce n’est pas étonnant, dit-il, j’ai un ami – il affectionne ce terme en parlant de ses serviteurs, – qui a été mon professeur pendant dix ans et qui est resté ici avec moi ; c’est un Parisien et un puriste ; et m’avez-vous entendu me servir d’une expression peu orthodoxe ? (Je ne suis pas seulement académicien, je suis membre de la Commission du dictionnaire.)

– Une seule fois, lui dis-je.

Je vis qu’il prenait l’alarme.

– Et quand cela ? dit-il.

– Tout à l’heure, quand Votre Majesté a dit : « Nous nous réunissons ici pour godailler. »

– Godailler est français, il est dans le dictionnaire de l’Académie.

– Il est dans le dictionnaire, mais on ne le dit pas à l’Académie, ni dans les salons de l’Académie. 1

1 Le verbe intransitif du 1er groupe « godailler » signifie faire bombance, boire et manger avec excès. S’il fleure un parfum populaire assez désuet, des auteurs comme Gustave Flaubert, Alphonse Daudet ou Roger Martin du Gard l’ont employé.

– Je m’en souviendrai : et c’est la seule fois ?

– Je le jure, Votre Majesté est, comme son professeur, un puriste.

Il parut s’amuser beaucoup de cette bagatelle.

Il me laissa voir ensuite qu’il avait une connaissance approfondie de nos principaux écrivains. Comme je savais qu’il se tient dans la plus grands détails au courant des affaires de l’Etat et de celles de l’armée, et que je voyais sa vie occupée et agitée, je ne pouvais comprendre qu’il trouvât encore du temps pour lire nos romans français ; il m’assura qu’il aimait par-dessus tout la vie de famille, qu’il n’était jamais plus heureux que quand il dînait tranquillement chez lui, comme un bon bourgeois de Berlin, avec sa femme, et qu’il lui lisait un chapitre de roman avant de s’endormir. Il faut bien que cela soit vrai, puisqu’il le dit, quoique cette universalité soit à peine vraisemblable. C’est un esprit qui n’est jamais en repos, qui ne perd jamais une minute, et qui saisit tout avec une étonnante rapidité. Je voulus savoir son avis sur nos écrivains en vogue ; il ne se fit pas prier ; il avait pour le moment une admiration et une antipathie, l’une et l’autre également passionnées. L’admiration était pour M. Ohnet 2, dont il me fit l’éloge en quelques mots, avec le talent d’un critique de profession.

2 Georges Ohnet (1848-1918), écrivain bourgeois – utilisant parfois le pseudonyme de Géorges Hénot – opposé aux naturalistes qui connut un grand succès et de forts tirages.

118 - Sprechen Sie französisch ?

Timbre français de 1967.

L’antipathie était pour M. Zola ; je dois dire qu’elle était violente.

J’essayai de défendre mon célèbre compatriote en disant que c’était un conteur incomparable et un profond observateur.

– Je veux bien qu’il ait de grandes qualités, me dit l’Empereur ; ce n’est pas à elles qu’il doit ses succès, c’est aux vilenies morales et aux saletés dont il empoisonne ses écrits. Voilà ce que vous préférez en ce moment, ce qui vous charme et ce qui donne aux étrangers le droit de juger sévèrement votre état moral.

Je souffrais beaucoup pendant ce temps-là, et d’autant plus que l’Empereur n’y mettait aucune malveillance, aucun parti pris contre nous.

– On dit qu’il va publier un nouveau livre 3 ; vous allez voir comme il sera dévoré ; toute votre littérature disparaîtra devant ce chef-d’œuvre.

3 Il s’agit de L’argent, 18e roman de la série des Rougon-Macquart, qui paraîtra en 1891. On remarquera avec intérêt que le Kaiser avait le même avis que le futur général de Gaulle sur Zola, lequel écrivit que cet auteur "avait vraiment le génie de l'ordure" (cité par Frédérique Neau-Dufour in Dans la bibliothèque de nos présidents - Tallandier; Paris, 2020 - p.43).

Je me hasardai à dire qu’on le lirait aussi à Berlin :

– Avec dégoût, dit l’Empereur, et par curiosité ; il n’aura ici que des lecteurs très clairsemés ; il sera chez vous dans les mains de tout le monde.

Il se trompait : je visitai le lendemain les vitrines des grandes librairies ; on n’y voyait que Zola ; on avait fait disparaître, momentanément, tous les autres livres pour le mieux mettre en évidence. J’appris que plusieurs grandes maisons avaient renouvelé leur commande par le télégraphe. J’ai su, depuis, que la vogue n’avait pas été moindre à Londres. 4

4 Jules Simon Quatre portraits (Calmann-Lévy ; Paris, 1896) pp. 239-244 – il s’agit pour la partie citée de la reprise d’un article initialement paru dans la Revue de Paris du 1er août 1894.

118 - Sprechen Sie französisch ?

Dictionnaire franco-allemand (photographie tirée de la page web https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/736x/a7/4f/b7/a74fb71eb9aa383aff2a3689fd0d1b56--mole-antique-books.jpg)

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6 juin 2017 2 06 /06 /juin /2017 20:23
117 - Le Kaiser et l'alcool

Banquet en l’honneur du mariage de la princesse Victoria-Louise avec le prince Ernest-Auguste de Hanovre.

A la différence de bien des hommes politiques de son temps – que l’on songe simplement à Bismarck ou à Winston Churchill – le Kaiser fut toujours un consommateur très modéré d’alcool. Dès sa jeunesse, il s’est ainsi montré d’une grande sobriété, à la différence de nombres de ses homologues étudiants de la corporation des Borusses, comme il le souligne dans ses mémoires.

Au côté sombre appartenaient les fortes beuveries et, dans ce domaine, j’ai fait alors et plus tard tout mon possible pour freiner cette mauvaise habitude ; il y a lieu d’espérer que le mouvement sportif qui gagne maintenant l’Allemagne va en faire disparaître les derniers vestiges. Je n’étais moi-même pas membre actif, mais seulement « Konkneipant » 1 et je reçus le ruban seulement lorsque je quittai l’Université. J’ai pris part aussi (comme précédemment) aux exercices d’escrime, mais non aux « mensur 2 ». 3

1 « Buveur honoraire ».

2 Duels au sabre au cours duquel les étudiants cherchaient à balafrer leur adversaire.

3 Souvenirs de ma vie (1859-1888) (Payot ; Paris, 1926) pp. 185-186.

117 - Le Kaiser et l'alcool

Le Kaiser se désaltèrant au début de la guerre.

Plus tard, lorsqu’il fut monté sur le trône, le Kaiser continua de désapprouver la consommation excessive d’alcool, n’hésitant pas à blâmer de façon peu diplomatique cette habitude prêtée aux Anglais, ainsi que le rapporte miss Topham.

Je suis placée à table à l’une des extrémités, entre le gouverneur et le tuteur du prince Joachim. L’Empereur et l’Impératrice se font vis-à-vis, tandis qu’à leur droite et à leur gauche les invités, entremêlés avec les dames et les messieurs de la Cour, prennent les places libres. Un valet de pied portant la livrée impériale, qui comporte des guêtres peu seyantes, est posté derrière chaque convive ; derrière la chaise de l’Empereur se tient son « Jäger » en uniforme vert, qui pourvoit à tous ses besoins. Du vin blanc et rouge ainsi que du champagne sont servis aux convives, mais l’Empereur et l’Impératrice s’en abstiennent et ne boivent que du jus de fruit. Guillaume est un adversaire résolu de l’alcool et il prêche l’exemple.

« Vous autres Anglais, me dit-il un jour, vous buvez de ces abominables drogues : whisky, soda et tant d’autres ! Comment pouvez-vous absorber en telles quantités tous ces poisons qui ruinent la santé ? J’ai goûté une fois du whisky, c’est du feu liquide, pouah ! Ces habitudes de boire sont terribles ! »

Il me réprimandait pour nos défauts nationaux en levant le doigt et la figure sérieuse. J’essayais timidement de soutenir que nous buvions encore plus qu’il n’était nécessaire, mais que cependant les statistiques constataient que ce mal diminuait d’année en année et que nous devenions plus sobres, la preuve en était dans la diminution des crimes dus à l’ivrognerie. Mais Sa Majesté accordait plus de crédit à ses propres observations qu’aux statistiques ; il continuait à secouer la tête d’un air sceptique, me menaçant du doigt comme si j’en étais personnellement responsable. 4

4 Souvenirs de la cour du Kaiser (Delagrave ; Paris, 1915) pp. 28-29.

 

Et le Kaiser garda ses habitudes même après son départ pour les Pays-Bas, comme en témoigne le prince Louis-Ferdinand : « Contrairement à la plupart de ses invités, mon grand-père était un mangeur et un buveur extrêmement modéré » 5 et « Le seul luxe que l’Empereur se permettait était un demi-verre de Bourgogne scintillant » 6.

5 Le prince rebelle (André Martel ; Givors, 1954) p. 192.

6 Idem p. 193.

117 - Le Kaiser et l'alcool

Inauguration du Kaiser Wilhelm Canal le 20 janvier 1895.

C’est donc avec beaucoup de surprise que j’ai découvert sur internet (https://cocktail101.org/2012/01/10/the-kaiser-and-cocktails/) un article du New York Journal prétendant rapporter des faits intervenus lors des cérémonies d’inauguration du canal de Kiel en janvier 1895. Je vous livre donc ma traduction de ce texte.

A la fin des cérémonies, l’empereur Guillaume se rendit sur les différents navires et notamment sur le bâtiment américain commandé par le commandant Evans 7. Les saluts officiels furent rendus et Bob le Côgneur invita l’empereur à un repas américain au carré des officiers. Guillaume accepta l’invitation avec un plaisir évident, et à l’heure réglementaire l’hôte et son invité impérial s’assirent avec les autres officiers et le repas commença.

7 Robley Dunglison Evans (1846-1912), surnommé Bob le Côgneur (Fighting Bob) ; avait commencé sa carrière navale lors de la guerre de sécession. Il participa ensuite à différentes démonstrations navales en Amérique du sud puis à la guerre hispano-américaine, avant de prendre le commandement de la flotte d’Asie puis de celle de l’Atlantique nord. De 1907 à 1909, il mènera la flotte américaine baptisée Grande flotte blanche (Great White Fleet) du fait de la couleur de ses coques dans son périple autour du monde. En 1902, il avait été choisi par le président Roosevelt pour accompagner le prince Henri de Prusse, frère du Kaiser, lors de son voyage aux Etats-Unis.

Le premier délice servi fut un cocktail américain que l’empereur huma et agita avec une lueur de joie dans les yeux.

« Excellent » s’exclama-t-il pour marquer son contentement à Bob le Côgneur. « Un « kochtael » dites-vous ? Délicieux ! Humph 8 ! » Le diner allait commencer.

8 Ne sachant pas comment traduire l’onomatopée « Humph » en français, j’ai donc gardé l’original…

Peu après l’empereur poussa du coude un lieutenant assis à côté de lui et, se penchant vers lui, lui murmura quelque chose en se cachant avec la main.

« Ce n’est pas possible » répondit le lieutenant, « le commandant ne le permettra pas, il respecte trop la tradition ».

« Mais il devrait le faire » chuchota l’empereur en connaissance de cause.

Guillaume retourna l’idée dans son esprit et se décida enfin à prendre le taureau par les cornes.

« Commandant Evans, » s’exclama-t-il tout à coup au milieu du repas, « j’ai une proposition à vous faire. Une proposition dont je ne doute pas qu’elle soit acceptable pour nous tous. »

« Votre Majesté » répondit Bob le Côgneur « quel est votre désir ? Nous l’écoutons respectueusement. »

« Je propose » reprit Guillaume, en tordant nerveusement ses moustaches « que nous buvions un autre de ces cocktails américains avant de poursuivre de délicieux repas ».

« Impossible, Sire, » répondit poliment le commandant Evans « les usages américains ne permettent d’en boire qu’un par repas. Mille pardons, mais je dois respecter la coutume. A votre santé, avec du vin… »

Guillaume accepta la loi d’airain de son hôte et les verres de fin furent remplis de nouveau.

(…)

Plus tard dans la soirée, le commandant Evans permit à ses invités de retourner encore une fois aux séduisant cocktails américains et ce ne fut qu’au petit jour que l’empereur de tous les Allemands monta à bord de son propre canot pour retourner à bord du yacht impérial.

Plus tard dans la journée, à la tombée du jour, le capitaine Evans fût dûment informé – alors qu’il s’était déjà mis au lit – que le canot personnel de l’empereur se mettait à couple et que l’empereur lui présentait ses respects et demandait un autre « kochtael ». Bob le Côgneur s’habilla en hâte, monta sur le pont, retira sa casquette et fit un bref salut. Le Kaiser était manifestement en bonne forme après ses fréquentes dégustations du grand « remontant » américain.

« Commandant, » dit l’empereur en faisant un mégaphone de ses mains, « vous autres Américains commencent avec la plus grande rapidité, mais je pense que nous autres Allemands tenons mieux la distance. »

Sur quoi Sa Majesté est de nouveau monté à bord et bien d’autres cocktails américains furent offerts par Bob le Côgneur.

L’empereur est resté debout toute la nuit.

117 - Le Kaiser et l'alcool

Carte postale commémorant la visite du prince Henri aux Etats-Unis.

L’anecdote paraît suspecte si l’on veut bien faire crédit aux témoignages cités plus haut. De plus, c’est le prince Henri de Prusse, frère cadet du Kaiser, qui lors de sa visite de 1902 aux Etats-Unis fut « honoré » d’un cocktail à son nom par l’hôtel Waldorf Astoria :

1,5 oz 9 de gin

1,5 oz de vermouth sec

un trait de liqueur de menthe

un trait d’orange amère

1 rondelle de citron

9 Mesure américaine correspondant à 29,5 ml.

La sobriété impériale (du moins en matière de boisson…) était d’ailleurs suffisamment connue de ses loyaux sujets allemands pour qu’une société de tempérance allemande se réclame de son patronage pendant la première guerre mondiale.

117 - Le Kaiser et l'alcool

« La nation qui s’en tient à la quantité minimale d’alcool remporte la victoire ! »

Kaiser Guillaume II (21 nov. 1910)

A mon glorieux empereur, qui pour nous fut toujours un exemple,

j’apporte volontairement et avec enthousiasme une offrande,

par amour pour lui dont le but suprême est notre bien,

je renonce à l’alcool mortifère.

Je ne veux plus boire une goutte, j’en fais aujourd’hui le serment

jusqu’à ce que la Paix fasse son entrée au son sacré des cloches,

jusqu’à ce que les célébrations de la victoire emplissent villages et villes,

jusqu’à ce que moi-même je rende la fiche de rappel.

Et ce que j’ai promis : mon nom s’en porte garant face au monde.

Où serait un Allemand qui aurait l’ignominie de ne pas tenir sa parole ?

117 - Le Kaiser et l'alcool

à renvoyer seulement en cas de cessation de l’abstinence à

Association allemande des femmes abstinentes, c. V.

Dresden A., 22 rue de Leipzig

Sauf communication d’une autre adresse.

117 - Le Kaiser et l'alcool

Cuvée spéciale pour le 300e anniversaire du royaume de Prusse…

 

 

 

Une nouvelle fois, je me dois de remercier Franck Sudon pour ses traductions.

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1 mai 2017 1 01 /05 /mai /2017 16:49
116 - Jours de Chine

Vignette allemande de propagande : « Pensez à Tsingtau ! »

Nous l’oublions souvent, mais l’Asie connut aussi de rudes combats au cours de la Première Guerre Mondiale. En effet, l’Allemagne possédait depuis 1898 le territoire de Kiautchou dont la capitale était le port de Tsingtau 1, base de l’escadre allemande du Pacifique et ville en plein développement. Dès l’annonce du risque imminent de guerre, l’amiral von Spee avait pris la mer avant que ses bâtiments ne risquent d’être bloqués à quai par une escadre britannique. Mais les Anglais n’étaient pas les seuls à chercher à s’emparer de Tsingtau, les Japonais lorgnant eux aussi sur ce territoire allemand. Leurs ambitions se concrétisèrent d’ailleurs assez rapidement, le Japon envoyant à l’Allemagne dès le 15 août 1914 un ultimatum exigeant sous huit jours le départ de tous les navires de la marine impériale des eaux chinoises et japonaises ainsi que la remise du territoire de Kiautchou aux représentants du Mikado… Comme l’on pouvait s’y attendre, l’Allemagne refusa d’obtempérer et la maigre garnison de Tsingtau se prépara au combat, en improvisant au mieux pour résister le plus longtemps possible. Je laisse maintenant l’aviateur Gunther Plüschow témoigner de ces efforts aussi ingénieux que désespérés.

1 Aujourd’hui Qingdao ; à l’époque on trouvait aussi les graphies Tsing-Tau et Tsingtao.

116 - Jours de Chine

Monument érigé en 1898 à Tsingtao en l’honneur de l’amiral Otto von Diederichs (1843-1918).

A Tsingtau, j’avais encore un second service à assurer, j’étais commandant de la station de ballons, mes concurrents plus légers que l’air.

Avant mon départ de Berlin, j’avais suivi un cours d’aéronautique qui consistait en un voyage en ballon libre et quelques exercices en ballon captif.

La station de ballons captifs de Tsingtau, encore récente, se composait au total de deux gros ballons de mille mètres cubes, d’une nacelle et de tous les accessoires nécessaires pour le gonflement et le service de ces ballons.

Un sous officier de marine qui avait fait un court stage d’instruction dans l’aéronautique et moi étions les seuls ayant quelques notions sur les ballons. Après avoir installé et organisé cette nouvelle station, nous en arrivâmes à nous occuper très consciencieusement et avec beaucoup de précautions du gonflement des ballons. Nous fûmes vraiment très fiers lorsque la première grosse saucisse, épaisse et rebondie, gît à terre, solidement amarrée. Alors, avec mon sous-officier, je coupai toutes les cordes et bientôt le monstre jaune oscilla doucement dans le ciel. Nous le ramenâmes à terre et, pour la première ascension, je grimpai seul dans la nacelle. J’ai bien failli alors commencer mon fameux voyage jusqu’en Allemagne car, lorsque je commandai : « Lâchez tout ! », on libéra maladroitement beaucoup trop de câble ; le ballon s’éleva verticalement d’un seul bond à une cinquantaine de mètres et tendit alors brusquement ce câble. Je pensai alors : « ça y est, il s’en va ! » Un choc énorme se produisit en effet et il s’en est fallu de peu que je ne sois lancé hors de la nacelle. Comme le câble était tout neuf, il tint bon, grâce à Dieu, et cela me servit de leçon. Je commençai alors graduellement l’instruction et l’exercice de mes hommes et bientôt, tout fonctionna comme si nous n’avions fait que cela toute notre vie.

116 - Jours de Chine

Manœuvre au sol d’un ballon captif d’observation (vignette publicitaire de la marque Josetti Juno).

Le gouvernement avait fondé de grandes espérances sur les ballons captifs. On comptait surtout qu’ils rendraient de grands services pour observer l’avance de l’ennemi et repérer son artillerie. Malheureusement cet espoir ne se réalisa en aucune façon et les craintes que j’avais manifestées au sujet de l’utilité de cette station de ballons se réalisèrent en tous points.

Bien que je me sois élevé en ballon jusqu’à douze cents mètres, nous n’avions pu parvenir à voir au delà des hauteurs qui se trouvaient devant nos positions fortifiées et, par suite, à observer les mouvements de l’ennemi, ni surtout à repérer les positions de son artillerie lourde.

Cela aurait pourtant été d’une importance capitale pour la défense de Tsingtau.

Pour faire comprendre la situation délicate dans laquelle nous nous trouvions à Tsingtau, quelques explications sont nécessaires.

116 - Jours de Chine
116 - Jours de Chine

Maquette de Tsingtau au moment du siège donnant une bonne idée du relief de la péninsule (photographie tirée du site https://www.dawn.com/news/1142752).

Tout le territoire de Kiautchou consiste en une étroite langue de terrain, à l’extrémité de laquelle se trouve la ville de Tsingtau. Entourée de trois côtés par la mer, la ville est bordée au nord-est par une chaîne de collines en demi-cercle, les monts Moltke, Bismarck et Iltis, qui va, elle aussi, de la mer à la mer. Notre position principale de résistance était placée sur ces montagnes ; et, au pied de la chaîne, dans la partie nord-est, se trouvaient nos cinq ouvrages d’infanterie protégés par des fils de fer barbelés. Au-delà, s’étendait une large vallée traversée en partie par le fleuve Haïpo ; puis, se présentant également de demi-cercle de la mer à la mer, la série de collines dangereuses pour nous de Kuschan, de Waldersee et du Prince Henri, ces dernières d’une structure si sauvagement romantique qu’elles semblaient directement tombées de la lune. Derrière ces hauteurs aboutissait une large vallée au-delà de laquelle les masses rocheuses et escarpées du Lau-Hou Schan, du Tung-Liu-Schui et du Lauschan s’élevaient vers le ciel.

Comme il nous importait avant tout de savoir ce qui se passait au-delà de la zone neutre et qu’à partir du 27 septembre nous fûmes complètement enfermés derrière les barbelés, comme il fallait voir aussi où l’ennemi installait son artillerie de siège et que nous avions dû depuis longtemps renoncer pour cela aux espérances que nous avions mises dans notre ballon captif, il ne nous restait, pour atteindre notre but, que des renseignements occasionnels et brefs et… mon avion ! 2

2 L’aviateur de Tsingtau (Payot ; Paris, 1931) pp. 40-41.

116 - Jours de Chine

Carte postale allemande de propagande.

Le blocus du territoire par la 2e escadre japonaise commença le 27 août et d’importantes forces nippones, appuyées par un contingent britannique symbolique, entamèrent le siège de Tsingtau le 2 septembre. A partir de cette date, la ville, isolée du monde, était réduite à ses maigres moyens pour résister.

 

Le 5 septembre, dans la matinée, par un temps maussade, alors que le ciel était couvert de nuage très bas, nous entendîmes tout à coup le bourdonnement d’un moteur ; je sortis de la maison en courant pour voir ce que c’était : un biplan gigantesque se montrait au milieu des nuages, juste au-dessus de nos têtes. Je restai muet de stupeur, et comme fasciné, je contemplai le fantôme. Bientôt cependant les premières bombes explosèrent et je remarquai de gros disques rouges sous les ailes de l’avion. 3

3 Dès le début du siège, les Japonais disposaient du transport d’avions Wakamiya, transportant 4 hydravions Maurice Farman MF.11. De ce fait, le Japon est le premier pays au monde à avoir lancé une opération aéronavale dans un conflit.

C’était donc un Japonais !

Je dois avouer que cela me parut singulier de voir un collègue ennemi si près au-dessus de ma tête. Cela promettait des distractions pour l’avenir !

L’apparition de l’aviateur ennemi avait été pour Tsingtau une surprise particulièrement désagréable. Personne n’avait songé que les Japonais pourraient aussi avoir des avions.

Dans le cours du siège, les Japonais eurent en tout huit appareils dont quatre grands hydravions biplans que je leur ai sincèrement enviés.

En effet, pendant les semaines qui suivirent, quand ces merveilleux hydravions japonais tout neufs, gigantesques, décrivaient dans les airs des cercles autour de la ville, combien de fois ne les ai-je pas contemplés avec envie !

116 - Jours de Chine

Mise à l’eau par le Wakamiya d’un hydravion Farman (cliché tiré du site http://www.1250scale.com/1250Wakamiya.htm).

Il faut reconnaître que les Japonais volaient très bien et avec un « cran » extraordinaire.

C’est une chance qu’ils n’aient pas été aussi adroits pour lancer leurs bombes, car cela aurait été mauvais pour nous.

Les bombes d’avion japonaises, de construction récente, étaient assez grosses et avaient une force d’éclatement énorme.

Les hydravions avaient le gros avantage de pouvoir amerrir très loin sans risquer d’être dérangés par nous et sans tenir comte de la direction du vent. Ils avaient devant eux autant d’espace qu’ils pouvaient en désirer. Lorsqu’en toute sécurité ils avaient atteint leurs trois mille mètres, ils arrivaient au-dessus de nous et se moquaient de nos shrapnells et de nos mitrailleuses.

Le hangar de mon avion était un des principaux buts du bombardement ennemi.

Cela devint bientôt si dangereux pour mon avion qu’un certain soir, je le déménageai et je résolus de tromper mes collègues ennemis.

Mon véritable hangar se trouvait à l’extrémité nord du terrain ; on pouvait très facilement le voir d’en haut et, bien entendu, les Japonais l’avaient repéré. J’édifiai alors en cachette, à l’autre extrémité du terrain, un nouveau hangar que j’appuyai à un contrefort de la montagne ; je le camouflai avec de la terre et de l’herbe, de telle sorte que, d’en haut, il était impossible de rien distinguer. Puis, avec beaucoup de ruse, nous construisîmes un faux avion en employant des planches, de la toile à voile et du fer-blanc ; vu d’en haut, cela ressemblait à s’y méprendre à mon Taube. Ainsi, le tour était joué et les aviateurs ennemis pouvaient revenir.

Un jour, les portes de mon ancien hangar étaient ouvertes et mon faux avion visiblement installé devant, sur une belle herbe verte. Un autre jour, les portes étaient fermées et l’on ne voyait rien. Ou bien encore, cet avion se trouvait à un autre endroit de la prairie où il se détachait particulièrement bien et cela continua ainsi. Les aviateurs ennemis arrivaient ; ils lançaient bombes sur bombes et s’efforçaient d’atteindre cet oiseau innocent.

Nous, au contraire, pendant ce temps-là, nous étions installés avec notre véritable avion de l’autre côté du terrain, bien protégés par la toiture et nous nous tenions les côtes à force de rire en voyant les bombes poursuivre leur pauvre victime.

Un certain jour où, de nouveau, pas mal de bombes étaient tombées, je ramassai un bel éclat ; j’en confectionnai une carte de visite sur laquelle j’écrivis : « Toutes mes meilleures salutations aux collègues ennemis. Pourquoi lancez-vous des choses si dures ? Vous pourriez nous crever les yeux. Cela ne se fait vraiment pas ! »

J’emportai ce message à une sortie suivante et je le laissai tomber sur la base des hydravions japonais. 4

4 Le Wakamiya, après avoir heurté une mine le 30 septembre, fut contraint de se retirer pour être réparé pendant une semaine. Au cours de cette période, ses hydravions furent débarqués et une base aéronavale improvisée fut installée dans le petit port de Shazikou situé de l’autre côté de la baie de Tsingtau.

C’était l’annonce de ma prochaine visite.

116 - Jours de Chine

L’artillerie lourde japonaise devant Tsingtau (photographie extraite d’un journal de l’époque).

Sur ces entrefaites, un homme du dépôt d’artillerie avait confectionné des bombes à mon intention. Elles étaient superbes : des boîtes de fer-blanc de deux kilos sur lesquelles on pouvait lire : « Sietas, Planbeck and Co, excellent café de Java, » remplies de dynamite, de clous de sabots et de morceaux de fer. La partie inférieure était munie d’une pointe de plomb, la partir supérieure d’un détonateur constitué par une petite pièce de fer pointue qui, au moindre choc, frappait la capsule d’une cartouche et faisait ainsi exploser la bombe. Ces objets me paraissaient assez peu rassurants ; je les traitais comme des personnes très susceptibles et j’étais toujours enchanté une fois que je m’en étais débarrassé. Une fois, j’ai atteint un torpilleur, mais la bombe n’éclata pas ; plusieurs fois, j’ai été sur le point de toucher un transport ; une autre fois, d’après les nouvelles japonaises, j’aurais lancé une bombe au milieu d’une colonne et envoyé ainsi une trentaine de jaunes chez Hadès.

Dans une autre occasion, je fus particulièrement furieux : j’étais parti de grand matin reconnaître le camp de nos chers voisins et je me proposais d’ajouter mon excellent café de Java à leur petit déjeuner. La bombe tomba, d’après les rapports anglais, sur la tente qui leur servait de cuisine comme sur un tremplin, si bien qu’elle rebondit sans éclater.

Bientôt, j’abandonnai le plaisir des bombardements ; étant seul j’avais bien assez à faire. Les résultats ne compensaient pas le temps ainsi perdu à lancer des bombes. 5

5 L’aviateur de Tsingtau pp. 59-62.

116 - Jours de Chine

Barbelés et position défensive allemande à Tsingtau.

Par sa vaillance, la petite garnison de Tsingtau fit la fierté de l’Allemagne. Si bien qu’elle reçut par radio un message de félicitation du Kaiser destiné autant à la féliciter qu’à maintenir son moral alors qu’elle était engagée dans un combat sans issue.

Le 27 octobre fut pour nous un jour de joie. Nous reçûmes de Sa Majesté l’Empereur le télégramme suivant :

« Avec moi, tout le peuple allemand a les yeux fixés avec fierté sur les héros de Tsingtau qui, fidèles à la parole de leur Gouverneur, remplissent leur devoir. Soyez tous assurés de ma reconnaissance ! »

à Tsingtau, cela fit battre tous les cœurs. Notre grand chef n’oubliait pas son fidèle petit détachement d’Extrême-Orient.

Chacun se promit de nouveau en lui-même de combattre, de remplir son devoir jusqu’au bout pour que l’Empereur pût être content de lui. 6

6 L’aviateur de Tsingtau p. 72.

116 - Jours de Chine

Une pièce d’artillerie du fort Iltis mise hors de combat par les tirs japonais.

Mais l’héroïsme ne fait pas tout et le vieil adage militaire qui veut que Dieu soit pour les grands bataillons contre les petits s’est encore vérifié dans ce coin de Chine : la dernière ligne de défense ayant été percée, Alfred Meyer-Waldeck, gouverneur du territoire, capitula le 7 novembre 1914.

La courte présence allemande en Chine a cependant laissé quelques souvenirs. Ainsi, les spectateurs des épreuves nautiques des jeux olympiques d’été de 2008 ont pu se rendre compte qu’un certain nombre de bâtiments édifiés à l’époque de la concession, avec leur style si caractéristique, existent toujours. De plus un autre symbole germanique produit sur place continue d’avoir beaucoup de succès…

116 - Jours de Chine
116 - Jours de Chine

Photographie récente de l’un des canons allemands ayant défendu Tsingtau (extraite du site http://www.japantimes.co.jp/news/2014/11/09/asia-pacific/politics-diplomacy-asia-pacific/echoes-of-wwi-battle-in-china-resonate-over-japan-ties/#.WP4trcakLIU).

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